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Études relatives à la sanctification du Nom de D. (kidoush hashem) par Rav Gérard Zyzek

par: Rav Gerard Zyzek
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Cette étude est le résultat d’études menées à la Yéchiva des Étudiants par Rav Gérard Zyzek, et en particulier lors de la veillée de Shavouot 5778.

  1. Traité Sanhédrin 74 a.
    אמר רבי יוחנן משום רבי שמעון בן יהוצדק נימנו וגמרו בעליית בית נתזה בלוד. כל עבירות שבתורה אם אומרין לאדם עבור ואל תהרג יעבור ואל יהרג חוץ מעבודת כוכבים וגילוי עריות ושפיכות דמים.
    ‘Rabbi Yo’hanan dit au nom de Rabbi Shimon ben Yéhotsadak. Les Sages se sont réunis dans l’étage de la maison de Natza dans la ville de Loud [1], ont voté et ont décrété. Pour tous les interdits de la Torah, si l’on dit à un homme : transgresse et tu ne seras pas tué ! Il transgresse et il ne sera pas tué, sauf les cas d’idolâtrie, d’interdits sexuels de la Torah (Araïot, inceste ou adultère), et de meurtre (verser le sang).’Là-dessus la Guemara objecte :
    ועבודת כוכבים לא, והא תניא אמר רבי ישמעאל מנין שאם אמרו לו לאדם עבוד עבודת כוכבים ואל תהרג מנין שיעבוד ואל יהרג תלמוד לומר וחי בהם, ולא שימות בהם, יכול אפילו בפרהסיא תלמוד לומר ולא לחללו את שם קדשי ונקדשתי.
    ‘Comment les Maîtres peuvent-ils dire qu’il est interdit en toute occasion de transgresser les interdits d’idolâtrie, mais regardons l’enseignement de Rabbi Yishmaël !
    Rabbi Yishmaël dit : d’où savons-nous qui si les persécuteurs disent à l’homme « sers l’idolâtrie, et tu ne seras pas tué ! », il servira et ne sera pas tué, le verset (Vayikra 18,5) dit : « Vous garderez mes décrets et mes lois que l’homme accomplira et vivra avec », ce qui amène nos Maîtres à dire : les commandements ont été donnés pour vivre avec, et non pour mourir du fait de leur respect. Est-ce que ceci s’applique même si c’est en public, aux sus et au vue des autres, BéPharassia ? Sur ce cas le verset spécifie (Vayikra 22,32) « Ne profanez pas Mon nom Kadosh, Mon nom Saint, et Je suis sanctifié du sein des enfants d’Israël ».’La Guemara répond :
    אינהו דאמור כרבי אליעזר דתניא רבי אליעזר אומר ואהבת את ה’ אלקיך בכל לבבך ובכל נפשך ובכל מאודך. אם נאמר בכל נפשך למה נאמר בכל מאודך, ואם נאמר בכל מאודך למה נאמר בכל נפשך. אם יש לך אדם שגופו חביב עליו ממונו לכך נאמר בכל נפשך, ואם יש לך אדם שממונו חביב עליו מגופו לכך נאמר בכל מאודך.
    ‘Il faut dire que les Sages pensent comme l’opinion de Rabbi Eliézèr qui nous enseigne l’enseignement suivant. Le verset dit (Devarim 6,5) « Tu aimeras l’Eternel ton D.ieu avec tout ton cœur, avec toute ton âme, avec tout ton pouvoir ». Rabbi Eliézèr dit : si le verset t’enjoint d’aimer l’Eternel avec tout ton pouvoir (c’est-à-dire avec tout ton argent), pourquoi le verset ajoute-t-il « avec toute ton âme (qui signifie de donner toute son âme pour aimer D.ieu) » ? Et si le verset t’enjoint d’aimer l’Eternel avec toute ton âme, pourquoi le verset ajoute-t-il « avec tout ton pouvoir » ?
    S’il y a un homme qui est prêt à servir D. avec tout son argent mais pour qui le corps est trop chéri, alors le verset dit « avec toute ton âme ». Mais si tu trouves un homme qui est prêt à servir D.ieu avec toute son âme, mais n’est pas prêt à servir D.ieu avec tout son argent, alors le verset spécifie « avec tout ton pouvoir ».’

 


  1. Question relative au raisonnement de cette Guemara.



    Résumons le raisonnement de la Guemara.
    La conclusion des Sages de Natza est qu’en cas de contrainte extrême, vitale, tous les interdits de la Torah seront donnés à être repoussés sauf ce qui a trait à l’idolâtrie, au meurtre et aux interdits sexuels.
    La Guemara objecte en cela que Rabbi Yishmaël permet l’idolâtrie si cela se fait dans l’intimité.
    La Guemara répond que les Sages de Natza pensent comme Rabbi Eliézèr qui apprend du verset que l’on doit aimer l’Eternel quitte à donner notre âme pour Lui rester fidèle. L’amour est exclusif. Le verset nous enjoint d’aimer l’Eternel en toutes circonstances, c’est-à-dire que faire un culte idolâtre même entre quatre yeux est une offense à l’amour de D.ieu.
    Cependant Tossefot dans de multiples endroits (Ketoubot 19a et Avoda Zara 27b) et le Rosh sur Avoda Zara (second chapitre, §9) affirment que pour Rabbi Yishmaël il n’y a pas de différence entre les interdits relatifs à l’idolâtrie et le meurtre et les interdits sexuels de la Torah dans l’intimité on n’a pas à s’exposer à la mort. Comme dit le Rosh :
    , דלרבי ישמעאל אין חילוק בין הנך שלשה לשאר עבירות
    ‘pour Rabbi Yishmaël il n’y a pas de différence entre ces trois fautes et les autres fautes de la Torah’ (ce sont les mots du Rosh).
    Mais selon la synthèse du débat de la Guemara de Sanhédrin, nous ne pouvons que nous étonner de la démarche de Tossefot et du Rosh rapportée plus haut : comment peuvent-ils affirmer que pour Rabbi Yishmaël, dans l’intimité il n’y a aucune différence entre tous les interdits, et qu’il n’y a pas d’obligation de se laisser tuer plutôt que de transgresser, mais Rabbi Yishmaël n’a parlé que de l’interdit d’idolâtrie ! Il est possible que pour lui l’interdit de meurtre et les interdits sexuels soient exactement comme pour les Sages de la maison de Natza et que dans l’intimité l’on soit enjoint de se laisser tuer plutôt que de transgresser !
    Et d’ailleurs la question que la Guemara pose aux Sages de la maison de Natza ne porte que sur l’idolâtrie :
    ועבודת כוכבים לא!
    ‘Comment les Maîtres peuvent-ils dire qu’il est interdit en toute occasion de transgresser les interdits d’idolâtrie, mais regardons l’enseignement de Rabbi Yishmaël qui permet de faire un service idolâtre pour sauver sa vie dans un cas de contrainte extrême !’
    La question ne vient que de l’interdit d’idolâtrie.
    Gardons cette question sur Tossefot et le Rosh par devers-nous et avançons dans l’étude de la Guemara de Sanhédrin.
  2. III.Suite de la Guemara.


