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CHAVOUOTH, par le docteur Bertrand Klein.

par: Dr Bertrand Klein

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        CHAVOUOTH, par le docteur Bertrand Klein.

 

 

Dans tous les Talmudei-thora du monde, les enfants apprennent que la fête de Chavouoth, le 6 Sivan, est celle du don de la Thora, au mont Sinaï.

Cela semble incontestable puisque nos Sages appellent ce jour « Zeman matan Toratenou », temps du don de la thora, dans le rituel de la fête.

Or, au moins deux passages du Talmud semblent mettre cela en doute.

1) La Guemara Chabbat 86b, dont le sujet est le rassemblement au Sinaï, s’étend longuement sur une controverse entre Rabbi Yossi et les Sages : R. Yossi affirme que la Thora a été donnée le 7 sivan , les Sages affirment que c’est le 6.( Cela dépendant du caractère plein -30 jours- ou défectif -29 jours- du mois précédant.

De nombreux textes annexes semblent apporter des preuves à l’appui de la thèse de R.Yossi , thèse qui exige que la période de séparation conjugale ordonnée par D.ieu aux  enfants d’Israël avant Sa révélation soit de 3 journées entières (nuit et jour). Et cela implique que Moché ait ajouté un jour de séparation supplémentaire à l’ordre de D.ieu, de sa propre initiative.

Cette idée est attestée dans  une baraïta apportée à l’appui de R. Yossi : D.ieu a approuvé 3 initiatives personnelles de Moché : celle précitée, sa séparation d’avec son épouse et la brisure des premières tables de la Loi.

Dans le sujet impliquant cette controverse, la Halach’a semble bien fixée comme R. Yossi.

La révélation pourrait donc bien avoir eu lieu le 7 Sivan et non le 6, date fixée dans nos calendriers.

2) Un deuxième texte dans la Guemara Roch Hachana 6b est par ailleurs explicite : Selon qu’aucun, un  ou deux des mois de Nissan et Yiar soient pleins ou défectifs (Cela était déterminé avant la fixation définitive de notre calendrier par les témoignages sur la nouvelle lune) Chavouoth peut avoir lieu les 5ou 6 ou 7 Sivan ; « Kedetania Rabbi Chemaya Atseret paamim h’amicha paamim chicha paamim chivah »

Ainsi, à ce stade de notre étude, la date du don de la Thora est incertaine et la fête de Chavouoth peut très bien ne pas être fixée à cette date.

Alors, de quoi la fête de Chavouoth est-elle le nom ?

Revenons, pour tracer une piste de réponse sur le texte de la parachat Emor dans le lévitique 23, à propos du culte du Temple pendant cette période de l’ »Omer », entre Pessah’ et Chavouoth, commenté si précieusement et si précisement par Rav Shimshon Raphaêl HIRSCH (RSRH).

Lévitique 23,10 : « Parle aux enfants d’Israël et tu leur diras : lorsque vous serez entrés dans le pays que je vous donne et que vous moissonnerez sa moisson, vous apporterez une mesure d’un Omer de votre première moisson au Cohen ».

RSRH commente à ce sujet : Lorsque vous aurez fait l’expérience de la liberté et de l’installation sur votre terre, la première moisson doit prouver quels en sont les fonctions : démontrer que ce que le terre accorde n’est pas de votre fait, mais provient et revient au Créateur.

Les versets suivants décrivent cette offrande et les sacrifices animaux qui y sont attachés (retenons seulement qu’on y apporte en Korban spécifique UN agneau) , et interdisent la consommation des nouvelles récoltes avant celle-ci.

Lévitique 23,15 : « Vous compterez pour vous à partir du lendemain de la fête (Pessah’ est appelé ici Chabbat) , depuis le jour où vous aurez apporté le Omer du balancement  sept semaines : elles seront complètes. Jusqu’au lendemain de la septième semaine, vous compterez cinquante jours et vous apporterez une offrande (de blé) nouvelle (Minh’a ‘Hadacha).

RSRH commente :

« Le lendemain de la fête » : Vous avez déjà fêté votre liberté (Pessah’) et avez déjà rappelé le souvenir de votre indépendance en étant installés sur votre terre et en ayant consommé son pain : le but de l’indépendance est donc atteint ! Mais vous êtes au seuil d’un autre dessein : là où d’autres peuples auraient fini, vous vous commencez !

