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Parashat Vayikra. Qu’est-ce qu’un Korbane ? par Rav Jacques Ackerman.

par: Jaqui Ackermann

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Parashat Vayikra. Qu’est-ce qu’un Korbane ?  par Rav Jacques Ackerman.

 

 

L’étude d’un sujet exige de rentrer dans le fonctionnement interne dudit sujet. L’exercice est particulièrement compliqué pour ce qui est du korbane (le sacrifice). Parler du sacrifice exige la connaissance minimale des étapes de la cérémonie. Nous allons tenter de survoler le fonctionnement d’un des aspects du korbane. Il s’agit de l’action du propriétaire. Nous distinguerons les genres de sacrifices, car la participation du propriétaire varie quelque peu selon l’objectif du korbane.

Les sacrifices englobent différents produits mais le plus courant est évidemment l’animal. Il faut d’abord choisir la bête correspondant au type de sacrifice. Par exemple, un sacrifice expiatoire est, en général, un ovin femelle. Pour un sacrifice rémunératoire, ce sera un bovin ou un ovin. Les âges sont limités, par exemple, on n’apporte pas de bête âgée de plus de trois ans. Il faut vérifier aussi qu’elle n’ait aucun défaut physique qui la rendrait impropre au sacrifice. Par exemple une dissymétrie du corps. D’autres formes de « défauts » existent. Par exemple un animal volé. D’une manière générale, on n’apporte pas d’animal répugnant au temple.

Après cela, le propriétaire en personne, en général, apporte son korbane au temple. Cela n’est pas obligatoire car on peut nommer un envoyé qui l’apporte à sa place. Mais dans ce cas, on perd le mérite de réaliser certains actes liés à la cérémonie, que seront précisés plus loin.

Il est demandé de le réaliser le plus tôt possible. Le propriétaire ou son envoyé se presse au temple. Il est évidemment obligatoire de s’être purifié auparavant, pour pouvoir y pénétrer. La bête doit être oralement désignée et sanctifiée pour devenir un sacrifice. Le talmud dit que, par précaution, c’est au temple que la bête doit être consacrée. Si la bête est consacrée longtemps auparavant, on risque par mégarde de l’utiliser. Or faire travailler une bête consacrée est totalement interdit.

La bête se trouvant donc consacrée et dans le temple, on doit, la plupart du temps, apposer ses mains sur la tête de la bête. L’envoyé, lui, ne peut le faire. Le but de cette apposition est, pour le korbane expiatoire, d’exprimer son repentir : on récite alors l’aveu et le regret de sa faute. Pour un korbane rémunératoire, selon Rambam (Maïmonide), on dit des louanges. Cette apposition n’est pas toujours exigée ;  elle n’existe pas, par exemple, pour le korbane péssa’h (sacrifice pascal). Puis on égorge le korbane. Le propriétaire n’a pas l’obligation de réaliser personnellement cet acte, mais peut le réaliser. La ché’hita (égorgement rituel) peut effectivement être réalisée par un zar (non-prêtre), contrairement aux autres étapes importantes de la cérémonie.

Donc à partir de là, le propriétaire ne peut que suivre des yeux ce qui va se passer. Le prêtre va recevoir le sang dans un ustensile consacré et l’asperger sur les parois de l’autel. C’est le moment central. Puis la bête est découpée, et des parties sont brûlées sur l’autel, par les prêtres. Ce sont ces derniers qui agissent, et un non-prêtre ne peut pas réaliser la cérémonie, elle ne serait pas valable. Nous allons donner plus loin encore d’autres précisions.

Il existe pour certains sacrifices particuliers une procédure nommée ténoufa. Cela consiste à balancer des morceaux du korbane. Ce balancement, dans les quatre directions, représente une élévation de l’offrande. En général cela se fait en mettant les mains sous celles du cohen, qui lui, a dans ses mains des parties du korbane.

Dans quelques rares cas, la présence du propriétaire est indispensable, car il doit subir une aspersion dans le temple. C’est le cas de celui qui était lépreux qui se fait ainsi purifier par du sang que lui met le prêtre sur le bout de ses pouces.

