Rosh HaShana, la Debékout.
par: Rav Gerard ZyzekPublié le 28 Septembre 2023
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Nous trouvons souvent dans les œuvres du Maharal la notion de דביקות, Debékout, que nous pourrions traduire par ‘être collé à D.’. Cette notion est en fait une notion centrale de la Torah, comme nous le voyons dans le verset (Devarim 4,4) :
ואתם הדבקים בה’ אלקיכם חיים כולכם היום
« Et vous qui êtes collés à l’Eternel votre D., vous êtes tous vivants aujourd’hui ».
Cependant, malgré la dimension centrale de cette notion, force est de constater qu’elle nous échappe complètement.
Néanmoins en étudiant en groupe une Drasha de Rav Shlomo Zalman Shneersohn, second Rabbi de Kaputs, sur Rosh HaShana dans son livre Maguen Avot, il nous semble que nous pourrons définir avec une certaine précision de quoi il s’agit. Nous traduisons cet enseignement en y intégrant nos développements.
Nos Maîtres nous enseignent (Traité Rosh HaShana 16a) : אמרו לפני מלכויות כדי שתמליכוני עליכם…ובמה בשופר, ‘Dites devant Moi des Malkhouyot pour que Je règne sur vous, (…) et avec quoi règnerai-Je ? Avec le Shofar.’
[Les Sages ont institué que l’on dise dix versets qui proclament que D. est roi sur Sa Création durant la prière de Moussaf de Rosh HaShana, cela s’appelle Malkhouyot, ‘royautés’]
Il nous faut comprendre en quoi est-ce de manière précise que le Shofar amène la dimension de royauté.
[Rosh HaShana est la fête où nous déclarons que D. est roi, Mélèkh, מלך. Et d’ailleurs les Anshé Knésset HaGuedola qui ont rédigé la prière ont institué que l’on dise entre Rosh HaShana et Yom Kippour המלך הקדוש, le roi Kadosh, lors de la troisième bénédiction du Shemoné Essré, à la place de האל הקדוש, le D. Kadosh. Une des thématiques de l’étude présente sera de définir autant que faire se peut cette dimension de royauté qui a priori nous échappe totalement [1]]
Un développement important est nécessaire pour répondre à notre question.
I. מלכותך מלכות כל עולמים, ‘Ta royauté, royauté de tous les mondes’.
Le verset dit (Téhilim 145,13) :
מלכותך מלכות כל עולמים
« Ta royauté, royauté de tous les mondes »
Ce verset est connu. Nous le disons dans la liturgie quotidienne trois fois par jour. Le Maguen Avot va en donner une lecture précise et mettre en relief l’inédit qu’il y a dans ce verset.
Le terme hébraïque pour dire ‘monde’ est עולם, Olam. La racine de ce mot est העלם, HaHélèm, qui signifie ‘disparaître’, ‘échapper’, comme nous le voyons dans le verset (Vayikra 4,13) ונעלם דבר, « une chose a échappé ». Nous voyons souvent dans les versets que le mot עלם, Elèm, signifie ‘adolescent’, comme nous le voyons dans (Shemouel I,17,56) בן מי זה העלם, « ce jeune homme est le fils de qui ? ». Quel est le rapport entre un jeune homme et la racine Elèm ? Nous proposons de dire qu’un jeune homme, un adolescent, fondamentalement nous échappe.
Si c’est ainsi pourquoi le terme pour dire ‘monde’ en hébreu vient de cette racine qui signifie ‘échapper’, ‘disparaître’ ? Bien au contraire, s’il y a bien quelque chose de tangible c’est bien ce monde que je peux palper, toucher et auquel je peux me cogner !
Il nous faut répondre de la manière suivante.
Le fait même que ce monde soit tangible et ait l’air d’exister en tant que tel, indépendamment de toute origine, est la disparition même de son origine. L’existence du monde est la disparition même de D. quelque part. Le monde est structurellement une disparition.
Et lorsque le roi David dit dans les Téhilim « Ta royauté, royauté de tous les mondes », il ouvre par cela une énigme : D. est roi des mondes, de toute réalité qui a l’air d’exister sans Lui [2]. Mais comment ?
Avançons d’une étape.
II. ‘Avant que le monde ne soit créé, Il était Lui et Son Nom seul’ (Pirké de Rabbi Eliezer chapitre 3)
Nos Maîtres nous enseignent (Pirké de Rabbi Eliezer chapitre 3) :
עד שלא נברא העולם היה הוא ושמו בלבד.
‘Avant que le monde ne soit créé, Il était Lui et Son Nom seul’.
Là aussi nous aurions tendance à aborder cette phrase comme une assertion théologique pompeuse. Le Maguen Avot va nous éduquer à comprendre que ces enseignements des ‘Hakhamim sont très précis et nous enseignent des choses précises. Quelques préliminaires sont nécessaires pour pouvoir analyser cet enseignement du Pirké de Rabbi Eliezer.
Notre Tradition nous enseigne qu’il y a quatre mondes, du supérieur à l’inférieur [3]:
עולם האצלות, Olam HaAtsélout, le monde de l’émanation.
עולם הבריאה, Olam HaBeriah, le monde de la création.
עולם היצירה, Olam HaYetsira, le monde du façonnement.
עולם העשיה, Olam HaHassiah, le monde de l’action [4].
Ceci étant posé nous pouvons lire ainsi cet enseignement du Pirké de Rabbi Eliezer :
‘Avant que le monde ne soit créé’, ceci signifie qu’avant le monde de la création, c’est-à-dire au niveau du monde de l’émanation, D. est seul ainsi que Son Nom.
