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Bechalah: Rien ne sert de prier, il faut plonger à point

par: Rav Yehiel Klein

Publié le 28 Janvier 2021

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Exode, XIV, 8-16 :
« L’Éternel fortifia le cœur de Pharaon, roi d’Égypte, qui se mit à la poursuite des Enfants d’Israël. Cependant les Israélites s’avançaient triomphants. Les Égyptiens qui les poursuivaient les rencontrèrent, campés sur le rivage; tous les attelages de Pharaon, ses cavaliers, son armée, les joignirent près de Pi-Hahiroth, devant Baal-Tsefôn. Comme Pharaon approchait, les Enfants d’Israël levèrent les yeux et voici que l’Égyptien était à leur poursuite; remplis d’effroi, les Israélites jetèrent des cris vers l’Éternel. Et ils dirent à Moïse: « Est-ce faute de trouver des sépulcres en Égypte que tu nous as conduits mourir dans le désert? Quel bien nous as-tu fait, en nous tirant de l’Égypte? N’est-ce pas ainsi que nous te parlions en Égypte, disant: ‘Laisse-nous servir les Égyptiens?’ De fait, mieux valait pour nous être esclaves des Égyptiens, que de périr dans le désert. » Moïse répondit au peuple: « Soyez sans crainte! Attendez, et vous serez témoins de l’assistance que l’Éternel vous procurera en ce jour! Certes, si vous avez vu les Égyptiens aujourd’hui, vous ne les reverrez plus jamais. (v.14) L’Éternel combattra pour vous; et vous, ne dites rien! » (v.15) L’Éternel dit à Moïse: « Pourquoi m’implores-tu? Ordonne aux enfants d’Israël de se mettre en marche. (v.16) Et toi, lève ton bâton, dirige ta main vers la mer et divise la; et les enfants d’Israël entreront au milieu de la mer à pied sec. » »
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Ce passage fondamental, ultime étape avant la Liberté et dernier épisode de la Sortie d’Egypte, n’est pas sans poser problèmes.
En effet, à ce moment si décisif, les Enfants d’Israël semblent hésiter quant à la conduite à tenir.
Face au danger, ceux-ci ont traditionnellement plusieurs possibilités, plusieurs ‘’outils’’ à leur disposition, qui sont (du plus au moins attendu) :
La Prière ;
L’Action ;
La Contemplation.

Et précisément, nous les trouvons mélangés dans cette paracha :
En tout premier lieu, les Enfants d’Israël se mirent à prier lorsqu’ils virent les Egyptiens s’approcher. C’est ce que Rachi ramène au nom du Midrach Tanhouma sur le verset 10 (‘’ Remplis d’effroi, les Israélites jetèrent des cris vers l’Éternel’’)
Ceci est considéré d’ailleurs comme l’attitude la plus logique de leur part, puisqu’il s’agit de se conformer à l’usage de leurs prédécesseurs, ‘’Ils firent leur l’art de leurs Pères’’ (‘’ תָּפְשׂוּ אוּמָנוּת אֲבוֹתָם‘’)
Mais en réponse, D.ieu leur dit par l’intermédiaire de Moïse de ne rien craindre (v.13-14) : ‘’ L’Éternel combattra pour vous; et vous, ne dites rien!’’
C’est donc une injonction explicite à la contemplation, d’un évènement unique et extraordinaire…
Et malgré tout, au dernier instant, la Prière, la naturel revient (v. 15) :  »L’Eternel dit à Moïse: « Pourquoi m’implores-tu?’’
Le Prophète – à titre personnel ou comme représentant du Peuple tout entier (cf. Nahmanide)- se met à supplier le Saint Béni Soit-Il, dans une attitude que l’on imagine désemparée.
Or D.ieu, à ce moment précis, lui oppose une fin de non-recevoir (v. 15) : ‘’ Ordonne aux enfants d’Israël de se mettre en marche’’ !
La prière, en ces moments, n’est pas de mise, et la place est à l’action.

Comment comprendre alors ce qui se joue ici ?