En ce qui concerne la consommation, les chélamim, les sacrifices rémunératoires et quelques autres (la dîme, le péssa’h) peuvent être mangés par le propriétaire, exclusivement à Jérusalem. La ‘ola, l’holocauste n’est pas mangée, évidemment. Le ‘hatath, sacrifice expiatoire, lui, ne peut être mangé que par les prêtres, dans le temple.

 

Après ce rapide tableau, on peut se demander pourquoi le propriétaire est si peu valorisé. L’essentiel de la cérémonie est réalisée par le prêtre. La participation active du propriétaire, en dehors de la consécration même de la bête, étant si réduite, que peut-il vivre du korbane ? A la limite, on pourrait arriver presque au même résultat en faisant envoyer son korbane

Il y a probablement dans ce processus des éléments que nous ne pouvons pas ressentir, du fait de notre éloignement physique et spirituel de tout ce système. Nous ne pouvons pas imaginer ce que vivaient ces gens, prêtres ou non-prêtres, à travers le temple et tout ce qui s’y passait.

La connaissance du côté pratique ne rend pas compte du ressenti. Mais nous devons étudier ce côté pour tenter d’approcher le ressenti. Etudions ce que vit la personne qui se déplace au temple, qui fait bien les choses, même si cela n’est pas toujours indispensable. Celui qui ne se déplace pas vit quelque chose du même ordre, mais à distance.

Reprenons le processus. On va au temple. Ce n’est pas anodin. C’est déjà un mouvement, qui implique une préparation et la conscience de se retrouver face à D., ne serait-ce que par la purification obligatoire avant d’y rentrer. Comme cela a été dit, la bête est choisie (chez soi ou en l’achetant à Jérusalem) selon des critères définis et consacrée. Puis, après l’apposition des mains citée plus haut, on assiste à son égorgement.

On fait l’effort de choisir, transporter, et consacrer une bête pour la voir mourir… Ceci est un raccourci, mais il montre à quoi le propriétaire s’attache : que la bête soit parfaite, pour être égorgée presque tout de suite après sa consécration. En d’autres termes, on élève un animal, au sens strict et figuré, pour que sa vie soit rendue à son Créateur. Le propriétaire peut alors observer ce que fait le prêtre avec le sang. Comme dit, l’aspersion du sang sur l’autel est le moment crucial, car indispensable, de la cérémonie. Le propriétaire est dans un mouvement : de la vie à la mort, et que le sang atteigne l’endroit exigé par la loi (en général sur les parois de l’autel). La mort, dans la conception de la thora, n’est pas (qu’)un anéantissement mais, dans certains contextes, comme un phénomène qui prouve la suprématie divine. Rien n’est aussi vivant que D., rien n’existe sans sa Source. La disparition de l’animal est une manière de montrer que D. Qui donne vie, est encore plus vivant que l’animal, qui se désintègre face à D.

Mais il existe deux manières de se désintégrer. Ce qui n’a aucune valeur face à D. se désintègre obligatoirement du fait de sa petitesse, de son insignifiance. Ce qui a toujours été proche de D. se désintègre au sens où il se « fond » en D., si on peut parler ainsi. Une vie sainte revient vers D., sa disparition peut être une profanation si elle est bafouée, ou au contraire une consécration, si elle est dirigée vers D. Une vie profane disparait sans rien montrer à travers sa disparition, au mieux elle montre son vide.

La vie est éliminée car la bête n’existe plus. Mais cette vie est mise au service d’une chose plus élevée : la sainteté. Le propriétaire installe une sainteté sur terre, pour la faire aboutir. C’est comme si nous disions : nous avons réservé cette bête à D., elle est sainte, elle peut et doit être mise en relation avec Lui (si on peut parler ainsi). Consacrer cet animal revient à le destiner à une haute tâche, de montrer que le monde est au service de D. Le meilleur moyen  de le faire est de montrer que D. récupère la vie de cette bête, elle ne vit plus pour elle-même. Sa ché’hita (égorgement) est un moyen de montrer que ce qui est sacré revient obligatoirement à D. Si nous avions pu le montrer d’une meilleure manière, nous l‘aurions fait…