C’est-à-dire qu’au niveau du monde de l’émanation, au début de toute émanation, il y avait l’essence, si nous pouvons nous exprimer ainsi, de Celui dont vient toute émanation, toute Atsélout, et Son Nom c’est-à-dire le Tétragramme, qui est la globalité des dix Sefirot au niveau du monde de Atsélout, seulement, car alors aucune réalité était séparée de la Divinité, car au niveau d’Atsélout tout est Divinité véritablement.
Arrêt sur image. Il ne faut pas se laisser décontenancer par cette terminologie. La problématique est la suivante, si nous pouvons nous exprimer ainsi :
La base de notre Tradition est que D. est Un. Cela signifie qu’il y a une unité intime entre D. qui est infini absolu et toute réalité. Mais quel lien y a-t-il entre par exemple le monde que nous connaissons, bizarre, étonnant, souvent merveilleux et aussi plein de bêtises, d’injustices, de bassesses et l’infini de D. ? Les idolâtres ne se cassent pas la tête, ils affirment qu’il n’y a aucun lien. Certes mais ce n’est pas notre part, à nous les enfants d’Israël, descendants d’Avraham, Its’hak et Yaakov. Notre Tradition nous transmet qu’il y a une השתלשלות, un enchainement de mondes, des plus spirituels jusqu’à notre monde matériel, par lequel l’infini et la lumière de cet infini se déploie d’un monde à un autre monde.
Donc il nous faut lire cet enseignement du Pirké de Rabbi Eliezer de la manière suivante : avant qu’il n’y ait eu le monde de Beriah, de la création, donc au niveau du monde d’Atsélout il y avait, si nous pouvons nous exprimer ainsi, l’essence de D. et Sa première émanation, les dix sphères d’émanation [5], dans une union parfaite. En effet au niveau du monde d’Atsélout il n’y a aucune séparation. Mais pour qu’existent les mondes des êtres créés de Beriah, Yetsirah et d’Assiah, de manière à ce qu’apparaisse une existence, un יש, un ‘il y a’, et quelque chose de séparé, il fallut qu’il y ait une rétractation, un צמצום, un Tsimsoum, et une certaine disparition dans le flux de la lumière de l’Infini ברוך הוא de manière qu’il n’y ait que le dévoilement de la dimension de Malkhout, de royauté de D. . C’est-à-dire que ne se dévoilent pas les dimensions supérieures qui sont au-dessus de la dimension de royauté de manière que ne se dévoile que la dimension de royauté seule [6]. En effet s’il y avait le dévoilement de la dimension de la ‘Hokhma supérieure, de la connaissance supérieure, Ko’ah Ma, כח מ »ה, il n’y aurait qu’annulation absolue et n’existerait pas la dimension de Monde, Olam, exprimée par les deux dernières lettres du Tétragramme.
[Dans les dix Sefirot, la seconde Sefira supérieure est appelée Hokhma, ‘connaissance’. Les lettres de ce mot Hokhma, חכמה, peuvent se permuter en Koa’h Ma, כח מה. Cette expression peut se traduire par ‘force de question’, capacité de poser une question]
(…)
Cette rétractation, Tsimtsoum, et cette disparition ne sont que par rapport aux mondes, mais par rapport à D., HaKadosh Baroukh Hou, il n’y a aucun changement, comme dit le verset (Téhilim 139,12) :
גם חושך לא יחשיך ממך
« Aussi l’obscurité n’obscurcira pas de Toi »
[Là aussi le Maguen Avot va lire ce verset de manière extrêmement précise : de Toi, c’est-à-dire de Ton point de vue, si nous pouvons nous exprimer ainsi, il n’y a pas d’obscurité. Mais que signifie le terme ‘obscurité’ ? C’est ce qu’il va définir maintenant]
L’obscurité, חושך, c’est la dimension que nous pourrions appeler ‘nuit’. Le monde d’Atsélout est appelé ‘dimension de jour’ car y resplendit le soleil du Tétragramme, en cela que le Tétragramme y est Un. Par contre les mondes de Beriah, Yetsirah et d’Assiah sont appelés ‘nuit’ car disparait et se cache le Nom Tétragramme. Mais cette disparition n’est que par rapport aux mondes qui sont appelés Olam dans le sens de disparition justement, mais du point de vue d’HaKadosh Baroukh Hou même l’obscurité de la dimension ‘nuit’ de Beriah, Yetsirah, Assiah n’obscurcit rien du tout, comme dit le verset (Téhilim 74,15) :
לך יום אף לך לילה
« A Toi le jour, aussi à Toi la nuit »
Ce que nos Maîtres traduisent (Béréshit Rabba chapitre 6,§2) : ‘De la même manière que Tu es maître du jour, de même es-Tu maître de la nuit’. La lecture première de ce Midrash nous étonne : cela parait une évidence, d’où pourrais-tu penser que le jour serait plus sous le magistère de D. que la nuit ? Quel est le problème ?
Il faut comprendre que la dimension appelée ‘jour’ représente le monde d’Atsélout qui est le monde de l’unité parfaite comme nous l’enseigne le Tikouné Zohar (introduction 3b) : איהו וגרמוהי חד, ‘Lui et Son Être sont un’ [7]. Par contre la dimension appelée ‘nuit’ représente les mondes Beriah, Yetsirah, Assiah, désignés sous l’acronyme Bya, au sujet desquels le verset dit (Béréshit 2,10) : ומשם יפרד, « et de là se sépare », ce sont les mondes de la séparation. C’est pour cela que le verset dit « A Toi le jour, aussi à Toi la nuit » pour nous dire que même la nuit est en Ton pouvoir. Cela signifie que par rapport à D. même les mondes Bya sont en une unité parfaite et absolue en Lui, sans aucune différence par rapport au monde d’Atsélout.