    Nous venons de voir d’où les Sages réunis dans la maison de Natsa apprenaient que même dans l’intimité nous étions enjoints de ne pas faire de culte idolâtre même au prix de notre vie. Mais d’où le savons-nous pour les interdits sexuels de la Torah (Araïot, inceste ou adultère), et l’interdit de tuer ?עריות ושפיכות דמים כדרבי דתניא רבי אומר כי כאשר יקום איש על רעהו ורצחו נפש כן הדבר הזה. וכי מה למדנו מרוצח מעתה. הרי זה בא ללמד ונמצא למד. מקיש רוצח לנערה מאורסה. מה נערה מאורסה ניתן להצילו בנפשו אף רוצח ניתן להצילו בנפשו. ומקיש נערה מאורסה לרוצח. מה רוצח יהרג ואל יעבור אף נערה מאורסה תהרג ואל תעבור.
    ‘D’où savons-nous que l’on ne doit pas transgresser les interdits sexuels et l’interdit de tuer même au prix de sa vie ?
    Nous l’apprenons à partir de l’enseignement de Rabbi.
    Rabbi enseigne : le verset dit (Devarim 22,26) « Car ceci (le viol d’une jeune fille fiancée[2]) est comme le cas de quelqu’un qui se lève sur autrui pour l’assassiner, telle est cette chose-là ». Mais qu’apprenons-nous de l’assassin[3]? En fait le cas de l’assassin vient nous enseigner sur le cas du violeur, mais c’est le contraire qui se passe, c’est le cas du violeur qui va enseigner sur le cas de l’assassin :
    En effet le verset suivant (Devarim 22,27) que s’il y avait quelqu’un pour sauver le violeur du forfait qu’il allait commettre, il aurait fallu le faire, même au prix de la vie du violeur. Alors de la même manière dans le cas de l’assassin, s’il est possible de le sauver du forfait qu’il va commettre, on doit le faire, même au prix de sa vie.
    En retour nous pourrons dire aussi :
    Dans le cas de l’assassin, si l’on dit à quelqu’un : tue untel sinon on te tue, il doit se laisser tuer plutôt que de tuer, de la même manière dans le cas de la jeune fille fiancée, si elle devra se laisser tuer plutôt que de transgresser.’Pour résumer, la Guemara dit que, de cette mise en relation entre l’assassin et la jeune fille fiancée, nous apprenons que les lois dites au sujet de l’un s’appliquent au sujet de l’autre, et réciproquement. Et en particulier, le sujet qui nous occupe : si l’on dit à quelqu’un tue untel, sinon on te tue. Il doit se laisser tuer plutôt que de tuer.
    Mais d’où savons-nous une telle chose ? Telle est la question de la Guemara :

    רוצח גופיה מנלן ? סברא הוא דההוא דאתא לקמיה דרבה ואמר ליה, אמר לי מרי דוראי זיל קטליה לפלניא ואי לא קטלינא לך. אמר ליה לקטלוך ולא תיקטול, מי יימר דדמא דידך סומק טפי, דילמא דמא דההוא גברא סומק טפי.
    ‘Et l’assassin, d’où le savons-nous ? C’est un raisonnement, comme nous le voyons au sujet de cet homme qui est venu voir Rabba[4] et qui lui dit : le maître de ma ville m’a dit « tue untel, sinon je te tue », que dois-je faire ? Rabba lui répondit « laisse toi tuer et ne tue pas ! Qu’est-ce qui me dit que ton sang est plus rouge que son sang ? Peut-être est-ce le contraire, et que son sang est plus rouge que le tien ! ».’


    III. Qu’est-ce qui me dit que ton sang est plus rouge que le sien ? Maï ‘Hazit, démarche de Rashi.

 

‘Qu’est-ce qui me dit que ton sang est plus rouge que son sang ?’
Cette formule est très puissante et nous place en face d’une sorte d’aporie philosophique : s’il faut choisir entre la perte de vie d’untel ou de moi-même, qu’est-ce qui me permet de décider si ce serait moi qui primerais plutôt qu’autrui ? Toutefois de l’analyse des Rishonim il ressort que cette phrase un peu grandiloquente peut être lue de différentes manières.

Regardons la lecture de Rashi.
סברא הוא. שלא תדחה נפש חבירו דאיכא תרתי אבוד נשמה ועבירה מפני נפשו דליכא אלא חדא אבוד נשמה והוא לא יעבור דכי אמר רחמנא לעבור על המצוות משום ןחי בהם, משום יקרה בעיניו נשמה של ישראל והכא גבי רוצח כיון דסוף סוף איכא איבוד נשמה למה יהא מותר לעבור, מי יודע שנפשו חביבה ליוצרו יותר מנפש חבירו הלכך דבר המקום לא ניתן לדחות.
‘C’est un raisonnement. Que l’on ne repousse pas la vie d’autrui pour laquelle il y a deux éléments (perte d’une âme et une faute) devant sa propre vie pour laquelle il n’y a qu’un seul élément (perte d’une âme) et qu’il n’y aurait alors aucune faute. Car lorsque la Torah a dit de transgresser les commandements à titre de ils vivront avec c’est du fait de l’importance de l’âme d’un Israël devant D.. Or ici au sujet du meurtre puisque finalement d’une manière comme une autre il y aura la perte d’une vie, à quel titre serait-ce permis de transgresser ? Etant donné que l’on ne peut pas savoir si son âme est plus chérie aux yeux de son Créateur que celle de son prochain, la parole de D. n’est pas donnée à être repoussée.’
מאי חזית דדמא דידך סומק טפי. מי יודע שיהא דמך חביב ונאה ליוצרך יותר מדם חבירך הלכך אין כאן לומר וחי בהם ולא שימות בהם, שלא התיר הכתוב אלא משום חביבות נפשם של ישראל להקב »ה וכאן שיש אבוד נפש חבירו לא ניתן דבר המלך לדחות שצוה על הרציחה.
‘Qu’est-ce que tu as vu que ton sang est plus rouge. Qui sait si ton sang est plus chéri et plus beau aux yeux de ton Créateur que le sang de ton prochain ? C’est pourquoi on ne peut pas appliquer le principe selon lequel les commandements de la Torah ont été donnés pour vivre et non pour mourir, car le verset ne nous permet de transgresser l’interdit que du fait de l’affection particulière de la vie d’un Israël devant D., mais dans notre cas où de toute façon il y a la perte de la vie d’autrui, la parole du Roi n’a pas été donnée à être repoussée, parole qui stipula l’interdit de meurtre.’

