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Suis-je le médecin de mon père ? Étude Halakhique : soigner ses parents

par: D. Scetbon

Publié le 18 Aout 2019

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A la mémoire d’Elie Goetschel ז »ל

Au sein même des lois régissant les rapports parents/enfants, la Torah réserve une place à part à deux interdictions : celle de maudire les parents et celle de les frapper. Ces deux interdictions sont particulièrement graves puisque dans certaines circonstances spécifiques, la Torah prévoit que la sanction peut en être la peine capitale[1]. Nous nous intéresserons ici plus spécifiquement au second interdit.

Tout d’abord le texte : « celui qui frappe son père et sa mère sera mis à mort »[2][3]. Tout d’abord le texte : « celui qui frappe son père et sa mère sera mis à mort »[4].

La Michna[5] énonce que seul un coup provoquant une effusion de sang est visé par ces versets[6]. Dans le cas contraire, la Torah ne prévoit pas de loi spécifique. Frapper un ascendant sans provoquer de perte de sang se situe au même niveau de gravité que frapper quiconque. Si nous voulions schématiser en ayant recours à des catégories bien connues, bien que n’ayant pas toute leur pertinence ici, on pourrait dire que frapper un parent relève du droit civil, et que le frapper en le blessant entre dans le champ du droit pénal. Cette distinction à elle-seule nécessite d’être interrogée, il nous faudra y revenir.

Le Talmud[7] prolonge le sujet en abordant un aspect du problème beaucoup plus pratique. Nous savons que frapper une bête engendre l’obligation de réparer le dommage causé à son propriétaire. Qu’en est-il d’une blessure causée dans un but thérapeutique. Faire une incision, voire amputer une bête sont-ils des actes impliquant également réparation ? Du point de vue structurel les gestes sont les mêmes : tous deux causent des dégâts, seul l’objectif les distingue. Le Talmud prouve à partir de versets bibliques qu’une telle atteinte, si elle est infligée à une bête ne donne pas lieu à remboursement, du fait même de son objectif : soigner[8].

Sur la base d’une juxtaposition de deux termes, le Talmud en déduit que tel est également le cas pour les blessures « médicales » causées à un humain : « de la même manière que frapper la bête dans le but de la soigner laisse exempt de toute obligation de réparation, de même celui qui agit ainsi sur un humain est également exempt. »

Précisons d’emblée que le sujet ici n’est pas[9] l’erreur médicale, mais bien le fait même qu’un geste médical, même parfaitement maîtrisé et réussi puisse aboutir à un dégât, bien que ce geste soit nécessaire ou même impératif, à savoir le souci de soigner le patient. On peut parfaitement envisager, par exemple, le cas de l’ablation d’un organe : l’acte conduit indéniablement à une blessure mais il est par essence réalisé pour soigner[10].

La Guemara illustre alors le sujet par une question qui nous ramène à notre préoccupation.
« Un fils peut-il pratiquer une saignée sur son père ? »

La saignée à l’époque du Talmud était une thérapeutique fréquemment pratiquée[11]. Celle-ci provoquant par définition une effusion de sang, le dilemme est clair : un tel geste réalisé sur les parents serait normalement considéré comme gravissime par la Torah et passible de la peine capitale. Qu’en est-il dans le cas où celui-ci vise à soigner le parent en question ?

Deux avis sont rapportés :
« Rav Motna : tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

Un tel énoncé est sibyllin puisqu’il ne s’agit là ni plus ni moins que du rappel d’un célèbre verset biblique. En quoi cela répond-il à la question ?

Rachi sur place explicite : « les enfants d’Israël ont uniquement l’interdit de faire à autrui ce qu’ils ne voudraient pas qu’on leur fit. »

Autrement dit, bien peu de gens normalement constitués donneraient leur accord pour subir une blessure. En revanche, si cette même « blessure » était effectuée dans un cadre médical, le patient serait parfaitement consentant pour qu’un geste pourtant identique soit effectué. Le réaliser sur autrui n’est donc pas interdit.

Rav Motna nous indique qu’il en est de même pour le père : la signée n’est pas interdite.

Sans qu’on comprenne bien en quoi il se démarque de Rav Motna, Rav Dimi énonce les choses autrement : cela est autorisé sur la base du principe que nous avions déjà examiné : « de la même manière que frapper la bête dans le but de la soigner laisse exempt de toute obligation de réparation, de même celui qui agit ainsi sur un humain est également exempt ».