Analysons la notion exprimée dans le verset גם חושך לא יחשיך ממך, « Aussi l’obscurité n’obscurcira pas de Toi ». Un autre verset de Téhilim (104,20) dit : תשת חושך ויהי לילה בו תרמוש כל חיתו יער, « Tu as placé l’obscurité, ce fut la nuit, là grouillent toutes les bêtes sauvages de la forêt ». Les ‘Hakhamim expliquent ce verset de la manière suivante dans le Traité Baba Métsia (83b):
תשת חושך ויהי לילה זה עולם הזה שדומה ללילה. בו תרמוש כל חיתו יער אלו רשעים שדומין לחיתו יער.
‘ « Tu as placé l’obscurité », c’est ce monde-ci qui ressemble à la nuit. « Là grouillent toutes les bêtes sauvages de la forêt », ce sont les impies qui ressemblent aux bêtes sauvages de la forêt.’
Rashi explique : אלו רשעים שבו, שמניחין להן יכולת להלך ברשעם ואין נפרעין מהם , ‘ce sont les impies, on les laisse aller dans leur impiété et on ne leur demande pas de comptes’.
[Là commence véritablement notre étude car se met à jour une problématique existentielle. Les ‘Hakhamim disent que ce monde-ci dans lequel nous vivons ressemble à la nuit dans laquelle pullulent les bêtes sauvages. Il y a ici un enseignement fondamental. Nous sommes toujours étonnés par les exactions et les actes aberrants que peuvent faire nos contemporains. Les ‘Hakhamim nous disent que c’est normal. Il est juste d’être choqué, mais être étonné dénote un manque de sagesse et d’analyse. Le monde dans lequel nous sommes parait laissé à lui-même, et être la proie de la loi du plus fort ou de la lutte pour la survie. Nous pouvons aussi affirmer que l’angoisse existentielle s’impose et qu’il est légitime de souffrir de cette impiété. Les idolâtres ont trouvé la solution en nous abrutissant avec ce que les Romains appellent ‘panem et circences’, ‘du pain et des jeux’]
Le Tania enseigne (chapitre 6) : כל מעשה עולם הזה קשים ורעים והרשעים גוברים בו, ‘les actes de ce monde-ci sont durs, mauvais, les impies y ont la mainmise’. Si nous voulons comprendre cette notion de « Tu as placé l’obscurité », il nous faut aborder les choses de la manière suivante : tout l’influx de vie dans ce monde-ci vient par le biais d’un habit appelé ‘habit de sac’ qui obscurcit et recouvre toute Elokout, tout éclat de D., de telle manière que n’y est pas perceptible toute vitalité qui viendrait de D. mais au contraire le monde suit son cours naturel. עולם כמנהגו נוהג, ‘le monde suit son cours’.
Mais le verset nous dit גם חושך לא יחשיך ממך, « Aussi l’obscurité n’obscurcira pas de Toi ». C’est-à-dire que l’obscurité la plus extrême de ce monde-ci matériel n’est pas obscurité du point de vue de D., comme les Maîtres de la Grande Assemblée l’ont rédigé dans le texte de la prière du matin : אתה הוא ראשון ואתה הוא אחרון, ‘Tu es Toi premier et tu es Toi dernier ‘. ‘Tu es Toi premier’, ceci est le dévoilement de l’unité véritable de D. dans ce que l’on pourrait appeler כתר עליון, Keter Elion, ‘la couronne supérieure’ [8]. ‘Et tu es Toi dernier ‘, c’est l’extrême de l’habillement de la ligne de lumière dans la dimension de Malkhout de Malkhout de Assiah, qui représente ce monde-ci matériel.
[La lumière de L’infini s’infiltre quelque part même dans les dimensions les plus éloignées de cet infini par le biais de ce que l’on pourrait appeler ‘un trait de lumière’. Assiah est le monde le plus concret, et sa dimension extrême est ce que traditionnellement on appelle Malkhout, ici appelée Malkhout de Malkhout, que l’on traduit par ‘royauté de royauté’. Cette dimension de royauté est le cœur de notre sujet, puisqu’à Rosh HaShana nous proclamons la royauté de D., ou bien à Rosh HaShana se dévoile la royauté de D. . Comme nous l’avons vu plus haut, la royauté est cette dimension du monde qui a l’air de fonctionner pour lui-même. Le monde est là. La question qui se pose justement est qui est roi ? Qui a le pouvoir ? Est-ce moi qui ait le pouvoir ? La question se pose aussi : qu’est-ce que le pouvoir ?]
III. Le début du dévoilement de la Royauté.
Par rapport à HaKadosh Baroukh Hou, même au niveau de Malkhout de Malkhout de Assiah, il y a une proximité et une unité absolue, identiques au niveau de Keter Elion, de ‘la couronne supérieure’. C’est ce que nos Maîtres ont synthétisé dans la phrase de la prière :אתה הוא ראשון ואתה הוא אחרון, ‘Tu es premier et tu es Toi dernier ‘, ce qui est à comprendre au niveau précis. La suite de la phrase de la prière dit : ומבלעדיך אין לנו מלך , ‘Et indépendamment de Toi nous n’avons pas de Roi’. A comprendre dans le sens : même Malkhout de Malkhout de Assiah ne peut exister indépendamment de Toi. C’est-à-dire que toute réalité est avec Toi absolument, comme l’exprime une autre phrase de la prière de Sha’harit : המלך המרומם לבדו מאז, ‘le roi en majesté seul depuis alors’. C’est-à-dire qu’Il est dans une dimension de Solitude, seul, comme ‘alors’, avant que le monde ne soit créé, bien que « Ta royauté soit royauté de tous les mondes », מלכותך מלכות כל עולמים.
