img-book

Psaume 1 : Et si on parlait du bonheur ?

par: Stéphanie Allali-Klein

Publié le 4 Mai 2022

0.00

Quantité :
Revenir au début
Print Friendly, PDF & Email

Il existe un lien intéressant entre les cinq livres de la Torah et les cinq livres de Tehilim : c’est celui du bonheur, le ausher.

En effet, si Moché conclut la Tora par l’idée du bonheur : « Ashreha Israël mikamoha ». « Digne de louanges, es-tu Israël, qui est comme toi ? » (Devarim, 33, 29), David ouvre le livre des Psaumes avec la même idée : « Ashre haïch », « Digne de louanges est l’homme » (Tehilim 1)

Celui qui est heureux est ainsi celui qui est digne de louanges.

Pour le Sforno, D. a créé l’homme pour qu’il connaisse la plénitude en ce monde et dans le monde futur. Ce bonheur étant en lui.

Pour le Messilat Yecharim, il faut garder ce bonheur avec zèle en se préservant des méchants et des fauteurs. Il y a dès lors un aspect éthique dans l’idée du bonheur.

Pour le Malbim, ce bonheur est un succès spirituel. Le ausher n’étant pas la hatslaha, la réussite matérielle. Ce bonheur est celui du monde futur.

Pour le Rav Shimshon Raphaël Hirsch, ausher signifie faire un pas en avant, à savoir progresser dans la Tora.

Que le bonheur soit un état à acquérir, éthique au monde, réussite de l’âme ou attachement à l’étude de la Tora ; le bonheur existe bien dans notre tradition.

Pour le roi David, de manière plus personnelle, le bonheur est cette joie constante qu’il vit au moment où il ramène le sanctuaire à Jérusalem ; il est l’exaltation de sa proximité avec D. Regardons les versets et sa réponse à son épouse Mi’hal qui n’apprécie pas la danse de David avec le peuple, danse qu’elle trouve impudique :

« On vint dire au roi David : L’Eternel a béni la maison d’Obed-Edom et tout ce qui est à lui, à cause de l’arche de Dieu. Et David se mit en route, et il fit monter l’arche de Dieu depuis la maison d’Obed-Edom jusqu’à la cité de David, au milieu des réjouissances.  Quand ceux qui portaient l’arche de l’Eternel eurent fait six pas, on sacrifia un bœuf et un veau gras.  David dansait de toute sa force devant l’Eternel, et il était ceint d’un éphod de lin.  David et toute la maison d’Israël firent monter l’arche de l’Eternel avec des cris de joie et au son des trompettes.

Comme l’arche de l’Eternel entrait dans la cité de David, Mi’hal, fille de Saül, regardait par la fenêtre, et, voyant le roi David sauter et danser devant l’Eternel, elle le méprisa dans son cœur.

Après qu’on eut amené l’arche de l’Eternel, on la mit à sa place au milieu de la tente que David avait dressée pour elle; et David offrit devant l’Eternel des holocaustes et des sacrifices d’actions de grâces.  Quand David eut achevé d’offrir les holocaustes et les sacrifices d’actions de grâces, il bénit le peuple au nom de l’Eternel des armées.  Puis il distribua à tout le peuple, à toute la multitude d’Israël, hommes et femmes, à chacun un pain, une portion de viande et un gâteau de raisins. Et tout le peuple s’en alla, chacun dans sa maison.

David s’en retourna pour bénir sa maison, et Mi’hal, fille de Saül, sortit à sa rencontre. Elle dit : Quel honneur aujourd’hui pour le roi d’Israël de s’être découvert aux yeux des servantes de ses serviteurs, comme se découvrirait un homme de rien !  David répondit à Mi’hal : C’est devant l’Eternel, qui m’a choisi de préférence à ton père et à toute sa maison pour m’établir chef sur le peuple de l’Eternel, sur Israël, c’est devant l’Eternel que j’ai dansé.  Je veux paraître encore plus vil que cela, et m’abaisser à mes propres yeux ; néanmoins je serai en honneur auprès des servantes dont tu parles.  Or Mi’hal, fille de Saül, n’eut point d’enfants jusqu’au jour de sa mort ». (2 Samuel. 6, 12-23)

Dans ce monde ci, il y a trois plénitudes :

Kinian, la possession. Gouf, le corps. Nefech, l’âme. Les deux premiers se trouvent chez l’homme comme chez l’animal. Le dernier est une spécificité de l’homme. Le bonheur peut émerger de ces trois plénitudes.