Si la solution halakhique parait être identique, la source citée en appui n’est pas la même. Il nous faudra en examiner là encore les éventuelles conséquences. Mais à tout le moins pouvons-nous affirmer qu’unanimement à ce stade, la saignée sur un parent est autorisée.

Le même passage du Talmud poursuit : « Rav ne laissait pas son fils lui extraire une écharde, Mar le fils de Ravina ne laissait pas son fils lui ouvrir une brûlure [pour en extraire le pus] de crainte qu’il ne le blesse et que cela constitue un interdit commis involontairement »

Notre texte s’interroge alors : « s’il en est ainsi cela devrait être interdit à quiconque ». En effet, a minima, l’interdiction de blesser autrui s’impose à tous. Faire une saignée met donc en position de potentiellement violer cet interdit. Le Talmud répond alors que la faute à laquelle s’exposerait le fils présente un caractère de gravité bien plus important, raison pour laquelle c’est à lui seul qu’on interdirait d’agir ainsi et non à quelqu’un d’autre.

Plusieurs questions troublantes surgissent à la lecture de ce texte. Nous proposons de nous pencher principalement sur celle qui préoccupe le plus les commentateurs.

Quelles sont les articulations de ce passage ? S’il on part de l’idée que Rav Motna a formulé une autorisation pleine et entière, comment se situent Rav et Mar le fils de Ravina par rapport à cette autorisation ?

A priori, deux possibilités de lecture s’offrent à nous : soit l’on considère qu’ils viennent s’inscrire en faux par rapport à ladite autorisation et en ce cas nous aurions ici une dissension de fond qui devra être tranchée, soit on envisage que leurs mots ne remettent pas en cause le principe posé par Rav Motna et Rav Dimi. S’il en est ainsi, que viennent-ils apporter au débat ? Une prudence surérogatoire ? Une limitation du principe général dans un cas bien précis ? Si oui lequel ?

Toutes ces possibilités de lecture vont trouver leurs échos dans les commentaires des Richonim. Nous allons tenter d’analyser les différentes thèses en présence.

1) Première hypothèse : les avis ne se contredisent pas

Préalablement, revenons un instant sur les termes mêmes employés par Rav Dimi, On constate qu’il fait usage d’un terme précis, celui de « patour ». Or dans le Talmud, ce terme peut revêtir deux significations. Soit cela signifie exempt, c’est à dire qu’un tel acte ne peut être sanctionné mais est néanmoins prohibé a priori, soit il implique que l’acte est autorisé, sans réserve. En l’espèce, comme le confirme le Beth Yossef[12], patour signifie une autorisation pleine et entière.

Or si l’on postule que Rav Motna et Rav Dimi énoncent une permission absolue, se pose immédiatement une difficulté : comment comprendre l’enseignement de Rav ?

En effet, si c’est permis que vient-il ajouter ? Qu’est-ce qui le pousse à interdire cette pratique ?

On peut envisager que Rav vienne nous enseigner que bien que cela soit permis sur le principe, on enseignera toutefois à un fils de ne pas s’engager dans une telle situation s’il n’y est pas contraint, notamment dans le cas où un tiers peut également réaliser le soin.

Ainsi, Rav et Mar le fils de Ravina auraient interdit à leurs enfants d’intervenir dans un cas où d’autres auraient pu agir à leur place. Cependant, dans le cas où ils seraient seuls aptes à réaliser ce geste, on reviendrait à la loi princeps : Rav Motna et Rav Dimi nous ont montré que c’est permis.

Telle est la lecture de Maimonide[13], suivi par le Tour[14].

On peut reformuler les choses ainsi : selon eux il n’y a pas débat de fond dans ce passage, Rav Motna et Rav Dimi ont posé un principe qui constitue bien la conclusion du Talmud. Rav vient seulement en définir les modalités pratiques, les conditions d’exécution : cette permission ne devra être appliquée que dans le cas où nul autre n’est à même de faire le nécessaire.

Nahmanide[15][16] développe également sa propre position en abordant le problème sous un angle plus conceptuel. Il part d’un principe fondamental : pour lui, avant tout, notre sujet est le principe même de l’acte médical. Or, nous dit Nahmanide, par définition un tel geste est risqué. Dans nombre de situations, dans l’exercice même de ses fonctions, un médecin peut mettre la vie d’un patient en danger, risque inhérent à la notion même de soin.

