Lekh Lekha « Ni fil, ni lacet de chaussures »
par: Dr Bertrand KleinPublié le 4 Novembre 2019
0.00€
Les actions des Pères sont signe pour leurs enfants (Maassei avot siman la banim)
Parmi les actions vécues par Abraham Avinou , figure dans la paracha Lekh lekha, la guerre pour libérer son neveu Loth.
Quatre rois se sont révolté contre l’alliance des cinq (dont le roi de Sodome ) qui dominent la région. Loth , habitant de Sodome, est fait prisonnier. Abram lève une troupe de 318 de ses fidèles (Berech.14/14) , mène un raid qui libère Loth et au cours duquel le roi de Sodome , ses sujets et ses biens deviennent prises de guerre d’Abram, qui en vertu du droit de la guerre en cours en cette époque, sont sa propriété. Enhardi par la magnanimité d’Avraham envers Malchisedec (14/20), le roi de Sodome ose demander à Abram : « Rends moi les gens et garde les biens » (14/21). Dans ce qui semble être son souci de faire la gloire du Ciel ( kiddouch hachem), Abram jure qu’il ne gardera rien de ce butin (14/22.23) : « Abram dit au roi de Sodome: je lève ma main vers Hachem, D.ieu suprême du ciel et de la terre: d’un fil à un lacet de chaussure , je ne prendrai rien de ce qui est à toi (ndlr: ni biens, ni gens)
De quel enseignement éternel , marquant pour le peuple juif, le long récit de cet épisode, semblant bien anecdotique, est-il porteur ?
Envisageons les réactions ,semblant contradictoires , de la tradition talmudique à cette histoire.
Pour ce qui est du refus d’Abram de garder les biens , le Talmud Sotah 17a enseigne:
{ Raba explique : par le mérite d’Abraham Avinou d’avoir dit « d’un fil à un lacet de chaussure« ,ses enfants ont bénéficié de 2 commandements: le fil d’azur des Tsitsith et la lanière des Tephilines.
C’est clair pour la lanière des Tephilines comme il est écrit (Devarim 28/10): « Tous les peuples la terre verront que le nom de D.ieu est appelé sur toi (peuple juif) et ils te craindront« . Ceci fait allusion au Tephiline de la tête.
Mais le fil d’azur qu’en est-il ? C’est qu’il est enseigné: Rabbi Meir dit: Qu’est-ce qui différencie le Tekhelet (l’azur) des autres couleurs? C’est parce que l’azur ressemble à la mer, le mer ressemble à la voûte céleste et la voûte céleste ressemble au Siège de Gloire (NDLR: ce que nous percevons de la Gloire divine) comme il est écrit (chemot 24/10) : « Ils virent le D.ieu d’Israël et sous Ses Pieds , il y avait comme une brique de saphir et comme l’essence de la pureté des Cieux » et qu’il est écrit (Ezechiel 1/26): « Une apparence de pierre de Saphir , une forme de trône« .}
Ainsi les Tephilines de la tête (d’après Rachi , portant les lettres Shine sur le boitier et formant un Daleth avec la courroie , 2 lettres sur 3 du Nom Chadaî) et le fil d’azur des tsitsith, obtenus par le mérite particulier du refus d’Abram , malgré son droit, d’avoir renoncé à des biens de ce monde superflus , sont clairement ,pour ses descendants, les instruments de leur reconnaissance comme porteurs de le Présence Divine. En est-il de même pour son renoncement à garder les gens de Sodome parmi ses esclaves ou serviteurs?
Le Talmud ( Nedarim 32a) nous éclaire :
{ Rabbi Abahou dit au nom de Rabbi Elazar : pour quelles raisons Abraham Avinou a -t-il été puni et ses enfants ont-ils été asservis à l’Égypte 210 ans? : parce qu’il a levé un bataillon de sages (NDLR:qui étudiaient ce qui était pour eux la Torah) comme il est dit (berech. 14/14): » Il arma ses disciples , nés de sa maison, 318 personnes … ».
Et Chemouel dit : parce qu’il a exagéré (NDLR: dans son interrogation) sur les engagements de D.ieu ,( lors de l’alliance entre les morceaux, de le faire hériter de la terre d’israël) comme il est dit (Berech. 15/8): « Comment saurai-je que j’en hériterai« .
Et Rabbi Yohanan dit : parce qu’il a détourné des hommes de rentrer sous les ailes de la Présence Divine comme il est dit (dans le passage étudié ici (berech.14/23) : » donne moi les gens , et les biens , garde les pour toi « .}
Le refus de faire entrer, comme tribut de guerre, des étrangers dans son peuple est une des trois fautes d’Abram (qui , remarquons le, sont toutes dans notre Paracha Lekh lekha) entraînant l’exil des Bné Israel en Égypte.
Si on les analyse, ces 3 manquements d’Abram, sont, rapporté à son exceptionnelle grandeur, des « défauts » dans la Emouna, dans la confiance en D.ieu.
Lever une armée si minime soit-elle constitue une action humaine (Hishtadlout) trop importante, pouvant laisser penser que D.ieu ne se suffit pas à lui même pour mener cette guerre ( alors que battre l’armée la plus puissante du moment même avec quelques soldats ne peut être que l’effet d’une action miraculeuse de D.); et à plus forte raison en détournant des Talmidei h’akhamim, des Sages, de leur étude donc de leur occupation avec D.
Interroger D.ieu sur Sa promesse de faire hériter ses descendants de la Terre d’Israël, quand bien même ne s’agit-il que de se demander par quels mérites ils y auront droit, semble laisser penser qu’Abram « doute » de ce que D.ieu lui assure.
Refuser de faire de nouveaux ambassadeurs de D.ieu sur terre , n’est-ce pas « ternir » la lumière de la Présence Divine ici-bas , même si le calcul raisonné de vouloir paraître magnanime et animé par la volonté d’être le représentant de la « grandeur d’âme » divine semble légitime.
Trois attitudes ,donc ,qui sont comptées à Avraham Avinou comme devant être punies de l’exil de ses descendants en Égypte. C’est, qu’à la période décisive de formation du peuple abrahamique , les actions du Patriarche constituent peu à peu le « capital génétique » qui sera transmis comme hérédité constitutive du peuple juif. Le défaut de confiance en D.ieu d’Abraham, si minime soit-il, fera que cette Emouna ne sera pas un gène, mais devra être éprouvée de façon vécue dans sa chair par le peuple entier : la libération de l’exil et l’expérience du Pouvoir absolu de D.ieu remplacera l’inné par l’acquis de l’héritage culturel et historique juif. Ainsi s’explique l’importance de ce passage de la Paracha et le refus d’Abraham d’accepter biens et gens comme tribut de guerre.
D’une part , sa renonciation aux richesses imprime définitivement sur ses descendants les signes de reconnaissance (Tefilines et Tsitsith) de leur proximité avec D.ieu et que celle-ci est le seul bien véritable à rechercher sur cette terre.
D’autre part, son échec , tout relatif, à vivre le caractère absolu et non négociable de la nécessité de la Confiance en D.ieu (entre autre par la crainte d’accepter les prisonniers dans sa maisonnée) oblige à faire passer ses descendants par son expérience vécue qui l’intègre définitivement à leur caractère de Maaminim bné maaminim ( fidèles, enfants de fidèles).
Il n'y a pas encore de commentaire.