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La vache et le veau

par: Joël Gozlan

Publié le 4 Juillet 2022

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Nous avons l’usage de séparer les lois de la Torah en trois catégories, catégories sur lesquelles s’interroge, lors du séder de Pessah, le premier des 4 fils, celui qualifiée de « sage » (Haham) par la Haggada :

Que sont ces Edout (témoignages), Houkim (décrets) et Mishpatim (jugements) que vous a ordonné Ha’Chem?

Les Michpatim (« jugements ») font référence aux lois qui peuvent être comprises par l’intellect humain, comme ne pas voler ou ne pas tuer. Les observer est bien sûr une obligation mais l’autre enjeu serait de le faire en tant qu’injonction de Torah, et non pas juste selon notre intellect… Ou nos inclinations du moment !

Les Edout sont des « témoignages ». Les commandements d’observer le Shabbat ou les Haguim en font partie. Nous observons ces fêtes en témoignage, pour nous-mêmes et pour les générations à venir, comme signe de notre lien avec Ha’Qadosh Baroukh Hou. Ces Edout participent de notre construction, en tant que peuple et en tant qu’individus.

Les ‘Houkim (ou « statuts ») évoquent les lois qui ne sont pas -ou peu- accessibles à l’entendement humain. Les exemples sont nombreux, incluant par exemple l’ensemble des lois de la cacherout. Cette catégorie est difficile et représente pour nous un double défi : vis à vis des Nations, puisque les non-juifs nous ont souvent raillés (voire haïs) pour notre ferme adhésion à ces lois, mais aussi vis à vis de notre Yetser Ara, notre âme de « libre penseur », notre rationalité puissante, qui réclame de comprendre avant d’agir.

La parachat Houkat, comme son nom l’indique, va nous exposer l’archétype de ce type de loi, à savoir la loi de la vache rousse, ou « Para Adouma ».

Jugeons sur pièces, ou plutôt sur texte, à savoir le chapitre 19 de Bamidbar, qui commence ainsi :

Bamidbar 19, 3

L’Éternel parla à Moïse et à Aaron en ces termes : « Ceci est un décret de la Torah qu’Ha’Chem a ordonné en disant : parle aux enfants d’Israël, qu’ils prennent vers toi une vache parfaitement rousse, sans aucun défaut, et qui n’ait pas porté le joug… »

Le rituel de cette vache rousse, dont on dit qu’il n’en existait qu’une par génération, est détaillé par la suite : elle sera égorgée devant le pontife Eléazar, puis brulée entièrement avec du bois de cèdre, de l’hysope et de l’écarlate.  Ses cendres, mêlées à de l’eau vive, auront alors la propriété extraordinaire de purifier tout homme rendu impur par le contact d’un mort.

Bamidbar, 19, 11-12 ; puis 17

Quiconque touche à un mort de toute âme humaine sera impur pour sept jour. Il se purifiera par elle le troisième jour et le septième jour, et il sera pur….

… Pour purifier l’impur, ils prendront des cendres provenant de la combustion du purificatoire, auxquelles on mêlera de l’eau vive dans un vase.

Comme tout cela est étrange… Un mélange de cendres et d’eau qui permet de sortir d’un état d’impureté majeure (celui lié au contact avec un cadavre), état qui empêche de « commercer » avec le divin…

C’est peu de dire que nous sommes en plein « Hok », tant ce rituel nous apparaît totalement obscur, pour ne pas dire abscons!

La vache rousse, comme déconstruction de l’idolâtrie.

Il nous faudra réfléchir à ce lien entre la vache rousse et la mort, mais Rachi ramène sur place, du Midrash Tanhouma, une parabole (Machal) surprenante :

Ce serait comme le petit d’une servante, qui aurait souillé le palais du roi. Ils dirent : que vienne la mère et qu’elle nettoie les excréments…

De même que vienne la vache rousse, et qu’elle fasse expiation pour le veau d’or!

La vache rousse viendrait ainsi réparer la tentation d’idolâtrie à laquelle a succombé une partie des Bnéï-Israël par la faute du veau d’or au moment du don de la Torah.

Cette faute est relatée au chapitre 32 du livre Chémot (nous y reviendrons), mais le Maharal de Prague nous livre dans son commentaire de Rashi sur le Houmash (sefer Gour Arié) un éclairage puissant sur ce qu’est l’idolâtrie.

Ils ont pris « l’engendré » (le veau) comme un commencement, qui de surcroît leur appartenait (Rassé lanou Elohim… Faisons-nous des Elohim), ou tout au moins « était à leur mesure ».

Ces deux lignes du Maharal sont prodigieuses, car elles nous font saisir ce qu’est la position idolâtre par excellence. Le Maharal explique ainsi que les idolâtres, à la différence des athées, reconnaissent le Dieu absolu et premier mais qu’ils revendiquent un autre absolu, un absolu qu’ils se choisissent eux-mêmes, à leur mesure… Et qu’ils peuvent ainsi s’approprier…

Il est de ce point de vue très signifiant que cet absolu « à la mesure » des idolâtres soit justement porté par des « seconds », des « engendrés » selon l’expression du Maharal, en l’occurrence un veau pour les Bnei-Israël au moment du don de la Torah… Et un « fils de D-ieu » que l’on mange pour les Chrétiens!

Et le peuple juif se doit de « rédimer » cette position… D’accord, mais comment faire?

Par ces commentaires de nos maîtres sur la Para Adouma, nous apprenons qu’il faut justement passer par un « Hok », c’est-à-dire un décret totalement inintelligible, pour parvenir à cet objectif difficile. Seule l’application du Hok peut nous faire percevoir l’infini absolu du créateur… Et nous guérir ainsi de toute tentation de nous approprier un D-ieu à notre mesure !

