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PARACHAT BECHALAH’ : C’ est mon D., et je veux Le célébrer

par: Rav Yehiel Klein

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I – Au début du Cantique de la Mer Rouge qui est au centre de notre Paracha, nous lisons le verset suivant (Exode XV, 2) : « Il est ma force et ma louange, l’ Eternel ! Il fut pour moi le salut. Voici mon D., je veux Le célébrer (« Zé e-li véanvéou), le D. de mes pères, et le veux L’exalter ! »

 

Rachi commente ainsi le troisième hémistiche :

« Voici (–) mon D. – Il leur est apparu dans Sa gloire personnelle, au point qu’ils pouvaient le montrer du doigt[1]. Je veux Le célébrer – Onkelos traduit « véanvéou » dans le sens de nevé, une demeure [comme si il était dit : je veux Lui construire une demeure] ; selon une autre explication,  véanvéou se rattache au mot «noï», la beauté : je veux proclamer, raconter Sa beauté à tous les habitants de la Terre, etc… »

 

II – Rachi établit donc un lien entre la vision prophétique extraordinaire dont ont bénéficié les Enfants d’Israël et le fait que, dans le Cantique que celle-ci a provoqué, ils ont fait part de leur désir de construire une « belle demeure » au Seigneur et / ou leur volonté de faire connaître le Saint Béni Soit-Il au reste de l’Humanité.

Il importe alors de se demander quel est le rapport, d’une part, entre les deux événements – en quoi la vision prophétique est-elle la cause de leur désir de célébrer D. -, et, d’autre part, quelles peuvent bien être ces notions de construction et de beauté pour le Créateur.

 

III – Pour répondre à ces questions, il faut se tourner vers la Guémara de Chabbat 133b, qui traite du même verset, et l’interprète ainsi :

« Il a été enseigné dans une Beraïta : [Que signifie] « C’est mon D., et je veux Le célébrer » ? Embellis-toi[2] devant Lui par tes mitsvots : aies une belle soucca, un beau loulav, un beau shofar, un beau talit, un beau séfer thora, écris le avec un respect pointilleux des règles, avec une belle plume, une belle encre, par un scribe professionnel, et enveloppe le avec un bel étui. Abba Chaoul, quant à lui, comprenait plutôt : ressemble Lui[3]. De la même manière qu’Il est clément et miséricordieux (cf. Exode XXXIV, 6-7[4]), sois toi aussi clément et miséricordieux[5] »

 

IV – De nombreuses explications, issues des plus illustres commentateurs, ont rendu compte de cette Guémara[6].

Celle du Maharcha semble avoir la portée la plus générale :

A première vue, Abba Chaoul apparaît vouloir s’opposer à la première opinion. Mais pour le Maharcha, il n’en est pas ainsi : selon lui, il vient au contraire compléter l’opinion précédente, ou tout au moins, en proposer une alternative.

De la même manière que pour le premier Maître, il s’agit de l’injonction de s’embellir devant D. par nos objets de culte, pour Abba Chaoul c’est exactement la même chose, sauf qu’il est question de « s’embellir devant Lui – par nos actions », et ceci en adoptant justement le comportement que le saint Béni Soit-Il affirma être le Sien à Moïse.

 

V – Il semble que l’on puisse expliquer les paroles du Maharcha de la manière suivante :

La notion de beauté ici, de s’«embellir devant D.» comme nous le demande la Guémara, peut renvoyer à une volonté de se montrer à son prochain – de lui plaire.

Présenter un bel aspect vis à vis de l’extérieur, être agréable à la vue, témoignerait du désir, du besoin naturel qu’ont les êtres d’entrer en communication les uns avec les autres. Car on est d’instinct attiré vers ce qui est beau, que ce soit l’esthétique d’un objet ou le charme d’une personne ;

Ceci évidemment pour des raisons physiologiques -c’est le rôle des yeux, etc… -, mais aussi, selon la Tradition, pour des raisons plus spirituelles : notre âme est attirée par l’harmonie[7] que représente au fond des choses la beauté physique[8].

S’il en est ainsi, ce serait là le sens de la réaction de nos ancêtres dans la Chirat haYam.

