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Parashat Mishpatim. La Chemita et le Chabbat

par: David Guinard

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« Six années tu ensemenceras ta terre, et tu engrangeras sa récolte. Et la septième, tu la feras reposer […].

Six jours tu feras ton œuvre et le septième jour tu chômeras, afin que se reposent ton bœuf et ton âne ; que se revigorent le fils de ta servante et le Guer (Toshav). » ( versets 10 à 12, chapitre 23)

Pourquoi le Chabbat est mentionné à la suite immédiate du sujet de Chemita? On pourrait dire : les deux sujets sont proches, il s’agit de faire chômage : dans un cas tous les 7 ans, dans l’autre tous les 7 jours. L’ « idée de la Mitsva » est proche, il s’agit de ménager un temps hors de l’action.

Les deux sujets sont collés, presque mêlés, car similaires.

Contre-sens ! Les Hakhamim (Mekhilta, rapportée par Rashi) s’attachent à l’invective du texte : Si Chabbat est mentionné dans le sujet de Chemita, c’est pour t’enseigner ceci : même pendant l’année de Chemita, l’observance du Chabbat reste en vigueur. Quel est le sens de cette Drasha?

J’aurais pu penser que l’année de Chemita rend caduque la Mitsva de Chabbat:

– Le Chabbat n’est-il pas conçu pour ménager du temps libre aux hommes, afin de s’adonner à la Torah et à la Avodah? Ainsi, pendant l’année de Chemita, qui est une année d’oisiveté pour la société agricole, le Chabbat semble inutile !

– Ou encore, comme le suggère le Torah Temima à un niveau plus conceptuel : s’il s’agit d’un témoignage du fait que le monde est créé (par l’expression d’un cycle 6/1), qu’apporte le Shabbat en une année shabbatique? N’est-ce pas aussi redondant que de porter les Tefilin le Shabbat (un ot (signe) sur un ot), comme poursuit le Rav Epstein?

Les deux commandements semblent tellement proches par leur structure et leur signification explicite, qu’on aurait pu croire que l’un se fond dans l’autre.

Or la Mekhilta nous met en garde : ne pense pas que le Shabbat hebdomadaire est englobé dans l’année shabatique!

Le fait est là. Tentons d’en élucider le sens.

 

La Torah mentionne habituellement le Shabbat comme le jour où la Melakha (travail) est interdite. Notons deux particularités dans notre verset:

– Au lieu de dire Sheshet yamim taavod ou taassé melakhtekha,  le verset utilise l’expression « Sheshet yamim taassé maasekha »

– Puis : « ouvayom hashevii tishbot »

Restons factuels. Lorsque la Torah évoque le Shabbat dans sa dimension non redondante par rapport à la Chemita, elle évoque l’action des 6 jours hol, profanes, (dont on doit se séparer le 7ème jour) par l’appellation « maasekha« , et non « avodah » ou « melakha« .

Ensuite, la cessation de cette activité des 6 jours s’appelle « Tishbot ». Tu cesseras. Rabbi Ovadia Sforno y voit manifestement une allusion à la catégorie halakhique de shevout. Il déclare (traduction libre): « Il ne s’agit pas seulement de s’abstenir des 39 melakhot, mais également de s’abstenir des paroles et des actions évoquant la semaine ». Il cite à l’appui le verset classique (récité au Kidoush de Chaharith) « Vekhibadto… » dans Isaïe 48 : Tu l’honoreras en t’abstenant de te comporter et de parler de façon habituelle.

(Les idées qui suivent sont issues du Pahad Yitshak, maamar 6 Shaar Ouveyom Hashabbat)

Toute la Avodah du Chabbat est de constituer une imitation du Chabbat Bereshit, c’est-à-dire la mise en suspens de l’œuvre divine de création du Monde. Zekher le maassé Bereshit. Ki Sheshet yamim assa Hashem…ou bayom hashevii shavat vayinafash.

