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Behoukotaï : Le retour

par: Jaqui Ackermann

Publié le 9 Mai 2023

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Le rejet

« J’établirai Mon sanctuaire parmi vous, et Je ne vous rejetterai pas ». La dernière expression semble incongrue. Il est évident qu’après toutes les bénédictions, il n’y aura pas de rejet. Certains commentaires disent qu’il faudrait traduire « Je ne vous rejetterai plus » (Sforno). Il s’agit d’une promesse d’un changement radical. Il est donc normal qu’elle figure à la fin des bénédictions. Le sanctuaire résidera d’une manière définitive. C’est l’objectif ultime. Pour mieux comprendre, il faut se poser une autre question. On peut se demander, à propos de ces bénédictions-malédictions, s’il n’y a pas des situations intermédiaires. Il est promis des bénédictions plus que débordantes. Les récoltes s’accumuleront au point qu’on garde celles des années précédentes. Et de l’autre côté, les malédictions s’accumulent aussi, jusqu’à l’exil. N’y a-t-il donc pas de statu quo, de situation intermédiaire, normale ? Certes le lecteur peut l’imaginer tout seul, mais on a l’impression que cela n’est pas voulu par le texte. Comme si cela devait aller dans un sens ou dans l’autre. Et c’est effectivement ce que nous enseigne la tradition. En théorie, on peut envisager une situation « neutre ». Mais ce n’est pas souhaité. La relation avec D. n’est pas conçue pour être neutre, elle est par principe dirigée vers le plus ou vers le moins. Cela peut être mixte : se diriger vers le plus pour certains domaines, et vers le moins pour d’autres. Mais fondamentalement, il nous est demandé de nous engager dans un mouvement. Il n’est pas possible de stagner. Stagner revient en vérité à régresser. D. est patient, mais il faudrait éviter de Lui dire : attends, on réfléchira demain… Le peuple doit prendre une direction. C’est comme dans un couple (inspiré du Pa’had Yits’hak). On ne peut pas parler de statu quo, sans un minimum d’amour et d’attirance mutuelle. Il ne peut pas y avoir de situation d’indifférence. Ce n’est pas pour rien que la relation entre D. et Son peuple, est comparée à celle d’un couple (dans Chir Hachirim par exemple). Cela prend alors des proportions étonnantes. C’est ce qu’ont dit les conseillers de Hamane : il n’y a pas de situations médianes, ce sont le plus souvent des situations extrêmes…

L’alliance

Le célèbre texte énumérant bonheurs et malheurs du peuple juif est appelé « bénédictions et malédictions ». Nous l’avons déjà souligné plusieurs fois, il ne s’agit pas de récompenses ou de sanctions. Le texte présente une chaine « logique » de causes et d’effets. La bénédiction touche, en temps normal, la collectivité qui suit les prescriptions divines, et sinon, malheureusement, ce sont les malédictions. Ce principe est répété de très nombreuses fois dans la thora, à commencer par le deuxième paragraphe du chéma’. Quel intérêt de nous donner des dizaines de versets, décrivant en détail bénédictions et malédictions ? Pour être exact, il s’agit ici d’exprimer les termes d’une alliance. Ce texte se termine par : « voici les lois, les commandements… ». Ces malédictions ne sont évidemment pas des commandements. Le texte veut dire que les deux sont liés, c’est cela l’alliance : le respect des lois est mis en relation avec les conséquences énoncées. C’est pour cela que ce texte se trouve à la fin de Vayikra. La majorité des lois ayant été énoncée. (Certes, les lois reviendront dans le livre de Dévarim. Mais ce livre apparait parce que Moché disparait. Et la disparition de Moché n’est pas prévue pour l’instant, dans le livre de Vayikra.) Pour conclure le livre, on énonce les termes de l’alliance (Sforno). Il s’agit de prendre conscience à quoi on s’engage, de ne pas se dire surpris de ce qui arrivera plus tard. Nous croyons que ce qui est écrit dans le texte est écrit dans nos consciences. Quand D. fait écrire cela, c’est la conscience du peuple qui l’enregistre, la nôtre, et cela donne des forces pour que le message ne soit pas (trop) oublié. Si ces événements se réalisent, nous ne serons pas étonnés, c’est cela l’objectif : savoir faire le relation cause-effet, et mémoriser l’alliance.