À strictement parler, tenir compte de ce risque devrait nous conduire à interdire purement et simplement l’exercice de la médecine pour éviter de prendre le risque d’ôter la vie, même involontairement, à un patient. Et à ce compte, le patient lui-même lorsqu’il ingère un médicament s’expose également à un risque potentiel pour sa vie.

Le Ramban répond ainsi. La Torah elle-même autorise l’exercice médical : « et soigné il sera soigné[17]  » nous dit le verset, duquel les Sages déduisent[18] : « latitude a été donnée au médecin de soigner ». L’acte médical est donc non seulement autorisé mais est même un devoir, une mitsva[19].

Dès lors, lorsqu’un médecin agit avec la prudence et l’expérience requises, il s’agit d’un acte de mitsva. Si par inadvertance il a causé un dommage au patient, cela relèvera de la force majeure, sa responsabilité ne saurait donc être engagée.

Si l’on s’en tient au raisonnement de Ramban, un écueil se profile : l’avis de Rav et Mar le fils de Ravina devient incompréhensible. En effet, les actes qu’ils prohibent sont pourtant bine des actes médicaux et donc par définition autorisés et même constitutifs d’une mitsva, comment les interdire ?

Le Ramban propose de résoudre cette difficulté ainsi : si du point de vue du risque de tuer, n’importe quel médecin et le fils sont dans des situations identiques, il n’en va pas de même pour la blessure. Si l’incision devait causer un dégât par mégarde, cela deviendrait une blessure. Or quiconque blesserait autrui transgresserait un « simple » interdit, alors que l’enfant lui, ferait entrer son geste dans un champ beaucoup plus grave, celui de la peine capitale.

Ainsi, pour Ramban, fondamentalement, l’interdit est inexistant. Mais une dérive conduirait à sortir du cadre médical, ce qui présenterait un caractère de gravité moindre pour le tiers que pour le fils. Bien qu’ici il s’agisse d’un geste involontaire, on n’exposera pas le fils à un tel risque, et on préférera solliciter un tiers pour intervenir.

Tel est donc le sens de la position de Rav et de Mar fils de Ravina. De même que le Tour et le Rambam, Nahmanide tranchera que le fils ne pourra réaliser l’intervention que et uniquement dans le cas où nul autre ne peut agir[20].

D’après certains avis[21], le Ramban ajoute une nuance supplémentaire : selon lui, Rav et Mar le fils de Ravina sont en parfait accord avec Rav Motna. La saignée pratiquée par un fils ou une fille sur un ascendant est unanimement autorisée.

En réalité, Rav et Mar le fils de Ravina se sont prononcés dans des cas tout à fait différents.

Lorsqu’il s’agit d’une saignée, cette pratique est en soi la thérapie même, le geste recherché n’est autre que l’incision. Ainsi, si l’opération devait mal tourner, ce serait aussi grave quel que soit l’auteur : un médecin quelconque ou le fils. Mais tel n’est pas le cas de l’ouverture d’une plaie ou de l’extraction d’une écharde. Ces actes périphériques ne sont pas des thérapies en soi ! En outre, la saignée est une réponse à une pathologie, ce que n’est pas une écharde incarnée. Cela justifie donc parfaitement la position de Rav et Mar le fils de Ravina : la saignée est bien permise mais les autres gestes devront être réalisés par une personne s’exposant potentiellement à une faute de nature moins grave[22].

2) Seconde hypothèse : les deux avis sont en désaccord

Une autre possibilité de lecture est envisageable : considérer que Rav Motna n’est qu’une étape du raisonnement, que la Guemara chercherait à contester en citant immédiatement à sa suite l’avis de Rav et Mar le fils de Ravina. La position de ces derniers constituerait la conclusion de la Guemara, l’avis de Rav Motna n’étant pas retenu.

Cela impliquerait alors qu’une saignée réalisée par un enfant sur un ascendant est formellement interdite. C’est la position retenue par le Rif et le Roch.

Cette position reste difficile à comprendre. Comment concilier cela avec les termes de notre passage talmudique dont il est issu ? Celui-ci dit bien que la blessure à but thérapeutique n’est pas interdite ! Dès lors, qu’est-ce qui conduirait à interdire ?

