Il était une fois un monsieur qui voulait faire de l’ordre dans la Bible et s’y repérer. La Bible est un très gros livre, qui contient lui-même beaucoup de livres. Donc ce monsieur eut une idée.
Il conçut des chapitres ! Mieux que ça, il décida de séparer en deux, les livres qui étaient un peu trop longs. Ainsi fut fait, et c’est la Bible que vous possédez. C’est génial pour se repérer : vous dites chapitre X verset Y, et on trouve… on dit Samuel 1, ou les Rois 2, Chroniques 1, ou Néhémie (au lieu d’Ezra), cela facilite le repérage. Imaginez-vous sans ces repères !? Cela a été réalisé au moyen-âge. Mais tout cela n’est pas dans la version originale….
Dans la version traditionnelle il existe des « parachiyoth », des paragraphes. Ces paragraphes sont délimités par des espaces qui sont laissés soit en milieu de ligne, soit jusqu’au bout de la ligne. En ouvrant un séfér thora écrit sur parchemin on voit clairement ces espaces. Un espace en milieu de ligne désigne une « paracha sétouma », un paragraphe fermé car l’espace est fermé par l’écriture des deux côtés. Un espace qui se prolonge jusqu’au bout de la ligne désigne une « paracha pétou’ha » un paragraphe ouvert, car cela est ouvert d’un côté. C’est pour cela que dans nos ‘houmachim il y a des lettres « pé » (pour pétou’ha) et « saméh » (pour sétouma ») qui se baladent entre des versets. Mais ces paragraphes ne sont pas numérotés. Ce serait assez complexe car il y a près de 670 parachiyoth dans toute la thora (les 5 livres), contre environ 185 chapitres …
Donc dans la version originale, il n’y a aucun chapitre, il y a un seul livre de Samuel, un seul des Rois, seulement Ezra et pas de Néhémie. En soi ce n’est pas dramatique. Mais à y regarder de plus près, on finit par s’étonner des coupures créés par ces chapitres …. Nous allons en voir un exemple.
Dans notre paracha de Chla’h lekha, le chapitre 14 commence par le verset : « l’assemblée éleva la voix et pleura… ». Cela fait suite à l’annonce des explorateurs qui décourage le peuple d’aller se battre contre des géants, et qui met ainsi à mal tout le projet de monter en Israël. Or si on ne prend en compte que les parachiyoth, il n’y a pas de coupure à ce verset, par contre il y a une coupure au verset 10, puis au verset 26 de ce chapitre. Donc, au lieu de réfléchir à la coupure du chapitre qui n’est pas traditionnelle, il faudrait plutôt considérer les césures traditionnelles.
Mais auparavant, pourquoi avoir coupé le chapitre à cet endroit-là ? Et vient la réponse tragique « il faut bien couper quelque part…. » ! Pourquoi je dis tragique ? Parce que c’est une réponse par dépit, a posteriori, sans aucun projet. Or la thora elle, a un projet. D. a un projet. Le peuple juif a un projet. Rien d’important n’est réalisé par dépit ou « parce qu’il faut bien que ça se passe ». Nous ne croyons pas, pour les choses importantes, au « il faut bien que…, il faut bien couper quelque part… ».
D’abord parce que la personne, qui n’est pas juive, qui a coupé au chapitre 14, pointe du doigt la faute, la culpabilité du peuple à travers le verset que nous avons cité plus haut, alors que le texte, lui, ne veut pas la pointer de cette manière. Et ce n’est pas la première fois. Allez voir la structure des chapitres de la faute du premier homme ou de la faute du veau d’or, par comparaison à la découpe des parachiyoth traditionnelles, et vous comprendrez.
Puis, parce que celui qui observe la découpe des parachiyoth, voit très bien que le nombre de versets importe peu : certaines parachiyoth comportent un seul verset, d’autres des dizaines ! On ne fait pas dans l’esthétique, ce n’est pas pour couper quelque part et équilibrer le texte. C’est a priori : chaque paragraphe a son projet, quelques soit le nombre de versets. C’est comme pour les vers à rimes. Les rimes, c’est merveilleux, mais ils s’imposent sans relation avec le contenu. Et si le poète ne trouve pas de rimes, il ira probablement vers le compromis. Dans la thora, le compromis n’existe pas. Le nombre de versets, c’est comme les rimes, cela n’a aucune importance et on n’en tient pas compte, ce qui compte, c’est le contenu.
