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Hava : Une idée du désir

par: Stéphanie Allali-Klein

Publié le 22 Juillet 2022

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Hava et Adam ont fauté.
Des malédictions sont données par D. Les voici :
« A la femme, Il dit : J’aggraverai tes labeurs et ta grossesse ; tu enfanteras avec douleur ; le désir ? (techouka) t’attirera vers ton époux, et lui te dominera » (Berechit, 3, 16)
« Et à l’homme, Il dit : « Parce que tu as cédé à la voix de ton épouse, et que tu as mangé de l’arbre dont Je t’avais enjoint de ne pas manger, maudite est la terre à cause de toi : c’est avec effort que tu en tireras ta nourriture tant que tu y vivras » (ibid 3, 17)

Notre étude portera sur le mot techouka, qui peut être traduit par passion, élan ou désir.
Mais avant de nous attarder sur ce mot, retournons en arrière et voyons comment a été créé l’homme afin d’affiner ce qui suivra.

Au sixième jour, Adam a été créé.

« D. créa l’homme dans une enveloppe digne de Lui (à Son image) ; dans une enveloppe digne de D. Il le créa ; masculin et féminin Il les créa » (ibid 1,27)

L’homme est d’abord masculin et féminin dans le même corps. Mais il n’y a aucun conflit entre ces deux occurrences, chacune remplissant sa fonction.

Rav Chimchon Raphaël Hirsch explique que le masculin, zakhar, a la même racine que zakhor le souvenir. En effet, le masculin est celui qui perpétue les traditions humaines. L’histoire des générations, des toldot, passe toujours par le masculin qui donne le nom.

Le féminin, nekeva a la même racine que nekev qui signifie réceptacle. Le féminin reçoit.
Adam, féminin et masculin, a pour injonction d’être fécond et de remplir la terre.
Mais il est seul face à lui-même. Le midrach nous dit qu’il a deux visages qui ne se regardent jamais.
En l’installant au Gan Eden, D. donne à Adam une limite, celle de ne pas consommer le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. En donnant cette limite, D. constate que l’homme a besoin d’altérité et crée à partir de lui, la femme, appelé d’abord icha car venant de ich.

« L’homme dit alors : « C’est celle-ci enfin ! Os de mes os et chair de ma chair ! Celle-ci peut être nommée icha » car elle a été prise de ich.

Il est question ici de fidélité. Un midrach explique qu’Adam a d’abord tenté une relation avec le règne animal. Relation impossible car non fidèle. Pour remplir la terre, il faut créer une stabilité et une fidélité ; ich pouvant ainsi être traduit par époux et icha par épouse.

Au nom de cette fidélité, une explication existentielle nous est donnée au verset suivant :

« Voilà pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache (davak) à sa femme, et ils forment une seule chair » (ibid, 2, 24)

Ce terme davak est expliqué par Rachi dans le traité Sanhedrin 64a, qui fait la différence entre l’idolâtrie et le service divin. Pour la relation au dieu étranger, il est question de tsmidout. Rachi donne une image d’un pot de miel scellé par de la cire. Comme si la relation à l’idole était opacité et fusion sans possibilité de s’individualiser.

Pour la relation à D., il est question de dvekout. Rachi donne l’image de dattes qui se collent et se décollent. Il y a une possibilité d’espace, d’individuation, tout en conservant un projet commun.

On comprend dès lors comment est construit le couple à l’image de D. : deux entités séparées, fidèles et ayant un projet commun.

Il est aussi important d’analyser comment Adam et Hava, ich et icha vivaient le monde avant la faute.

Le Rambam, Maïmonide, précise qu’avant la faute Adam et Hava vivaient dans un monde de vrai et faux. Ils avaient la perception du vrai et du faux, du juste et de l’injuste, non en tant que morale mais en tant que justice et justesse du monde. Le monde leur était transparent et ils étaient transparents au monde. Cela se vivait sur le corps puisqu’ils étaient recouverts d’ongles. Un midrach explique qu’Adam voyait le monde comme à travers la peau d’une orange, l’opacité n’existait pas.

