Le 5 Mars 2020,
La paracha TETSAVE nous entretient au chap. 28 et dans quelques versets du chap.29 de l’Exode des habits spécifiques que le Cohen gadol, le grand prêtre, et ses acolytes les Cohanim, devaient porter pendant qu’ils accomplissaient leur service sacré au Michkan puis au Beth Hamikdach.
La gem. Sanhedrin 83b apprend du verset 29/9 (« Tu les ceindras, Aaron et ses fils, d’une ceinture et tu les coifferas de couvre-chefs et la prêtrise sera sur eux, décret éternel ».) : « lorsque les habits sont sur eux, leur prêtrise est sur eux ; lorsqu’ils ne portent pas leurs habits, la prêtrise n’est pas sur eux« .
La gem. Zevah’im 18a apprend plus précisément encore qu’un Cohen qui officie au Temple, alors qu’il lui manque même un seul des vêtements qu’il doit porter (meh’oussar begadim) ou qu’il en a ajouté, rend de ce fait ses actes non valables comme un non-cohen qui les accomplirait, et comme lui serait coupable de mort (du moins de la main du Tribunal Céleste).
Pourquoi une telle sévérité ?
Citons cette autre guemara (Irkh’in 16a) :
« Rav Chmouel bar Nah’mani dit au nom de Rabbi Yonathan: pour sept fautes viennent les plaies (de la Tsaraat, de la « lèpre »); pour la médisance, pour le crime, pour le serment vain, pour les relations interdites, pour la grossièreté, pour le vol, pour la pingrerie« . (La gem. cite ensuite les versets dont on l’apprend).
Dans une première approche peut-être pourra-t-on dire que ces fautes ont pour effet de faire disparaître ce qui caractérise l’homme dans son humanité, sa spécificité morale ; le faisant apparaître comme une « viande vive », être purement organique et dénué de spiritualité. Les plaies de Tsaraat , pour rendre impur, devaient effectivement sembler plus profondes que la peau et laisser apparaître la chair. Ainsi de l’homme lorsqu’il se conduit, à l’instar de la bête, comme un animal instinctif.
La gem. continue: » Vraiment? mais pourtant Rav Anani bar Sasson dit : pourquoi le passage des habits du Cohen est-il contigu de celui des sacrifices ( voir intercalation des versets 29 et 30 du chap.29) ; pour t’apprendre que de même que les sacrifices apportent le pardon, les habits du Cohen apportent le pardon: la tunique(koutonet) de lin absout le crime, les caleçons (mikhnasaim) absouent les relations interdites, la tiare (mitsnefet) absout la grossièreté, la ceinture (avnet) absout la pensée (déviante) du coeur, le pectoral (h’ochen) absout les fautes de droit civil (dinim), le tablier (ephod) absout l’idolâtrie, le manteau (meïl) absout la médisance, la plaque (tsits) absout l’acte effronté.
Remarquons que les fautes entrainant la lèpre et celles absoutes par les habits du Cohen sont pour quatres d’entre elles identiques, et que deux autres peuvent être rapprochées (vol et fautes de droit civil – serment vain et idolâtrie).
Il faut comprendre que la gem. s’interroge en demandant: si ces fautes provoquent les plaies, que signifie alors que les habits du cohen leur apportent le pardon et protègent de leur punition? Et inversement, s’il y a punition c’est que le pardon est inefficace.
La gem. répond, mais uniquement pour la médisance:
« Ce n’est pas une question ! Ici c’est quand son acte est suivi de conséquence (si cela entraîne une querelle) , là c’est quand il ne l’est pas. Si son acte est suivi de conséquence, les plaies viennent sur lui. S’il ne l’est pas, le manteau l’absout« .
RACHI explique pourquoi la gem. ne répond que sur la médisance et pas sur le crime ou les relations interdites. C’est que le crime ou les incestes, bien que fautes commises par un individu, entrainent une punition collective (« car le sang rend la terre coupable » (Nombres 35/33) et « la terre s’est rendue impure et j’ai retenu contre elle son iniquité » (Lévitique 18/25). Et il n’y a pas de contradiction : la punition est pour l’individu, l’absolution pour la collectivité.
Il faut désormais comprendre comment les habits du Cohen exercent cette protection contre les effets de ces fautes.
L’habit exprime ce que l’on veut montrer de soi en même temps qu’il impose de se comporter selon ce critère. Les expressions d’habillement dans la thora ou le Nakh (lobech, beged, ate) expriment l’adhésion d’une personnalité à une qualité , de sorte que cette qualité devient l’habit spirituel de cette personnalité : …. D’ieu se revêt de Grandeur, de Puissance, de Magnificence, de Lumière comme d’un manteau, ….Il habille l’homme des vêtements du Salut et d’un manteau de justice, ….la femme vertueuse est habillée de force et de dignité, ….les prêtres s’habillent de Justice. Innombrables sont les versets avec de telles expressions !