Le compte des semaines et des jours prouve qu’il est une autre étape à atteindre et les succès obtenus jusque-là ne sont que le prélude à votre véritable aspiration en tant que peuple : la liberté morale et spirituelle.

« Sept semaines » : Sept fois le Chabbat va faire agir sa force d’éducation : apprendre à l’homme que le monde qu’il veut soumettre et lui-même sont en réalité soumis à la Volonté Divine.  Sept fois, vous allez vivre l’expérience du joug de la Royauté Divine, du retrait des soucis des besoins matériels, pour apprendre au peuple à inventer la liberté et à être le peuple de D.ieu. L’indépendance nationale, la liberté sur sa terre n’ont pour seul but que  la véritable libération : celle apportée par le respect de la Loi morale collective de la Thora.

« Cinquante jours » : Nous avons vu la signification collective et sociale des 7 semaines. Mais le compte est double, semaines et jours : 50 jours c’est 7 semaines plus un jour.

Comme dans de nombreuses lois sur l’impureté, où la pureté ne se (ré)-acquiert qu’au sortir d’une période de 7 jours, le cinquantième jour du compte est ici aussi l’accès à la Pureté:c’est  quitter l’impureté liée à la soumission aux besoins sensuels et physiques du corps pour accéder à la liberté morale, grâce  au contrôle par le respect de la loi au niveau individuel. Le 50è jour ajoute à la liberté nationale et à l’indépendance historique et collective la liberté morale et spirituelle personnelle.

La liberté nationale peut être reçue de façon passive, par participation à l’histoire de la collectivité à qui D.ieu a fait don de la liberté dans l’histoire, mais la liberté morale est le fruit d’une lutte acharnée à laquelle on s’astreint individuellement lors de ce cheminement personnel de purification de 49 jours.

Chabbat (le 7è jour) et Brit-mila (au 8è jour de vie) sont les fondements du judaïsme : les sept semaines comptées ici sont de l’ordre du Chabbat : soumission à D.ieu dans l’ordre de la nature et de l’histoire pour y accepter son joug, en tant que peuple. Le50è jour (7X7 + 1) est lui de l’ordre de la circoncision, aspiration à la pureté morale, soumission du corps et de ses forces individuelles à la morale divine.

« L’offrande nouvelle » ( la Min’ha ‘Hadacha) , le double pain de froment, nourriture par excellence de l’Homme par excellence peut alors être apportée en offrande à D;ieu.

Les versets 17 à 20 décrivent les sacrifices animaux accompagnant l’offrande des 2 pains (retenons simplement qu’on y apporte en Korban spécifique DEUX béliers).

Verset 21 : « Vous ferez une proclamation en ce jour même (betsem hayom hazé) ; il y aura une convocation sainte pour vous. Vous n’y ferez aucun travail. C’est un décret éternel dans toutes vos résidences pour vos générations ».

Commentaire de RSRH :

« En ce jour même »:La Thora insiste ici pour que  la fixation de la fête ne dépende de rien d’autre que du 50è jour de l’Omer (soit les 5, 6, ou 7 Sivan comme nous l’avons alors que le don de la thora est plutôt fixé au 7).  Le verset veut lui-même éviter la confusion entre ces 2 fixations possibles.

Si la Thora avait voulu fêter l’événement historique de la révélation, elle nous aurait transmis la date anniversaire (jour du mois) précise de cet événement (comme par exemple Pessah’, fixé par la Thora elle-même le « 15è jour de premier mois ». Or, elle ne le fait pas et prend comme référence unique de fixation de la fête le jour de la sortie du décompte de 49 jours.

La fête du don de la Thora n’est pas liée à l’événement du don de la Thora mais elle fête l’achèvement de notre préparation à être apte à sa réception. (hakh’anat atsmenou lihiot reouim lekabalato).

Cela est évoqué aussi par le fait que la fête de Chavouoth n’est pas nommée par les commandements qui s’y pratiquent mais justement par « les semaines ».

En effet, les fêtes de pèlerinage sont liées aux circonstances agricoles de leur saison et aux circonstances historiques et nationales qu’elles rappellent (Pessah’ au renouveau libérateur du printemps et à la libération d’Egypte, Souccoth à l’engrangement automnal confiant et à la protection divine des nuées . Les Mitsvoth qui s’y pratiquent sont liées à ces deux significations). Chavouoth n’est liée qu’à la nouvelle récolte et aux prémices, mais pas à l’événement historique et collectif qu’elle est sensée commémorer. Chavouoth n’est liée au don de la Thora que par l’évocation du travail personnel que chacun doit accomplir sur lui-même pour  être capable de s’inscrire dans la loi morale de D.ieu et la liberté qu’elle permet.