Mais le serpent, dans sa nudité, puisqu’il est présenté aroum, rusé et nu, propose à Hava une autre vision du monde qui, suivie de Adam, vont les faire basculer.

Le serpent même si ici doté de paroles, n’est pas un homme mais un animal. Il n’est donc pas créé par D. de la même façon.

Le serpent porte en lui les instincts et les pulsions du règne animal. Les pulsions suscitent un ressenti d’illimité puisque jamais assouvies et font croire à l’immortalité.

C’est pour cela qu’il dit à Hava :
« Vous ne mourrez pas aussitôt. D. le sait fort bien, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, vous serez semblables à D. connaissant le bien et le mal. » (ibid, 3, 4-5)

La vision de Hava s’altère, le désir est déjà rentré en elle :
« Lorsque la femme vit que l’arbre était bon comme nourriture, et qu’il constituait un plaisir pour les yeux et que l’arbre était précieux pour la réflexion, elle prit de son fruit et mangea, et en donna également à son époux, et il mangea » (ibid, 3, 6)

Là où la nudité, la transparence étaient vécues de manière limpide, tout s’opacifie et ils ont honte de leur nudité.

La honte se vit toujours face à l’autre :
« La culpabilité appartient à l’univers de la faute. On se sent coupable, on doit racheter, réparer. La honte n’a rien à voir. Elle place en nous un détracteur intime qui nous ronge, nous détruit, nous dévalorise. Le honteux ne veut pas réparer, il s’éloigne, veut entrer sous terre, échapper au regard de l’autre » (Boris Cyrulnik)

Adam et Hava mesurent qu’ils ne peuvent plus être dans un monde de transparence ni transparent l’un à l’autre. Une peau les recouvre afin de cacher leur intériorité.

Puis D. leur donne des formes de malédictions qui semblent plutôt vouloir réparer sur le long terme leur faute.

Nous nous attarderons sur ce que D. dit à la femme :

« Il dit cependant à la femme : « Je ferai s’accroître ton renoncement ainsi que ta conception, tu enfanteras dans l’abdication (la douleur), ton désir (techouka) te portera vers ton mari et lui te dominera (ymchol bakh) » (ibid, 3, 16)

Pour comprendre ce qu’est la techouka, ce type de désir, travaillons à partir du Midrach Rabba, chapitre 20 :

« Vers ton mari se portera ton désir, et lui dominera sur toi » (Berechit, 3, 16).

Il y a quatre désirs. Seul désir de la femme : son mari, selon les mots : « vers ton mari se portera ton désir ».

Seul désir du mauvais penchant : Caïn et ses compères, selon les mots : « Vers toi (Caïn) se porte son désir » (ibid, 4, 7). 

Seul désir de la pluie : la terre, selon les mots : » Tu visites la terre et la pluie la désire (l’inonde) » (Tehilim, 65, 10).

Seul désir de D., Israël selon son désir » (Shir Hashirim, 7, 11) »

La techouka se trouve donc quatre fois dans le Tanakh. Pour la femme envers son mari, cela est rapporté sous forme d’injonction de D.

Pour les autres occurrences, cela est rapporté sous forme de constat.
Nous analyserons donc les trois dernières occurrences afin de comprendre ce désir de la femme envers son mari qui apparait être une tout autre forme de désir que celui du registre des pulsions et qui rééquilibre sans doute la relation de la femme envers son époux, entachée par la faute originelle.

La techouka de la faute envers Caïn et ses compères :

Lorsque Hava enfante Caïn, elle exprime un ressenti étrange envers son enfant :
« L’homme avait cependant connut sa femme Hava. Elle conçut et enfanta Caïn ; elle dit : « J’ai acquis un homme avec D. » (Berechit, 4, 1)

Acquis est exprimé par le terme : kaniti, qui porte la même racine que Caïn.

Ce dernier est donc acquis par sa mère, il est sa possession. Ne nous attardons pas ici, sur l’absence d’Adam dans le verset et à la relation exprimée par Hava envers D. qui semble devenir un associé.