Ici se met en place une distinction entre le Roi et la Royauté, entre Mélèkh et Malkhout, et ce point est le cœur de notre sujet.
Malkhout, royauté, est le déploiement de la majesté du roi en cela que son nom est prononcé sur son royaume. C’est le royaume de tel roi. Le roi, c’est le roi lui-même, son essence. (…) Le Roi est dans Sa majesté, seul, même maintenant, exactement comme avant qu’il n’y ait le monde de Beriah où il n’y avait que Lui et Son Nom seulement (voir début du paragraphe précédent). Ceci est la dimension appelée ‘roi’.
Maintenant ce que se déploie le dévoilement de la dimension de royauté de D. il faut l’aborder à la manière de ce que le verset dit (Téhilim 93,1) : ה’ מלך גאות לבש, ‘D. a voulu régner, Il s’est habillé de majesté’.
[Bien évidemment, ces termes de roi, de royauté et de majesté, nous laissent un peu froids, nous les contemporains de l’ère de l’Intelligence Artificielle. Néanmoins ne nous laissons pas effaroucher car ils sous-entendent de grandes problématiques qui nous concernent dans notre vie la plus intime.]
C’est-à-dire que quelque part il y eut un habillement dans un habit de majesté pour que Son nom de roi soit proclamé. Est monté dans Sa volonté de faire disparaître et de cacher la lumière et l’influx de la lumière de l’Infini de manière à ce qu’existent les mondes créés et que ces mondes paraissent visibles, existants et comme autonomes. Et que par la descente et l’enchainement des mondes de niveau en niveau, s’enchaine et existe ce monde-ci matériel qui est le comble de l’obscurité dense et redoublée, dissimulation de D. de manière absolue.
Les âmes, les Néshamot, sont descendues en bas pour s’habiller dans des habits de corps matériels pour recevoir sur elles le joug de la royauté de D. et le joug des Mitsvot dans ce monde-ci matériel de manière à ce que prenne sur elles la dimension de Malkhout, de royauté et que La source de toute émanation, D., soit roi sur un peuple, comme dit le verset (Yishayahou 44,6) : כה אמר ה’ מלך ישראל, « Ainsi a dit D. roi d’Israël ». C’est-à-dire que monta à Sa Volonté supérieure qu’Il y ait un peuple par rapport auquel s’exprime Sa royauté.
[Prenons un exemple simple. Lorsque Shabbat une famille juive pratiquante monte dans l’escalier d’un immeuble plutôt que de prendre l’ascenseur, il est possible qu’une famille non-juive se demande : mais dis-moi pourquoi la famille Cohen ne prend-elle pas l’ascenseur ? Pourquoi prennent-ils l’escalier de secours ? et dans le noir en plus ! Ah c’est par ce que c’est Shabbat ? Ils n’ont pas le droit d’appuyer sur un interrupteur électrique. Mais qui les force à cela ? Il n’y a pas de policiers qui les forcent. C’est parce que leur D. leur a dit de respecter ce jour saint. Il y a un roi au-dessus de ces gens. S’exprime la royauté de D. par Israël, d’où l’expression du verset : « D. roi d’Israël », Il est roi par Israël.]
Ceci lorsque monta Sa volonté simple, Pashout, פשוט : אנא אמלוך , ‘Je règnerai’. Ceci est en vérité Sa volonté supérieure bien au-dessus de la dimension de ‘Hokhma, de connaissance, et de raison.
[Ici nous touchons un point subtil. Nous avons vu au début du second paragraphe de cette étude qu’au niveau de la חכמה עליונה, au niveau de la ‘Hokhma supérieure, de la dimension de la connaissance supérieure, il n’y aurait qu’annulation absolue et n’existerait pas la dimension de Monde, Olam, Le monde, comme nous l’avons expliqué plus haut, exprime l’absence, la disparition de son origine.
Il y a plusieurs aspects à ce que le monde exprime l’absence et la disparition. Le premier aspect est ce que nous avons vu plus haut, le fait que le monde existe. Il est là. Pour lui.
Le deuxième aspect, qui est bien évidemment lié au premier, est que le monde suit son cours, עולם כמנהגו נוהג. Le monde a l’air de suivre ses propres lois. Il y a d’innombrables conséquences à ces deux aspects. Un des points essentiels au niveau de notre vécu est que nous avons l’impression que les choses sont mécaniques. De multiples tentatives ont été faites pour limiter les problèmes humains à des règles mécaniques jusqu’à ce que les Allemands créent une discipline scientifique appelée psychologie. Nous avons vu plus haut qu’un des premiers dévoilements de l’infini de la lumière de D. est la connaissance, appelée ‘Hokhma en hébreu. Les Maîtres de la Kabbala font le jeu de mots ‘Hokhma, חכמה, Koa’h Ma, כח מה. Nous pouvons traduire cette expression par ‘force de questionnement’. La ‘Hokhma ne réside pas dans la capacité d’élaborer des systèmes clos, mais de donner des éléments pour se poser des questions, d’ouvrir ce qui parait bloqué. La vocation du peuple d’Israël, enfants d’Avraham d’Yits’hak et Yaakov, est de relier ce monde où la proximité de son origine est disparue à la lumière de cet infini. Le Maguen Avot nous enseigne que s’il y avait dévoilement de la ‘Hokhma supérieure, de la dimension de la connaissance supérieure, ce monde n’aurait plus d’existence. Le dévoilement de la Malkhout de D., de la royauté, passe par cet éclairage de connaissance, de ‘Hokhma. Une des vocations du peuple d’Israël est d’éveiller à des questionnements, de faire découvrir que les choses ne sont pas mécaniques. De même de découvrir par exemple que les relations humaines ne sont pas définies par des lois, mais par des éléments subtils à découvrir, par du relationnel, de l’inventif. Nos Maîtres synthétisent cela en quelques mots (introduction aux Tikouné Zohar) : מלכות פה תורה שבעל פה,’Une royauté par la bouche, la Torah orale’. C’est-à-dire que le travail continu de la Torah Orale où l’on reformule constamment les paroles de Torah exprime le cœur même de la royauté de D., non par un système policier mais par l’émanation du souffle de nos lèvres.]