A quand le retour ?

Bizarrement, le texte des malédictions n’exprime pas clairement un retour à la terre. L’exil est clairement prévu, mais le retour n’est pas explicite. Il est suggéré par les dernières phrases : « Je ne les abandonnerai pas… Je me souviendrai de l’alliance… » (voir Ramban qui répond à cette question d’une manière particulière, et pourquoi on ne parle pas de téchouva). Il semblerait que le but n’est pas d’annoncer un happy-end. Le texte ne veut pas exprimer un début et une fin d’aventures. Il s’agit de montrer que les malheurs sont menés par D., qu’il n’y a pas de hasard. Il est évident que si D. maintient Son alliance, alors l’aboutissement heureux est garanti. Le point important ici est d’affirmer que les malheurs « prévus » sont une manifestation divine, et non un abandon total et une disparition de la collectivité. Si c’était le cas, cela aurait été exprimé clairement, mais cela n’apparait pas (heureusement !). Le peuple risque de ne pas respecter l’alliance, mais D., Lui, la respectera. Le texte montre que, malgré l’impression négative laissée par la longueur des malédictions, bien supérieure à celle des bénédictions, il n’y a pas d’équivalence. D. respectera plus son engagement que le peuple. Cela semble même injuste ! Mais c’est le principe : D. « mène la danse », c’est Lui Qui décide. Le but de la fin du texte n’est pas de dire si cela « finit bien » ou non. Le but est de dire que c’est D. Qui gère une relation pérenne, du début jusqu’à la fin.

Pour en finir avec des idées fausses

« Ils trébucheront, un homme à cause de son frère » (26,37). Ce texte est à comprendre de la manière suivante : dans la panique, une personne peut faire tomber l’autre, et cela augmente les risques malheureux. Rachi rapporte à ce sujet le midrach qui interprète ainsi ce phénomène : il trébuchera par la faute de son frère. Cela signifie qu’on sera responsable de la faute d’autrui, selon le fameux principe, que toute personne est garante l’une de l’autre. Une des questions qu’on peut se poser est : pourquoi noter ce principe dans les situations malheureuses, n’y aurait-il pas le même phénomène dans les situations heureuses ? En vérité, il est évident que cela fonctionne dans toutes les situations. Et dans les bonnes situations, cela fonctionne encore mieux. Dans un autre ordre d’idées, le midrach fait remarquer à propos du verset qui décrit les succès militaires, « cinq parmi vous poursuivront cent (ennemis), et cent poursuivront dix mille », que ce n’est pas proportionnel. Et répond le midrach : on ne peut comparer un petit groupe accomplissant les mitsvoth à un grand groupe accomplissant les mitsvoth. En d’autres termes, cela est exponentiel. Le bien est toujours survalorisé, de manière disproportionnelle par rapport au mal. Il est évident que le bien rayonne. Les personnes qui accomplissent le bien en font profiter les autres. La nouveauté est que le mal rayonne. Si on peut « se mêler » des erreurs des autres, on en devient responsable. Ce n’est pas que « nous sommes dans le même bateau ». Car D. pourrait faire en sorte que le bateau ne coule pas, et que seuls les fautifs tombent à l’eau. D. peut faire ce qu’il veut, et le sort collectif serait moins marqué. D. a décidé que les liens existent a priori entre les membres du peuple. Ce n’est pas qu’on a fabriqué des liens de manière artificielle : c’est qu’on a pris un ensemble qu’on a découpé en morceaux, et chacun constitue un morceau (Pa’had Yits’hak). Il est tout à fait normal, dans ces conditions, qu’il y ait une responsabilité des uns vis-à-vis des autres. Lorsque tout va bien, le texte dit que nous aurons conscience d’être le peuple de D. Quand tout va bien, on ressent de manière évidente les liens qui nous unissent. Quand tout va bien, ce n’est pas simplement une abondance physique, on ressent certaines réalités qu’il est difficile de transcrire explicitement dans le texte. On comprend très bien pourquoi cent poursuivent dix mille.

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