Ainsi, les habits du Cohen sont la « peau » (rien ne devait faire séparation entre son corps nu et ces habits) des comportements moraux et spirituels vertueux dans lequel, comme représentant de la nation (puisque les matières de ces habits ont été donnés par le peuple et fabriqués par ses artisans les plus habiles) il se glisse pour devenir et être ce qu’Israël doit et veut être en tant que peuple de D’ieu.
En regardant le Cohen agir dans ces vêtements, en le concevant comme ce personnage parfait, paré de toutes les vertus, le peuple aspire à se comporter selon ce qu’il représente et habite.
Tous les habits du Cohen sont suggestifs de comportements idéaux.
Prenons l’exemple du Méïl, du manteau, absolution pour la médisance :
– il est en Azur (tekhelet), couleur évoquant en premier la mer, bornée dans son extension par les rivages, comme la parole doit être endiguée pour ne pas se déverser comme un flot sans limites.
– Cette couleur évoque aussi le Ciel, poussant à s’élever et à se penser comme une créature de D’ieu et, à Son Image, ne pouvant se déroger à sa parole : « Que te bouche ne soit pas impétueuse, que ton cœur ne s’empresse pas de parler devant D’ieu; car D’ieu est dans le ciel et toi sur la terre, ainsi que tes paroles soient peu nombreuses (Ecclésiaste 5/1).
– Son col a des caractéristiques précises : « son ouverture supérieure sera infléchie vers le dedans, sa bouche doit avoir tout autours un ourlet, œuvre de tisserand, elle sera comme le col d’une côte de mailles, elle ne se déchirera pas « (28/31). Notre bouche doit lui ressembler, tournée vers l’intériorité, et nos lèvres seront ourlées pour ne pas trop s’ouvrir et se déchirer dans des écarts de langage;
– A son bord inférieur sont accrochées des clochettes et des grenades, globules tissées :
° Comme les clochettes, constituées d’un corps et d’un battant, la bouche faite d’une langue qui frappe le palais, œuvre en présence de D’ieu.
° Clochettes et grenades sont alternées et pourtant le verset emploie l’expression « les clochettes d’or au milieu d’elles (des grenades). Pourquoi cet ordre et pas l’inverse , vrai également? Le Alchikh répond: les clochettes sont sonores comme la bouche articule des mots , les grenades muettes et closes. La cloche est dite entourée de grenades car la parole doit naître du silence, prononcée aprés la réflexion. Il n’est pas juste le silence, par hasard, interrompe un flot de paroles qui se voudrait ininterrompu.
On pourrait, sur le même modèle, décrire les « caractères » spirituels de tous les habits du Cohen.
RAV CHIMCHON RAPHAEL HIRSCH décrit d’ailleurs la progression vers la spiritualité des habits revêtus l’un après l’autre.
. Les caleçons couvrent les fonctions les plus animales de l’homme, élimination et reproduction, en pardon des fautes des unions interdites.
. La tunique de lin couvre tout le reste du corps, en particulier le thorax ,siège des sensations , des sentiments , de la volonté et la racine des bras, vecteurs de l’activité mettant à distance les réactions pulsionnelles et instinctives , source de la violence, immunisant ainsi contre le crime.
Le tissu de la tunique est par ailleurs ouvragé en caissettes ou châtons ( tachbets), représentant la capacité et la volonté de l’homme à la réceptivité à une injonction extérieure à lui, à une loi de laquelle il est prêt à se mettre au service. il passe ainsi du « sour mera », de l’éloignement du Mal, au « Assé tov » , à l’accomplissement du Bien.
. La ceinture (avnet) est le vêtement de la préparation : le guerrier se ceint de ses armes et l’artisan de ses outils. L’homme se prépare en rassemblant ses forces à atteindre un but. La ceinture est brodée sur fond d’écru du lin représentant la pureté, de 6 fils torsadés des 3 couleurs : le pourpre et le cramoisi représentants la vie humaine dans toutes ses composantes (l’homme est Adam comme Adom, rouge) et l’azur céleste donc divin, symbolisant ainsi toute l’énergie de l’activité humaine, bandée vers le bien ; Elle pardonne donc la déviance des pensées du cœur.
. Le manteau (méîl) a été décrit en détail plus haut consacré au pardon de la médisance, déchéance de la Parole, attribut purement humain et le consacrant comme être d’Esprit.
. Le Tablier (éphod) et le Pectoral (H’ochen) sont les vêtements de l’accomplissement de l’activité humaine et plus seulement de son projet.
Le Tablier n’est plus seulement brodé (rokem) mais tissé de fils entremêlés (maassé h’ochev), rassemblant toutes les activités humaines pareillement valorisées. Ses fils ne sont plus au nombre de 6, nombre symbolique de la Création et de 3 couleurs sur fond écru comme la ceinture, mais entremêlés d’un fil d’or, représentant la pureté de l’Inaltérable et élevés au nombre de 7, nombre de la perfection spirituelle, porteur de la relation avec D’ieu. Il apporte donc le pardon à l’idolâtrie.
