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Partir au combat

par: Joël Gozlan

Publié le 31 Aout 2022

Librement inspiré d’une étude avec Philippe Zerbib.

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Le peuple juif est un peuple d’étude et non de confrontations… La terre d’Israël est d’ailleurs toute petite, bien loin des dimensions et aspirations des empires des Nations.

De nombreuses guerres ont été néanmoins menées par le peuple d’Israël, guerres prévues par la Torah et à ce titre, encadrées de façon précise par le texte et nos ‘Hakhamim.

On en distincte deux types.

Les premières sont les guerres « obligatoires » ou guerres de Mistva (Mil’hemet’Mitsva), confrontations enjointes à l’ensemble du peuple, hommes et femmes confondus. Ces guerres sont essentiellement celles nécessaires à la conquête de la terre d’Israël/Canaan, donnée en héritage par notre Créateur et celle, plus métaphysique –ou non -, que nous devons mener sans cesse contre Amalek, l’ennemi ontologique d’Israël, celui qui refuse toute notion de D.ieu. Une guerre défensive ou préventive est aussi considérée guerre de Mistva.

Les deuxièmes sont des guerres dites de « Rechout » (ou « facultatives »), guerres décidées par le Roi, mais devant être validées par le Cohen Gadol, grand Prêtre, et le Sanhedrin, grand tribunal rabbinique. Ces guerres visent soit à étendre le territoire d’Israël, pour élargir le domaine d’influence de la Torah ou bien développer des ressources économiques.

C’est de ces guerres que traite le chapitre 20 de notre Parasha, et plus particulièrement du rapport que pourrait entretenir le peuple avec la peur de s’engager dans un tel conflit.

Ce chapitre débute par l’injonction du Cohen Gadol vis-à-vis de l’armée d’Israël.

Devarim, 20, 1

Il leur dira: « Quand tu sortiras en guerre contre ton ennemi, et que tu verras cheval et char, un peuple plus nombreux que toi, tu ne les craindras pas car HaChem ton D.ieu est avec toi, qui t’a fait monter du pays d’Egypte… » 

Il y aurait donc un interdit d’avoir peur en cas de guerre « légitime » ! Il s’agit d’un commandement négatif, recensé en tant que tel par Rambam dans son Mishné Tora (« Lois des rois et des guerres », chapitre 8).

La Torah légifère aussi sur nos sentiments… Nous le savons depuis la dixième parole (Tu ne convoiteras pas), mais cette assertion surprenante se confirme ici : la peur devant un ennemi nombreux, serait comme une forme de déni de Ha’Chem, une faute grave… Nous sommes enjoints de surmonter la peur de ce qui est -objectivement- terrifiant, la guerre contre un ennemi plus puissant que soi… Comme s’il nous était interdit de laisser le réel prendre toute la place, ou avoir le dernier mot !

La suite du texte paraît pourtant tempérer cet interdit, ou en tout cas prendre en compte une peur possible, voire légitime, de la part des Bneï-Israël au moment de la guerre.

Devarim 20, 5

Puis les officiers parleront au peuple en disant: « Quel est l’homme qui a bâti une maison et ne l’a pas inauguré? Qu’il aille et retourne à sa maison, de peur qu’il ne meure à la guerre et qu’un autre en prenne possession. Et quel est l’homme qui a planté une vigne et n’en a pas encore profité? Qu’il aille et retourne à sa maison, de peur qu’il ne meure à la guerre et qu’un autre en profite. Et quel est l’homme qui s’est fiancé à une femme et ne l’a pas encore prise? Qu’il aille et retourne à sa maison, de peur qu’il ne meure à la guerre et qu’un autre homme ne la prenne ». 

Les officiers ajouteront au peuple :  « Quel est l’homme qui a peur et a le cœur faible? Qu’il aille et retourne à sa maison, et qu’il ne fasse pas fondre le cœur de ses frères comme son cœur! »

Comment comprendre ? Peut-on avoir peur de la guerre ou est-ce interdit ?

Franchement, on est perdu!

