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Vayetse, Yaakov dans la Yéchiva de Chem et Ever

par: Rav Yehiel Klein

Publié le 9 Novembre 2021

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« Jacob sortit de Beer Shava et se dirigea vers Haran. Il arriva dans un endroit où il établit son gîte, parce que le soleil était couché. II prit une des pierres de l’endroit, en fit son chevet et dormit dans ce lieu » (Genèse XXVIII, 10-11)

« Il se coucha en cet endroit-là. L’expression implique une restriction : Il dormit en ce lieu –  mais durant les quatorze ans qu’il avait passés à étudier dans la maison de ‘Evèr, il ne s’était pas couché la nuit, car il y étudiait la Torah sans interruption »

Cette célèbre glose de Rachi, qui est souvent utilisée par les Directeurs Spirituels et autres responsables pédagogiques pour indiquer aux élèves qu’ils ont encore bien du chemin à parcourir et qu’ils n’ont aucune raison de se plaindre, est en réalité tirée du Midrach (Béréchit Rabba LXVIII, 11).

Et le Midrach nous raconte aussi autre chose :

וַיִּשְׁכַּב בַּמָּקוֹם הַהוּא, רַבִּי יְהוּדָה וְרַבִּי נְחֶמְיָה, רַבִּי יְהוּדָה אָמַר כָּאן שָׁכַב אֲבָל כָּל אַרְבַּע עֶשְׂרֵה שָׁנָה שֶׁהָיָה טָמוּן בְּבֵית עֵבֶר לֹא שָׁכָב. וְרַבִּי נְחֶמְיָה אָמַר כָּאן שָׁכַב, אֲבָל כָּל עֶשְׂרִים שָׁנָה שֶׁעָמַד בְּבֵיתוֹ שֶׁל לָבָן לֹא שָׁכָב, וּמָה הָיָה אוֹמֵר, רַבִּי יְהוֹשֻׁעַ בֶּן לֵוִי אָמַר חֲמֵשׁ עֶשְׂרֵה שִׁיר הַמַּעֲלוֹת שֶׁבְּסֵפֶר תְּהִלִּים, מַאי טַעְמֵיהּ (תהלים קכד, א): שִׁיר הַמַּעֲלוֹת לְדָוִד לוּלֵי ה’ שֶׁהָיָה לָנוּ יֹאמַר נָא יִשְׂרָאֵל, יִשְׂרָאֵל סָבָא. רַבִּי שְׁמוּאֵל בַּר נַחְמָן אָמַר כָּל סֵפֶר תְּהִלִּים הָיָה אוֹמֵר, מַה טַּעַם (תהלים כב, ד): וְאַתָּה קָדוֹשׁ יוֹשֵׁב תְּהִלּוֹת יִשְׂרָאֵל, יִשְׂרָאֵל סָבָא

« Il dormit en ce lieu –  Rabbi Yéhouda et Rabbi Néhémia s’opposaient à ce sujet.

D’après l’un, il dormit en ce lieu, mais durant les quatorze ans qu’il avait passés à étudier dans la maison de ‘Evèr, il ne s’était pas couché la nuit.

D’après l’autre, il dormit en ce lieu, mais pendant les vingt deux années qu’il [allait passer] chez Lavan [Genèse, ch. XXIX – XXXI] il ne dormi[ra] pas.

Mais que faisait-il [litt. : que disait-il ?]

Rabbi Yehoshoua ben Lévi disait : il récitait les quinze Cantiques des Degrés ( CXX – CXXXIV) du Livre des Psaumes. Et pourquoi ceux-ci en particulier ? Car on y lit (Psaumes CXXIV, 1) : ‘’ Si l’Eternel n’avait été avec nous, Israël demanderait grâce’’ – et Israël, c’est Jacob [1].

Rabbi Chmouel bar Na’hman disait : c’est tout le Livre des Psaumes qu’il lisait, car il y est écrit (Psaumes XXII, 4) : ‘’Tu es le Saint, trônant au milieu des louanges d’Israël’’ – et Israël, c’est Jacob »

On ne sait pas pourquoi Rachi a opéré un choix si radical que de ne mentionner que la première opinion exprimée par le Midrach, qui assurément relie le début de la Paracha à tout ce qui précède, mais la détache de ce qui va suivre.

Alors que c’est précisément ceci le message de nos Sages : faire de cet épisode de sommeil  un moment charnière, intermédiaire entre deux périodes où des événements tumultueux empêchaient Jacob de dormir.

Car c’est peut-être là qu’il faut chercher la raison d’être de notre Midrach :

Depuis quand un Juste va-t-il se coucher ?