En réalité, les deux parties du commentaire de Rachi se rejoignent, car c’est justement le fait d’avoir assisté à un dévoilement prophétique inédit du Saint Béni Soit-Il qui est à l’origine de cette velléité d’ « embellir » D., puisqu’il s’agit bien de la réaction naturelle de l’humain confronté à un tel phénomène spirituel.

On peut ainsi considérer que les Enfants d’Israël ayant vécu cette expérience ont été poussés vers D., amenés à vouloir se rapprocher de Lui de leur côté également, après qu’Il se soit révélé à eux de si exceptionnelle manière.

Comme si en quelque sorte, et si on peut s’exprimer ainsi, les Enfants d’Israël, avaient désiré entrer en communication avec le Créateur après avoir assisté à ce qu’ils ont perçu comme un premier pas de Sa divine part[9].

 

Cependant, cette volonté, si louable soit elle, pose un énorme problème :

A priori, la Thorah interdit une telle démarche !

On peut en effet identifier ce désir de se lier ainsi avec le Divin avec les prémices de l’idolâtrie…

Qu’est-ce que l’idolâtrie si ce n’est – entre autres – la mise en pratique de l’instinct naturel de religiosité, qui pousse l’homme ressentant la présence du Très Haut à faire descendre Celui-ci à son niveau, à rendre la divinité humaine, pour pouvoir plus facilement communiquer avec elle, c’est à dire s’y adresser en priant, ou – pense t’ on – mieux la connaître[10].

Or il n’est pas besoin de rappeler que D. éprouve une totale aversion envers le culte des idoles !

 

Comment, dès lors, la conscience israélite alors en formation lors de la Traversée de la Mer Rouge peut-elle se lier avec le saint Béni Soit-Il en pleine adéquation avec les principes fondamentaux de la Thorah ?

 

C’est cela que vient nous indiquer le terme véanvéou, et les différentes interprétations que la tradition lui a donné.

Elles signifient que la réaction  d’Israël face à une telle vision prophétique inouïe, est précisément de se refuser à l’idolâtrie[11], et d’exploiter le désir naissant à ce moment-là de se lier à D. uniquement par des moyens tout à fait  « terre à terre », des moyens qui amènent à une action concrète dans notre vie quotidienne. C’est à dire, de notre part, de façon pleinement immanente[12].

VI – Et effectivement, on peut reprendre les quatre explications du terme « veanvéou » et se rendre compte qu’elles correspondent bien à ce que l’on vient de voir :

 

La première, celle qui voit ici la volonté de « construire une demeure » pour D., renvoie au désir de rentrer en contact avec le Saint Béni Soit-Il par l’intermédiaire du culte, et plus précisément, on l’aura compris, par l’édification du Temple de Jérusalem[13]. On n’a pas le droit de représenter D., de sculpter des statues, etc…, mais on peut par contre Lui dédier un lieu, et c’est là la raison d’être du Beit haMikdach, puisqu’il permet de « concrétiser » notre  culte par les sacrifices et le service divin qui s’y déroulait, de diriger nos prières vers un lieu précis, etc…[14].

 

La seconde explication de Rachi – veanvéou provenant de noï, la beauté – peut également être comprise dans ce sens : cette extraordinaire proximité avec D. nous entraîne à vouloir d’une certaine manière à se livrer à une sorte de prosélytisme, en racontant à tous ceux qui nous entourent les bienfaits du Seigneur ou Ses qualités[15]. Il s’agit donc de transformer le sentiment qui, porté vers D. peut devenir de l’idolâtrie, et de le diriger vers ses semblables, en en faisant part par le récit.

 

La première interprétation de la Guémara de Chabbat, « s’embellir devant D. par de beaux objets de culte » participe de la même logique, du refus de l’idolâtrie c’est à dire d’une communication trop directe avec D. Notre désir de se lier au Créateur se transfère sur les Commandements. Comme si ces derniers étaient pour la conscience juive le moyen privilégié de servir le Saint Béni Soit-Il. Ils sont ainsi tout à fait intégrés à notre vie quotidienne. Le fait d’apporter un tel soin à leur aspect physique témoigne bien de la volonté de se rapprocher de D., parce que cette exigence esthétique montre que ces mitsvot m’importent, puisque j’accomplis mes obligations de la meilleure manière qu’il soit – par la beauté, car par elle je les réalise avec ce qui existe de mieux au niveau de l’acte physique[16].