Le korbane a pour fonction de retisser des liens, de régénérer, en revenant à la source. Que cela soit pour se faire pardonner ou pour remercier, ou autres causes, le propriétaire cherche à relier ces expériences avec l’Origine. On remercie en exprimant sa reconnaissance avec la Source du bienfait ; on cherche le pardon en avouant sa faute et en s’éloignant de l’erreur pour revenir vers la Source de sa propre vie. C’est une chance donnée à la personne de pouvoir créer une sainteté sur terre, et de la mettre en relation avec D. pour profiter de ce lien. C’est une erreur presque grossière de voir dans le sacrifice une élimination, c’est tout le contraire. Quoi de plus normal de montrer que ce qui est consacré à D. doit Lui revenir, ne peut pas rester à notre disposition ?

Mais effectivement le risque est très grand car si le mode de fonctionnement imposé par D. n’est pas suivi, ce n’est que du gâchis, voire de la profanation. (Il faudrait pour prolonger ce point, approfondir les textes des prophètes qui font ce genre de reproches.) Créer le sacrifice revient à créer un nouveau lien entre D. et le monde. Le propriétaire donne l’occasion à un élément terrestre de se lier à D. Il saisit un moment de sa vie pour concrétiser cela. On peut comprendre aisément que celui qui apporte des sacrifices à tour de bras, prétend être en lien fort et perpétuel avec D., et cela risque de se transformer en jeu.

Le sens du sacrifice dans les autres civilisations est peut-être un moyen de « nourrir » la divinité, de « donner pour apaiser » ou autres modes de fonctionnement qui laissent penser à un « besoin » de la divinité ou à une forme d’échange avec cette divinité. Dans la thora, nous ne cherchons pas à donner à D. Les prophètes ont bien exprimé que D. n’a que faire de dons, n’a que faire de voir le temple inondé de bêtes. Ce qui intéresse D., c’est le changement dans l’homme. Un cœur brisé équivaut à un sacrifice. Le propriétaire de cette bête veut exprimer un mouvement intérieur, qui se concrétise par une cérémonie affirmant que la vie revient à D. On ne donne rien à D. Par contre, D. donne vie à qui reconnait qu’Il en est la source. Le propriétaire de l’animal certes ne fait pas grand-chose, il ne peut pas approcher D. comme le prêtre. Mais de son côté, l’essentiel est effectivement de retrouver un sens de sa vie, à travers ce mouvement « de la vie à la Vie », et pour cela, ce qu’il fait suffit.

Cela n’est évidemment pas concevable avec un sacrifice humain. Par principe, c’est D. qui est Maître de la vie des humains. On ne peut prétendre décider du destin de l’autre, tuer un humain pour l’offrir à D. reviendrait à prendre Sa place. (La peine de mort, quand elle peut exister, est d’un autre ordre. C’est une action de justice, quand elle est bien rendue, qui affirme que cet homme ne mérite pas de vivre, car il s’est privé de cela par un comportement ignoble). Mais cela est possible avec un animal qui a été créé pour être au service de l‘homme, ou même avec de la farine, korbane envisagé par le texte dans plusieurs situations.

En guise d’exemple, nous pouvons ainsi comprendre l’acte étonnant de Noa’h (Noé). Après avoir nourri pendant un an de nombreuses bêtes, au sortir de l’arche, il les sacrifie… Quel intérêt ? Travailler un an à perte ? Nos maîtres disent qu’il connaissait le secret du sacrifice. Dans nos termes, il savait donner vie au monde en le reliant à D. Pour D., un couple d’animal suffit à repeupler la terre de cette espèce, Il n’en a pas besoin de sept ! (il faut savoir qu’il y avait pour certaines espèces sept couples d’animaux dans l’arche de Noé). Par contre, si les humains ne reconnaissent pas D., il y a peu de chance que le monde subsiste. Il sacrifie les couples « en trop », mais cet acte est un acte régénérateur. Noa’h reprend donc un bon chemin en sacrifiant, en retissant le lien entre la terre et son Créateur, en proclamant que la vie dépend d’En-haut.

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“Parashat Vayikra. Qu’est-ce qu’un Korbane ? par Rav Jacques Ackerman.”

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