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Parashat Nasso – Le Nazir ou la réparation du regard

par: D. Scetbon

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« Et voici la loi du Nazir, lorsque seront complétés les jours de son état de Nazir, il l’apportera [« oto »] à l’entrée de la Tente du rendez-vous. « Et voici la loi du Nazir, lorsque seront complétés les jours de son état de Nazir, il l’apportera [« oto »] à l’entrée de la Tente du rendez-vous. » (Bamidbar, chap. 6, verset 12).

Le Nazir dont traite notre paracha est celui qui, généralement pour une assez courte durée, s’impose un statut contraignant consistant à se priver de tout produit de la vigne, à ne pas se couper les cheveux et à s’éloigner de tout contact avec un mort. La Torah considère cette personne comme particulièrement méritante.

Notre verset est commenté par Rachi (sur la base du Sifré) de la manière suivante :
« Il l’apportera » : « [il faut comprendre] il s’apportera lui-même ». Rachi cite deux autres occurrences de ce type dans le texte de la Torah.

En d’autres termes, Rachi nous dit que le terme « oto », qui doit en règle générale être compris comme un complément d’objet direct, soit ici : « il l’apportera », doit dans notre verset être compris comme une forme réfléchie : « il s’apportera ».

A priori, le verset aurait dû se lire, comme nous l’avons traduit dans un premier temps, « il apportera son sacrifice » (mentionné dans le verset précédent), mais cet enseignement nous enjoint de le comprendre comme « il s’apportera lui-même ».

Que nous enseigne cette lecture de Rachi ?

Le Mechekh Hokhma [[Rabbi Meïr Simha de Dvinsk (1843-1926), également auteur du Or Sameah.]] nous fournit des éléments de réponse. Le Naziréat ou nezirout consiste à s’astreindre ponctuellement à une certaine forme d’ascèse dont la Torah définit les modalités. Le Nazir va s’efforcer de s’extraire pendant cette période de certaines expressions de la matérialité. Or la Torah ne définit aucune durée pour cette période.

La raison de cette omission est la suivante. Le Nazir suit une procédure qui vise à restaurer son intériorité. Il s’agit d’une démarche éminemment personnelle, intime, une introspection. La seule échéance envisageable dans cette optique est l’aboutissement de cette expérience, de ce cheminement. Seul celui qui en a pris l’initiative est à même de considérer qu’il est arrivé au but recherché. Impossible donc de lui imposer une durée déterminée. Toutefois, les privations que s’inflige le Nazir ne sauraient se prolonger indéfiniment. Elles fonctionnent plutôt comme un rétablissement de l’équilibre de son rapport au monde matériel.

Ainsi, explique le Mechekh Hokhma, peut-on comprendre les mots de Rachi. Le Nazir doit « s’apporter » lui-même. Pourquoi ? Parce qu’il doit se forcer à porter un nouveau regard sur son être, non plus un regard de l’intérieur, plein de condescendance, capable de trouver mille excuses à ses déficiences, mais un regard « extérieur ». Il « s’apporte » comme il apporterait toute autre personne. Il doit devenir capable de s’apprécier avec le même regard critique et presque impitoyable avec lequel nous jugeons généralement autrui, se regarder comme s’il était autre.

Le vœu de Nazir est donc en quelque sorte une réparation du regard sur soi.

La Guemara (Nedarim page 9b) rapporte un épisode célèbre.
Le Grand-Prêtre Chimon le Juste refusait systématiquement de consommer le sacrifice d’un Nazir devenu impur par accident. Il craignait en effet que le vœu prononcé n’ait pas été totalement sincère au départ [[Ce qui interrompt d’office le processus et oblige à apporter une offrande particulière au Temple puis à reprendre la nezirout au départ. Voir en effet voir le verset 2 du chapitre 6 de notre paracha, qui insiste sur le fait que le Nazir doit faire son vœu « pour D. », c’est-à-dire sans aucun intérêt périphérique.]] ou que l’auteur du vœu, découragé par la longueur de la période, n’en vienne à regretter celui-ci, délégitimant ainsi rétroactivement toute la procédure.

Dans les deux cas, le sacrifice serait alors impropre, puisque fondé sur un processus invalidé. Chimon le Juste ne voulait pas courir le risque d’en consommer.

Il ne fit exception à ce comportement qu’une seule fois. Il s’agissait du cas d’un jeune berger qui, se constatant par trop admiratif de son allure reflétée dans un cours d’eau, avait décidé de s’imposer les règles de nezirout afin de briser le regard complaisant qu’il avait sur sa propre personne. Chimon le Juste lui dit alors : « Mon fils, que se multiplient les Nazir semblables à toi dans le peuple juif », et il accepta de consommer son sacrifice.

Ce texte illustre parfaitement l’idée du Mechekh Hokhma. La décision du berger de s’engager sur la voie de nezirout fait suite à un élément déclencheur : une vision « pervertie » de son propre reflet dans l’eau. Cet élément déclencheur est vu par le Grand-Prêtre comme la cause la plus juste qui soit pour entrainer un vœu de nezirout : la réparation du regard.

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