La langue biblique, le lachone hakodech, émane de Hachem. Comme dans toute langue, en lachone hakodech un mot peut avoir plusieurs acceptions selon le contexte. Prenons la racine בוש par exemple. On la trouve notamment au début de la Torah à propos de Hava et Adam : וַיִֽהְי֤ו שְנֵיהֶם֙ עֲרומִ֔ים הָֽאָד֖ם וְאִשְת֑ו וְל֖א יִתְבֹשָֽשו » Ils étaient tous deux nus, l’Homme et sa femme et ils n’avaient pas honte ». On la trouve également mais sous une autre forme à propos de Moché Rabénou (Chemot-32,1) : « וַיַ֣רא הָעָ֔ם כִֽי־בֹשֵ֥ש מֹשֶ֖ה לָר֣דת מִן־הָהָ֑ר – Le peuple vit que Moché tardait ».
On voit, en mettant face à face deux occurrences de cette racine, se dessiner un sens transversal, (la) retenu(e), que l’on retrouvera nécessairement dans ses différentes acceptions. La honte peut être cause de retenue, elle en est une forme, mais le mot honte ne reflète
certainement pas à lui seul la signification plus large de la racine בוש. Évidemment dans certains contextes où elle est utilisée il faut comprendre cette racine dans le sens de honte, cependant connaitre sa signification transversale apportera systématiquement une compréhension plus intense de ce que la Torah entend lorsqu’elle utilise cette racine. Les exemples sont probablement aussi nombreux qu’il y a de mots et de racines différents dans la Torah. Le chantier est vaste et sa perpective enchanteresse Baroukh Hachem. Dans la paracha Ki tetsé un passage a retenu (sans jeu de mot) mon attention. Le voici : Perek 23 pessoukim 4 à 7
לֽא־יָבֹ֧א עַמּוֹנִ֛י וּמוֹאָבִ֖י בִּקְּהַ֣ל יְהוָ֑ה גַּ֚ם דּ֣וֹר עָשִׁ֔ירִי לֹֽא־יָבֹ֥א לָהֶ֛ם בִּקְּהַ֥ל ה’ עַד־עוֹלָֽם׃
עַל־דְּבַ֞ר אֲשֶׁ֨ר לֹֽא־קֵדְמ֤וּ אֶתְכֶם֙ בַּלֶּ֣חֶם וּבַמַּ֔יִם בַּדֶּ֖רֶךְ בְּצֵאתְכֶ֣ם מִמִּצְרָ֑יִם וַאֲשֶׁר֩ שָׂכַ֨ר עָלֶ֜יְכֶם אֶת־בִּלְעָ֣ם בֶּן־בְּע֗וֹר מִפְת֣וֹר אֲרַ֤ם נַהֲרִים֙ לְקַֽלְלֶ֔ךָ׃
וְלֹֽא־אָבָֹ֞ה ה’ א-ֱלֹהֵ֤יָךְ לִשְׁמֹ֣עַ אֶל־בִּלְעָם֙ וַיַּהֲפְֹ֨ה ה’ א-ֱלֹהֵ֧יָ לְָ֛ ׀ אֶת־הַקְּלָלָ֖ה לִבְרָכָ֑ה כִּ֥י אֲהֵֽבְָ֖ ה’ א-ֱלֹהֵ֥י:
לֹֽא־תִדְרֹ֨שׁ שְלֹמָ֤ם וְטֹֽבָתָ֨ם׀ כׇּֽל־יָמֶ֡יךָ לְעוֹלָ֒ם׃
En voici la traduction (issue de Artscroll mais très légèrement modifiée) :
4 – L’Ammonite et le Moabite ne viendront pas dans l’assemblée de HACHEM, même la dixième génération n’entrera pas dans l’assemblée de HACHEM, pour l’éternité.
5 – En raison de ce qu’ils ne vous ont pas précédé avec du pain et de l’eau sur le chemin lorsque vous sortiez d’Egypte, et parce qu’il a rémunéré contre toi Bil’am fils de Beor, de Pethor en Aram Naharaïm, pour te maudire.
6 – Mais HACHEM ton Dieu n’a pas voulu écouter Bil’am et HACHEM ton Dieu a inversé pour toi la malédiction en bénédiction, car HACHEM ton Dieu t’aimait.
7 – Tu ne rechercheras pas leur paix et leur bien-être, tous tes jours, à jamais.