(…)
Le verset dit מלכותך מלכות כל עולמים, ‘Ta royauté, royauté de tous les mondes’. A Rosh HaShana, appelé ‘souvenir du premier jour ‘, souvenir de l’intention première de la Création et du désir de la Création, de ce désir : Je serai roi, nous incombe de renouveler cette royauté à l’intérieur des mondes, à l’intérieur de notre monde. Mais non de renouveler la royauté en tant que telle, mais l’intériorité de la royauté en son origine même, comme nous l’enseignent nos Maîtres dans le Traité Rosh HaShana (16a) : ‘Dites devant Moi des Malkhouyot pour que Je règne sur vous’. Il faut comprendre l’expression ‘que je règne sur vous’ au sens strict : que vienne l’intériorité de ma royauté sur les âmes des enfants d’Israël véritablement.
La Guemara demande : ‘mais comment ?’ la réponse : ‘avec le Shofar’.
IV. Le renouveau de l’intériorité de la royauté par le Shofar.
La première Mishna du Traité Rosh HaShana nous enseigne : ‘Le premier jour du mois de Tishri est le Rosh HaShana, premier jour de l’année, pour les années, les Shmitin et les Yovels’.
C’est-à-dire que le premier Tishri est le premier jour pour les comptes des années, pour les Shmitin, les années shabbatiques, où la terre est en jachère, et pour les Yovels, la cinquantième année, appelée Jubilé, où les terres sont en jachère, où les esclaves sont libérés, où les propriétés reviennent à leurs propriétaires initiaux [9].
Il est écrit au sujet du Yovel (Vayikra 25,10) וקידשתם את שנת החמישים שנה, « Vous sanctifierez l’année de la cinquantième année ».
Notre Tradition nous enseigne qu’il y a quarante-neuf portes de la connaissance [10], מ »ט שערי בינה. La cinquantième est au-dessus.
Le Tikouné Zohar (fin du Tikoun 22) enseigne :
כתר עליון דא איהו שלימו דחמישין שערי בינה.
‘Kétèr Elion, la couronne supérieure, c’est l’achèvement des cinquante portes de Bina, de la connaissance.’
Il se trouve donc que les cinquante portes de Bina, de la connaissance, correspondent à la dimension précise de Kétèr Elion, la couronne supérieure.
Le mot Yovel, יובל, signifie ‘retour’, ‘amener’, comme dit le verset (Téhilim 68,30) :
לך יובילו מלכים שי, « A Toi ils amèneront, Yovilou, les rois un cadeau ».
Yovel signifie donc ‘amener’. Les rois amèneront, Yovilou, à Toi. C’est-à-dire que le Yovel amène à Toi, à l’essence de la lumière de l’Infini.
Le Shofar est appelé aussi Yovel dans la Torah, comme nous le trouvons dans le verset (Shemot 19,13) :
במשוך היובל המה יעלו בהר, « Lorsque soufflera le Yovel, ils monteront dans la montagne (de Sinaï)’.
La traduction précise pourrait donner : lorsqu’attire le Yovel, ils monteront dans la montagne. Le Yovel, la corne de Shofar, attire, amène. Le Shofar, ou Yovel, amène de la dimension de la cinquantième porte de Bina qui est Kétèr Elion, la couronne supérieure.
Nous comprenons maintenant de manière extrêmement précise la réponse de la Guemara : ‘avec quoi ? avec le Shofar’.
En d’autres termes : par le biais du Shofar, on amène un dévoilement de la dimension de royauté de D., depuis la source de la dimension supérieure de la Couronne même de Ta royauté.
V. La spécificité du Shofar.
Il nous reste à comprendre en quoi le Shofar est appelé Yovel, en cela qu’il amène et éveille depuis la dimension de כתר עליון, de Kétèr Elion, du début de l’Emanation, de la Atsélout, de la dimension de l’unité parfaite où D. et Son Nom sont dans une unité parfaite.
Il est écrit (Téhilim 130,1) :
ממעמקים קראתיך ה’.
‘Des profondeurs je T’ai appelé HaShem.’
Pourquoi le verset dit-il « des profondeurs », et non « de la profondeur » au singulier ? C’est qu’il y a deux sortes de profondeurs, עומקא דכולא ועומקא דבירא, ‘la profondeur globale et la profondeur du trou’. Il y a deux démarches, une globale qui vient indépendamment de la démarche de l’homme, et l’une qui vient de sa démarche, de son éveil.