L’existence toute entière des Patriarches, et des personnages de la Torah en général, est une suite ininterrompue d’actions, de combats et d’efforts pour arriver à triompher d’eux même et de leurs adversaires, ils n’ont jamais un instant de répit, et ici, on nous raconte que Jacob s’en va faire un somme, parce qu’il est à une étape entre la ville de ses parents (où son propre frère menace de le tuer) et la maison de son oncle qu’il croit bienveillant, et où il espère trouver une épouse – c’est surprenant !

C’est donc le sens de ce sommeil incongru qu’il nous incombe de découvrir.

Il semble que cela se joue à deux niveaux :

Au sens le plus explicite, tout porte à croire, comme en témoignera une lecture attentive du Commentaire de Rachi sur ces versets, que c’est le saint Béni Soit-Il qui a provoqué cette césure dans la vie effrénée du Patriarche pour pouvoir lui communiquer une Vision Prophétique d’une importance cosmique.

Mais nos sages, dans le Midrach que nous étudions, ont voulu également déceler ici quelque chose d’implicite : quoi qu’il en soit par ailleurs, le sommeil reste un sommeil, c’est-à-dire un moment de pause, de retrait en soi entre deux périodes d’intense activité.

C’est ce que dit le Midrach : Il y avait quelque chose avant ce sommeil, et/ou il y aura quelque chose après lui.

Et s’agissant d’une personne d’exception comme Ya’akov, il s’agit sans aucun doute de périodes d’intense activité spirituelle…

C’est dans ce contexte que l’on doit comprendre les paroles du Chem miChmouel [2](Vayétsé 5672) :

נראה דר »י סבר דהשכיבה מורה על הגעתו לשלימות אחר העבודה והוא כענין (איוב ג׳:י״ז) ושם ינוחו יגיעי כח, שקנין שלימותו הי’ בבית עבר עוד טרם בא לבית לבן שלגודל הכשפים והטומאה שבבית לבן לא הי’ אפשר לו להחזיק שם מעמד אלא מחמת שנשתלם מקודם בבית עבר, ור »נ סבר שהשכיבם לא הי’ מחמת שכבר הגיע לשלימותו רק הכנה על היותו אח »כ בבית לבן לקנות שם שלימותו, וכפשטא דקרא שהחלום הי’ הכנה כמבואר:

« Il semble que pour Rabbi Yéhouda, le sommeil renvoie à l’achèvement d’une tâche, après un dur labeur, comme il est écrit (Job III, 17) : ‘’ Là, se reposent ceux qui se sont épuisés’’, et ce parce que c’est bien dans la Maison d’Etude de Chem et ‘Ever que Ya’akov put acquérir sa pleine stature spirituelle [par l’Étude de la Torah [3]], avant de se rendre chez Lavan. Car au vu des maléfices et autres forces impures qui y régnaient, il n’aurait pu y survivre sans avoir auparavant été solidement formé chez ‘Ever.

Tandis que Rabbi Néhémia, pour sa part, considère que ce sommeil ne vient pas témoigner d’un achèvement, mais qu’il s’agit plutôt d’une préparation à ces années qu’il s’apprêtait à passer chez Lavan, puisque c’est précisément là-bas qu’il allait acquérir sa pleine stature spirituelle [4], le Rêve Prophétique faisant office de préparation comme semblent l’indiquer les versets [5] »

Ce que nous enseigne ce texte, c’est que oui, même les Patriarches ont le droit de dormir, lorsque ce sommeil est justement nécessaire à permettre la jonction entre deux périodes particulièrement intenses de l’existence.

Pour le premier Maître, il s’agit d’une véritable veillée d’arme avant de se rendre dans un lieu particulièrement hostile, et pour le second Maître, il s’agit de prendre des forces, puisqu’en guise de sommeil régénérateur, D. le gratifie d’une Prophétie qui l’accompagnera avec succès tout au long de ces années d’introspection [6]…

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[1] Cf. Genèse XXXV, 10.

[2] Ouvrage central de la Hassidout, de Rabbi Chmouel Bronstein (1855-1926), Rabbi de Soh’atchow.

[3] Par quoi d’autre, sinon ?

[4] En la renforçant par ses prières ininterrompues, symbolisées par le Livre des Psaumes

[5] Cf. Rachi sur les versets 15 et 21.

[6] Cf. http://yechiva.com/product/parachat-beaaloteha-eldad-et-meidad-ou-eloge-de-la-marge/

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“Vayetse, Yaakov dans la Yéchiva de Chem et Ever”

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