Analysons ce passage :
Ces deux peuples ont donc interdiction d’intégrer le peuple juif. Notons que le passouk dit amoni et moavi, au masculin, et que les sages expliquent qu’une femme issue de l’un de ces peuples a le droit d’intégrer le peuple juif. C’est d’ailleurs le cas de Routh qui vient de moav et dont descend le roi David. Précisons également qu’un amoni ou un moavi a le droit de se convertir mais qu’il ne peut pas épouser une femme juive et que par conséquent il n’aura pas de descendants juifs. La Torah indique les deux causes de cet interdit : d’une part ils n’ont pas précédé une possible demande d’aide de la part de Benei Israel alors que ceux-ci étaient dans le désert et approchaient de leur frontières. D’autre part ils ont payé Bilam pour qu’ils détruise le peuple juif en le maudissant. Remarquons que, de prime abord, la seconde raison semble nettement plus forte et propre à entrainer une mesure de rétorsion à leur encontre que la première raison. Elle semble même rendre l’évocation de celle-ci complètement superflue.
Pourtant la Torah semble inverser cet ordre et met l’argument le plus faible en première position indiquant par là même qu’il est peut-être malgré tout le plus fort. Le texte met l’accent sur le fait qu’ils n’aient pas été proactifs à notre égard : לא קדמו אתכם. Le problème n’est, semble t-il, pas seulement qu’ils aient refusé d’aider les Benei Israel mais qu’ils n’aient pas pris l’initiative de le faire. Ce qui semble même alléger encore plus le grief. Ajoutons qu’aucune autre nation ne souffrent d’un empêchement aussi définitif. On peut d’ailleurs s’en étonner. Les égyptiens par exemple l’auraient pourtant bien mérité ! Pourtant leur interdit à eux, d’intégrer le peuple juif, ne porte que sur trois générations. Analysons la suite du passage : La Torah dit que Hachem n’a pas souhaité écouter Bilam וְלֽא־אָבָ֞ה הֹ‘ א-ֱלהֶ֙יָ֙ לִשְמֹ֣עַ אֶל־בִלְעָ֔ם et a
transformé la malédiction en bénédiction. Elle donne une raison à cela : כי אהבך ה’ אלוהך. » Car Hachem ton D.ieu t’aimait ».
Quelques questions : Le fait qu’Hachem nous aimait explique t-il aussi pourquoi Il n’a pas écouté Bilam ou bien seulement le fait qu’Il ait transformé la malédiction en bénédiction ? Par ailleurs, Hachem est-Il soumis aux sentiments ? L’usage du passée signifie-t-il qu’Hachem ne
nous aime plus ? Et enfin, à la fin du passage, la Torah nous enjoint de ne pas rechercher le bien de ces nations. Ce passage est extrêmement riche et je vous propose de l’approfondir un peu et d’essayer d’y apporter un éclairage. Tout d’abord, pourquoi les raisons évoquées entraînent-elles spécifiquement cet interdit ? Rappelons que la conséquence de leur conduite est le fait que jamais un amoni ou un moavi ne
pourra entrer dans le klal Israel. Et si l’on peut comprendre que le fait qu’ils aient voulu nous anéantir constitue un casus belli interdisant toute intégration future d’un représentant de ces peuples, d’une part cela n’explique pas pourquoi cette logique ne s’appliquerait pas aux égyptiens ou mieux encore aux descendants de Essav ou de Lavan ; d’autre part cela semble disproportionné au regard du fait qu’ils n’aient pas précédé la demande d’aide des Benei Israel !
