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Béhaalotékha : La grande aventure

par: Jaqui Ackermann

Publié le 6 Juin 2023

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La grande aventure

C’est parti. Le peuple quitte le Sinaï pour le désert puis la terre de Kénaan. La nuée les guide. Moché les dirige. Le tabernacle est porté par les Léviim. Aharone le grand-prêtre est au milieu du peuple. La manne tombe à leur porte. Tout semble aller bien, et pourtant, les histoires commencent ! A la lecture de ce texte, chacun se pose la même question : qu’y a-t-il de meilleur que la situation de nos ancêtres dans le désert ? Alors pourquoi cela dégénère ? Et ce sont toujours les mêmes réponses : justement, parce que ça va bien, on en veut davantage et on se plaint – ou : tout le monde est sujet à la tentation, c’est la règle du monde, même quand tout va bien, D. met à l’épreuve – ou : plus le niveau est élevé, plus le risque de chuter est grand, la spiritualité puissante peut entrainer une erreur puissante. Tout cela est vrai. Mais on s’étonne toujours : que s’est-il donc passé ? N’est-on jamais à l’abri ? Si vraiment c’était automatique de chuter dès qu’on s’élève, il n’y aurait pas de grandes figures dans notre peuple. Effectivement, on ne chute pas automatiquement, on doit comprendre la chose suivante. D. a dit à Moché au buisson ardent, selon le midrach : Je vois la misère de mon peuple en Egypte, et Je vois qu’ils vont construire un veau d’or : fais-le sortir d’Egypte, malgré cela. Il faut comprendre que ce n’est pas un « tant pis ». C’est le contraire : quand on crée un élément nouveau, qui est censé se tourner vers la sainteté, il y a en même temps des forces qui veulent l’anéantir, ou simplement le détourner dans une direction moins sacrée. Dans ces conditions, il va falloir lutter. Encore mieux : c’est justement cette lutte qui permettra de trouver le meilleur chemin, qui dessinera la réussite. Sans cette lutte, on n’y arrivera probablement pas. Dire que le peuple est dans une très bonne situation au Sinaï ne signifie rien en soi, ce qui importe de savoir, c’est quels sont ses défis. Il faut savoir dans quelle perspective de lutte il se trouve. Il doit être prêt à affronter, sentir que la thora reçue est un moyen de se distinguer ou de s’opposer aux peuples qu’il rencontrerait. Il quitte le Sinaï, non pas dans un esprit guerrier, mais pour affirmer ses particularités, pour montrer ses croyances aux yeux de tous. C’est ne pas être dans cet esprit qui se transforme tout de suite en un motif de plaintes.

Modeste et pas fier de l’être

Moché est l’homme le plus modeste de son temps. C’est ce que dit le texte de la paracha quand son frère et sa sœur parle de lui, il ne réagit pas contre aux, au contraire, il prie pour eux. Mais cela apparait déjà dans l’histoire précédente. Yéhochoua, son élève lui demande de réagir face à des personnes touchées par l’esprit saint, qui « prophétisent » (il est trop long d’expliquer ici de quoi il s’agit).Car on ne peut laisser des personnes dans cet état d’élévation sans montrer qu’ils sont des disciples du maître, de Moché, et qu’ils ne prennent pas d’initiative personnelle (il semblait qu’ils prenaient justement une certaine indépendance vis-à-vis de Moché). Moché ne veut pas réagir et répond qu’il aimerait bien voir tout le peuple dans cet état d’élévation. Il n’est pas jaloux de sa place. Malgré tout ce qu’il est, et tout ce qu’il a fait, il est encore généreux. Mais la tradition est de dire le contraire. On ne dit pas : bien que Moché soit celui qui ait transmis la thora, il est resté modeste, mais il a transmis toute la thora parce qu’il est modeste. On ne peut pas accéder à certaines réalités spirituelles sans qualités morales. Nous ne sommes pas dans le monde de la connaissance pure. Certes il y a des savoirs, cela est incontournable. Mais le savoir est lié à une attitude, à des qualités morales. La personnalité forme un tout et on ne dissocie plus ses composantes. Celui qui ne comprend pas que savoir, sentiment, qualité, etc., forme un tout ne peut comprendre la thora. Si Moché a été choisi c’est qu’il saisissait que D. est au-delà de la connaissance, et que pour comprendre qu’on ne peut plus comprendre, ce n’est pas seulement l’appareil mental qui doit fonctionner au maximum mais surtout l’appareil moral. Une once d’orgueil peut détruire des sommes gigantesques de perceptions. Il ne s’agit pas seulement de comprendre des principes, de mémoriser des informations, de savoir appliquer des règles, d’analyser des situations, de saisir des nuances, etc. Il s’agit de sagesse divine, de comprendre que c’est D. Qui énonce les principes, qu’il y a des limites que D. impose (d’où notre modestie), que le monde existe parce que D. lui permet d’exister (c’est de la « modestie »), qu’Il le nourrit (c’est de la « générosité »), qu’Il peut sanctionner (d’où l’obligation de faire des efforts, et de se retenir), etc. La manière de créer le monde implique pour le comprendre d’adhérer à ces qualités. Si on ne les fait pas siennes, on ne peut pas comprendre. Pour la thora, tôt ou tard, les qualités (et les défauts) éclatent au grand jour quand on veut comprendre la création divine, et la thora divine. La puissance de sa modestie ouvre les portes de la compréhension. C’est la plus grande clé.