La Guemara au sujet de cette notion de qu’est-ce que tu as vu que ton sang est plus rouge, de Maï ‘Hazit, dit que c’est un raisonnement, une Svara. Or en général lorsque la Guemara dit que c’est une Svara, un raisonnement simple cela ressemble à un axiome, une perception première du problème, or Rashi ici, et cette approche est saisissante, nous propose pour rendre compte de cette notion tout un raisonnement très élaboré à partir d’une réflexion venant de l’analyse des versets. Est-ce une Svara, un raisonnement premier ? ou un raisonnement élaboré ? Et pourquoi Rashi penche-t-il pour la seconde option, quitte à forcer le texte, si nous pouvons nous permettre de nous exprimer ainsi ?
Il nous semble que Rashi prend cette option de lecture car pour lui ce n’est pas une donnée première et évidente qu’en soit il faudrait repousser un interdit de la Torah pour sauver sa vie.  Si la Torah ne nous avait pas enseigné que les commandements ont été donnés pour vivre, et non pour mourir, spontanément j’aurais pensé qu’il faudrait respecter les commandements de la Torah, quels qu’ils soient, même au péril de notre vie. Et d’ailleurs Rashi au début de notre sujet dans Sanhédrin nous éveille en toute discrétion à cette approche. En effet dès le début de la Guemara de Sanhédrin lorsqu’elle affirme :
‘pour tous les interdits de la Torah, si l’on dit à un homme : transgresse et tu ne seras pas tué ! Il transgresse et il ne sera pas tué, sauf les cas d’idolâtrie, d’interdits sexuels de la Torah, et de meurtre’, Rashi précise :
‘il transgresse et il ne sera pas tué. Comme il est écrit : il vivra avec eux (les commandements) et il ne mourra pas avec eux.’
Les commentateurs de Rashi (Or Gadol, de Rabbi Yérou’ham Fishel Perlman, le Gadol de Minsk) relève que Rashi veut bien nous affirmer par-là que spontanément, sans le verset, nous n’aurions pas imaginé qu’il eût été concevable de transgresser les interdits de la Torah même si notre vie eût été en danger.
Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi Rashi se démarque, si nous pouvons nous exprimer ainsi, de la lecture spontanée du texte de la Guemara.



IV. Démarche de Tossefot.



Nous avons mis à jour dans le paragraphe précédent deux enseignements précis dans les paroles de Rashi.
Premièrement, si la Torah ne nous avait pas spécifié clairement que les Mitsvot ont été données pour vivre et non pour mourir, nous aurions pensé par nous même qu’il eût été logique de penser que nous aurions dû donner notre vie pour ne pas transgresser ces interdits.
Deuxièmement, la notion de Maï ‘Hazit, de qui te dit que le sang n’est pas une sorte d’aporie philosophique, de dilemme fondamental, mais une argumentation juridique.

Toutefois Tossefot, dans ses ajouts sur la suite de la Guemara, a l’air d’aborder le sujet en de tout autres termes.
La Guemara demande (Sanhédrin 74b) :
בעו מיניה מרבי אמי בן נח מצווה על קדושת השם או אין מצווה על קדושת השם.
‘On a posé la question à Rabbi Ami :
un fils de Noé[5] est-il enjoint à la sanctification du Nom de D. ou n’est-il pas enjoint à la sanctification du Nom de D. ?’

Tossefot demande (דה »מ בן נח מצווה) :
Cette question de la Guemara est étonnante. En effet le verset qui autorise de ne pas se laisser tuer ils vivront avec (Vayikra 18,5) a été formulé dans la Torah pour les enfants d’Israël et non pour les fils de Noé ? [le sous-entendu de cette question de Tossefot est qu’a priori il parait évident qu’il faudrait se laisser tuer plutôt que ne transgresser quel que soit l’ordre de D.]’
Réponse de Tossefot :
‘Pour rendre compte de cette question de la Guemara il faudrait dire que nous pouvons considérer les choses tout à fait différemment et dire qu’il est possible qu’a priori il n’est pas vraisemblable qu’il faille donner sa vie plutôt que de transgresser un commandement de D.. Et il faudrait dire alors que puisque nous avons démontré que pour les trois commandements fondamentaux de la Torah mentionnés plus haut la Torah nous enjoint de donner notre vie plutôt que de les transgresser, nous aurions pu penser que cela devrait être généralisé, c’est ce que le verset de ils vivront avec (Vayikra 18,5) vient nous spécifier : qu’il n’y a pas lieu de généraliser. La question de la Guemara se formulera alors de la manière suivante. A priori sous la menace de vie, il n’y a pas lieu qu’il faille donner sa vie plutôt que de transgresser. Nous pouvons toutefois nous demander si rentrerait dans les critères des commandements des fils de Noé de Sanctifier le Nom de D., c’est-à-dire d’accéder à une autre logique et d’exprimer que dans les cas limites il faille exprimer qu’il y a d’autres dimensions de nécessité.’

Tossefot propose de dire que nous pouvons envisager a contrario de Rashi qu’a priori il n’y aurait pas de logique de dire qu’il aurait fallu donner sa vie plutôt que de transgresser un commandement de D., et que le verset de ils vivront avec ne viendrait que limiter la portée des trois interdits fondamentaux.
Il ressort de ce Tossefot deux points fondamentaux, diamétralement opposés à la démarche de Rashi.
Premièrement, il n’y avait aucune logique de dire a priori que l’on aurait été obligé de donner sa vie plutôt que de transgresser les commandements de D..
Deuxièmement, et de manière corollaire au premier point, nous aurions su que dans le meurtre nous serions obligés de nous laisser tuer plutôt que de transgresser par pur raisonnement, indépendamment du verset de ils vivront avec. La lecture de Maï ‘Hazit, de qui te dit que le sang est la suivante d’après Tossefot :
Si on me dit : transgresse cet interdit sinon on te tue, je n’ai pas à me laisser tuer quitte à transgresser. Si on me dit : tue untel sinon on te tue. Je dois me dire : je vais tuer cette personne pour sauver ma vie. C’est-à-dire que je considère que ma vie passe avant la sienne, qu’est-ce qui me dit que cette affirmation est juste ? Comme je ne sais pas trancher cette question[6], je ne fais rien. Je reste passif.  Donc je ne le tue pas pour sauver ma vie.