(Peut-être peut-on comprendre le Zeman matan toratenou  comme ZIMOUN matan toratenou : préparation au don de la Thora)

 

Deux  remarques encore pour étayer cette idée.

1°A propos du compte de l’Omer, la Guemara Menah’ot 65b précise : « Ousefartem lakhem (vous compterez pour vous) , Chetehé hasefira lekh’ol eh’ad veeh’ad ( que le compte se fasse par individu)

 Pour le compte du Yovel (Jubilée : cf Lévitique 25,8) la Thora a écrit « Ousefarta lekha », tu compteras pour toi,  au singulier.

L’événement de la proclamation de la liberté au Jubilée (retour des terres à leur propriétaire premier et libération obligatoire des serviteurs juifs) s’adresse à la communauté nationale  en tant que loi sociale..A ce titre, le compte et la proclamation est dévolu au Sanhédrin, représentant de la   collectivité. Le décompte du Omer  est, lui, pratiqué par chaque individu en tant que Mitsva « privée » ; la progression morale ne peut être que personnelle et intime.

 

             2°Revenons succinctement aux sacrifices animaux accompagnant Omer et Pains de Chavouoth ;

              Rappelez-vous : l’Omer est accompagné d’UN agneau, les pains de DEUX béliers.

Au milieu d’un long commentaire sur la signification des sacrifices de ces fêtes RSRH fait la remarque suivante :

Il y a lieu de distinguer dans les sacrifices communautaires entre ceux constitués d’un seul animal et ceux qui sont doubles. Cette différence est à rapprocher des trompettes (H’atsrosroth) du campement d’Israël ( cf Nombres 10,3-4) : Lorsqu’on convoquait les Princes et chefs , représentants de la communauté nationale, on sonnait d’une trompette .Pour convoquer la communauté , rassemblement de ses individualités, on sonnait de deux trompettes.

Ainsi en va-t-il des holocaustes : le sacrifice d’un animal est offert au nom de l’entité nationale commune comme celui de l’Omer, offert en rappel de la liberté du peuple indépendant sur sa terre.

Le sacrifice des deux béliers de Chavouoth est offert quant à lui au nom d’individus multiples, se rassemblant dans un même élan de travail personnel qui ne les amalgame pas.

 

Pour conclure, nous ne pouvons pas omettre l’interprétation de la Min’ha ‘Hadacha, l’offrande nouvelle, qu’en fait Rav E. Dessler dans son Maamar sur Chavouoth dans Mikhtav Eliahou (tome 2).

« L’offrande nouvelle de Chavouoth représente notre aptitude à recevoir la Thora. Chaque fois que par son travail moral et par le choix qu’on fait, on atteint un niveau spirituel nouveau, c’est comme un monde complètement nouveau par rapport à son niveau précédent.

Dans le monde matériel, rien ne change. A un désir succède un autre désir, à une jouissance une autre jouissance, sans jamais qu’aucun plaisir ne soit vraiment acquis car il s’évanouit sitôt que ressenti. Leur recherche est incessante.

Dans le monde spirituel, par contre, chaque degré franchi, chaque acquis ouvre à l’homme un monde dont il ne soupçonnait même pas l’existence et qui n’appartient qu’à lui.Le choix qui s’offre à un individu à un moment donné ne se retrouvera à aucun autre moment et ne s’offrira à personne d’autre car chacun est unique et différent. Cette circonstance est d’une absolue nouveauté. Elle est l’ »Offrande nouvelle » à laquelle il n’est possible d’accéder qu’après un long travail progressif (le compte) d’amélioration «

Tel est notre rapport à la Thora, tel qu’elle nous le suggère, absolument personnel, individuel et intime.

Acquérir la Thora, ce n’est pas s’en servir comme d’un patrimoine collectif, national et historique que l’on considérera sien lors d’événements communautaires, quand bien même seraient-ils « convocations saintes ».

Acquérir la Thora, c’est se confronter, de tout son être, à la Loi dans un défi personnel d’affinement de son propre potentiel moral et spirituel.

                                                  H’ag Saméah !

                                                                                                  Dr B. KLEIN

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