(À la mémoire de mon beau-père Its’hak ben Ya’akov)
Dieu dit à Moïse de désigner un homme par tribu pour aller explorer le pays de Cana’an et préparer l’invasion.
(À la mémoire de mon beau-père Its’hak ben Ya’akov)
Dieu dit à Moïse de désigner un homme par tribu pour aller explorer le pays de Cana’an et préparer l’invasion. Ils y restent quarante jours. A leur retour – rapportant avec eux de merveilleux produits de la terre – ils déclarent néanmoins que jamais les habitants du pays – trop forts – ne pourront être vaincus. Un profond désespoir s’empare du peuple malgré les efforts d’encouragement de Caleb et Josué. Dieu condamne alors la génération à mourir dans le désert. La Paracha se conclue par la mention des commandements positifs de ‘Hala et Tsitsith à travers le troisième paragraphe du Chema.
Si la Mitsva de ‘Hala semble s’intégrer au sujet car intimement liée à la présence en terre d’Israël, comment expliquer ici l’exposé de la Mitsva de Tsitsith ?
Ibn Ezra affirme qu’un lien existe : dans deux des versets de la Paracha – l’un tout au début à propos des explorateurs l’autre à la toute fin concernant les Tsitsith – nous retrouvons le même mot, le verbe תור :
1) ( Dieu parla à Moïse et lui dit : )
שלך לך אנשים ויתרו את ארץ כנען
Envoie pour toi des hommes et qu’ils « explorent » la terre de Cana’an
2) (Et ce sera pour vous comme franges et vous les verrez et vous vous rappellerez tous les
commandements de Dieu et vous les ferez…)
ולא תתרו אחרי לבבכם ואחרי עינכם אשר אתם זנים אחריהם
Et vous n' »explorerez » pas après vos cœurs et après vos yeux après qui vous êtes corrompus.
Rachi, lui aussi établit ce lien mais d’une manière différente. Sur le verset ולא תתרו אחרי לבבכם , il commente :כמו ״מתור הארץ״.
Il est remarquable que Rachi opte pour le verset qui relate le retour des explorateurs de Cana’an plutôt que – à l’instar d’Ibn Ezra – pour celui où l’ordre est donné à Moïse de mettre sur pied une exploration. Comme si il voulait nous préciser que le lien à opérer n’est pas entre la Mitsva de Tsitsith et l’histoire des explorateurs en général mais entre les Tsitsith et ce que les explorateurs ont « fait » à leur retour de la terre d’Israël.
C’est ce que dit l’Admour de Oszrov : la Mitsva de Tsitsith est un Tikoun – une réparation – à la faute des explorateurs !
Mais quelle est cette faute pour que le commandement négatif de « ne pas suivre la pensée de son cœur et la vue de ses yeux » en soit le juste contrepoids ?
L’on impute traditionnellement aux explorateurs le péché d’avoir médit du pays par manque de confiance en l’Eternel. Cependant Na’hmanide demande : n’avaient-ils pas répondu en vérité aux questions mêmes de Moïse ? « Vous observerez comment est le pays et le peuple qui l’habite ; s’il est fort ou faible, peu nombreux ou considérable. Si la terre où il demeure est bonne ou mauvaise, etc. »
La faute est donc ailleurs et il faut pour l’appréhender apprécier de quelle manière le verset s’exprime à propos des Tsitsith : » […]après vos cœurs et après vos yeux » ; ne sont-ce pas, comme l’affirme Rachi, les yeux qui sont avant tout les médias du corps : l’œil voit, le cœur désire et le corps commet la faute ! Pourquoi alors nommer le cœur en premier ?
C’est que, répond le Malbim, l’ordre est en réalité exactement celui suggéré par le verset. Si les images du désir, dit-il, n’avaient pas commencé par dominer sournoisement son cœur pour le détourner de la crainte de Dieu, il n’aurait pas succombé à l’appel de ses yeux. Le fait qu’il est entraîné par ce qu’il voit est le signe que le désir s’est déjà frayé un chemin dans son cœur et qu’il a préalablement songé aux moyens de se défaire de la crainte de Dieu.
Là est la faute des explorateurs ! Ils ont préalablement « songé ». Ils voulaient par commodité rester dans le désert et ils ont donc, pendant leur retour de Cana’an, laissé leur désir de ne pas entrer en terre d’Israël se frayer un chemin en leur cœur.
Et comment ont-ils fait cela ? Par l’intellectualisation ! Ils ont réfléchi les choses qu’ils ont vues pour les rendre objectives et ainsi les classer dans des catégories de bien et de mal. Ce manichéisme a eu pour effet d’annihiler chez eux tout sentiment de confiance en Dieu. Moïse leur demandait de prospecter, ils ont enquêté. Ils ont failli à leur mission parce que trop réalistes.
C’est un mécanisme que chacun d’entre nous connaît et utilise. Le cœur est le siège de l’intelligence et nous utilisons tous l’intellectualisation pour nous autoriser à nous éloigner des principes de la Torah. C’est ce que dit le Rambam dans le deuxième chapitre des Hilkhot Avoda Zara :
ולא תתרו אחרי לבבכם ואחרי עינכם signifie : que chacun de vous ne suive pas sa compréhension limitée en s’imaginant qu’il a découvert la vérité.
Là est le lien entre la Mitsva de Tsitsith et la faute des explorateurs. Elle en est le strict rééquilibrage en ce sens où il nous est demandé de ne pas agir comme eux,
למען תזכרו ,de nous souvenir, de vivre, qu’il est un principe fondamental de la Torah qui veut que l’irrationalité inhérente à des notions comme la crainte ou la confiance en Dieu fait partie de la réalité et doit être prise en compte.
C’est probablement ce que Rav Shimshon Raphaël Hirsch, traduit ici par Elie Munk, a voulu exprimer :
Si nos vêtements portent le signe de notre obéissance à Dieu, c’est parce qu’ils doivent leur origine à la première désobéissance. C’est au moment ou Adam cherche le critère du bien à ses yeux, qui doit lui permettre de distinguer le bien du mal, qu’il perd du même coup la pureté primitive et connaît la honte – mais aussi la pudeur. Le vêtement devient donc pour lui le moyen de retrouver sa dignité devant autrui tout en demeurant le rappel d’une première faute qui restera à jamais gravé dans sa mémoire. Les Tsitsioth attachés aux vêtements en dégagent la leçon symbolique, nous engageant à ne pas chercher à connaître par nos propres yeux ce qui est bien et ce qui est mal.
Chabbat Chalom / Gout Chabbes à toutes et à tous.
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