Lorsque l’homme approfondit dans son cœur et fait émerger en lui l’amertume d’être loin de D., d’être loin de l’océan de la connaissance véritable, et se trouve en son cachot sec de toute connaissance, alors il arrive à une dimension d’intériorité de son cœur qui est au-dessus de la ‘Hokhma et du Daat, de חכמה ודעת. L’extériorité du cœur vient de חכמה ודעת, de la connaissance et du discernement, c’est pourquoi cette connaissance peut s’habiller dans des mots et une parole car la parole vient de la ‘Hokhma. Mais l’intériorité du cœur est supérieure à la ‘Hokhma et est incapable de s’habiller dans les lettres de la parole, seulement par un cri du cœur, comme dit le verset (Eikha 2,18) צעק לבם, « Que leur cœur crie ! ». C’est le cœur qui crie. C’est-à-dire un son simple, primaire. Et le trou trouve sa profondeur et se transforme en puits d’où jaillit de l’eau vive, באר מים חיים . Et de cette profondeur primordiale qui vient de l’homme se dévoile une profondeur globale qui vient d’en haut, d’au-dessus de la Connaissance supérieure.
Nous pouvons relire le verset : « Des profondeurs je T’appelle HaShem ». Des profondeurs, des deux profondeurs, d’abord de la profondeur de mon cœur, et ensuite que s’éveille la profondeur supérieure, alors se dévoile HaShem, le Nom complet dans Son monde.
Nous avions vu plus haut que du point de vue de D. Sa royauté est inchangée que ce soit avant le monde de Beriah ou dans les mondes de Yetsirah et Assiah. Mais par l’œuvre de la profondeur du trou, se dévoile la proximité intense des êtres créés avec leur Créateur.
Ceci est la dimension du Shofar qui est un son simple, primaire, qui est incapable de s’habiller dans des mots et une parole et qui par ce biais amène la dimension de profondeur supérieure qui est au-dessus de toute connaissance, et par laquelle se dévoile dans le monde le plus bas la royauté parfaite de son origine.
(Nous proposons maintenant notre développement à partir de l’enseignement du Maguen Avot)
Nous avons vu plus haut que la ‘Hokhma, la connaissance, est un des premiers dévoilements ou émanations de la lumière de l’Infini. Et que par le foisonnement de la connaissance et sa capacité de nous éveiller à des questions, le monde se connecte à un dévoilement de la royauté de D., se connecte à un début, à un Béréshit [11]. Néanmoins nous avons vu que si la connaissance, la ‘Hokhma, est un des premiers dévoilements de cette lumière de l’Infini, elle n’en est pas le premier dévoilement. Il y a encore une certaine distance. Le Kétèr Elion, la couronne supérieure, l’expression la plus forte de la royauté du מאציל, de la source de toute émanation, est supérieure à la dimension de la ‘Hokhma. Traditionnellement il y a avant Rosh HaShana un mois de préparation à cette grande fête, le mois d’Elloul. Ce mois pendant lequel nous avons la coutume de souffler du Shofar tous les matins et de dire des Sli’hot, est là pour que nous nous préparions et que nous éveillions en nous quelle est notre attente dans notre vie. Nos Maîtres ont institué de lire durant cette période le Téhilim 27 dans lequel se trouve le verset 4 :
אחת שאלתי מאת ה’ אותה אבקש שבתי בבית ה’ כל ימי חיי לחזות בנועם ה’ ולבקר בהיכלו.
‘Une chose j’ai demandé d’HaShem, c’est cela que je quémande : ah si je pouvais m’asseoir dans la maison d’HaShem tous les jours de ma vie, voir l’agréable de D., et fréquenter Son sanctuaire ! ».
J’en ai assez de tourner toute ma vie. Je suis dans un trou vide d’eau, j’ai soif et je n’ai pas d’eau. Donne-moi que je puisse m’asseoir et étudier ta connaissance infinie. Ah comme je souffre de ne rien comprendre.
La profondeur du cœur, c’est la profondeur d’une citerne vide d’eau. Si j’approfondis dans mon cœur, alors je pleure d’être loin d’HaShem, loin de comprendre. Je pleure que ma vie n’a pas de sens. Lorsque j’approfondis dans mon cœur, j’atteins cette עומקא דבירא, cette ‘profondeur du trou’, qui atteint la première émanation de la lumière de l’Infini.
VI. La vertu du pleur à Rosh HaShana.
Rabbi Yishaya Horowitz, dans son ouvrage le Shné Lou’hot HaBrit, au début de la section appelée Massékhet Rosh haShana, rapporte au nom d’un élève de Rav Yits’hak Louria :
‘Le Rav (Yits’hak Louria) avait l’habitude de pleurer à Rosh HaShana et Yom Kippour. Il disait que celui qui ne pleure pas, son âme n’est pas bonne et parfaite, אין נשמתו טובה ושלמה’.
Quelle est la vertu du pleur dans le service d’HaShem ?
Rav Mena’hem Schlanger dans son ouvrage sublime ‘Ohèl Ra’hel rapporte (page 92) un Midrash qui peut nous indiquer une démarche (Béréshit Rabba chapitre 5,§1 ; chapitre 25,§2).
‘Au début de la création du monde, la glorification de D. ne venait que des eaux, comme dit le verset (Téhilim 93,4) « A partir [12] des voix des eaux nombreuses puissantes tumultueuses », et que disent ces eaux ? « Puissant dans les cieux est HaShem ».
D. s’est dit : si déjà ces créatures qui n’ont ni bouche ni parole ainsi me glorifient-elles, si je crée l’homme (doué de parole) raison de plus que je recevrai de louanges !
La génération du Déluge se leva et se révolta contre D. (…).
D. alors dit ; que disparaissent ceux-ci et que reviennent ceux qui les ont précédés, comme dit le verset (Béréshit 4,12) « Il y eut la pluie sur la terre durant quarante jours » (c’est-à-dire qu’il y eut le retour de l’eau).’