Nahmanide, bien qu’en désaccord avec le Rif, tente d’étayer les propos de celui-ci en répondant ainsi : un geste de soin est incontestablement autorisé, néanmoins, tout acte de cette nature porte en lui un risque de « dérapage ». Or, la zone à soigner est couverte par une autorisation pleine et entière, mais seulement cette zone. Si l’incision venait par mégarde à dériver sur une zone saine, un bistouri qui par un geste malencontreux endommagerait la chair extérieure à la zone lésée par exemple, cela ne serait plus couvert par l’autorisation.

Pour le Rif, l’acte médical vise un périmètre précis, une zone au-delà de laquelle le geste ne relève plus de la médecine mais de la blessure. En dépassant cette « zone » le fils ou la fille seraient confrontés à une faute grave, même si celle-ci est totalement involontaire. C’est pourquoi on leur interdira de se confronter à ce risque et on leur préférera un tiers[23].

Concernant la position halakhique du Rif et du Roch, une première possibilité est de comprendre ces Richonim dans un sens catégorique : l’interdiction est incontournable (sauf bien évidemment si cela implique une mise en jeu de la vie), l’enfant ne peut intervenir même en l’absence d’un soignant de substitution[24].

Le Bayit hadash conteste cette position et son analyse permet de rendre compte de certains reliefs du texte de la Guemara. Pour lui, l’autorisation de pratiquer une saignée énoncée par Rav Motna et Rav Dimi n’est effective que s’il y a une possibilité de faire réaliser le soin par quelqu’un d’autre.

En revanche, en l’absence d’un tiers, il considère que même le Rif et le Roch n’interdiraient pas. Pourquoi ? Parce que la Torah prévoit : « et soigné, il sera soigné » Cette logique lui permet de relire tout notre texte à nouveaux frais : dès le départ, la question de la Guemara relative à la saignée n’a jamais porté sur une autorisation ou non d’agir au titre de la Torah. Celle-ci était ab initio acquise.

La seule question était de savoir si les Sages ont interdit malgré tout ? Ce à quoi il répond : ils ont bien interdit mais uniquement lorsqu’il existe une possibilité alternative ; dans le cas contraire c’est autorisé.

4) Du côté de la halakha

Le Choulhan aroukh [25] exprime sa position de la manière suivante :  » Si son père avait une écharde incarnée, il ne l’extraira pas, de même s’il pratique des saignées ou qu’il soit médecin, qu’il ne fasse pas de saignée à son père ni ne lui coupe un membre. »
Nous retrouvons ici la position du Rif, Rav étant considéré comme s’opposant à Rav Motna, il a le fin mot de ce passage.

Rabbi Moshé Isserles ajoute : « de quel cas parle-t-on ? Du cas où il y a quelqu’un d’autre pour le faire, mais s’il n’y en a pas, et que le père souffre, le fils devra pratiquer lui-même la saignée ou couper, selon l’autorisation du parent. »

Il est bien clair, que par cette note, le Rama[26] se distingue du Choulkhan aroukh et adopte la position de Maimonide.

Les commentateurs précisent qu’il faut entendre « l’absence d’un autre » dans un sens large. Ainsi si une autre personne est bien disponible mais que seul le fils bénéficie de la confiance du père, le fils pourra agir.

Nombreux sont les décisionnaires ayant traité de cas pratiques découlant des principes posés par le Choulkhan Aroukh mais il n’entre pas dans l’objet de ces lignes de les détailler.[27]

5) Du civil au pénal ?

Il apparait nécessaire de revenir sur une notion déjà évoquée : blesser un parent sans provoquer d’hémorragie expose aux mêmes sanctions que frapper quiconque, là où l’effusion de sang fait basculer dans le domaine de la peine capitale. Comment expliquer cela ?
Cette réflexion nous conduit à interroger la nature même du commandement d’honorer ses parents.

On regroupe traditionnellement les mitsvot sous deux catégories : celles qui régissent les rapports à autrui et celles qui réglementent le rapport avec D.ieu.

A laquelle de ces catégories rattacher ce commandement ? Il s’agit là d’une question abondamment commentée dans la Tradition, nombre de preuves étant développées dans les deux sens.

Le Minhat hinoukh[28] prolonge cette interrogation en la cristallisant autour d’une incidence halakhique entre ces avis : comment se repentir d’une faute à l’égard des parents ? En effet, la michna dans le traité Yoma nous apprend que les fautes à l’égard du Créateur peuvent être expiées par le repentir là où les fautes envers autrui nécessitent impérativement, en plus, de solliciter le pardon de la victime.