Le Tehilim 1, dans sa première partie, insiste sur le fait que le bonheur consiste dans l’idée de se détourner de la faute. Analysons les mots des versets :

1 Heureux l’homme qui ne marche pas selon le conseil des méchants, Qui ne s’arrête pas sur la voie des pécheurs, Et qui ne s’assied pas en compagnie des moqueurs,

Mais qui trouve son plaisir dans la loi de l’Éternel, Et qui la médite jour et nuit !

Il est comme un arbre planté près d’un courant d’eau, Qui donne son fruit en sa saison, Et dont le feuillage ne se flétrit point : Tout ce qu’il fait lui réussit.

Il n’en est pas ainsi des méchants : Ils sont comme la paille que le vent dissipe.

C’est pourquoi les méchants ne résistent pas au jour du jugement, Ni les pécheurs dans l’assemblée des justes ;

Car l’Éternel connaît la voie des justes, Et la voie des pécheurs mène à la ruine.

Si le psaume commence par le mot haïch, l’homme, c’est qu’il met en avant l’homme par excellence ; celui qui aspire à quelque chose, qui est en cheminement. Il en est ainsi de l’expression lo alah, ne marche pas. Selon Ibn Ezra, David pointe déjà du doigt les reshaïm (ici traduit par méchants) qui ne sont jamais assouvis.

Selon Isaï 57, 20 : les reshaïm sont comme une mer houleuse qui ne peut s’apaiser. Rasha a les mêmes lettres que raash, le bruit turbulent. Le racha est mouvement impulsif et non apaisé.

Pour le Rav Shimshon Raphaël Hirsch, le rasha abandonne volontairement la loi. C’est l’idée du racha de la Haggada : il parle, fait beaucoup de bruit, se fait remarquer, et montre bien que son seul désir est de rejeter la loi. Le ‘Hoté, le fauteur (ici, traduit par pêcheur), est celui qui manque son but, qui s’égare.

Il pense aussi que les reshaïm ont une appétence pour l’intellect tandis que les hataïm ont un appétit terrestre ; leurs fautes ont pour cause leurs pulsions.

Les letsim (traduit ici par moqueurs), ne font rien de bien ou de mal. Ils n’étudient pas la Tora. Ibn Ezra les définit comme des railleurs, des moqueurs. Malits signifie interpréter, ils interprètent comme un humoriste, à leur façon. Ils passent d’une idée à une autre. Ils sont orgueilleux et ont un sentiment de supériorité. Lets a comme lettre le lamed qui signifie savant et le tsadik qui signifie le juste. Malitsa signifie une phrase bien tournée. Pour le Rambam, ils commettent de terribles forfaits avec la langue. Rabbi Hanina Ben Teradyon dit : « Lorsque deux personnes sont assises ensemble sans qu’il y ait entre eux des paroles de Torah, ils constituent une assemblée de railleurs » (Avot 3,2)

Ainsi, on comprend que celui qui touche au bonheur est celui qui a comme désir de se perfectionner dans la Torah, dans son approfondissement et son action. La Torah de D. c’est l’aspiration à connaître la Torah. La Torah de l’homme, ce sont ses actes. La chlemout maasse, la plénitude de ses actes, est concentrée dans tout ce qu’il doit faire ou pas, le jour et la nuit.

Il est intéressant d’imaginer que le psalmiste a affiné sa manière de définir les hommes à travers les différentes péripéties qu’il vit dans les livres Samuel 1 et 2 ; en l’occurrence, David s’éloigne ici des Philistins. Les Psaumes ont un contexte : c’est la vie de David et sa vision ancrée dans la texture émotionnelle d’une vie.

Cette texture prend par la suite la forme d’une vision plus théologique, celle de la Providence. Comment est-elle présente dans la nature ? Comme une forme de hashgaha, de surveillance de D. dans le monde.

David est avant tout un berger, qui s’est beaucoup isolé et a beaucoup médité. Cela lui a permis une grande proximité avec D. et avec la nature ; ce qu’on appelle la hitbodedout.

Pour lui, son bonheur vient avant tout de là. Mais cette proximité à D. ; lui a permis d’analyser les hommes. C’est pour cela que dans la seconde partie du psaume, il compare les hommes à des éléments de la nature.

Le tsadik est ke ets chatoul, comme un arbre planté : l’homme qui étudie la Torah est comme un arbre fleurissant, toujours satisfait de son sort.

Pour le Malbim, les rechaïm sont considérés comme natoua, plantés ici-bas de manière enracinée tandis que les tsadikim sont chatoul, replantés parce qu’ils ont aussi planté leur âme dans des sphères supérieures.