On remarque que dans les 3 premières circonstances amenées par les officiers, la peur de la guerre se lie à une autre peur, celle de voir un autre homme « profiter » ou concrétiser une création en cours d’achèvement, la maison, la vigne, l’union avec l’épouse, peur lue par Rachi comme souffrance de l’âme.

Une première lecture serait que le texte divin énonce d’abord la Mitsva, puis anticipe une limite à ce commandement, liée à une fragilité de l’homme suite à une souffrance de l’âme. Une sorte de vision pragmatique des choses, intégrant l’affect des humains dans la possibilité ou non de réaliser ce commandement difficile.

Cette lecture reste étonnante (la Torah ne nous a pas habitués à de telles « attentions ») et ne permet pas de comprendre la dernière catégorie, celle de l’homme au cœur faible, celui qui a juste peur de partir au combat!

La 5ème Mishna du 8ème chapitre du traité Sota rapporte sur le sujet une Makhloket (controverse) entre Rabbi Akiba et Rabbi Yossi Agualili.

Pour Rabbi Akiba, l’homme qui a peur et a le cœur faible est à prendre au sens littéral, c’est un homme qui ne peut tenir face aux « nœuds » de la guerre (Rachi explique qu’il s’agit des combats rapprochés) et aux épées dégainées de l’ennemi. Dans la continuité de la parole transmise par les officiers, Rabbi Akiba intègre donc lui aussi une peur « innocente », quasi légitime face à la guerre, au moment cette fois des « corps à corps ». Certains hommes ne peuvent juste faire face, il vaut mieux qu’ils rentrent chez eux.

Pour Rabbi Yossi, l’homme au cœur faible est celui qui a peur de ses péchés, et plus exactement à partir des péchés de sa main (« min ha’averot beyado »). Rabbi Yossi reste lui dans la logique de la parole transmise par le Cohen, il ne voit pas la guerre comme un danger (car c’est Ha’Chem qui combat pour le peuple) et si un homme a peur, il doit interroger sa vie et scruter ses péchés. La peur résulte d’une faiblesse dont le point de départ se trouve dans ses propres fautes. Fauter, c’est se fragiliser!

Cette deuxième lecture est audacieuse, mais comment Rabbi Yossi comprend-il alors la mise à l’écart des trois autres catégories d’hommes, ceux « en construction » d’une maison, d’une vigne ou d’une relation conjugale, de peur qu’ils ne meurent à la guerre? Si la guerre n’est pas un danger et s’ils n’ont pas de fautes, qu’ils partent et reviennent indemnes !

Rabbi Yossi explique que ces catégories ne sont en fait là que « pour couvrir » les hommes faibles… Si un homme sort des rangs, on ne saura pas s’il a peur de ses fautes, ou s’il va juste rejoindre sa maison, son champ ou sa fiancée.

Cette proposition est magnifique, la Torah chercherait à tout prix à éviter une honte à la personne faible ou fautive. Tant Rabbi Yossi que Rabbi Akiba nous montrent une Torah proche des hommes, attentive à ses affects, intégrant ses limites et anticipant ses faiblesses.

Une autre lecture peut être proposée. On peut en effet inverser la perspective de l’injonction divine, ou en tout cas ne pas la réduire à une « désertion » légale liée à des circonstances atténuantes (selon Rabbi Akiba), ou à un désir de couvrir l’homme faible (selon Rabbi Yossi). Car le texte dit aussi à ces hommes de revenir chez eux et donc de finir ce qu’ils avaient commencé! Cela peut faire peur, aussi, de grandir, bâtir sa propre maison, se lancer dans le business… Sans parler de prendre une épouse ! Le Maharal de Prague, dans son livre Gour Arié, parle « d’accusateurs » qui viendraient effrayer les hommes, au moment précis de ces achèvements… Certains jeunes pourraient préférer partir au front avec les copains, surtout si Ha’Chem combat pour eux!

Ce que la Torah enjoint à ces hommes « en construction », c’est certes de se soustraire à la guerre, mais c’est avant tout de concrétiser ce qu’ils avaient commencé, et donc de se confronter à leur propre vie et d’en faire quelque chose.

Et pour la Torah, il n’est plus question ici de fuir le combat, mais au contraire, de le mener !!

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