Les Hilkhot Chabbat, les lois de Chabbat, sont construites sur cette idée sous-jacente:

Ainsi que le Saint Béni Soit-il a cessé la création du Monde le 7ème jour, je chôme le 7ème jour. Mais encore?

Ainsi que le Saint Béni Soit-il a cessé la construction du lieu du service divin (La Terre et les Cieux), je cesse la construction du lieu du service divin (à l’échelle humaine) : melekhet hamishkan. D’où les 39 Melakhot (déduites formellement, comme on sait, par la juxtaposition des Parashiot)

Ainsi en me gardant d’enfreindre les 39 Melakhot du Mishkan, je me mets (ou du moins je devrais me mettre) dans une démarche intellectuelle d’imitation du Shabbat Bereshit.

Cependant apparaît une limite: pour que la symétrie soit la plus parfaite possible, encore faut-il que de façon effective, dans mon vécu des 6 jours, le Monde soit un lieu de Avoda, de service divin ! Plus mes jours « hol », de semaine, témoignent du fait que le Monde est le lieu du culte divin, plus mon Shabbat prend une dimension imitative puissante.

Cette implication du Shabbat est exprimée (Rabbenou Behayé au nom du Rambam, cités par Rav Hutner) à partir de la formulation au mode impératif, à plusieurs reprises dans la Torah : « Six jours tu travailleras ». Pourquoi cet impératif ? Il s’agit d’une allusion aux actions facultatives dirigées par une volonté individuelle de rapprochement à D. « Efforce-toi de le connaître dans toutes tes voies » (Mishlei 3). Dans le langage de la mishna (Avot 2/12) : « Que toutes tes actions (Kol maassekha) soient leshem shamayim, dirigées vers D.! »

IL nous semble que l’on peut voir, à partir de la remarque du Sforno, une allusion à cette dimension supplémentaire du Shabbat, à partir de notre verset. Le terme Maassekha est générique. Il ne s’agit pas du travail, Melakha ou Avoda, mais de l’action dans son sens le plus englobant, le moins défini. Comme dans l’expression de la Mishna Avot citée plus haut. Si ces actions non cadrées, non définies, participent d’une Avodat Hachem, d’un service de D., alors je renforce la réalité du Monde en tant que lieu de la Avodah.

Shabbat fait naître dans le monde de l’action la nécessité d’une Avodah non limitée. En retour, s’impose la nécessité pour le Shabbat lui-même d’un vécu proportionnel au vécu des jours de l’action. En regard de cette Avodah sans limite dans l’action des 6 jours, se présente la promesse d’un Oneg Shabbat sans limite. Cette promesse se donne comme récompense du respect des Divrei Kabala exprimées dans Isaïe (démarche, propos, préoccupations différentes le Chabbat par rapport aux jours de hol), qui, s’ils sont de gravité halakhique moindre par rapport aux interdits de la Torah (i.e. les 39 Melakhot), permettent eux seuls l’accès à une dimension non limitée dans le vécu du Shabbat.

« Sheshet yamim taassé maassékha, ouvayom hashevii tishbot. »

 

Nous avons donc mérité d’apprendre, grâce à la Mekhilta et à l’analyse des Psoukim à la lumière des Yessodot du Pahad Yitshak, qu’il existe une dimension spécifique au Shabbat par rapport à la Chemita, justifiant l’indépendance de ces deux Mitsvot. On peut peut-être ajouter que cette dimension spécifique du Shabbat (encore une fois : Avoda non limitée dans le monde de l’action, Oneg, délice, non limité dans le monde du Chabbat) est par essence de l’ordre d’une démarche individuelle, intime. Il semble que la Chemita, par son caractère collectif, national (?), ne puisse être porteuse de ces mêmes notions.

« Lo teaker Shabbat Bereshit mimekoma. » ‘Ne déracine pas le Chabbat de sa place initiale !’

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“Parashat Mishpatim. La Chemita et le Chabbat”

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