Mais notre texte semble détenir une des clés de ce débat[29]. Revenons en effet à l’une des questions précédemment soulevées : qu’est-ce qui différencie Rav Motna de Rav Dimi ?

Rav Motna cite comme source de l’autorisation d’un geste médical invasif le verset : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Il ne peut nous échapper qu’il s’agit là du verset le plus emblématique de tous ceux qui touchent à la relation à autrui. Ainsi, par sa réponse énigmatique, Rav Motna entend bien donner un cadre précis à tout le débat : le rapport aux parents est une branche de la relation à l’autre. Le père est un autrui, peut-être plus radicalement autre, mais fondamentalement il est un autre.

Rav Dimi révèle par la source même qu’il cite, une vision tout autre de la mitsva. Celle-ci n’est pas une application particulière des commandements vis-à-vis d’autrui. L’honneur dû aux parents relève de la catégorie des mitsvot verticales, celles qui s’imposent à nous dans notre relation au Créateur. C’est la raison pour laquelle il doit avoir recours à un verset spécifique pour permettre un tel soin, la relation aux parents échappe par nature au commun de la relation à l’autre.

Ainsi, malgré leur accord sur la halakha, Rav Motna et Rav Dimi divergent radicalement sur le point central de la nature même du commandement.

Cette réflexion peut permettre d’envisager des pistes de décryptage d’une de nos interrogations d’origine. Le meurtre d’un être humain est puni par la peine capitale, cependant l’atteinte au corps d’un parent, dès lors qu’on en verse le sang, sans qu’on lui arrache la vie est déjà passible de cette peine.

Peut-être qu’il y a ici un indice de la nature complexe de cette mitsva. : jusqu’à un certain niveau elle est à caractère social. Les parents sont un autrui. Mais l’atteinte à leur intégrité corporelle constitue le point de bascule. Là où, pour une autre victime, l’atteinte physique non létale sera renvoyée aux règles classiques présidant à la relation à l’autre, à savoir la réparation pécuniaire, le même geste initie avec les parents l’entrée dans un tout autre domaine.

On pourrait exprimer la différence entre les deux cas ainsi : tuer un humain c’est détruire l’empreinte divine qui est en lui. Mais le blesser, laisse place à la réparation. Il est toujours un autrui. Verser le sang parental c’est autre chose, c’est déjà anéantir ce à quoi le parent renvoie, une forme d’a(A)bsolu. Comme si l’ascendant était le signifiant d’un renvoi plus intense, plus sensible, à D.ieu, si sensible qu’une atteinte si minime soit-elle en constitue un anéantissement. Non pas en ce que le parent serait en lui-même porteur d’une quelconque immanence mais bien en ce à quoi il renvoie.

Citons ici le Sefer hahinoukh[30] :

« L’une des racines de ce commandement est qu’il est souhaitable que l’homme soit reconnaissant et bienfaisant à l’égard de ceux qui lui ont procuré du bien […] et qu’il porte à son cœur que le père et la mère sont la cause de sa venue au monde, c’est pourquoi il est digne de leur accorder tout l’honneur et de leur être utile autant qu’il le peut […] et lorsqu’il fixera ce trait en son âme, il en déduira la reconnaissance due aux bienfaits [prodigués par ] D.ieu, qu’Il soit béni, qui est sa cause et la cause de ses ancêtres jusqu’à Adam […] et il estimera en son cœur, combien il faut être attentif à Son service. »

Il apparait ici que l’attention à cette mitsva est la porte d’entrée pour un être humain vers la capacité de se vivre comme un être créé, et au fond d’être porteur de quelque chose du projet divin. Blesser un parent c’est mettre définitivement fin à ce potentiel. Quelque chose comme perdre son âme.

Un grand merci à mes amis relecteurs.


[1] Rappelons si c’est nécessaire que la mise en application pratique d’une telle peine est plus que rarissime dans la Torah, tant les conditions requises sont nombreuses. Néanmoins, le principe même de cette sanction doit nous pousser à nous interroger sur la gravité des enjeux en présence. Ajoutons que la peine de mort ne peut plus être pratiquée depuis la destruction du Temple.

[2] Exode 21/15 https://www.sefaria.org/Exodus.21.15?lang=he&with=all&lang2=he

[3] Il faut insister sur le fait que ces commandements incombent tant aux hommes qu’aux femmes et s’exercent tant envers le père que la mère.