L’Homme est un arbre inversé ; son esprit est enraciné en haut, et ses branches, ses bras vont vers là-bas. Sa croissance est donc aussi inversée.

Ce sont dans les hauteurs que nous trouvons sa vitalité. Sa nourriture est en bas mais aussi dans la bouche de D. C’est comme si, le racha en rejetant les lois, ne permettaient pas à son âme de fleurir et de se nourrir de D. Ainsi, il marche à l’envers.

Avec le gan Eden, puis le Michkan, et le Beth haMikdach, on comprend que la Kedoucha ne peut exister partout dans le monde, mais est localisée. Dans le monde du paganisme, au contraire, la sacralisation est partout.

Il faut centraliser la Kedoucha, la maintenir à son endroit. Le tsadik fait sans cesse cet effort de centralisation car il se recentre sans cesse lui aussi, là où il doit être. C’est ce que dit David à Mi’hal, je suis là où je dois être, face à D. et ce, même lorsque je danse avec le peuple. Son rôle de berger lui a appris à se trouver toujours au bon endroit, à s’adapter au monde tout en gardant le lien avec D. C’est cela centraliser la Kedoucha en soi. Être nomade comme le berger permet le juste repère en soi. Ainsi, en est-t-il aussi de Evel ou Moché. Ce sont des êtres qui sont des elionim, des êtres supérieurs auxquels on doit tendre, dont les racines sont plantées dans un lieu de Kedoucha.

Leur cours d’eau peleg est une source intarissable, dont le feuillage ne se fane pas (vealehou lo yebol). Ainsi, même les conversations profanes d’un érudit doivent être entendues, (avoda zara 19a) et tout ce qu’ils font leur réussit (vekol acher yaasse yatsliah )

Le Malbim rajoute que quiconque prend à cœur d’étudier la Torah prospère dans tout ce qu’il entreprend (avoda zara 9b).

.

Puis David différencie le tsadik qui est comme l’arbre, au racha qui est comme de la paille, de l’herbe séchée.

L’herbe ne dure pas longtemps et se renouvelle. Le Malbim explique que son dessein est de renaître de soi. Elle n’aide au renouvellement de rien d’autre.

L’arbre vit de nombreuses années et permet le renouvellement d’autres espèces : les fruits, les fleurs. Il ne reproduit pas de l’identique mais produit autre chose. Il sert à quelque chose. Le haïch est l’homme entier qui vit le bonheur de l’arbre de servir à quelque chose et d’être intarissable.

Le racha est comme l’herbe qui ne reproduit que du même car il n’aspire pas à donner. Son intérêt est la fusion, son obsession est de savoir quelle trace il va laisser de lui. Son seul but est la préservation de l’espèce comme l’herbe dont le seul but est de donner sa force à l’herbe suivante.

L’homme devient un arbre quand il produit des fruits différents de lui ; le tsadik produit de l’autre, il est chatoul, planté à sa place et dans une autre place, celle de son avenir. Il peut se déraciner et s’enraciner ailleurs, il va dans le monde, et même dans un endroit sec va s’inquiéter de faire des fruits. Le racha produit du même, et reste donc planté, natoua, à la même place sans durer très longtemps. Il fait du sur place, se sédentarise. Ils sont comme la paille qui pourchasse le vent, Ki im kamots acher tidfenou rouah.

Rav Shimshon Raphaël Hirsch met en avant que mouts, matsaf (paille) a la même étymologie que sucer : l’existence du méchant est ainsi vidée de toute signification.

Rav Dessler rajoute que la moindre bourrasque renversera leur illusion de tranquillité et les laissera en suspens, sans attaches et sans certitudes.

Pour le Malbim les reshaïm ne se relèveront pas pour être jugés ; les hataïm se lèveront pour être jugés, mais ne mériteront pas de faire partie de l’assemblée des vertueux.

Dure malédiction ou prédiction, pour le racha.

Mais si la question est ici avant tout l’idée du bonheur, il semble venir de celui qui mesure à la bonne heure, au bon moment la satisfaction d’accepter d’être au bon endroit, à la juste place. De celui qui, quelles que soient ses racines, ne se projette que dans ses futurs fruits, ne s’élabore qu’à partir d’eux. De celui qui ne rejette pas sa proximité à D., ne cherche pas à déranger l’autre mais plutôt à l’accompagner, à l’aider et à l’épauler.

Le bonheur comme la simplicité d’être quelqu’un de bien.

Voir l'auteur
avatar-author
1983
Enseignante

“Psaume 1 : Et si on parlait du bonheur ?”

Il n'y a pas encore de commentaire.