Tentons une réponse. Amon et Moav sont les fils que Loth a eu avec ses deux filles après la destruction de Sedom et la mort de sa femme. Moav est le fils de l’ainée et Amon de la seconde. Or la Torah considère Loth comme le frère de Avraham. En effet il est écrit dans Berechit perek 14 verset 14 : וַיִשְמַע אַבְרם כִי נִשְבָה אָחִיו « Et Avram entendit que son frère avait été capturé. » Avraham qui s’est occupé de Loth jusqu’ici et n’en s’en est séparé que récemment, va alors prendre les armes et entrer en guerre contre plusieurs rois pour le sauver. Conduite exemplaire de responsabilité envers son proche. Attitude dont les gens de sa maison devaient s’inspirer. Le passouk raconte le branle bas de combat de la manière suivante : (Berechit 14,14 toujours) וַיָ֨רק אֶת־חֲנִיכָ֜יו « Il arma ceux qu’il éduquait » On aurait été en droit d’attendre des descendants de Loth qu’ils s’en inspirent également et montrent plus de sollicitude à l’égard des descendants d’Avraham. Pas seulement parce que s’en abstenir est un manque de reconnaissance flagrant – rappelons quand même que les juifs étaient alors dans le désert et qu’il était évident qu’ils avaient besoin d’aide – mais ne serait-ce qu’au titre de ואהבת לרעך כמוך. En effet puisque la Torah les considère comme frères ne peut-on a fortiori les considérer comme רעים ? Ce manquement les invalide au point qu’ils ne peuvent définitivement plus intégrer le peuple juif. Il apparait donc que leur conduite indiquant une absence totale de sollicitude, la Torah les considère comme totalement inaptes à devenir juifs. Comme si ce manque d’élan de leur part prouvait une incapacité qu’ils auraient forcément aussi dans une éventuelle relation avec Hachem. Ces deux peuples doivent leur existence même au fait que Avraham s’est préoccupé de Loth. Leur incapacité à se préoccuper des autres alors que ceux-ci sont manifestement dans le besoin, et alors même que : leurs ancêtres sont parents, qu’ils ont eux-mêmes bénéficié d’une telle sollicitude et que cette aide reçue fait partie de leur histoire et, pourrait-on dire, de leur inconscient collectif, démontre une impossibilité à sortir de leur dimension propre pour entrer dans celle de l’autre et donc dans celle de Hachem. La conscience d’autre chose que soi-même est un enjeu majeur des mitsvot et de la relation à Hachem. Cette conscience chez l’être humain passe d’abord par une capacité à se tourner vers ses congénères avant de pouvoir potentiellement s’installer dans sa relation avec Hachem. Cet enjeu majeur, c’est peut-être ce qu’entend Rabbi Akiva lorsqu’il dit au sujet de ֲָ֖ואהבת לרעך כמוך qu’il s’agit d’un principe fondamental dans la Torah, כלל גדול בתורה.
Mais se tourner vers la réalité de l’autre c’est chercher son bien activement. Ce qui est reproché à Amon et Moav, comme nous l’avons dit plus haut, est le fait qu’ils n’aient pas précédé la demande des Benei Israel. Répondre positivement à une requête n’eut pas été suffisant.
Pourquoi ? Je vois deux raisons à cela. La première est qu’adopter le regard de l’autre ne peut pas se faire uniquement en répondant à ses sollicitations. Cela ne permet pas de développer la capacité d’adopter la vision qu’il a des choses, de voir son monde. De vivre son monde. Car répondre à une sollicitation c’est, la plupart du temps, répondre à une demande précise. Cette demande ne reflètera jamais ce qu’est le monde de l’autre. La vision que j’ai de son monde est alors trop parcellaire. Se projeter dans son monde nécessite de constamment prendre les devants, afin de, petit à petit, pénétrer son monde. La seconde est annexe et se trouve du côté de celui qui reçoit l’aide. Le sentiment que l’autre s’est pré-occupé de lui, lui donne le sentiment d’exister. La Michna dit : (Sanhedrin 4,5) « quiconque sauve une vie juive c’est comme s’il avait sauvé le monde entier ». Chacun est un monde à lui seul. Il a le monde devant lui et le voit comme nul autre, c’est son monde.
Adopter son regard c’est pénétrer son monde. Lorsqu’on fait cela on crée un monde car on lui dit que son monde existe. Montrer de l’attention à l’autre fait donc déjà complètement partie de ָואהבת לרעך כמוך. Mais remarquons qu’il y a deux choses qui peuvent faire que quelqu’un se préoccupe de l’autre. Je ne parle pas ici de l’expression d’un altruisme souvent passager et pas toujours désintéressé. Je parle ici d’un travail de construction d’une relation, le travail d’une vie. Ces deux choses sont, la peur des réactions de l’autre et l’obligation de ָואהבת לרעך כמוך. Revenons à Amon et Moav. On était en droit d’attendre d’eux que, comme Avram, qui n’a pas eu besoin d’un appel mais a pris l’initiative de partir en guerre, ils fassent eux aussi preuve d’initiative et sortent à la rencontre des Benei Israel pour les aider. Et donc non seulement ils ne peuvent faire partie du klal Israel mais toi aussi, Israel, tu ne dois .לא־תִדר֥ש שְלמָ֖ם וְטֹבָתָ֑ם : bien leur et paix leur rechercher pas
.ואהבת לרעך כמוך de définition une comme presque maintenant sonne phrase Cette
« Ils n’ont pas précédé ta demande » signifie qu’ils ne se sont pas demandé quels pouvaient être les besoins d’Israel à ce moment là, ils n’ont justement pas été דורש votre paix et votre bien. Il s’agit donc là d’une juste rétribution, ואהבת . ואהבת לרעך כמוך implique donc d’aller vers le besoin de l’autre, de l’entendre, et potentiellement d’y répondre. De voir le monde à travers ses yeux.