Pour en finir avec des idées fausses

Qu’est-ce qu’un prophète ? Le sens de ce mot en français a toujours induit qu’il s’agit de prédire l’avenir. La vérité est, qu’en hébreu, un navi, ne désigne pas cela. La tradition est qu’un navi, est une personne qui jouit d’un dévoilement divin. (Ce genre de dévoilement n’existe pas aujourd’hui, il reviendra aux temps messianiques.) certes, le « prophète » peut éventuellement être missionné pour prédire l’avenir, mais ce n’est pas son rôle premier. D’abord parce qu’on devient navi pour soi-même, la priorité est de s’élever. C’est une progression personnelle spirituelle. Ce n’est pas dirigé vers les autres. Mais il se peut effectivement, qu’à un moment donné, D. désigne la personne comme jouant un rôle collectif. Le navi devient alors un « baromètre » du comportement, quelques fois même un dirigeant du peuple. Cette personne sera envoyée pour transmettre des messages divins à d’autres, individus ou collectivités. Cela ne concerne pas forcément l’avenir, mais plutôt le passé. Il s’agit de transmettre par exemple qu’on s’est mal conduit, ou qu’on s’est bien conduit, que D. n’est pas content ou que D. est satisfait. Le futur est une conséquence de ces éléments. Moché, en tant que Prophète, est d’abord envoyé pour demander que le peuple sorte d’Egypte, pour guider le peuple, pas pour dire que demain il y aura une plaie. Cela n’est qu’une conséquence. Le problème de ce genre d’erreur, d’imaginer qu’un navi, qu’un prophète, doit prédire, n’est pas seulement une erreur sur le sens d’un mot. C’est aussi imaginer des choses contraires à la tradition, comme si prédire pouvait être une fonction. La prédiction n’est pas un but en soi. Le but est d’être en contact avec D., qu’on connaisse ou non l’avenir. L’avantage du prophète est qu’il est clairvoyant, qu’il sait ce que D. « pense », et non qu’il a la puissance de savoir ce qui va se passer. Mais cette traduction fausse est attirante parce qu’elle reflète une tendance : l’homme a toujours voulu connaître le futur. D’abord pour faire disparaitre un sentiment d’insécurité, puis également pour se donner du pouvoir. Savoir est souvent synonyme de pouvoir. Notre tradition ne peut admettre cette tendance. D’abord par ce qu’il n’y aura jamais de savoir absolu entrainant une sécurité. Le but du navi est de responsabiliser et d’affirmer que la sécurité dépend des actions des hommes et des décisions de D., pas de la connaissance de l’avenir. La Bible regorge de ce genre d’avertissement : l’homme ne sait pas tout et doit surtout tenir compte de la volonté divine. Puis, la recherche de pouvoir est en soi un vice. La personne qui a un pouvoir est en vérité davantage responsable que les autres, et en plus, risque par son orgueil, de fauter en voulant prendre la place de D. Le pouvoir présente toujours un double risque. Le prophète biblique est bien loin de devenir une personne de pouvoir. Il s’en prend d’ailleurs souvent aux rois, au péril de sa vie. Ainsi, le but du prophète n’était pas de dévoiler l’inconnu, afin de permettre la réussite, au contraire. Quand il s’adresse aux hommes c’est pour leur dire qu’ils sont responsables devant D. et qu’il est dangereux de se donner trop de pouvoir.

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