 

Quant à l’opinion d’Abba Chaoul, elle est bien le pendant de la précédente. Il est encore question de pallier à l’interdiction de l’idolâtrie par cette « imitation de D. », qui elle aussi (comme la deuxième explication de Rachi) vise à faire connaître D. à l’Humanité par notre comportement exemplaire, conforme à ce que le Créateur a demandé à l’homme d’adopter dans la Thorah.

De manière à ce que dans les deux conceptions de la Guémara Chabbat 133b, il s’agit de transformer de manière licite le sentiment né de la Traversée de la Mer Rouge et de sa vision prophétique : le premier dans le domaine de la pratique, et le second dans celui de l’éthique.



[1]D’où l’emploi du mot , « c’est Lui ! », pour le moins incongru dans une vision prophétique !

A ce sujet, nos Sages ont dit (Méh’ilta ad locum, et Midrach Chemot Rabba XXIII, 15) que « une simple servante a pu voir sur la Mer Rouge ce que n’ont pas pu percevoir les prophètes ultérieurs »…

[2]Il s’agit de comprendre ce terme (véanvéou) comme la seconde explication de Rachi : noï, la beauté.

[3]Selon Rachi (sur la Guémara), c’est une sténographie (notarikon) : véanvéou serait la contraction des mots ani vehou, moi et Lui (cf. Guémara Soucca 51)

Mais nous allons voir tout de suite une autre explication.

[4]Ce sont les Treize Attributs de Miséricorde que D. montra à Moïse après la faute du Veau dOr.

[5]Cf. également Sotah 14a (sur Dévarim XIII, 5).

[6]Cf. Thorah Témima ; Maharal, H’idouché Aggadot Chabbat 133b et Guévourot haCham ch. 14 ; Pah’ad Itsh’ah Pessah’, article LVII ; Sifté H’aïm, Mo’adim II ; Rav Chimchon Raphaël Hirsh.

[7]L’art est en partie basé sur cela : recherche de la juste proportion, harmonie des formes et des couleurs, etc…

[8]Il s’agit des notions de Hod et de hadar. Dans le traité Soucca, on apprend parallèlement de notre verset que le cédrat fait partie des quatre espèces que l’on doit prendre à Souccot car il est bien un « fruit de bel aspect » -harmonieux (Péri ets hadar)

[9]C’est là une réaction parfaitement légitime : n’est-ce pas celle de Moïse lui-même lorsqu’il demanda à D. de « lui faire connaître Ses voies » (Exode XXXIII, 13) ?

[10]Cf. Maïmonide, hilh’ot ‘avoda zara I, 1. Le fait de se tourner ainsi vers la nature, les astres, n’est-ce pas une volonté de rapprocher D. de l’homme en servant à Sa place des êtres que l’on connaît mieux ?

[11]Il est remarquable que dans le même Cantique on trouve au verset 11 : « Qui est comme Toi […]inaccessible aux louanges, etc… », ce que Rachi explique ainsi : « on redoute de proclamer tes louanges, par crainte d’en dire trop peu, comme il est dit (Psaumes LXV, 2) : Pour Toi, le silence est une louange » (Cf. aussi Bérah’ot 33b) tel est donc bien le contexte du Cantique de la mer Rouge : le moment où les Enfants d’Israël prennent conscience de la présence de D. et de Sa nature, puisqu’ Il s’est rapproché d’eux, et ils en tirent toutes les conséquences.

[12]L’idolâtrie renvoyant à l’exact contraire : par la représentation de D., on veut quelque part Le faire descendre sur Terre, tout diviniser au lieu de tout humaniser.

[13]Cela apparaît explicitement dans le Midrach (Méh’ilta) sur notre verset.

[14]Remarquons qu’ici on est à la limite entre les deux attitudes citées plus haut : c’est bien terre à terre – on a construit un bâtiment -, mais c’est le lieu du culte par excellence…

[15]Ce serait cela alors la « beauté » de D. Mais c’est la même idée : c’est par Ses actions qu’Il se fait connaître à nous, comme l’est pour nous notre beauté qui est l’aspect extérieur agréable et séduisant que nous présentons.

[16]Les différents styles artistiques – de nos jours, le design – montrent en effet qu’à chaque époque les hommes se soucient de trouver ce qui leur paraissait le plus esthétique possible : il s’agit bien ici de sensibilité, c’est à dire d’intérêt…

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