L’eau efface, use, abrase toute forme distincte. L’humain, pinacle de la Création, s’imagine qu’il est autonome. Et ainsi se perçoit-il en fait. Il a une structure, Tsoura en hébreu, צורה. L’eau efface toute Tsoura, abrase toute Tsoura.
Ce monde est source d’impureté en cela qu’il se perçoit comme existant en soi, pour lui-même. Le Mikve, bain rituel, et la source génèrent la pureté, comme dit le verset (Vayikra 11,36) אך מעין ובור מקוה מים יהיה טהור , « Seulement une source et une citerne de concentration d’eau sera pureté ». L’homme s’y émerge et fait un avec l’eau.
De même la personne qui est anéantie et submergée par sa détresse d’être loin de la connaissance, et de ce fait loin de D., et pleure, accède et fait accéder le monde à sa source première, à la Couronne supérieure.
Et c’est ainsi que le Shofar, cri de détresse d’être loin de la connaissance et de D., amène la royauté de D. en Ses mondes.
[Il nous parait vital de mettre en relief que le degré supérieur de la connaissance s’atteint lorsque s’introduit une dimension émotionnelle et existentielle à cette connaissance.]
VII. La Debékout, דביקות.
Nous avons vu plus haut dans le second paragraphe de cette étude l’analyse du verset « Aussi l’obscurité n’obscurcira pas de Toi ». C’est-à-dire que bien que les mondes Beriah, Yetsirah, Assiah paraissent dans l’obscurité, mais du point de vue de D. la situation est inchangée, et reste dans une intimité et une unité intense comme avant la création. Par contre nous, nous percevons que nous sommes dans un monde qui procède pour lui-même, déconnecté de sa source.
Lorsque les enfants d’Israël soufflent du Shofar et entendent sa voix le jour de Rosh HaShana, ils approfondissent la profondeur du trou et dévoilent cette proximité du roi avec Sa royauté. C’est comme si la création collait avec la source de cette création. C’est ce que nos Maîtres appellent Debékout. Nous trouvons fréquemment cette expression dans les textes du Maharal de Prague, mais elle nous était toujours hermétique. Il nous semble que ce commentaire du Maguen Avot nous aide à y donner un contenu précis.
VIII. Pourquoi ne souffle-t-on pas du Shofar si Rosh HaShana tombe le jour de Shabbat ?
La Mishna, au début du troisième chapitre du Traité Rosh HaShana (29b) nous enseigne :
יום טוב של ראש השנה שחל להיות בשבת במקדש תוקעים אבל לא במדינה.
‘Si le jour de fête de Rosh HaShana tombait le jour de Shabbat, au Temple de Jérusalem on soufflait du Shofar, mais pas hors du Temple.’
La Torah (Vayikra 23,24 et Bamidbar 29,1) nous enjoint de souffler du Shofar le premier jour du septième mois de l’année, Rosh HaShana. La Mishna nous enseigne que si ce jour de Rosh HaShana coïncide avec le jour de Shabbat on ne souffle pas du Shofar, sauf au Temple de Jérusalem.
La Guemara afférente prouve que fondamentalement il est tout à fait permis de souffler du Shofar le jour de Shabbat. Souffler du Shofar nécessite une compétence mais n’est pas un travail prohibé le jour de Shabbat. Si c’est ainsi, pourquoi la Mishna nous enseigne-t-elle qu’il est interdit de souffler du Shofar le jour de Rosh HaShana qui tombe Shabbat ? Et si c’est interdit, pourquoi serait-ce permis à l’intérieur du Temple de Jérusalem ?
La Guemara répond au nom de Rabba qu’étant donné justement qu’il faut une compétence pour pouvoir souffler du Shofar, le jour de Shabbat il y a lieu de craindre que quelqu’un ne prenne le Shofar dans sa main et l’amène chez un expert pour qu’il lui apprenne comment souffler et qu’il déplace ce Shofar quatre coudées dans le domaine public, ce qui est interdit le jour de Shabbat. Rashi explique que les Sages n’instituent pas de telles interdits rabbiniques au sein du Temple, en vertu du principe : אין איסור מדרבן במקדש, ‘Il n’y a pas d’interdit rabbinique de protection du Shabbat au Temple (Traité Bétsa 11b)’.
Le Sod Yésharim de Rabbi Guershon Héinikh Leiner, Rabbi de Radzin, au quinzième Maamar sur la fête de Rosh HaShana, reprend cette explication de la Guemara en en donnant la lecture suivante [13].
Rosh HaShana commémore le premier jour de l’année, nous renvoie au début de la Création du Monde. Or dire qu’il y a eu une création implique qu’il y a une césure entre le Créateur et Sa créature, une coupure quelque part.
Et c’est ce jour de Rosh HaShana que nous avons ce commandement précis de souffler du Shofar. Ce commandement, cette Mitsva, consiste à exprimer par notre souffle un son simple. Ce son, par notre souffle, par notre acte, relie toute la réalité terrestre et humaine à son origine supérieure. En effet le verset (Béréshit 2,7) dit que D. a insufflé en l’homme un souffle vivant, Nishmat ‘Haïm. Par l’acte de Mitsva exprimé par notre souffle, nous remontons à l’origine de ce souffle, Celui qui nous l’a insufflé. Par l’acte de souffler du Shofar, je reconnecte ma réalité apparemment autonome à son origine. Il y a une dimension créatrice par cet acte de Mitsva.
