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Vayakhel: L’élan réfréné

par: Rav Yehiel Klein

Publié le 11 Mars 2021

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א וְעָשָׂה בְצַלְאֵל וְאָהֳלִיאָב וְכֹל אִישׁ חֲכַם-לֵב, אֲשֶׁר נָתַן יְהוָה חָכְמָה וּתְבוּנָה בָּהֵמָּה, לָדַעַת לַעֲשֹׂת, אֶת-כָּל-מְלֶאכֶת עֲבֹדַת הַקֹּדֶשׁ–לְכֹל אֲשֶׁר-צִוָּה, יְהוָה. ב וַיִּקְרָא מֹשֶׁה, אֶל-בְּצַלְאֵל וְאֶל-אָהֳלִיאָב, וְאֶל כָּל-אִישׁ חֲכַם-לֵב, אֲשֶׁר נָתַן יְהוָה חָכְמָה בְּלִבּוֹ–כֹּל אֲשֶׁר נְשָׂאוֹ לִבּוֹ, לְקָרְבָה אֶל-הַמְּלָאכָה לַעֲשֹׂת אֹתָהּ. ג וַיִּקְחוּ מִלִּפְנֵי מֹשֶׁה, אֵת כָּל-הַתְּרוּמָה אֲשֶׁר הֵבִיאוּ בְּנֵי יִשְׂרָאֵל לִמְלֶאכֶת עֲבֹדַת הַקֹּדֶשׁ–לַעֲשֹׂת אֹתָהּ; וְהֵם הֵבִיאוּ אֵלָיו עוֹד, נְדָבָה–בַּבֹּקֶר בַּבֹּקֶר. ד וַיָּבֹאוּ, כָּל-הַחֲכָמִים, הָעֹשִׂים, אֵת כָּל-מְלֶאכֶת הַקֹּדֶשׁ–אִישׁ-אִישׁ מִמְּלַאכְתּוֹ, אֲשֶׁר-הֵמָּה עֹשִׂיםה וַיֹּאמְרוּ אֶל-מֹשֶׁה לֵּאמֹר, מַרְבִּים הָעָם לְהָבִיא, מִדֵּי הָעֲבֹדָה לַמְּלָאכָה, אֲשֶׁר-צִוָּה יְהוָה לַעֲשֹׂת אֹתָהּ. ו וַיְצַו מֹשֶׁה, וַיַּעֲבִירוּ קוֹל בַּמַּחֲנֶה לֵאמֹר, אִישׁ וְאִשָּׁה אַל-יַעֲשׂוּ-עוֹד מְלָאכָה, לִתְרוּמַת הַקֹּדֶשׁ; וַיִּכָּלֵא הָעָם, מֵהָבִיא. ז וְהַמְּלָאכָה, הָיְתָה דַיָּם לְכָל-הַמְּלָאכָה–לַעֲשׂוֹת אֹתָהּ; וְהוֹתֵר..

« 1 Donc Betsalel et Oholiab et tous les hommes de talent à qui le Seigneur a dispensé industrie et intelligence pour concevoir et pour exécuter, exécuteront tout le travail de la sainte entreprise, conformément à ce qu’a ordonné l’Éternel. » 2 Moïse manda Betsalel et Oholiab, ainsi que tous les hommes de talent à qui le Seigneur avait départi un génie industrieux, quiconque se sentait digne d’entreprendre l’œuvre, capable de l’exécuter. 3 Ils emportèrent de devant Moïse, pour la mettre en œuvre, toute l’offrande présentée par les Israélites pour l’exécution de la sainte œuvre. Mais ceux-ci continuant de lui apporter, chaque matin, des dons volontaires, 4 tous les artistes qui travaillaient aux diverses parties de la tâche sacrée, revinrent chacun du travail dont ils s’occupaient 5 et dirent à Moïse: « Le peuple fait surabondamment d’offrandes, au delà de ce qu’exige l’ouvrage que l’Éternel a ordonné de faire. » 6 Sur l’ordre de Moïse, on fit circuler dans le camp cette proclamation: « Que ni homme ni femme ne préparent plus de matériaux pour la contribution des choses saintes! » Et le peuple s’abstint de faire des offrandes. 7 Les matériaux suffirent pour l’exécution de tout l’ouvrage, et il en resta.»

(Exode XXXVI, 1-8)

Ce passage, qui se trouve conclure l’épisode glorieux de l’engouement populaire qu’a suscité la Construction du Sanctuaire, est étonnant à plus d’un titre.

A première vue, il y a une contradiction flagrante dans le verset 7, puisqu’au début on nous dit que ‘’le travail était suffisant’’ *1, mais ensuite, qu’  »il y en avait en surplus’’.