V. Incidences entre la démarche de Rashi et celle de Tossefot.


D’après Tossefot, la question de la Guemara, de savoir si les fils de Noé sont enjoints au commandement de sanctifier le Nom de D. pose implicitement la question de savoir si a priori il faille respecter les commandements de D. même au péril de sa vie ou qu’a priori les commandements de D. n’iraient pas jusqu’à nous demander de livrer notre vie pour les respecter.
La conclusion de la Guemara fait débat dans les Rishonim (commentaires premiers de la Guemara). D’après Rashi (Sanhédrin 75a דה »מ בצנעה) la question reste en suspens. Tossefot (דה »מ ואם איתא לא לימא ליה) après avoir rapporté le commentaire de Rashi rapporte une autre version du texte selon laquelle il est clair qu’il n’y a pas d’obligation de sanctification du Nom de D. pour les fils de Noé.
Et telle sera d’ailleurs la conclusion légale de Rambam dans le dixième chapitre des lois relatifs aux rois, Halakha 2.
Reformulons la problématique en d’autres termes.
D’après Rashi, profondément il faudrait donner sa vie pour ne pas enfreindre un quelconque interdit de la Torah. Néanmoins la Torah nous enseigne que la vie d’un Israël est tellement précieuse aux Yeux de D., qu’Il nous demande de laisser passer Ses commandements de côté si une vie d’Israël est en péril.
Par contre dans le meurtre, où de toute façon la perte d’une vie d’Israël sera en jeu, l’interdit reste à sa place.
Nous pouvons dire que pour Rashi, dans tous les cas, l’interdit est présent même là où la vie est en péril, sauf que la Torah nous donne un joker (un דיחוי) : la vie prime.
Pour Tossefot l’analyse est toute autre. A priori la Torah nous enjoint de respecter les commandements de D., mais il y a des limites légales à ces obligations : dans des cas de persécution où la vie en péril, il n’y a pas d’obligation (sauf exceptions : les trois interdits fondamentaux).
Dans le cas de meurtre il n’y aurait pas a priori d’obligation de se laisser tuer plutôt que de tuer autrui, sauf qu’il y a un problème interne insoluble : comment puis-je sauver ma vie au prix de la vie d’autrui, qu’est-ce qui me dit que je vaille mieux que lui ? Ne sachant trancher cette question, j’ai l’obligation de laisser faire, et de me laisser tuer.

Tossefot (Sanhédrin 74b דה »מ והא אסתר פרהסאי הואי) affirme que quel que soit l’interdit, même dans un cas de meurtre, si l’on dit à quelqu’un par exemple ‘laisse toi jeter sur cet enfant et qu’il meure ainsi, sinon on te tue’, il n’y aurait pas d’obligation de se laisser tuer. Tossefot explique qu’étant donné qu’il ne fait pas d’acte mais qu’il se laisse faire, au contraire qu’est-ce qui me dit que le sang de l’autre est plus rouge que mon propre sang ?
Rav Shemouel Rozovsky dans le Zikhron Shemouel, explique que cette affirmation de Tossefot est en droite ligne de son approche globale de la notion de Maï ‘Hazit qui est une approche passive. Ce qui est contraire à la démarche de Rashi où Maï ‘Hazit nous démontre que comme il y a perte de la vie d’autrui l’interdit reste dans toute sa vigueur, et que passif ou actif cela ne change rien au fond du problème.



VI. Précisions pour aborder la démarche de Tossefot.


Selon la démarche de Tossefot, sauf pour les exceptions qui sont le cœur de notre sujet, la Torah ne nous enjoint pas de donner notre vie pour ne pas transgresser ses interdits. Le verset de ils vivront avec viendra limiter la portée de ces exceptions justement.
Ceci rentre dans une conception globale des commandements de la Torah. Les Commandements rentrent dans un corpus juridique. Ce ne sont pas des grands principes, ce sont des obligations juridiques. Et toute obligation juridique a ses limites.
Chaque type de Mitsva a ses limites spécifiques. Rabbi Moshé Isserlès dans ses ajouts sur le Shoul’han Aroukh Ora’h ‘Haïm chapitre 656 rapporte les conclusions du Rosh et du Rashba :
ומי שאין לו אתרוג או שאר מצוה עוברת א »צ לבזבז עליה הון רב וכמו שאמרו: המבזבז אל יבזבז יותר מחומש אפילו מצוה עוברת  ודוקא מצות עשה אבל לא תעשה יתן כל ממונו קודם שיעבור.
‘Si quelqu’un ne possède pas d’Etrog (de cédrat pour la fête de Soukot) ou d’autre ustensile pour accomplir un commandement même limité dans le temps[7], il n’a pas l’obligation de dépenser un argent considérable, comme l’enseignent nos Maîtres (Traité Ketoubot 50a) : «  que le généreux ne dilapide pas plus qu’un cinquième (de ses biens) ». Ce dont nous venons de parler ne concerne que les commandements positifs de la Torah, mais pour ne pas transgresser un interdit de la Torah il doit être prêt à donner toute sa fortune plutôt que de transgresser.’
Tout son argent. Rabbi Israël Méïr Kagan dans le Mishna Beroura ajoute (§10) : même si, de ce fait, il en arrivera à devoir mendier, il sera interdit de transgresser un interdit de la Torah.
Tout son argent, mais pas sa vie.