Mais le jour de Shabbat, toutes les actions de l’homme sont annulées. Ce que nous avons à faire le jour de Shabbat c’est de découvrir que quoi que nous fassions, toute la réalité est l’expression de la volonté parfaite de D. . Si je souffle du Shofar le jour de Shabbat, je m’illusionnerais à penser que si ma réalité est reliée par ce son au Créateur, c’est par mon libre choix et par ma libre action, or ce serait quelque part le contraire de la Sainteté du Shabbat [14], qui est la perception de l’annulation des actes de l’homme. C’est comme si je portais atteinte à la Sainteté de ce jour. Par contre la Sainteté du Temple, du Mikdash, est différente de la Sainteté du Shabbat. D’un côté le Temple, le Mikdash, est appelé dans la Torah (Devarim 12,11) : ‘l’endroit que D. choisira’, המקום אשר יבחר ה’. Or les Sages disent (Traité Ketoubot 5a) que le Mikdash est l’œuvre des mains des Justes. Le Temple est l’œuvre de D. ou l’œuvre des hommes ?
Le Temple est la perception explicite que l’acte absolument libre de l’homme est l’expression parfaite d’une volonté qui le dépasse. C’est pourquoi l’acte de Mitsva de souffler du Shofar, et de créer du neuf par ce soufflement, n’est pas une contradiction ni un affront à la Sainteté du Shabbat au sein du Mikdash.
Pour synthétiser ce commentaire extrêmement profond, souffler du Shofar est l’expression d’un service très investi de l’homme. L’homme, par son service, reconnecte la Création à Son créateur. Or le jour de Shabbat, notre investissement est de vivre que tout vient de D.. Souffler du Shofar est quelque part incompatible avec la Sainteté du jour de Shabbat. Néanmoins, et là est l’innovation puissante du Sod Yésharim, au Temple de Jérusalem, dans cette proximité intense avec la Source de la Sainteté, il est possible de percevoir et de vivre que la liberté humaine absolue n’est pas incompatible avec l’omniscience de D., comme nous l’enseigne Rabbi Akiva dans la Mishna du Traité Avot (3,15) : הכל צפוי והרשות נתונה, ‘Tout est prévu et la liberté est donnée’ [15]. Au sein du Temple, dans cette proximité intense avec la Source de toute chose, il est possible d’intérioriser que ma liberté la plus radicale n’est pas contraire avec la volonté et le plan de mon Créateur.
[1] D’autant plus que nous sommes ici au sein de la culture française qui a évincé toute trace de royauté.
[2] Le Maguen Avot nous aide à lire le verset de Téhilim de manière précise. En effet ce verset est connu et nous le récitons trois fois par jour. Nous avons tendance à le réciter de manière machinale sans avoir nullement l’idée de la problématique fondamentale que ce verset soulève : le monde, ou les mondes, qui ont l’air d’exister, d’être là pour eux-mêmes, expriment la royauté de D.. Comment ? Telle est la question.
[3] Attention cette terminologie est nécessaire pour analyser notre sujet et pour nous donner des outils conceptuels. Il ne faut pas prendre ces outils au premier degré. Nos Maîtres parlent de notions dont nous n’avons pas a priori d’expérience. Tout connaisseur de ces sujets vous dira qu’il n’est pas connaisseur. Et à raison, car nous avons reçu cette connaissance et elle n’est pas le fruit de la réflexion humaine. Elle est reçue, donc elle nous dépasse structurellement. C’est pour cela qu’elle s’appelle Kabbala, qui signifie ‘recevoir’.
[4] Ces notions paraissent absconses. Si la personne est patiente, elle pourra découvrir qu’elles recouvrent des réalités précises et définissables, comme nous le verrons un peu dans la suite de cette étude.
[5] Ce que l’on appelle ‘les dix Sefirot’. Neuf supérieures et la Sefira de Malkhout, dite de Royauté qui reçoit l’influx des neuf Sefirot supérieures.
[6] Qui est la dimension inférieure des dix Sefirot.
[7] Attention. Nous n’avons pas la prétention de rendre compte de la profondeur de tous les détails de l’enseignement du Maguen Avot. Néanmoins certains points vont se mettre à jour petit à petit.
[8] En effet dans les dix Sefirot la Sefira supérieure est appelée Keter, ‘couronne’. Dans chacun des quatre mondes se déploie l’enchaînement de ces dix Sefirot. Keter Elion, c’est-à-dire l’émanation première, la ‘couronne supérieure’, appelée כתר עליון, dans le monde d’Atsélout.
[9] Selon certaines conditions.
[10] 49 portes de Bina. Nous traduisons par ‘connaissance’, bien que le terme ici soit Bina et non ‘Hokhma.
[11] Le Targoum Yéroushalmi traduit en araméen le mot Béréshit, premier mot de la Torah, par בחוכמתא, Bé’Houkhmeta, ‘avec ‘Hokhma. Lorsqu’il y a un éveil de ‘Hokhma, de connaissance, on ressent que le monde commence, qu’il y a un commencement, une origine au monde, une fraicheur au monde.
[12] Nous savons que la lettre מ’ en préfixe peut signifier ‘depuis’ ou bien ‘plus que’. Le sens simple du verset est ici ‘plus que’, néanmoins ce Midrash l’aborde ici dans le sens de ‘depuis’.
[13] Nous tentons d’en donner notre synthèse.
[14] C’est ainsi qu’il faut comprendre l’enseignement de Rabba dans la Guemara de Rosh HaShana : si je souffle le Shabbat du Shofar, c’est comme si j’outrepassais les limites spécifiques de Shabbat et que je déplaçais le Shofar dans la rue, ce qui est prohibé le Shabbat.
[15] Le détail de cette problématique est détaillé dans notre ouvrage : introduction à Yom Kippour, le Bouc Émissaire.
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