[4] Exode 21/15 https://www.sefaria.org/Exodus.21.15?lang=he&with=all&lang2=he

[5] Sanhedrin 85B https://www.sefaria.org/Sanhedrin.85b.3?lang=he&with=Mishnah%20Sanhedrin&lang2=he&p3=Mishnah_Sanhedrin.11.3&lang3=he&w3=all&lang4=he

[6] Notons que cela inclut une hémorragie interne.

[7] Sanhedrin 84b https://www.sefaria.org/Sanhedrin.84b.5?lang=he&with=Mishnah%20Sanhedrin&lang2=he&p3=Mishnah_Sanhedrin.11.3&lang3=he&w3=all&lang4=he

[8] Vayikra 24/21 : La Guemra se fonde sur le verset suivant : « celui qui frappe une bête devra en rembourser la valeur, celui qui frappe un homme mourra » https://www.sefaria.org/Leviticus.24.21?lang=he&aliyot=0&p2=Sanhedrin.84b&lang2=he

[9] Ou pas seulement

[10] Il est à noter que la problématique semble naitre uniquement à l’occasion de gestes médicaux invasifs mais non lorsqu’il s’agit d’une consultation, de la prescription de médicaments ou autres.

[11] Elle est encore pratiquée, notamment dans des cas d’hémochromatose.

[12] De même que Maimonide.

[13] Hilkhot Mamrim Chapitre 5 Halakha 7 http://beta.hebrewbooks.org/rambam.aspx?sefer=14&rtype=%u05E6%u05D5%u05E8%u05EA%20%u05D4%u05D3%u05E3&hilchos=81&perek=5&halocha=7

[14] Yore Dea Siman 241 Seif 3 http://beta.hebrewbooks.org/tursa.aspx?a=yd_x6201

[15] Celui-ci sera désigné indifféremment dans les présentes lignes comme « Nahmanide » ou « Ramban », acronyme de « Rabbi Moshé Ben Nahman ».

[16] Torat haadam, Inian sakana, « vekachia » http://hebrewbooks.org/35858

[17] Exode 21/19 https://www.sefaria.org/Exodus.21.19?lang=he&with=all&lang2=he

[18] Baba kama 85a http://beta.hebrewbooks.org/shas.aspx?mesechta=21&daf=85&format=pdf

[19] Telle est la position de Ramban

[20] Maimonide fait état de conditions supplémentaires qui ne seront pas développées ici : que le parent souffre et qu’il donne son accord sur le soin.

[21] Hafets haim du Rav Palagi Siman 96 alinéa 4 http://beta.hebrewbooks.org/pdfpager.aspx?req=22137&st=&pgnum=189

[22] Une analyse similaire de Rambam est donnée par le Bayit hadash, le Bah.

[23] Il n’est pas aisé de distinguer cette analyse du Ramban sur le Rif de sa propre justification de sa position vue au paragraphe 2). Néanmoins il faut conserver en mémoire que pour Ramban en tant que telle la saignée est permise et on ne l’interdira que par précaution alors que pour le Rif elle reste interdite en toute hypothèse.

[24] C’est l’analyse du Beit Yossef.

[25] Yore Dea Siman 241 seif 3 http://beta.hebrewbooks.org/tursa.aspx?a=yd_x6696

[26] Rabbi Moshé Isserles

[27] Plusieurs ouvrages traitent à titre principal de ces problématiques et qui font état de sources multiples : Yalkout Yossef Hilkhot Kiboud av vaem édition de 5761 vol. 2 page 539 et suivantes, Kvod horim du Rav Moshe Paniri, Edition de 5773, Chapitre 13,Psakim outechouvot du Rav Aharon Katz, Edition Feldman 5777, page 101 et suivantes. Les cas traités sont aussi divers que : les soins dentaires, les injections (insuline notamment), prises de sang, ou circoncision par exemple.

[28]Mitsva 33 https://www.sefaria.org/Minchat_Chinukh.33.1?lang=he

[29] L’analyse développée ici est essentiellement issue du commentaire du Rav Avraham Erlanger « Birkat Avraham » sur Sanhedrin http://beta.hebrewbooks.org/reader/reader.aspx?sfid=47576#p=282&fitMode=fitwidth&hlts=&ocr=

[30] Mitsva 33 https://www.sefaria.org/Sefer_HaChinukh.33?lang=he

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