Choisissons pour ce faire le Commentaire du Or ha’Haïm, qui explique la chose suivante :
De manière générale, rien ne résiste à la prière, mais la situation des Enfants d’Israël à ce moment précis était de ce point de vue très particulière.
Leur prière avait besoin d’être accompagnée d’actes pour pouvoir être entendue.
Parce que, comme le fait remarquer Rachi à plusieurs reprises (Exode XII, 6 et XIV, 19), ils n’avaient après deux-cent dix ans d’esclavage et de déliquescence spirituelle pas vraiment de mérites qui justifient de bénéficier d’un tel miracle et d’un sauvetage si prodigieux.
Les Anges de service disaient au Créateur : « Quelle différence entre eux et les Egyptiens ? Ceux- ci sont idolâtres, mais ceux-là le sont tout autant ! » (Midrach Méh’ilta)
Il leur fallait donc créer de manière éclatante les conditions de réussite de cette prière, celle que Moïse récitait pendant ce temps.
Et si, de manière générale, c’est-à-dire après le Don de la Torah, ces conditions sont généralement assurées par la pratique des Mitsvots (c’est tout l’enjeu du Rachi sur XII, 6) et par l’accomplissement de Bonnes Actions, pour les Israélites angoissés devant la Mer Rouge, ceci passe par une action qui dans leur situation leur en tiendra lieu : la Confiance en D.
Ils ne pouvaient pas se contenter de prier, il fallait accomplir un acte de Confiance en D.ieu quasiment sacrificiel, en se jetant à l’eau (c’est le cas de le dire).
Dès lors, cette action est investie de suffisamment de sens pour leur tenir lieu de mérite nécessaire à se voir sauvés par la Déchirure de cette mer, puisqu’ils ont témoigné dans la pratique de leur confiance et de leur foi envers le Rocher d’Israël.
En réalité, ce que développe le Or ha’Haïm rend parfaitement compte de ce que Rachi lui-même explique dans la suite de son Commentaire sur le verset 15 :
« ‘’Parle aux fils d’Israël, et qu’ils partent’’ – Ils n’ont rien d’autre à faire que de partir, car la mer ne se dressera pas contre eux. Le mérite de leurs pères et la foi qu’ils m’ont vouée en quittant l’Egypte suffiront à leur ouvrir la mer (Mekhilta) »
Ce que précise Rabbi Haïm Ben Attar, c’est qu’il fallait cependant un acte héroïque pour permettre à ce mérite de se concrétiser dans la réalité par un miracle salvateur.

Si l’on y réfléchit bien, ce que nous dit ici le Or ha’Haïm, c’est peut-être que pour que notre prière soit efficace, c’est-à-dire écoutée par D. au point de se traduire dans la réalité, il faut être soi-même conscient de son niveau spirituel.
Parfois, l’épanchement de l’âme suffit, car l’on est assez proche de Créateur pour que tout puisse venir de Lui.
Mais d’autres fois, et en l’occurrence telle était la situation des Hébreux au bord de la Mer Rouge, il y’a un écart entre notre vie, obnubilée par les préoccupations les plus terre à terre, et la perception intime que tout provient et que tout est dirigé par le Créateur.
Dans ces circonstances, c’est se mentir à soi-même que de croire que l’on peut implorer et se voir exaucé comme les plus grands Justes. Parce qu’au fond de nous, nous ne sommes pas au niveau de cette contemplation de la Providence et de ses actions à laquelle les personnes les plus pieuses sont arrivées après des années de service spirituel.
Pour nous, cela passera a contrario par l’action – par initier dans la réalité ce que l’on demande au Saint Béni Soit-Il.
Parce que cela permet, par l’expérience vécue, de se rendre compte que tout vient réellement de D.

Ceci semble correspondre à un thème que l’on retrouve dans le passage du Zohar qui commente notre paracha (II, 47), et ce même si l’interprétation principale est différente, celui d’ ‘’Eveil d’En-Haut’’ (Itarouta deLé’ïla, אִתְעָרוּתָא לְעֵילָּא ) – lorsque tout vient du Ciel, et celui d’ ‘’Eveil d’en bas’’ ( Itarouta deLetata, אִתְעָרוּתָא לְתַתָּא ) – lorsque les Hommes oeuvrent.
Notions qui à elles seules, suffisent à rendre compte de ce que sont nos relations avec le Saint Béni Soit-Il, et de ce qu’est la Prière…

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