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Vayechev ou la nécessité de l’affrontement.

par: Joël Gozlan

Publié le 15 Décembre 2022

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La Parasha de la semaine, qui inaugure le cycle des 3 sidrot autour de Yossef, débute par ces deux mots : Vayechev Yaakov.

Berechit, 37, 1
וַיֵּשֶׁב יַעֲקֹב בְּאֶרֶץ מְגוּרֵי אָבִיו בְּאֶרֶץ כְּנָעַן
Yaacov s’installa, dans le pays des séjours de son père, en terre de Canaan
… Et c’est à ce moment que les problèmes (re)commencent pour Yaakov Avinou, par le biais de l’affrontement entre Yossef et ses frères !

Le juste ne peut s’installer paisiblement en ce Monde ci… Il doit être en mouvement, se confronter aux épreuves.

Utopie de Yaakov, qui pensait que l’exil pouvait prendre fin à l’issue de ses pérégrinations chez Lavan, et qu’il pouvait maintenant s’installer en terre de Canaan. Ce qui va rompre cette utopie, c’est bien sûr la haine qu’éprouvent les frères de Yossef envers ce petit dernier, qui va conduire à la vente –ou au rapt, selon la lecture de Rachbam- de Yossef et au début de l’exil Egyptien.

Les éléments déclencheurs sont de prime-abord tenus : des rêves et une tunique… Très peu de choses objectivement… Comme c’est souvent le cas dans les disputes intra- et interfamiliales!

Mais au départ de cette haine, on trouve surtout la préférence de Yaakov pour Yossef, explicité au verset 37, 3 :

וְיִשְׂרָאֵל אָהַב אֶת יוֹסֵף מִכָּל בָּנָיו כִּי בֶן זְקֻנִים הוּא לוֹ וְעָשָׂה לוֹ כְּתֹנֶת פַּסִּים.
Israël aimait Yossef plus que tous ses fils, car il était pour lui un fils de sa vieillesse, et il lui fit une tunique à rayures 

Si l’on comprend l’amour « privilégié » qu’éprouve Yaacov pour ce dernier fils, le premier de sa femme bien-aimée Rachel, on s’étonne de la manière démonstrative, et donc dangereuse, avec laquelle notre patriarche le manifeste.

Encore plus surprenant est l’envoi par Yaakov de Yossef auprès de ses frères, dont il ne pouvait ignorer l’hostilité, dans une terre inconnue, ou au contraire trop connue pour sa violence, la terre de Sichem.

Berechit 37, 13, 14
וַיֹּאמֶר יִשְׂרָאֵל אֶל יוֹסֵף הֲלוֹא אַחֶיךָ רֹעִים בִּשְׁכֶם לְכָה וְאֶשְׁלָחֲךָ אֲלֵיהֶם וַיֹּאמֶר לוֹ הִנֵּנִי.
וַיֹּאמֶר לוֹ לֶךְ נָא רְאֵה אֶת שְׁלוֹם אַחֶיךָ וְאֶת שְׁלוֹם הַצֹּאן וַהֲשִׁבֵנִי דָּבָר
Et Israël dit à Yossef : « n’est-ce pas que tes frères font paitre le troupeau à Sichem ? Va, et je t’enverrai vers eux. ». Il lui répondit : « Me-voici » Et il lui dit : « Va donc, juge de l’état de la paix chez tes frères et dans le troupeau, et reviens m’en dire un mot… ».

Sichem, lieu du viol de Dina, de la vengeance sanglante ourdie à la suite de cet acte par Chimeon et Levi, et aussi l’endroit où sera divisé le royaume de David, des générations plus tard (Rois, I, 12, cité par Rachi).

Comment comprendre que Yaakov puisse mettre en péril son fils préféré en l’envoyant là, menaçant du coup une fraternité si difficile à obtenir ?

Ce péril se lit d’emblée dans la réponse de l’homme (l’ange Gabriel selon le Midrash) à qui Yossef demande son chemin, une fois arrivé à Sichem :
Berechit 37, 17
וַיֹּאמֶר הָאִישׁ נָסְעוּ מִזֶּה
L’homme dit : Ils sont partis de là…

Mais il est écrit : Nas’rou mi-zé (et non pas mi-kan) : Ils sont partis de cette chose-là…

Rachi sur place nous le confirme : ils sont sortis de la fraternité !
La réponse de Yossef à son père (Hiné-ni) est également étonnante… Ces mots sont identiques à ceux d’Abraham lorsqu’il s’engage dans l’épreuve de la Akéda. Pourquoi Yossef accepte-t-il le risque de ce voyage, ne se doutait-il pas de ce qui risquait d’arriver ?

