img-book
Catégorie : Étiquette :

Yitro : Du « voir » le don de la Torah

par: Jérôme Bénarroch

Tag:
Revenir au début
Print Friendly, PDF & Email

Avant le don des paroles de la Tora, D. ordonne à Moshé de fixer une place à chacun pour assister à l’événement. Avant le don des paroles de la Tora, D. ordonne à Moshé de fixer une place à chacun pour assister à l’événement. En particulier, le peuple ne doit pas s’avancer sur la montagne. Et la défense semble grave :

« Gardez-vous de monter sur la montagne et d’en toucher l’extrémité : quiconque touche à la montagne, mourir, mourra. Une main ne touchera pas, car lapider, il sera lapidé <…> » (Chemot 19, 12.)

1. Moshé prévient donc le peuple, D. commence à descendre dans un feu, la montagne est comme une fournaise et tremble. D. appelle Moshé, qui monte. Mais au lieu de déclarer les paroles, D. réitère à nouveau cette recommandation manifestement fondamentale :

« Descends, avertis le peuple, de peur qu’ils ne détruisent (les barrières) vers Hachem <…> » (19, 21.)

Moshé, apparemment perplexe, répond :

« Le peuple ne pourra pas monter <…> car toi tu nous as avertis en disant : « Limite la montagne, et sanctifie-là » » (19, 23.)

Mais D. insiste en disant :

« Va, descends, tu monteras toi et Aaron avec toi. Et les cohanim et le peuple, qu’ils ne détruisent pas pour monter vers Hachem <…> » (19, 24.)

2. Quel est l’enjeu de l’interdit ? Le verset 21 le dit explicitement :

« <…> de peur qu’ils ne détruisent vers Hachem pour voir, et il en tombera beaucoup »

3. Cependant l’enjeu de voir quelque chose à ce moment de l’aventure du peuple qui vient de sortir d’Egypte est essentiel. Au sens où il n’est pas seulement question ici du don de la Tora. La Tora doit être donnée par D.. Il doit, mais là est tout le problème, descendre, pour qu’on puisse voir cela, que c’est bien Lui qui donne la Tora. Ainsi, dans Devarim 4, 9, Moshé exhorte :

« Seulement, prends garde à toi et garde grandement ton âme, de peur que tu n’oublies les choses qu’ont vues tes yeux <…> »

4. En réalité, la réponse est dans le verset 15 chapitre 20 :

« Et tout le peuple virent les voix <…> »

Rachi explique : « Nous apprenons qu’il n’y avait pas un seul aveugle <…> ». Car il fallait voir, c’est-à-dire connaître, de façon définitive, que ce qui s’entendait était la parole de D. Mais voir cela, sans aller voir derrière le voile de la réalité d’ici, constitue un point limite.

Rachi commente l’expression « virent les voix » : « Ils virent ce qui s’entend, chose impossible ailleurs ». « Chose impossible ailleurs » : « Hachem descendit » ( verset 20 ), Rachi explique : « <…> Il a incliné les cieux supérieurs et inférieurs et Il les a étendus par dessus la montagne comme un drap sur le lit. Le trône divin est alors descendu sur eux ».

Il fallut voir les voix, les paroles de D., mais non voir Hachem.

5. Est-ce parce que c’est impossible ? Qu’il n’y a rien à voir, car, comme l’explique Rambam dans le Guide des Egarés I, 5, « ce n’est pas que les yeux puissent voir la divinité » ?

Certes, on peut comprendre le sujet ainsi, sur le plan de la métaphore, et dire qu’il s’agit de s’approcher par l’esprit, de la réalité supérieure. Et voir signifie alors intelliger. Mais le problème est ici précisément le moment de la jointure entre la réalité sensible, vécue, et la réalité intelligible.

6. Mais à la fin de la Sidra Michpatim (Chemot 24, 9-10), nous apprenons que Nadav, Avihou, et soixante-dix des anciens d’Israël « virent le Eloqim d’Israël, et sous ses pieds comme un ouvrage du brillant du saphir, et comme la substance du ciel quant à la pureté ».

Puis le verset 11, chapitre 24 dit :
« Et vers les nobles des fils d’Israël Il n’a pas envoyé Sa main, ils virent ha-Eloqim ils mangèrent ils burent »

Rachi commente en disant : « Nadav, Avihou et les anciens ont mérité qu’Il envoie Sa main sur eux (leur mort interviendra par la suite). Ils L’ont regardé avec un cœur grossier relatif à une nourriture et à une boisson <…> »

Ils ont scruté avec leurs yeux pour voir D., pour voir une chose qui les ferait connaître D., véritablement, et décisivement. Mais c’est bien cela qui est grossier et destructeur, l’inconscience de l’impossibilité de cette connaissance.

Dans Devarim 4, 12, on dit ainsi :
« Hachem vous a parlé du milieu du feu, la voix des paroles vous entendiez, et d’image vous n’avez pas vu <…> »

7. Pourtant dans Bamidbar 12, 8, il est dit :
« <…> Moshé mon serviteur <…> Je lui parle de bouche à bouche, dans une claire apparition et sans énigmes, l’image de Hachem il la contemple »

Rachi explique alors : « C’est la vision de D. par derrière <…> ». Car il est dit (Chemot 33-20) : « Tu ne pourras voir ma face, car l’homme ne (peut) me voir et vivre »

Moshé avait demandé à voir « la gloire » de D.. D. lui montra « ce qui est derrière moi », Il lui a montré, dit Rachi, « le nœud des téfilin ».

De même, le prophète Isaïe dit : « Je vis Hachem siégeant sur un trône élevé et majestueux » (Isaïe, 6, 1.)

8. La vision est l’expérience aboutie de la connaissance. L’expression du caractère définitif de la connaissance. Il peut donc y avoir une confusion entre connaître parce que l’on voit, et voir, parce que l’on connaît. En ce sens, voir quelque chose de la divinité renvoie toujours à l’image de notre connaissance. On ne peut voir que l’arrière.

Mais ici, au moment du don de la Tora, par les prodiges, la tentation de la confusion entre la vision de la connaissance et la connaissance par la vision est radicalisée, qui oblige à ce paradoxe de dire qu’il faut voir les voix de D., pour asseoir la révélation, sans en détruire l’absoluité.

Voir l'auteur
avatar-author
1990
Agrégé de lettres et Docteur en philosophie, Jérôme Benarroch est un ancien élève puis enseignant de la Yechiva des Étudiants de Paris. Il est actuellement professeur de philosophie et de français au lycée Ozar Hatorah Paris 13ème. Enseignant à l’Institut Elie Wiesel, à l’Institut Universitaire Rachi de Troyes, au SNEJ de l’Alliance Israélite Universelle, dans le cadre du cycle ACT de la Yechiva des Etudiants de Marseille, au Collège des Bernardins, et à l’Université Catholique de Louvain, il a publié des articles au sein des Cahiers d’Etudes Lévinassiennes, des revues La Règle d’Abraham, Orient-Occident les racines spirituelles de l’Europe, et des Cahiers philosophiques de Strasbourg et intervient régulièrement sur Akadem.

“Yitro : Du « voir » le don de la Torah”

Il n'y a pas encore de commentaire.