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Terre d’idoles

par: Jaqui Ackermann

Publié le 7 juin 2007

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Notre paracha peut-être partagée en deux grandes parties. La première comprend l’histoire des explorateurs. Puis une série de lois sont dictées dans la deuxième. On ne peut s’empêcher de voir dans ces lois, et certains commentateurs le font (voir le Sfath Emeth par exemple), des commandements visant à compenser l’erreur des explorateurs et du peuple. Nous aborderons une de ces lois.

Le texte (Bemidbar 15, 22 à 31) expose les règles relatives à un sacrifice expiatoire apporté en réparation d’une faute involontaire dans le domaine de l’idolâtrie. Si quelqu’un a servi une divinité, croyant que ce culte était autorisé, il doit, lorsqu’il comprend son erreur, apporter un sacrifice. Autre cas : le grand tribunal a autorisé par erreur un culte, et la collectivité a agi par erreur, suite à cette autorisation. Il y a alors un sacrifice expiatoire collectif.
Le texte expose à la suite le cas où cette faute a été commise volontairement. Les versets décrivent si longuement la gravité d’une telle transgression cas que les Sages y voient des allusions à toutes les formes d’hérésie (Sanhédrin 99a).
Il est étonnant que ce sujet soit abordé ici. Les règles relatives aux sacrifices sont traitées en général dans le livre de Vayikra. La Thora revient mainte fois sur les questions de l’idolâtrie, mais la description de la gravité de la faute est unique dans notre paracha. Comme si ce thème n’était pas envisageable de cette manière auparavant.

Il faut savoir que la faute des explorateurs a une double portée. D’abord c’est une faute en elle-même. Puis, le texte dit que c’est la dixième faute des Bné Israël depuis la sortie d’Egypte (Bemidbar 14, 22).
Rachi explique (verset 33) que la sanction des quarante ans d’errance dans le désert commence dès la faute du veau d’or, et non après la faute des explorateurs. Car le peuple a fauté dès la première année de la sortie d’Egypte. Mais la sanction ne s’est scellée qu’à la dixième faute. Elle achève donc un « cycle » d’erreurs (Avoth 5, 4).
Cette faute éloigne le peuple d’une élévation qui aurait pu être maintenue si elle n’avait pas eu lieu. Le peuple s’est éloigné de la terre pour près de quarante ans, D. s’éloigne également. D. ne s’adresse plus à Moché comme auparavant, tant que des personnes de cette génération restent vivantes (Dévarim 2, 17 – voir Rachi). Une véritable cassure s’opère alors : ce n’est pas la génération sortie d’Egypte qui entrera en terre d’Israël. Ce ne sera que la génération suivante, et toutes les promesses faites par Moché aux gens qui étaient en Egypte ne se réaliseront que chez leurs enfants. Pire : un verset (Psaumes, 106, 27) dit clairement que le futur exil est envisagé dès cette faute (nous ne voulons pas entrer maintenant dans le sujet à savoir s’il était inévitablement décrété où s’il aurait pu être évité grâce à certains mérites).
L’éloignement est donc ainsi aggravé car c’est tout le rapport à la terre qui est affecté, ou plutôt le rapport à D. à travers la terre. Car cette terre est donnée par D., et le peuple est sensé ressentir ce don permanent.

Un des éléments de la faute des explorateurs est certes d’avoir manqué de confiance en D., et de l’avoir affirmé haut et fort. Mais il est humain d’avoir peur. Ils devaient aller combattre des géants, et les craindre n’est pas une faute en soi. Le texte de la Thora dit par ailleurs : si tu te dis que ces peuples sont puissants… alors sache que tu n’as pas à les craindre car D. t’aidera… (Dévarim 7, 17-26). On peut envisager la peur, on peut envisager de ne pas avoir le mérite de se faire aider, on peut envisager que D. ait décidé de donner de la puissance aux autres. Mais il est interdit de dire que la puissance appartient totalement aux autres. La faute de l’idolâtrie est de croire qu’une force possède un pouvoir indépendant de D. L’hérésie est de croire que le pouvoir absolu n’appartient à personne.
En affirmant que la conquête du pays était impossible, les explorateurs disaient ou sous-entendaient que D. ne « pourrait pas » ‘hass véchalom (voir Rachi sur Bemidbar 13, 31). Ils ne se posaient pas la question du comment faire ou par quel mérite ils réussiraient. Ils affirmaient une impossibilité. Il n’était certes pas évident de saisir qu’un pouvoir extraordinaire serait donné au peuple pour prendre possession de cette terre, un pouvoir inimaginable de déraciner les habitants, de renverser le cours des événements. Un petit peuple peu expérimenté terroriserait ces cités royaumes !
Comme s’il fallait reconnaître une « nouvelle » toute puissance de D., une puissance dépassant les miracles de la sortie d’Egypte. Le peuple devait apprendre à ce moment que la puissance divine se manifeste ici-bas non seulement pour les aider à s’extirper d’Egypte, mais également en leur attribuant une terre ayant appartenu à des autres peuples. Etre en terre d’Israël doit permettre de reconnaître D. encore davantage, par le fait même de pouvoir se tenir debout sur le sol qu’Il m’a donné. On peut comprendre qu’il y a dans la faute des explorateurs un élément lié à l’idolâtrie, car rester en dehors de cette terre, c’est refuser ce lien d’intimité avec D., et donc refuser cette conscience de percevoir D. dans Sa toute puissance.

Le texte reprend les situations d’idolâtrie en montrant que l’erreur est possible et pardonnable. Reconnaître par ignorance la puissance d’un élément est un acte répréhensible mais pardonnable, dans une certaine mesure. Et a contrario, il est gravissime de renier volontairement sous quelque forme que ce soit la toute puissance divine. La Thora décrit les situations d’idolâtrie pour nous permettre de les reconsidérer après la tragédie des explorateurs. D’un côté pour donner l’espoir d’un pardon de l’ignorance. Et de l’autre pour mettre en garde contre toute forme d’hérésie.

Aujourd’hui, les formes d’idolâtrie classiques ont quasiment disparu. Restent les formes d’incroyance qui, pour nous, sont aussi graves. A la fin de la paracha, la mitsva de Tsitsith nous enjoint de ne pas suivre notre cœur. C’est-à-dire d’après nos Sages (Bérakhoth 12b), de ne pas se laisser aller à une vision du monde qui se débarrasserait d’un Tout-puissant, qui oublierait que même le « chaos » est toujours guidé. La racine de Tsistith est proche d’un mot signifiant voir (Rachi sur 15,38). Le Juif apprend à voir, et à attendre de voir.

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