Mais dans ce passage le mot אהבה n’apparait ni au sujet de l’inaction reprochée à Amon et Moav ni de la juste mesure de rétorsion ordonnée aux Benei Israel ! Comment dès lors y voir une définition de la אהבה? Il est vrai que le mot n’est pas mentionné explicitement lorsqu’il s’agit de la conduite des trois peuples, on le trouve en revanche au sujet des uns et des autres dans la manière qu’a Hachem de se positionner vis-à-vis d’eux. En effet, Passouk 6 de notre passage:
וְלֽא־אָבָ֞ה הֹ‘ א-ֱלהֶ֙יָ֙ לִשְמֹ֣עַ אֶל־בִלְעָ֔ם וַיַהֲפְֹ֩ הֹ‘ א-ֱלהֶ֧יָ לְָ֛ אֶת־הַקְלָלָ֖ה לִבְרכָ֑ה כִ֥י אֲהֵֽבְָ֖ הֹ‘ א-ֱלהֶֽיָ׃
« Mais HACHEM ton Dieu n’a pas voulu écouter Bilam et HACHEM ton Dieu a inversé pour toi la malédiction en bénédiction, car HACHEM ton Dieu t’aimait. »
Le terme ולא אבה renvoi selon Rachi à אהבה. (Voir Rachi et Midrach sur Devarim 13,9). Hakadoch baroukh hou n’a pas eu de relation de אהבה avec eux et leur requête, soumise à travers Bilam. Concernant les Benei Israel c’est encore plus explicite : כי אהבך ה’ אלוהך « Car Hachem
t’aimait ». La Torah nous enjoint de manière générale de nous inspirer de la manière dont Hachem se comporte, aussi bien vis-à-vis de nous que des autres. Ce passage dans son ensemble parle de אהבה car la manière d’agir des uns et la manière dont il est préconisé aux autres d’agir sont mise en avant à travers la relation de אהבה qu’à Hachem avec eux. On aurait pu imaginer que Hachem écoute les malédictions de Bilam malgré la conduite de ses commanditaires envers les Benei Israel mais le verset dit que c’est à titre de אבה ולא qu’Il ne l’a pas fait. On aurait pu imaginer que Hachem en reste là mais Il a inversé la malédiction en bénédiction. Pourquoi ? Le verset répond : כי אהבך ה’ אלוהך Le positionnement de אהבה sert ici de mètre étalon.
Mais que signifie précisément ce mot de אהבה?
אהבה est en général traduit amour et c’est sa signification en hébreu moderne. Mais cette traduction ne suffit pas lorsqu’il s’agit de comprendre ce que le terme signifie dans la Torah. Comment comprendre sinon l’injonction faite à un être d’en aimer un autre ? Ou le fait que Hachem serait soumis aux sentiments ? La racine הב est utilisée aussi dans le sens de donner.
Par exemple (Berechit 30,1) ; Rah’el dit à Yaakov וַתֹ֤אמֶר אֶֽל־יַעֲקב֙ הָֽבָה־לִ֣י בָנִ֔ים וְאִם־אַ֖יִן מֵתָ֥ה אָנֹֽכִי « donne moi des enfants et si non je suis morte ». Mais là aussi cette compréhension du terme est trop limitée car elle n’est manifestement pas le sens du mot הב dans nombre de ses occurrences. De même dans notre passage de ki tetsé il ne s’agit pas de ressentir mais de s’investir. Il me semble qu’un passouk de Tehilim apporte un éclairage important sur ce terme. Tehilim 55,23 : השלך על ה’ יהבך « envoi sur Hachem ton fardeau ».
Le mot יהבך a la même racine que אהבה. La guemara explique que le mot יהבך signifie ton fardeau ou ta charge, au sens littéral, ce que tu portes. Mais ce passouk parlant de confiance en Hachem on pourrait le traduire plutôt par préoccupation. Ainsi la signification transversale de la racine הב serait préoccupation.
Il me semble qu’avec cette éclairage la phrase ָכי אהבך ה’ אלוהך ne signifie plus vraiment « car HACHEM ton Dieu t’aimait » mais plutôt « car HACHEM ton Dieu a fait de toi sa préoccupation ». Lorsque le mot est utilisé dans le sens de donner, comme avec Rah’el et Yaakov, on pourra le comprendre comme un partage d’une préoccupation ou d’un fardeau. Rah’el demande à Yaakov de faire que ce qui la préoccupe devienne aussi sa préoccupation à lui. La première compréhension du passouk est qu’il décrit une femme implorant son mari de lui donner des enfants, cela sonne comme un cri de douleur. Cette compréhension est correcte mais insuffisante. Que peut-il faire ?