Ce qui est intéressant ici, c’est que Caïn devient agriculteur. Il porte en lui cette notion d’acquisition mais sur la terre.
Il est sédentaire et crée une relation d’intérêt à D. Privilégiant sa possession, il ne peut donner sa plus belle offrande, au contraire de son frère Evel, qui est lui, berger, donc nomade. Un nomade s’adapte, ce qui n’est pas le cas d’un sédentaire.
Le fantasme de sa mère d’une pleine propriété sur son fils se fond en lui. Caïn reproduit la même fusion mais sur la terre. Ne supportant pas la manière d’exister dans ce monde de son frère et l’acceptation de celle-ci par D. ; il en arrive au meurtre.
Juste avant, D. le met en garde et l’invite à l’espoir mais la machine est enclenchée.
« Vois que tu emploies tes qualités pour le bien, ou que tu ne les emploies pas pour le bien, le péché repose à ta porte ; son élan (techoukato) se porte vers toi, afin que tu le maitrises (timchol bo) » (ibid, 4,6-7)

Rav Chimchon Raphaël Hirsch associe le mot techouka au mot shouk.
Un shouk est un marché qui contient une masse déferlante qui suit la même direction, qui est comme emportée.
Cette techouka, cet élan est ainsi incontrôlable et va vers une direction.
La faute de Caïn est incontrôlable, il ne peut que tuer. Elle le maîtrise.
La faute que l’on peut appeler ici yetser hara, une force productive (yotser) qui a le potentiel de mal tourner, envahit les gens comme Caïn.

En effet, lorsqu’il est impossible de s’adapter, un rapport d’intérêt au monde émerge. Le monde devient à l’image de mes propres désirs. L’autre n’existe plus. Il peut même disparaître au nom de mes intérêts. Cette mauvaise perception du monde nous domine.

Caïn aura d’ailleurs comme punition l’errance. Il dira à D. que cela est au-delà du supportable. Mais il y sera condamné jusqu’à sa mort.

La pluie envers la terre, D. envers les bene Israël

La première chose que D. demande à Adam, lors de la création du monde c’est sa prière afin que la pluie tombe et que la nature se mette en marche. (Selon un commentaire de Rachi)

« Toute croissance des champs se situait encore avant sa formation sur terre, et toute herbe des champs avant son développement ; car D. n’avait pas encore fait pleuvoir sur terre, et l’homme n’était pas là pour s’occuper de la « terre de l’homme » (ibid, 2, 5)

La terre a besoin de la pluie. La pluie a un élan, une techouka envers la terre. Cette techouka est suscitée par la prière de l’homme. La pluie abreuve la terre grâce à la parole de l’homme.

  1. ressent aussi cet élan envers les Bene Israël.

Cet élan est sans intérêt, sans calcul. Il jaillit et se déverse sur celui qui est désiré et aimé.

-la femme envers l’homme :

Cet élan de la femme envers son époux est ainsi déferlant et sans intérêt.

Le mari se doit de le dominer, c’est-à-dire puiser l’essence et l’essentiel de ce mouvement comme à l’image d’un machal (ymchol), d’une parabole où il est important de faire l’effort d’être attentif à l’idée principale et centrale de l’histoire.

L’idée fondatrice pour l’homme de la limite et donc du manque a sauté au moment de la faute originelle et l’homme s’est retrouvé dans le trop plein et l’opacité.
Trop plein en soi d’où émerge la question existentielle récurrente : qui parle en moi : mon propre désir ou ce qu’attend D. de moi ?
Ce qui déferle se brise sur l’autre comme une vague qui se brise sur le rocher.
Il s’agira pour l’époux d’empêcher la brisure ou le boomerang. D’accueillir ce qui arrive vers soi ; comme une acceptation du nekeva, du féminin en soi. L’épouse devra assumer ce mouvement vers son époux comme une acceptation du zakhar, du masculin en soi. Comme si le mouvement s’inversait et faisait appel à un désir d’équilibrage et de réadaptation de la création originelle.

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1983
Enseignante

“Hava : Une idée du désir”

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