VII. Démarche de Rambam. Hilkhot Yéssodé HaTorah. Cinquième chapitre Halakha 6.



Rambam consacre le cinquième chapitre des Hilkhot Yéssodé HaTorah aux Halakhot, lois, relatives au Kidoush HaShem. Nous nous attacherons ici à la cinquième Halakha de ce chapitre.
הלכה ו’. נשים שאמרו להם עובדי כוכבים תנו לנו אחת מכן ונטמא אותה ואם לאו נטמא את כולכן, יטמאו כולן ואל ימסרו להם נפש אחת מישראל.
‘Hakakha 6.  Des femmes à qui des idolâtres disent : donnez-nous l’une d’entre vous et que nous la profanions, sinon nous vous profanerons toutes, que toutes se laissent profaner et qu’elles ne livrent aucune âme d’Israël.’
וכן אם אמרו להם עובדי כוכבים תנו לנו אחד מכם ונהרגנו ואם לאו נהרוג כולכם, יהרגו כולם ןאל ימסרו להם נפש אחת מישראל.
‘De même, si les idolâtres disent : donnez-nous l’un d’entre vous et que nous le tuions, sinon nous vous tuerons tous, que tous se laissent tuer et qu’ils ne livrent aucune âme d’Israël.’
ואם יחדוהו להם ואמרו תנו לנו פלוני או נהרוג את כולכם, אם היה חייב מיתה כשבע בן בכרי יתנו אותו להם. ואין מורין להם לכתחלה. ואם אינו חייב מיתה יהרגו כולן ואל ימסרו להם נפש אחת מישראל.
‘Si les idolâtres spécifient une personne précise et disent : donnez-nous untel pour que nous le tuions, sinon nous vous tuons tous, cela dépend. Si cette personne est condamnée à mort, comme le cas de Shéva ben Bikhri, on le leur donne. Mais on n’enseigne pas cette loi a priori.
Par contre s’il n’est pas condamnable à mort, que tous se laissent tuer et que l’on ne livre aucune âme d’Israël.’

Cette Halakha de Rambam est très célèbre. Elle a sa source dans la dernière Mishna du huitième chapitre du Traité Teroumot et dans le passage du Talmud de Jérusalem afférent. La manière dont Rambam synthétise le passage du Talmud de Jérusalem pose de grandes questions, comme nous allons le voir.

VIII. Sources de la Halakha de Rambam. Dernière Mishna du huitième chapitre du Traité Teroumot et passage du Talmud de Jérusalem qui s’y rapporte.


וכן נשים שאמרו להם נכרים תנו לנו אחת מכם ונטמאה ואם לאו הרי אנו מטמאין את כולכם יטמאו את כולן ואל ימסרו להם נפש אחת מישראל.
‘De même des femmes à qui des idolâtres disent : donnez-nous l’une d’entre vous que nous la profanions, sinon nous vous profanons toutes. Qu’elles se laissent toutes profaner et que l’on ne leur livre aucune âme d’Israël.’

Talmud de Jérusalem sur la Mishna [8]:
תני סיעות בני אדם שהיו מהלכין בדרך. פגעו להן גוים ואמרו תנו לנו אחד מכם ונהרוג אותו ואם לאו הרי אנו הורגים את כולכם. אפילו כולן נהרגים ולא ימסרו נפש אחת מישראל. יחדו להן אחד כגון שבע בן בכרי ימסרו אותו ואל יהרגו.
‘Nos Maîtres enseignent : il y avait une caravane qui allait en chemin. Des idolâtres leur tombèrent dessus et leur dirent : donnez-nous un d’entre vous que nous le tuions sinon nous vous tuons tous. Même si tous meurent, ils ne livreront pas une âme d’Israël. Par contre s’ils désignent quelqu’un comme Shéva ben Birkhi, qu’ils le livrent et qu’ils ne se fassent pas tuer.’
אמר רבי שמעון בן לקיש והוא שיהא חייב מיתה כשבע בן ברכי. ורבי יוחנן אמר אף על פי שאינו חייב מיתה כשבע בן בכרי.
עולא בר קושב תבעתיה מלכותא. ערק ואזיל ליה ללוד גבי רבי יהושע בן לוי. אתון ואקפון מדינתא. סלק גביה רבי יהושע בן לוי ופייסיה ויהביה לון. והוה אליהו זכור לטוב יליף מתגלי עלוי ולא אתגלי וצם כמה צומין ואיגלי עלוי. אמר ליה ולמסורות אני נגלה. אמר ליה ולא משנה עשיתי. אמר לו וזו משנת חסידים.
‘Rabbi Shimon ben Lakish dit : il est permis de livrer celui qui a été désigné par les oppresseurs s’il est condamnable à mort comme Shiva ben Bikhri. Rabbi Yo’hanan dit : même s’il n’est pas condamnable à mort comme Shéva ben Bikhri.
Oula bar Koshèv était poursuivi par les Romains. Il se réfugia chez Rabbi Yéoshoua ben Lévy dans la ville de Lod. Les Romains arrivèrent et firent le siège de la ville. Ils leur dirent : si vous ne nous le livrez pas, nous détruisons la ville ! Rabbi Yéoshoua ben Lévy alla rejoindre Oula bar Koshèv dans sa cachette, l’encouragea et le leur livra.
Le prophète Elie, que son souvenir soit pour le bien, avait l’habitude de se révéler à Rabbi Yéoshoua ben Lévy. A la suite de cela il ne se révéla plus à lui. Rabbi Yéoshoua ben Lévy jeûna plusieurs jeûnes et il se révéla à lui de nouveau. Il lui dit : est-ce que je me révèle à des livreurs de juifs ? Il lui dit : mais n’ai-je pas agi selon la justesse de l’enseignement ? Il lui dit : mais est-ce bien un enseignement pour les zélés de D., pour les ‘Hassidim ?’

Dans un premier temps nous pouvons tout au moins apprendre de ces enseignements un principe majeur de droit : אין דוחין נפש מפני נפש, ‘on ne sauve pas une âme au détriment d’une autre’, ‘on ne sacrifie pas quelqu’un pour un autre’, que ce soit dans un contexte de viol ou dans un contexte de mort. Ce principe majeur relève quelque part du principe que nous avons vu dans le Traité Sanhédrin : Maï ‘Hazit, ‘Qu’est-ce qui me dit que ton sang est plus rouge que son sang ? Peut-être est-ce le contraire, et que son sang est plus rouge que le tien !’. On ne prend pas l’initiative de choisir une personne plutôt qu’une autre[9].
Par contre si les oppresseurs désignent la victime, cela peut éventuellement changer la donne. L’exemple donné dans la Beraïta citée par le Yéroushalmi est l’histoire de Shéva ben Birkhi. De quoi s’agit-il ?