Pour essayer de comprendre, regardons qui est Yossef à ce moment ?
Le texte nous le présente comme un jeune homme chéri de son papa et vêtu d’une tunique bariolée, qui fait des rêves…
Quels sont ses rêves? Dans le premier, Yossef rêve de gloire et de gerbes, alors que toute la famille s’occupe de troupeaux. C’est comme si Yossef appelait un changement d’activité de sa famille, qu’il anticipait (de façon prophétique ?) le passage à une économie agraire, celle qu’il allait justement mettre en place avec le succès que l’on sait, lorsqu’il deviendra premier ministre de l’Egypte.

Son deuxième rêve est tout aussi éclairant, puisqu’il s’y voit lumière (les étoiles) dans l’obscurité d’une nuit tombante!

L’aspiration de ce jeune hébreu rêvant est donc celle d’une grandeur du juif des Nations, exportant avec succès les valeurs juives dans le monde. Pour réaliser ce rêve, le jeune homme n’hésitera pas à se mettre en danger à Sichem, auprès de ses frères.

Ceux-ci, et en tout premier lieu Yehuda, s’opposent à cette vision, car ils n’y croient pas. Leur séjour chez Lavan (ils y ont vécu adultes, à la différence du petit Yossef) leur a appris que ces rêves de grandeur en exil étaient voués à l’échec.

Cette opposition est radicale, les frères sont prêts à condamner à mort le jeune Yossef, qui leur apparaît à ce moment comme menaçant le projet divin.

Cette tension entre les frères (une constante du peuple juif -ici en gestation- mais encore aujourd’hui), il importait de s’y confronter, et non pas de la glisser sous le tapis. Lorsque les frères expriment leur ressentiment, cela d’ailleurs leur a été compté comme un mérite.

Yaakov prend lui aussi conscience de cette tension. Son utopie d’installation paisible en terre de Canaan vole en éclat devant l’état de non-paix entre ses fils.

Yaakov en prend acte, puis affronte avec courage cette tension, car il sait que c’est de sa résolution que dépend l’accomplissement de la promesse divine. Sur l’étrangeté de la citation du lieu Hébron, pas vraiment à sa place au verset 37/14, Rachi (d’après le Midrash Raba) nous le confirme. : En envoyant son fils vers Sichem, Yaakov savait qu’il initiait l’exil annoncé à Abraham à Hébron.

Bref, nous avons à faire ici à une famille d’Hébreux confrontée à un conflit majeur… Et qui n’hésitent pas à aller à la confrontation pour le résoudre!

La gestation du peuple d’Israël ne fera l’économie ni de l’adversité, ni des exils…
En choisissant l’affrontement, la famille de Yaakov nous montre la voie. Et le lieu de ce règlement de compte familial, c’est la ville de Sichem…

Josué, 24, 32.
וְאֶת עַצְמוֹת יוֹסֵף אֲשֶׁר הֶעֱלוּ בְנֵי יִשְׂרָאֵל מִמִּצְרַיִם קָבְרוּ בִשְׁכֶם בְּחֶלְקַת הַשָּׂדֶה אֲשֶׁר קָנָה יַעֲקֹב מֵאֵת בְּנֵי חֲמוֹר אֲבִי שְׁכֶם בְּמֵאָה קְשִׂיטָה וַיִּהְיוּ לִבְנֵי יוֹסֵף לְנַחֲלָה.
Quant aux ossements de Joseph, que les enfants d’Israël avaient ramenés d’Egypte, on les enterra à Sichem, dans la terre que Jacob avait acquise, pour cent k’cita, des fils de Hamor, père de Sichem, et qui devint la propriété des enfants de Joseph.

Il est significatif que les ossements de Yossef aient été ensevelis après la sortie d’Egypte précisément dans ce lieu, apparemment maudit…
Comme si l’on souhaitait donner du Kavod, du poids, à un endroit marqué par une violence certes douloureuse, mais nécessaire !

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