Mais surtout, quel est le sens à donner à la proclamation mosaïque : « Que ni homme ni femme ne préparent plus de matériaux pour la contribution des choses saintes! » ? Comment comprendre que le Peuple dut cesser de contribuer? Depuis quand empêche t-on les gens bien intentionnés de faire usage de leur générosité ? *2

La réponse à ces interrogations, c’est que le don pour l’érection du Sanctuaire n’est pas un don comme les autres.

Il ne s’agit pas d’une contribution uniquement financière, mais bien, à travers l’aspect pécunier si concret, d’un investissement d’envergure spirituelle (cf. Exode XXV, 1-2)

Le Mishkan étant, nous le savons par ailleurs, une construction où chaque élément et chaque emplacement fait sens, et renvoie à d’éminentes réalités métaphysiques.

Dans ce cadre, on peut envisager que ce qui importe c’est plus l’intention qui l’a précédé que le don en tant que tel (cf. Ménah’ot 99a).

Ainsi, dans un premier temps, au niveau légal, le Mécheh’ H’oh’ma comme le Nétsiv*3  expliquent que si l’élan donateur du Peuple n’avait pas officiellement été stoppé, les Enfants d’Israël auraient continué à offrir, avec l’intention que leurs présents aillent au Service du Temple. Et comme il n’y en avait factuellement plus besoin, c’eût été des dons consacrés qui risquaient de ne pas être utilisés, puis de devenir objets de malencontreuses négligences. Ce qui, au niveau de la législation cultuelle, constitue une grave infraction, la Mé’ila [une profanation du sacré] (Lévitique V, 14-16), qui est passible des peines les plus sévères.

Le Sfat Emet (année 5635) choisit pour sa part une autre approche (mais complémentaire, dans le sens où l’on peut comprendre que tout cela peut aider à définir la notion même de consécration), en s’intéressant plus précisément à la nature même de l’élan donateur :

« Il semble bien que les Justes et les Sages alors présents perçurent que l’élan s’était trop étendu.

Ils craignirent alors que celui-ci ne soit de fait plus sincère, et ne soit plus consacré entièrement au Ciel, sans arrière-pensées [‘’leChém Chamaïm’’] ;

Car tout dépend de ce critère particulier.

En effet, nous avons un principe selon lequel toute initiative humaine comporte un processus de ‘’va et vient’’ [‘’Ratso véChouv] *4. Dans le sens où, comme on l’enseigne au nom du Ba’al Chem Tov, tout Service Divin doit nous apporter la Crainte de D., bien qu’il soit humain que, quand notre œuvre se prolonge, on en vienne à s’enorgueillir. Si, en revanche, on s’arrête au milieu de l’élan, en prenant conscience de ‘’devant Qui on se trouve’’*5 , en ceci même on assure la pérennité de notre action.

C’est cela que Moïse et les Sages qui l’accompagnaient prévinrent, en empêchant les actes des Enfants d’Israël d’être parasités par des intentions inconvenantes.

Le Or haH’aïm relève la contradiction interne au verset 7 [cf. supra], et répond que c’est précisément parce que ce surplus provenait d’une démarche sincère des Enfants d’Israël, que D. les récompensa en incluant [miraculeusement] ce surplus dans l’ouvrage du Sanctuaire *6.

D’après cette interprétation, et parce qu’ils se montrèrent auparavant capables de restreindre leur élan – ‘’Et le peuple s’abstint de faire des offrandes’’ – ils purent assurer ce surplus, et prévenir qu’il ne soit pas abîmé par la démesure. »

Pour ce qui nous concerne dans notre existence quotidienne, on remarquera que le terme utilisé par la Torah, ‘’Vayéh’alé’’, peut également signifier ‘’être emprisonné’’ (Beït Kélé, c’est la prison). C’est en se fixant soi-même des limites dans ses enthousiasmes qui sont autant d’instincts que l’homme peut vraiment réaliser ses projets sans les dénaturer…


1.Par travail (Mélah’a), il faut comprendre tant les matières premières que l’ouvrage qu’en ont fait les artisans (Les Commentateurs en discutent).

2.Assurément, c’est quelque chose qu’aucun trésorier ni Président de Communauté ne saurait envisager.

3.Rav Naftali Tsvi Yéhouda Berline (Pologne, 1817- 1893), un des Racheï Yéchivot les plus importants, auteur d’un commentaire profondément original sur toute la Torah (Haémék Davar)

4.Selon Ezéchiel I, 14. Verset qui a trait à la description du Char Céleste, et qui dessine le comportement des Anges (les H’aïots) Nous sommes donc en présence d’une notion très délicate…

5.Bérah’ot 28b.

6.Dans le Midrach Chémot Rabba (LI, 2), on trouve que D. a dit à Moïse de construire avec ce surplus un ‘’Sanctuaire pour les Tables de la Loi’’ (cf. Exode XXXVIII, 21)

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“Vayakhel: L’élan réfréné”

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