  1. L’épisode de Shéva ben Birkhi. Second livre de Shemouel, chapitre vingt.


    Après la mort tragique d’Avshalom, le fils de David qui s’était révolté contre lui, le royaume eut du mal à retrouver sa cohésion. Et la rivalité entre la tribu de Yéhouda, celle de David, et les dix autres tribus, dont principalement celle de Biniamin, tribu du défunt roi Shaoul, est toujours présente.
    Profitant de ces dissensions latentes, un individu de la tribu de Biniamin appelle les dix tribus autres que Yéhouda à faire sécession :
    ושם נקרא איש בליעל ושמו שבע בן ברכי איש ימיני ויתקע בשופר ויאמר אין לנו חלק בדוד ולא נחלה לנו בבן ישי איש לאהליו ישראל.
    ‘Et là se trouvait un homme sans foi ni loi du nom de Shéva ben Birkhi de la tribu de Biniamin. Il sonna du Shofar et harangua : nous n’avons pas de part dans David, ni d’héritage dans le fils de Ishaï, que chacun retourne dans sa tente! [10]’
    ויעל כל איש ישראל מאחרי דוד אחרי שבע בן בכרי ואיש יהודה דבקו במלכם מן הירדן ועד ירושלים.
    ‘Et ceux d’Israël se détournèrent de David pour suivre Shéva ben Birkhi et les hommes de Yéhouda se collèrent à leur roi, du Jourdain jusqu’à Jérusalem.’Finalement, après de multiples péripéties, Shéva ben Birkhi se réfugie dans une ville fortifiée nommée Avel Beth Maakha.Verset 15 :
    ויבאו ויצרו עליו באבלה בית מעכה וישפכו סוללה אל העיר ותעמוד בחל וכל העם אשר את יואב משחיתים להפיל החומה.
    ‘Ils arrivèrent (Yoav, le chef de l’armée de David et ses hommes) et firent le siège sur lui (sur Shéva ben Birkhi) sur Avel Beth Maakha. Ils dressèrent contre la ville un remblai qui atteignit l’avant-mur, et tout le peuple qui était avec Yoav commençait à cogner pour faire tomber la muraille.’

 

Verset 16 :
ותקרא אשה חכמה מן העיר שמעו שמעו אמרו נא אל יואב קרב עד הנה ואדברה אליך.
‘Une femme ‘Hakhama, intelligente (savante), cria depuis la ville : écoutez ! écoutez ! dites à Yoav : approche-toi d’ici que je puisse te parler !’

La sagesse spéciale de cette femme sera le cœur de notre sujet.

Verset 17 :
ויקרב אליה ותאמר האשה האתה יואב ויאמר אני ותאמר לו שמע דברי אמתך ויאמר שומע אנכי.
‘Il s’approcha d’elle et elle lui dit : es-tu bien Yoav ? Il lui dit : je suis. Elle lui dit : écoute les paroles de ta servante. Il dit : j’écoute.’

Rashi s’interroge : quelle est sa question en demandant s’il est bien Yoav ? Certes ils n’avaient pas de photos à l’époque et les médias étaient limités et bien entendu quand bien même avait-elle entendu parler de cette grande personnalité, toutefois elle ne l’avait jamais vu. Mais quelle pertinence a le verset prophétique à nous souligner le fait qu’elle cherche à s’adresser à la bonne personne ?
Rashi répond et lit le verset ainsi :
Es-tu bien Yoav, c’est-à-dire es-tu bien la grande personnalité dont le verset (plus loin chapitre 23, verset 8) nous enseigne qu’il est le chef du Sanhédrin, du grand tribunal rabbinique ?
Cette question, comme Rashi nous aide à la saisir, nous fait comprendre que les enjeux du dialogue à venir sont des enjeux légaux, halakhiques.

Verset 18 :
ותאמר לאמור דבר ידברו בראשונה לאמור שאול ישאלו באבל וכן התמו.
‘Elle reprit par ces termes : il aurait fallu commencer par des pourparlers, c’est-à-dire interroger les habitants d’Avel, et on en aurait ainsi terminé.’

Rashi, à la suite de la traduction en araméen du texte par Yonathan ben Ouziel, explique que cette femme ‘Hakhama, intelligente (savante), interpelle Yoav sur une faute halakhique majeure. En effet la Torah nous enjoint que, si l’on fait la guerre avec qui que ce soit, on doit au préalable faire des pourparlers de paix, comme dit le verset (Devarim 20,10) :
כי תיקרב אל עיר להלחם עליה וקראת אליה לשלום.
‘Quand tu t’approcheras d’une ville pour lui faire la guerre, tu commenceras tout d’abord par lui proposer un plan de paix.’
Et Rambam rapporte cette obligation de la Torah dans tous ses détails dans le Mishné Torah, Hilkhot Melakhim, chapitre 6 :
אין עושין מלחמה עם אדם בעולם עד שקוראין לו שלום אחד מלחמת הרשות ואחד מלחמת מצוה.
‘On ne fait de guerre avec quiconque dans le monde si on ne lui a pas proposé un plan de paix au préalable, que ce soit une guerre enjointe par la Torah ou une guerre dont l’initiative soit humaine [11].’

Donc cette femme fait dans un premier temps une remontrance acerbe à Yoav. En effet il vient avec son armée et s’en prend à la muraille de la ville sans échange verbal quelconque avec ses habitants. Dans un premier temps elle lui fait remarquer qu’il enfreint un commandement explicite de la Torah.
Elle continue.

Verset 19 :
אנכי שלומי אמוני ישראל אתה מבקש להמית עיר ואם בישראל למה תבלע נחלת ה’.
‘Je suis parfaite dans ma fidélité d’Israël et tu cherches à tuer une ville, une mère d’Israël ! Pourquoi veux-tu engloutir le patrimoine de D. ?’

