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Chemini : -Bien- vivre pour -bien- manger !

par: Joël Gozlan

Publié le 23 Mars 2022

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Après la description de l’inauguration du Mishkan, qui encadre le récit de l’épisode tragique de la mort Nadav et Avihou, notre paracha expose les principales règles de la Cacherout.

Vaykra 11, 2

 זֹאת הַחַיָּה אֲשֶׁר תֹּאכְלוּ מִכָּל הַבְּהֵמָה אֲשֶׁר עַל הָאָרֶץ.

Voici les êtres vivants (ha’Haya) que vous pourrez manger parmi les animaux domestiques (Béhéma) qui sont sur la terre.

Ce début de l’énoncé des règles alimentaires interpelle, car la préséance des animaux sauvages (une autre traduction du mot Haya) sur les bêtes domestiques parait illogique.  Les animaux « cachers » qui subiront l’abattage rituel pour être aptes à la consommation ne proviennent-ils pas du bétail domestique ? Pourquoi le texte met-il en avant ce qualificatif de « vivants » ?

Rachi relève qu’ici, le mot Haya ne désigne pas -ou pas seulement- la nature de la bête consommée mais la qualité, présente ou en devenir, de l’homme apte à la manger. Et cette qualité se caractérise par sa proximité avec l’Omniprésent, « Devoukim ba’Makom » dans les mots de Rachi.

C’est un hiddoush extraordinaire ! L’en-tête des règles de Cacherout, qui seront précisées tout au long du chapitre 11, ne concerne non pas ce qui peut être consommé, mais comment, par qui et pourquoi.

Mais alors, que signifie « Haya » ?

Qu’est-ce « qu’être vivant » pour pouvoir manger de la viande ?

Convier HaChem à notre table

La juxtaposition immédiate de l’inauguration du Mishkan, moment intense de sainteté (aux chapitres 9/10) et des lois alimentaires (au chapitre 11), suggère un lien étroit entre sainteté et alimentation. Ce lien apparaît dans d’autres endroits de nos textes.

Ezeqiel, 41, 22

הַמִּזְבֵּחַ עֵץ שָׁלוֹשׁ אַמּוֹת גָּבֹהַּ וְאָרְכּוֹ שְׁתַּיִם אַמּוֹת וּמִקְצֹעוֹתָיו לוֹ וְאָרְכּוֹ וְקִירֹתָיו עֵץ וַיְדַבֵּר אֵלַי זֶה הַשֻּׁלְחָן אֲשֶׁר לִפְנֵי יְהוָה.

L’autel (Mizbeah) était de bois, haut de trois coudées, et long de deux coudées… Et il me dit : voici la table (Choulkhan) qui est devant l’Éternel.

De ce « glissement » de l’autel à la table du verset des prophètes, Rabbi Yohanan et Rabbi Eleazar enseignent dans la guémara Berahot (55B) que, depuis la disparition du Mishkan et des 2 temples, ces espaces de sainteté, lieux électifs de la présence divine sur terre, ont été remplacés par la table juive !

Ainsi dans notre tradition, l’action de manger être une action « hachouva », très importante, car elle participe d’une élévation ! Lorsque l’on mange, il ne faut pas seulement remplir son ventre, sinon nous sommes comme des animaux, ou comme des esclaves en Egypte. Non, il nous faut aussi instaurer un processus de sanctification de soi-même, de l’animal consommé… Et au final du monde!

Nous retrouvons cet impératif dans une autre activité humaine qui pourrait sans cela être triviale, à savoir la sexualité. La participation effective de ces actes à la sainteté en devenir du monde et des créatures est une caractéristique essentielle de notre tradition. L’action de manger doit permettre à l’homme de s’élever, au même titre que les relations intimes dans un couple, ces deux commandements étant d’ailleurs énoncés dès le début de la création (Berechit 1/28 et 2/16).

Cette aspiration d’élévation au sein même des activités les plus élémentaires de l’homme est magnifique, mais comment faire en pratique ?

Pour répondre à cet objectif, la Torah encadre ces actes de règles précises, explicitées dans notre parasha pour les lois alimentaires et dans la parasha « Aharéi Mot » pour les relations interdites, puis abondamment travaillées par nos sages. Remarquons que ces deux types de lois sont regroupées par Rambam dans un même ensemble… Dénommé Qedousha (sanctification) !

Pureté et inachèvement

La plupart de ces règles appartient à la catégorie des Houkim, ces lois « gravées » plus ou moins irrationnelles, qui résistent à une pleine compréhension. Nous devons néanmoins essayer de les comprendre, et les interprétations de nos maîtres sont nombreuses et souvent sublimes.