Alors qu’avec une meilleure compréhension de la racine הב la demande de Rah’el signifie « partage mon fardeau », « prie pour que j’ai des enfants ». Et s’engage alors entre eux un tout autre dialogue. Cet épisode est absolument édifiant. Qui dans son couple n’a jamais eu le sentiment d’un dialogue de sourds ? Elle demande quelque chose et lui ne comprend pas ce qu’elle lui reproche. Il se sent impuissant face à une demande à laquelle il ne peut apporter de solution. Il s’énerve : וַיִֽחַר־אַ֥ף יַעֲק֖ב בְרחֵ֑ל וַיֹ֗אמֶר הֲתַ֤חַת C’est précisément ce que fait Yaakov dans le verset suivant.
ויחר אף יעקב ברחל ויאמר התחת אלוהים אנכי « la colère de Yaakov s’enflamma et il dit : Suis-je à la place de D.ieu ? » Avec une meilleure compréhension de אהבה le dialogue est différent. Il l’est dans la lecture de ce passage de Rah’el et Yaakov et il peut l’être aussi dans la vie de chacun. Le processus de confrontation parfois douloureux au monde de l’autre où résonne parfois des cris comme celui que pousse Rah’el, ce processus amène petit à petit à une compréhension différente de ce que l’autre exprime. Une compréhension plus profonde de son être et de ses besoins. Une compréhension plus profonde de la אהבה.
L’injonction, quant à elle, que l’on trouve aussi bien dans וְאָ֣הַבְתָ֔ אֵ֖ת הֹ‘ אלהֶ֑יָך בְכׇל־לְבָבְָך ובְכׇל־נַפְשְָך ובְכׇל־מְאֹדָֽך que dans וְאָֽהַבְתָ֥ לְרעֲָך כָמֹ֑וָך est celle de placer l’autre au centre de ses préoccupations. Comment ? En essayant de comprendre quel est son besoin, ou sa paix et son bien, pour reprendre les mots du dernier passouk de notre passage de Ki tetsé, en regardant le monde avec ses yeux à lui. Ayons conscience que cela demande d’abord de le vouloir et pas uniquement de laisser un éventuel élan de générosité se produire naturellement, ou porté par ses sentiments pour la personne. Au contraire cela nécessite un investissement colossale de son être. Principalement parce que bien souvent ce qui convient à l’autre n’est pas ce qui nous convient, voire nous semble complètement aberrant. Et que s’il fallait ne compter que sur l’élan naturelle, alors que se passerait-il lorsque cet élan n’est plus là ? Il s’agit de prendre les devants et d’aller vers ce qui convient à l’autre. Vers ce qu’il est. On fait d’ailleurs souvent l’erreur de penser qu’il s’agit de comprendre l’autre, son fonctionnement et ce dont il a besoin. Aucunement ! Il s’agit uniquement de le percevoir. Il se pourrait même qu’on ait l’impression d’avoir un fonctionnement opposé à celui de l’autre. C’est précisément là que … prend toute sa valeur. וְאָֽהַבְתָ֥ לְרעֲָך כָמֹ֑וָך Mais si ceci peut, à la rigueur, être envisageable entre êtres humains, comment en revanche l’imaginer envers Hachem qui n’a Lui aucun besoins ? C’est, me semble-t-il, l’enjeu de la question que pose le Midrach sur ָ֔וְאָֽהַבְתָ֥ (Devarim 6,5 et tel que compris par le Netsiv dans Nitsavim).
Le Midrach demande comment cette injonction peut se concrétiser alors que la nature de la אהבה nécessite que les êtres concernés soient de même niveau et qu’ils puissent se comprendre ce qui n’est pas le cas entre les êtres humains et Hachem. Et le Midrach répond que la réponse se trouve dans la suite des versets, qui forment un ensemble de conseils pour y parvenir : … והיו הדברים « Ces paroles ci seront sur ton coeur », « tu les enseigneras… », « tu en parleras lorsque tu seras chez toi, et lorsque tu seras en chemin », « tu les noueras sur ton bras et ton front », « tu les écriras sur les linteaux… » Hachem n’a pas de besoins mais Il en exprime quand même : la Torah et les mitsvot. Il nous demande de les garder constamment à l’esprit. Là aussi cela peut se faire pour deux raison : la peur et l’obligation de le faire. Au début du processus la crainte de D.ieu nous pousse à suivre Ses commandements et à voir le monde à travers « Ses yeux ». Son monde. La perception (ירא) ddu monde comme étant celui du Boré olam amène à ce que cette crainte se transforme en déférence.
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