Le Malbim dans son commentaire sur ce verset nous aidera à rendre compte de la cohérence première de ce verset sublime et éminemment poétique.
Shloumé Emouné Israël, je suis parfaite et fidèle dans Israël. C’est-à-dire que je suis d’une totale loyauté envers mon roi, le roi David. Et de ce fait je suis d’une fidélité totale envers mon D., le D. d’Israël. Donc pourquoi viens-tu abattre notre ville, métropole [12] du territoire d’Israël ?
Les versets qui nous occupent font partie du livre de Shemouel. Le prophète Shemouel est le prophète à l’origine de la royauté dans le peuple d’Israël. Il a nommé sur l’ordre de D. le roi Shaoul et ensuite le roi David lorsque ce premier fauta et fut rejeté par D. qui l’avait nommé. Le fait que la nomination d’un roi dans Israël doit être initiée par la parole du prophète montre que cette nomination proposera une autre forme de politique que celle que nous aurions envisagée spontanément, et s’y soumettre ne dénote pas seulement une soumission au pouvoir des hommes mais une soumission à la volonté de D..  La Malkhout Beth David, la royauté du roi David, est le dévoilement dans la vie quotidienne des hommes et de la société humaine qu’une autre politique est possible. La majorité du texte du livre de Shemouel rend compte des soubresauts qu’ont entrainés l’avènement de la royauté de David et la difficulté que beaucoup d’hommes de pouvoir ont eue de vivre avec, et la volonté qu’ont eue certains de tout faire pour l’éradiquer.
C’est dans ce sens que nous pourrons rendre compte du verset présent :
Je suis parfaite dans mon attachement à la royauté du roi David et de ce fait je suis d’une loyauté totale avec mon Créateur. Pourquoi donc viens-tu détruire le patrimoine de D., notre ville fidèle à D.. Elle fait référence par ces mots au cas d’une ville qui aurait succombé à l’idolâtrie dont le châtiment est d’être rasée, ‘la ville bannie’, Hir HaNida’hat (voir Devarim chapitre 13, versets 13 à 19). Donc pourquoi viens-tu raser notre ville, nous n’avons rien à voir avec une Hir HaNida’hat ?
Cette explication qui rend compte de la littéralité du verset et qui est en substance la première explication du commentaire de Rashi sur ce verset ne laisse pas de nous étonner. En effet si elle parle en son nom propre et affirme sa loyauté à la royauté de David, en quoi cela prouve-t-il la loyauté de l’ensemble de la ville ? Ce point sera analysé plus loin.

Réponse de Yoav.
Versets 20 et 21 :
ויען יואב ויאמר חלילה חלילה לי אם אבלע ואם אשחית. לא כן הדבר כי איש מהר אפרים שבע בן ברכי שמו נשא ידו במלך בדוד תנו אותו לבדו ואלכה מעל העיר ותאמר האשה אל יואב הנה ראשו מושלך אליך בעד החומה.
‘Yoav répondit : loin de moi, loin de moi d’engloutir ni de détruire quoi que ce soit ! Mais les choses ne sont pas comme tu le dis, car un homme de la montagne d’Ephraïm, Shéva ben Birkhi son nom a levé la main contre le roi, contre David. Donnez-le, lui-seul, et je partirai de devant la ville. La femme dit à Yoav : considère que sa tête t’a déjà été jetée par-dessus la muraille !’

‘Les choses ne sont pas comme tu le dis’. Effectivement Yoav rétorque à cette femme que malgré ses dires émouvants, la réalité n’est pas telle qu’elle le dit puisqu’un opposant fanatique à la royauté de David s’est réfugié dans la ville. Donc vous n’êtes pas d’une fidélité parfaite face au roi ni d’une loyauté parfaite par rapport au D. d’Israël. Si vous nous le livrez nous passerons notre chemin. Et là commence notre sujet. Que représente précisément ce cas de jurisprudence ?

D’autre part, comment cette dame peut-elle s’avancer de cette manière et lui assurer qu’ils vont lui jeter sa tête par-dessus la muraille ? Et de plus pourquoi le décapiter et non le livrer simplement comme Yoav le demande ?

Verset suivant :
ותבוא האשה אל כל העם בחכמתה ויכרתו את ראש שבע בן בכרי וישלכו אל יואב ויתקע בשופר ויפוצו מעל העיר איש לאהליו ויואב שב ירושלים אל המלך.
‘La femme vint vers tout le peuple avec toute sa science, sa ‘Hokhma, et ils tranchèrent la tête de Shéva ben Birkhi et jetèrent à Yoav. Il souffla de la corne, s’éparpillèrent de devant la ville chacun vers sa tente. Et Yoav retourna à Jérusalem chez le roi.’

Plusieurs remarques sur ce verset :
Elle vint avec sa science, sa ‘Hokhma, mais de quelle science s’agit-il ?
Deuxièmement, le verset dit ‘ils jetèrent à Yoav’, pourquoi le verset ne dit-il pas qu’ils jetèrent la tête à Yoav. Ils jetèrent, on ne sait pas quoi, il n’y a pas de complément d’objet direct.
Troisièmement, il est à remarquer que le verset dit que chacun retourna à sa tente, ce qui est humoristique car c’était bien l’argument fédérateur de Shéva ben Birkhi contre la royauté de David : non à la royauté oppressante de David ! Chacun retourne à sa tente ! Et maintenant que Shéva ben Birkhi est éliminé, chacun retourne à sa tente.

L’explication de ce verset soulève de grands débats et de grands développements. Le commentaire de Rashi sur le verset synthétise en quelques mots l’ampleur de la problématique. Il cite la Tossafta du Traité Teroumot (chapitre 7, Tossafta 23) :
‘Elle leur a dit : étant donné qu’il va être tué et vous aussi, donnez-le-leur. S’il pouvait s’échapper, par exemple qu’il eût été caché à l’intérieur et que vous soyez à l’extérieur, que vous soyez en danger mais que lui pourrait fuir, alors dans ce cas on ne repousse pas une vie pour en sauver une autre. On ne tue pas quelqu’un pour sauver d’autres personnes. Mais maintenant que lui aussi serait tué étant donné que les murailles vont être abattues et qu’il ne pourrait pas fuir, il vaut mieux qu’il meure seul et que vous ne mourriez pas avec lui.
Rabbi Shimon dit : ainsi leur a-t-elle dit, toute personne qui se révolte contre la royauté de la maison de David est condamnable à mort.’

Le cas de Shéva ben Birkhi soulève en fait deux problèmes :
– il a été désigné par ceux qui font le siège de la ville.
– il est condamnable par le fait qu’il se révolte contre la royauté de la maison de David.
Ces conditions s’additionnent-elles pour permettre de le livrer ou bien une seule de ces conditions est-elle suffisante pour pouvoir permettre de le livrer ?

