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Où en est-on ?

par: Micho Klein

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A la veille de transmettre la succession à son disciple, Moïse fait revivre devant les yeux du peuple les épisodes marquants de l’histoire d’Israël. A la veille de transmettre la succession à son disciple, Moïse fait revivre devant les yeux du peuple les épisodes marquants de l’histoire d’Israël. Il en profite – tout au long du Deutéronome – pour présenter un grand nombre de lois, dont beaucoup ont déjà été exposées dans les quatre livres précédents. Il débute cette série dans notre Paracha par l’interdit de nommer un juge ne possédant pas une connaissance parfaite de la Torah. Et voici comment Moïse s’exprime [[Deutéronome I : 12,13]]

איכה אשא לבדי טרחכם ומשאכם וריבכם ׃

הבו לכם אנשים חכמים ונבנים וידעים לשבטיכם ואשימם בראשיכם ׃

Comment porterai-je seul votre charge, votre fardeau et vos querelles ?

Préparez-vous [[Selon Rachi]] [à nommer] des hommes sages, intelligents, connus de vos tribus, et je les placerai à vos têtes.

Etc.

Si le terme « איכה (Eikha) » est ici communément traduit par « comment », il peut signifier, selon le contexte où il se trouve, « comment », « où » ou bien encore « hélas » [[Cf : Sefer HaChorachim de Rabbi Yona ben Jana’h (à א.י.ך)]]. Alors qu’il aurait été plus simple d’opter pour le terme « איך (Eikh) » – qui lui ne peut signifier que « comment » [[Cf par exemple : Génèse XLIV, 34]]

– ce choix équivoque n’est donc certainement pas anodin.

Si l’occurrence est présente dans la Bible à dix-sept reprises, le Midrach Rabba [[Eikha Rabbati I : 1]] choisit de lier particulièrement trois d’entres elles : Trois prophètes ont utilisé le mot « Eikha » : Moïse, Isaïe et Jérémie. Moïse a dit [[Deutéronome I : 12]]

: Comment (Eikha) porterai-je seul votre charge ? Isaïe a dit [[Isaïe I : 21]] : Comment (Eikha) est-elle devenue une prostituée ? Jérémie a dit [[Lamentations I : 1]] : Comment (Eikha) est-elle assise solitaire ?

Il est remarquable que les trois termes analogues en question soient lus à la synagogue à quelques jours d’intervalle. Le premier dans la paracha Devarim (qui précède systématiquement Ticha Bé’Av), le deuxième dans la Haftara de la paracha Devarim et le troisième lors de la lecture, le soir du jeûne de Ticha Bé’Av, de la Meguila éponyme.

Le Midrach Rabba nous indiquerait donc que le langage de Moïse est proche de celui utilisé par Isaïe pleurant sur les ruines de Jérusalem.

Un autre Midrach corrobore cette thèse [[Pessikta dèRav Kahana (Buber) : 15]] : Rabbi Néhémia dit : Le terme « Eikha » n’a pour sens que « Lamentation » (Kina) !

D’après Rabbi Néhémia, il se pourrait donc bien que « Eikha » ne signifie pas, selon le contexte où il se trouve, « comment », « où » ou « hélas », mais qu’il porte en lui les trois significations de manière cumulative. Si cela est désormais clair pour « comment » et « hélas », reste à le prouver pour « où ». C’est chose faite avec un passage du Zohar sur la paracha Béréchit.

Lorsque Dieu interpelle Adam après qu’il eut mangé avec sa compagne du fruit de l’arbre interdit, le verset dit :

ויקרא יהוה אלהים אל־האדם ויאמר לו איכה ׃

Et Dieu Elohim appela l’homme et lui dit : « Où es-tu ? »

Si le dernier mot du verset se lit « Ayéka », les lettres qui le composent sont les mêmes que celles qui composent le terme « Eikha ». Ce qui fait dire à la Pessikta dèRav Kahana : Ne lis pas « Ayéka » mais « Eikha ».

Le Zohar, lui, s’exprime de la manière suivante[[ I ; 29a]] :

Ici, Dieu fait à Adam une allusion à la destruction future du Beth HaMikdach, sur lequel on pleurera : « Hélas, elle est assise solitaire ! »

Il ne fait maintenant plus de doute que les trois connotations de « comment », « hélas » et « où » se retrouvent bien en un seul et même terme : « Eikha ».

Mais alors, comment comprendre le rapport entre ces trois sens ?

Tous les exemples précités viennent soulignés la distanciation qui peut s’installer entre Dieu et le peuple juif à la suite de fautes graves. Bien que Dieu n’ignorât pas où se trouvait Adam, sa question n’était pas purement rhétorique, nous souligne Elie Munk. Elle est la question éternelle posée par Dieu à l’homme : où en es-tu dans l’existence ?

Si ce terme « Eikha » utilisé par Dieu et les prophètes exprime le soupir de douleur et de chagrin, « Hélas ! », il pose aussi la question « Où en êtes-vous dans votre vie ? »

Au crépuscule de sa vie, privé par ses fautes du privilège de mener le peuple juif en Erets Israël, Ne pourrait-on imaginer Moïse se posant la question : « comment en suis-je arrivé là ? »

A l’instar de notre maître et à l’approche des solennités liés au jour de Ticha Bé’Av, souhaitons trouver la force de nous poser la même question : « Où en suis-je ? », car elle seule peut nous mener à un véritable repentir et, ainsi, à la venue du Messie et à la reconstruction du Beth HaMikdach, qu’elles soient le plus promptes possibles.

Chabbat Chalom / Gout chabbes à toutes et à tous.

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Enseignant à la Yéchiva des Etudiants Psychanalyste et talmudiste, Micho a été formé à l'ecole de la rue Pavée puis aux Yechivot des Étudiants de Strasbourg et Paris. Il enseigne auprès de Gérard Zyzek depuis une quinzaine d'années. Spécialiste du commentaire de Rachi sur la Torah, il a écrit de nombreux articles et donne régulièrement des conférences à travers la France.

“Où en est-on ?”

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