Une Guemara du traité Shabbat, rapportée par Aaron Fraenckel dans son livre « L’écho de la parole », nous livre une piste aussi surprenante que passionnante :

Traité Shabbat 128B

Rabbi Chimon Ben Gamliel dit : On attire la miséricorde sur -le petit de- l’animal cacher (Tehora) le jour de Yom Tov. De quoi s’agit-il ? Abayé enseigne que l’on met un bloc de sel dans sa matrice pour qu’elle se souvienne de sa douleur et ait pitié de son petit. On peut aussi prendre le placenta de la bête et en asperger son petit, pour que la bête, y reconnaissant son odeur, le prenne en pitié.

On n’agira ainsi que pour la bête pure, mais pas pour une bête impure (non cachère). Car la bête impure ne s’éloigne en principe pas de son petit, mais si elle s’éloigne, elle ne le reprendra plus !

 Ce que nous dit cette guemara est incroyable ! Ce qui caractérise l’animal cacher, ce n’est donc pas une qualité intrinsèque (au contraire, il serait capable de délaisser ses petits après avoir mis bas !), mais sa capacité de « retour », elle-même liée à une « mémoire » que l’on peut réactiver par différents artifices. L’animal impur (Tamé) parait en revanche plus « parfait » car il ne va pas rejeter à priori ses petits… Mais par contre, s’il le fait, cela sera irrémédiable.

Cette idée, nous la retrouvons dans le verset 3 du chapitre 11 qui donne la règle générale rendant apte un mammifère à la consommation.

Vaykra, 11, 3

כֹּל מַפְרֶסֶת פַּרְסָה וְשֹׁסַעַת שֶׁסַע פְּרָסֹת מַעֲלַת גֵּרָה בַּבְּהֵמָה אֹתָהּ תֹּאכֵלוּ.

Tout animal dont le sabot est fendu, complètement séparé en 2 sabots, et qui fait remonter sa nourriture, parmi les animaux, celui-là vous le mangerez.

Sur ce verset, Aaron Fraenkel rapporte un enseignement du Maharal de Prague : Tu peux voir que les non-juifs sont en un sens plus parfaits que les juifs. Ils sont déjà achevés dans leur être. C’est pourquoi ils ne sont pas promis à un avenir, car étant parfaits, ils ne sont plus perfectibles. Par contre, Israël est apparemment au deçà des non-juifs, et au deçà de lui-même… C’est pourquoi il est promis à un avenir.

La rumination de l’animal cacher et la fente de son sabot en altèrent donc l’idée -ou l’illusion- de perfection et de certitudes, à l’image de ce que doit être l’état d’esprit d’un homme juif. Ainsi, il ne nous est pas demandé d’être parfait, mais d’être capable d’évoluer et de progresser.

Être vivant pour manger… Ou bien être Talmid Haham !

Le chapitre 11 des lois alimentaires se conclut ainsi :

Vaykra, 11, 46

זֹאת תּוֹרַת הַבְּהֵמָה וְהָעוֹף וְכֹל נֶפֶשׁ הַחַיָּה הָרֹמֶשֶׂת בַּמָּיִם וּלְכָל נֶפֶשׁ הַשֹּׁרֶצֶת עַל הָאָרֶץ.

Voici la Torah de la bête, de l’oiseau et de tout âme vivante qui fourmille dans l’eau et de toute créature qui rampe sur le sol…

A partir de ce verset, nos sages enseignent (Pessahim 49B) :

L’ignorant (le « Am Ha’Aretz »), la viande lui est interdite car il est dit : « Voilà la Torah de la bête, de l’oiseau et de toute âme vivante » (autrement dit, c’est toute une Torah que d’assimiler ces lois-là !) ». Celui qui peine dans l’étude de la Torah (pour savoir comment et quoi manger) peut manger de la viande, celui qui n’étudie pas, la viande lui est interdite !

Cette guemara nous le dit clairement : Il faut étudier la Torah pour manger, car sinon nous risquons de demeurer dans un rapport brut -ou animal- avec l’alimentation.

C’est à cette condition que l’on peut comprendre ce que disait Manitou, le rav Léon Askénazi :

On a l’habitude de dire qu’il faut « manger pour vivre et non pas vivre pour manger », et bien dans notre tradition, c’est exactement le contraire :  Nous devons –bien- vivre pour –bien- manger !

 Shabbat Chalom… Et bon appétit !

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