Le Pectoral (h’ochen) est son parfait et inséparable (car il est rendu solidaire du tablier par des liens en Azur et des chainettes d’or) complément dans la relation avec l’autre homme rendant indissociable la relation entre l’homme et son prochain de la relation entre l’homme et Dieu. Il absout les fautes sociales (dinim).
. La Tiare, enfin, (migbaot), pointue chez le Cohen simple car aspirant encore à l’accomplissement ou (mitsnefet) aplatie et ronde chez le Cohen Gadol, signe d’un accomplissement déjà achevé, est le signe de la dignité de l’Esprit. Elle interdit toute grossièreté.
. La plaque (tsits), où est gravé « Saint pour l’Éternel » est le diadème du couronnement par la Présence Divine. On ne peut que se faire tout petit devant Elle. Elle répare la moindre effronterie ou impudence.
C’est ainsi un être parvenu, par un travail de plus en plus fin sur ses pulsions, à un haut degré de perfection, que le Peuple d’Israël voit faire « fonctionner » la Maison de D’ieu. Son exemple et l’image qu’il renvoie anoblit et éduque.
Les habits du Cohen sont donc « lecavod ouletiferet » (verset 28/2) « pour la gloire et la majesté ».
Cavod , pour Rav Chimchon R. Hirsch, c’est la charge, le poids(caved) de la spiritualité d’un être ou d’un objet. Lorsque Moïse invite le peuple à découvrir la manne, il dit » au matin, vous verrez la Gloire (le Cavod) de D’ieu » (Exode 16/7). La Gloire est l’impression que D’ieu laisse par son influence sur la marche du monde et dont la perception nous laisse entrevoir Sa Grandeur. De même, la gloire des habits du Cohen est, par leur poids de spiritualité, la marque qu’ils laissent sur le comportement humain.
Tiferet , majesté, vient de Peer, en liaison avec beer (expliquer) ou bahir (éclatant), racines qui expriment toutes se manifester avec éclat. Tiferet est le caractère éclatant de la spiritualité.
L’impression de spiritualité laissée par les habits est si forte qu’elle corrige de fait les tendances à l’inhumanité.
Sans ces habits, sans ce travail des pulsions, l’homme tombe au rang de l’animal,soumis à ses instincts, être organique de viande et de chair apparentes dans les plaies de Tsaraat.
Les habits du Cohen gadol sont de plus « lecharet » (verset 28/35). « Le manteau sera sur Aaron, Grand Prêtre, pour SERVIR ». Il y a une distinction subtile entre rendre un culte, faire une Avodah et Servir, Lecharet.
Laavod c’est mettre ses forces a la disposition d’une personne ou d’un but. Lecharet c’est plus finement effectuer pour autrui ce qui satisfait son désir. Résider dans le Michkan et parmi les créatures est le « désir de D’ieu ». Par son service vers la perfection, le Cohen Gadol , envoyé du peuple, répond à ce désir.
Cette notion de Servir est dite aprés la description du Méîl, premier des quatre habits spécifiques du Cohen Gadol avec l’Ephod, le H’ochen et le Tsits, habits qui, nous l’avons vu marquent l’accomplissement. Les autres autres habits (caleçons, tunique, ceinture et tiare en pointe), ceux du simple Cohen sont plutôt ceux de l’effort mais non encore d’une réussite complète du rapprochement avec D’ieu.
Mais, pour nous, génération privée de Michkan, de Avod , de Cohen Gadol, quel impact peut avoir cette « belle » description?
Nous croyons à la force rédemptrice de l’étude : le Akedat Itshak, rapporté dans un Yom Tov Chiour de Rabbi Miller de Gatsehead parle ainsi : « Qu’il étudie les lois des habits de prêtrise et approfondi leur confection et leur but, cela lui servira, en tout temps à se débarrasser de ses vêtements (habitudes) souillés et à s’habiller d’effets purs et propres. Il n’y apas de plus grand pardon que cela.
Mais plus encore, le Malbim (cf l’article « Le Michkan, schéma du monde, image de l’homme » sur la paracha Terouma) fait le parallèle parfait entre les structures de l’homme et du Michkan. Nous sommes donc d’une certaine façon notre propre Michkan. Si cela est vrai, alors D’ieu aspire à résider en nous et nous aspirons à L’accueillir et à Le servir.
Sans revêtir ce qui est pour nous les habits du Cohen, sans effort pour acquérir les qualités suggérées par ces atours, sans travailler sur nos pulsions, nous serions alors « mehoussar begadim », comme un Cohen dans le temple sans ses habits. Toutes nos mitsvoth, toutes nos tentatives de rapprochement de D’ieu (Korbanoth ?) seraient impropres. Pire,peut être passerions- nous , à D’ieu ne plaise, à côté de nous- mêmes, ne mériterions- nous pas de vivre notre vie et serions- nous coupables de mort à l’aune du Tribunal Céleste.
Dr B.KLEIN
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