Ce serait cela la fonction de la vache rousse… Nettoyer les salissures du palais provoquée son petit, à savoir la tentation idolâtre!

La vie future selon la Torah 

Une guemara du traité Avoda Zara (5A) nous fait elle entrevoir un possible lien entre la Para Adouma et la mort, là encore par l’intermédiaire de son petit, le veau d’or !

Cette guemara rapporte une discussion savoureuse entre Resh Lakish et les Hahamim.

Resh Lakish dit qu’il faut remercier nos pères de leur faute, car sans eux nous ne serions pas là ! Autrement dit, si l’acceptation des premières tables s’était passée sans la faute du veau d’or, la mort aurait disparu… Les Bnéï-Israël devenus immortels, il n’y aurait plus eu nécessité d’engendrements ultérieurs ! Les sages rétorquent à Resh Lakish que le commandement de se multiplier (Perou ve Orbou) avait été donné dès la création, et donc avant la faute originelle, mais Resh Lakish répond que cette obligation ne vaut plus au mont Sinaï au moment de « Matan Torah », car les hommes devaient se séparer de leurs femmes. Les Hahamim répondent alors que cette séparation n’a duré que 3 jours, et que les hommes ont pu ensuite (mais avant la faute du veau d’or) retourner vers leurs tentes…

Ce à quoi Resh Lakish répond : oui, mais c’était alors uniquement pour la « Simha’t Onaa », autrement dit, pour la joie de la relation !

Ce que dit Resh Lakish est stupéfiant ! Sans la faute du veau d’or, l’acceptation des premières tables par Israël aurait fait disparaitre la mort, pour laisser place à une vie de Torah, où la joie conjugale a une pleine place.

Cette joie de Torah, nous la chantons tous les erev shabbat, dans le Chir Achirim (1, 4).

Entraine-moi après toi, courrons. Le roi m’a emmené dans ses chambres, nous serons en allégresse et en joie par toi, nous nous rappellerons tes caresses mieux que du vin, ils sont dans le droit ceux qui t’aiment.

Rachi explique que dans ce chant, la femme c’est Israël, la fiancée/épouse du créateur qui lui rappelle comment elle a marché après Lui dans le désert, sans savoir où elle allait, et se souvient de l’allégresse de ce moment. L’épouse a été un moment volage, son âme s’est noircie, mais elle est restée belle à l’intérieur, nous dit la suite du chant (et le commentaire de Rachi).

La vache rousse et les salissures du veau ont peut-être aussi à voir avec cette « conjugalité », mise à mal puis sauvée, in extremis, au moment lors de la faute du Eguel.

Sotha et vache rousse… La mariée Israël purifiée

Revenons donc sur cette faute du veau d’or… Et sur comment s’en sortir!

Chemot 32/1
Le peuple vit que Moshé tardait à descendre…

Moïse « tarde » donc à descendre du Mont Sinaï, selon un mauvais décompte des Bné-Israël nous explique Rachi. Le peuple, qui croit Moshé mort, panique puis oblige Aaron à « faire des Eloïm pour marcher devant nous ». Ce peuple immature voit cette « disparition » comme un néant qu’il cherche à combler par le biais d’un veau, tout en or et créé avec l’aide de forces magiques.
Nous connaissons la suite (la brisure des premières tables par Moshé, sa plaidoirie auprès de Ha’Chem, les deuxièmes tables) mais regardons la surprenante alchimie que met en œuvre Moshé pour tirer son peuple de ce mauvais pas:

Chemot 32/20
Il prit le veau, le brule dans le feu, le pile en poudre fine qu’il répand à la surface de l’eau qu’il fait boire aux Bnéi-Israël.

La similitude entre cette procédure et celle mise en œuvre lors du rituel de la vache rousse est frappante, nos maîtres ne manquent pas de la relever.
Le dernier Midrash amené par Rachi sur ce verset le ramène aussi à la conjugalité, par l’intermédiaire d’une autre similitude, à savoir l’épreuve de la femme Sotha.

Rachi, sur le verset 20 :

Botkan Ké-SothotIl avait l’intention de les tester comme les femmes Sotha.

Ce « il », c’est Moshé qui exécute la Avoda, mais c’est aussi Akadosh B H’, qui enjoint ce Hok… Comme si notre créateur voulait lui aussi tester son peuple, et sauver ce qui doit l’être dans sa relation avec Israël. On ne peut en effet réduire la démarche Sotha à une épreuve uniquement destinée à confondre une femme adultère… Le Beth-Din n’est pas un « détecteur de mensonge » et la femme fautive peut de toute façon refuser l’épreuve qui risque de lui être fatale…

Non, la finalité de Sotha est aussi –et peut-être avant tout – de rétablir une confiance dans un couple, mis à mal par un doute parfois injustifié. Cette épreuve est ainsi capable de sauver un couple qui doit l’être. Rappelons d’ailleurs l’issue de l’épreuve de Sotha, si la femme la surmonte : elle aura une descendance !

Israël est un peuple à la nuque raide qui faute souvent, très souvent même dans ce livre Bamidbar, mais au fond il reste toujours quelque chose en lui qui le rattache à son créateur…

Il s’égare, mais il revient.

L’âme d’Israël s’est noircie, mais elle est restée belle à l’intérieur

Cette beauté d’Israël, c’est peut-être cette capacité à se soumettre aux houkim, ces décrets incompréhensibles et à suivre Ha’Qadosh Baroukh Hou dans le désert sans savoir vers où exactement, bref à adopter la juste posture qui nous permette de nous confronter à un absolu qui nous dépasse et nous transcende!

Librement inspiré d’une étude avec Philippe Zerbib.

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“La vache et le veau”

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