Décrivons maintenant le contenu exprimé par la découpe traditionnelle. Au verset 10, nous nous trouvons juste après la révolte du peuple contre l’intervention de Kalèv qui, lui, s’oppose aux explorateurs. A ce moment la nuée divine apparait au-dessus de la tente d’assignation, signe que D. veut parler à Moché. Le 2ème paragraphe décrit la discussion entre D. et Moché. D. veut punir durement, éliminer les fauteurs, détruire presque tout le peuple. Moché prie et réussit à éviter la catastrophe, la destruction du peuple, et à faire que la mort de cette génération soit étalée dans le temps. Ceci est acquis. Au verset 26, c’est une nouvelle parole de D. à Moché, presque une répétition de ce qui a été dit auparavant. D. reprend la parole pour détailler la punition. Le peuple ayant refusé de rentrer dans le pays, il n’y ira pas. Ils se traîneront et mourront dans le désert. Ce n’est que la génération prochaine qui arrivera au pays. Ces précisions sont accompagnées de la sanction des dix explorateurs qui sont punis sur place. Pour se résumer, ce troisième paragraphe décrit les détails de la sanction, et finit sur une note tragique : le refus de D. de revenir en arrière sur cette décision. Nous avons donc pour l’aventure des explorateurs trois paragraphes (dans deux chapitres): un décrivant l’envoi de explorateurs, leur retour, et la rébellion du peuple. Le deuxième consacré à la colère divine, l’intervention de Moché, et la punition tempérée. Puis vient un troisième paragraphe contenant les décisions divines finales, la tentative de téchouva du peuple et son inaboutissement. Nous pouvons trouver à cette structure le sens suivant.
L’intention du texte n’est pas, comme le fait celui qui a conçu les chapitres, de raconter l’envoi des explorateurs et leur retour, puis la faute et ses conséquences, en deux temps. Mais plutôt de décrire en premier temps l’histoire dans son ensemble : l’envoi le retour et la faute, la rébellion. Puis, en deuxième temps, la réaction divine tempérée par Moché, et enfin, en troisième lieu, comment la décision divine recadre la suite des événements. Il s’agit, entre autres, d’une volonté de montrer ce qui était prévu au départ, et comment cela s’est traduit dans la réalité. Comment D. voulait que la mission soit menée, et finalement comment D. a restructuré toute la suite du projet. Le texte ne veut pas détacher la réaction du peuple de la mission première, ce que fait la césure du chapitre 14. Le but est d’aller en Erets-israël. Le projet fondamental doit être présent. Si le projet initial n’aboutit pas, D. propose autre chose. On ne hache pas l’histoire.
Il ne s’agit pas d’espoir. Le troisième paragraphe finit mal. Ce qui importe, c’est comment l’événement est transmis, comment un texte sacré exprime le bon ou le moins bon, et non les informations pour elles-mêmes. Il nous importe de savoir comment est présentée la faute dans le langage de D. Non pas pour culpabiliser, mais pour comprendre son intégration dans le développement de notre peuple.
Ce bouleversement opère un changement dans la relation entre D. et Son peuple, cela, orchestré en partie par Moché. L’histoire juive est une histoire de cette relation, elle est éternelle, mais subit des variations. Ce sont ces variations qui nous intéressent, car nous devons en tenir compte. Et c’est pour cela que nous les étudions.
Pour donner un exemple de ces variations, les versets du psaume 106 sont explicites. Etudier cette faute, c’est comprendre notre exil, comprendre qu’il a une fonction, dans la relation citée plus haut :
24 Puis ils montrèrent du dédain pour un pays délicieux, n’ayant pas foi en sa parole. 25 Ils murmurèrent dans leurs tentes, n’écoutèrent point la voix de l’Eternel; 26 et il leva la main contre eux [pour jurer] qu’il les ferait succomber dans le désert, 27 qu’il rejetterait leurs descendants parmi les nations, et les disperserait dans leurs contrées.
Suffit-il de faire son aliya pour réparer la faute des explorateurs ? Cela est-il aussi simple ? Si cette erreur a changé la relation entre D. et Son peuple, ne serait-il pas opportun de comprendre que, Erets-Israël, c’est plus qu’un billet d’avion ………? C’est parce qu’il faut bien que …. Un projet a priori ou a posteriori …. ?
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