En première lecture il ressort que le premier avis pense que si le fugitif a été désigné par les oppresseurs nous ne sommes plus dans le cas de אין דוחין נפש מפני נפש, ‘on ne livre pas une personne pour en sauver d’autres’, car de toute façon si on ne le livre pas il sera tué avec tous les autres.
Par contre comment définir avec précision l’opinion de Rabbi Shimon ? Il affirme que Shéva ben Birkhi est un cas d’espèce qui n’entre nullement dans la problématique de אין דוחין נפש מפני נפש, ‘on ne livre pas une personne pour en sauver d’autres’. Shéva ben Birkhi s’est révolté contre la royauté de la maison de David et il faut par tous les moyens s’en débarrasser. Il est en soi un danger dont il faut se débarrasser. Comme tout danger il ne faut pas trainer, et il est inutile qu’un tribunal siège pour le condamner. Nous jetons sa tête par-dessus la muraille. Est-ce à dire que Rabbi Shimon est en discussion avec le premier avis, et affirme que le fait d’avoir été désigné par l’ennemi n’est pas une condition suffisante et que pour le livrer il faille qu’il soit condamnable à mort de fait comme Shéva ben Birkhi ? Ou bien affirme-t-il simplement que Shéva ben Birkhi est condamnable à mort sans autre forme de jugement ?
Le commentaire magnifique de Rabbi Its’hak Shabadron sur la Tossafta, Min’hat Its’hak, penche comme notre première proposition.

Rashi ne rapporte pas la Tossafta dans un but de mettre à jour la dimension légale de l’épisode mais dans un but de rendre compte des aspérités et de la richesse du verset.
C’est pourquoi il rapporte les deux avis de la Tossafta. Le premier avis nous explique quelle est la science particulière de cette femme : bien qu’il y ait un principe fondamental du droit de la Torah, le principe de ‘on ne livre pas une personne pour en sauver d’autres’, néanmoins si cette personne a été désignée par des oppresseurs il sera licite de la livrer.
L’opinion de Rabbi Shimon rend compte d’un deuxième aspect du cas de Shéva ben Birkhi : le fait qu’il se soit révolté contre la royauté de la maison de David. Il faut s’en débarrasser, c’est un danger. Cette nuance rend compte du fait qu’ils prennent l’initiative de le décapiter et non de le livrer seulement. Et de plus cela rend compte de l’absence de complément d’objet direct dans le verset :
‘ils tranchèrent la tête de Shéva ben Birkhi et jetèrent à Yoav’, ce n’est pas écrit ‘il jetèrent la tête à Yoav’, comme si ce n’était rien du tout. Ils jetèrent à Yoav. Quoi ? rien [13].

X. Retour à la discussion entre Rabbi Yo’hanan et Rish Lakish dans le Talmud de Jérusalem Traité Teroumot.

Reprenons la Tossafta citée par le Yéroushalmi :
‘Nos Maîtres enseignent : il y avait une caravane qui allait en chemin. Des idolâtres leur tombèrent dessus et leur dirent : donnez-nous un d’entre vous que nous le tuions sinon nous vous tuons tous. Même si tous meurent, ils ne livreront pas une âme d’Israël. Par contre s’ils désignent quelqu’un comme Shéva ben Birkhi, qu’ils le livrent et qu’ils ne se fassent pas tuer.’

Rabbi Yo’hanan et Rish Lakish vont analyser ce que veut la Tossafta lorsqu’elle fait référence à Shéva ben Birkhi. En effet comme nous venons de le voir dans le paragraphe précédent le cas de Shéva ben Birkhi cristallisait deux problématiques.

‘Rabbi Shimon ben Lakish dit : il est permis de livrer celui qui a été désigné par les oppresseurs s’il est condamnable à mort comme Shiva ben Bikhri. Rabbi Yo’hanan dit : même s’il n’est pas condamnable à mort comme Shéva ben Bikhri.’

La Tossafta dit : ‘s’ils désignent quelqu’un comme Shéva ben Birkhi, qu’ils le livrent et qu’ils ne se fassent pas tuer.’
Rabbi Shimon ben Lakish dit : il faut la connexion des deux facteurs, qu’il ait été désigné et que de plus il soit condamnable à mort, ce qui est le cas précis de Shéva ben Birkhi. Puisqu’il est condamnable à mort, je ne dis pas : qu’est-ce qui me dit que mon sang est plus rouge que son sang, puisque de toute façon nous avons l’obligation de l’exécuter.
Rabbi Yo’hanan dit : cela suffit qu’il ait été désigné par l’oppresseur. Je ne choisis pas, il a été choisi et de toute façon si on ne le livre pas tous seront tués et lui aussi. Je ne sauve pas une vie en éliminant une autre vie puisque de toute façon lui et eux seraient tués.

L’opinion de Rabbi Shimon ben Lakish ne recouvre pas celle de Rabbi Shimon dans la Tossafta puisque Rabbi Shimon dans la Tossafta permet de livrer Shéva ben Birkhi même s’il pouvait se sauver par lui-même étant donné qu’il se révolte contre la royauté de David. Rabbi Shimon ben Lakish lui par contre ne permet de le livrer que s’il a été désigné et de plus s’il est condamnable à mort.

Essayons de rendre de compte du débat entre Rabbi Yo’hanan et Rabbi Shimon ben Lakish.
Si des oppresseurs disent à une population juive : donnez-nous cent d’entre vous sinon on attrape cinq cents d’entre vous et on les massacre. Dans un tel cas on n’a pas le droit de rentrer dans leur jeu car il faudrait trier, et choisir : qui on prend et qui on ne prend pas. C’est le principe : on ne sauve pas une vie sur le prix d’une autre. Qui me dit que son sang est plus rouge que celui de l’autre ?
De même s’ils disent : livrez-nous l’un d’entre vous que nous le tuions, sinon on vous tue tous ! Qu’il se laisse tous tuer. Car là aussi il va falloir trier et décider qui va être la victime, et qui me dit que son sang est moins rouge que le sang d’un autre ? Ce cas est celui de la Mishna du Traité Teroumot.
Troisième cas :
Livrez-nous untel et qu’on le tue, sinon nous vous tuons tous.
Rabbi Yo’hanan dit : il sera licite de livrer cette personne car nous ne l’avons pas désignée, donc je ne fais pas de choix, le choix s’impose à moi. Je ne repousse pas une vie pour une vie.
Rabbi Shimon ben Lakish dit : cela ne ressemble pas au cas de Shéva ben Birkhi car dans ce cas la personne n’est pas condamnable à mort. Ce ne sera licite que si cette personne est condamnable à mort, comme Shéva ben Birkhi au sens strict.
Rabbi Yo’hanan répondra à Rabbi Shimon ben Lakish que le cas qui nous occupe pourra être comparé à celui de Shéva ben Birkhi en cela que là-bas aussi il avait été désigné. Il faudra dire : comme Shéva ben Birkhi mais pas complètement comme Shéva ben Birkhi.

Outre la divergence entre Rabbi Yo’hanan et Rabbi Shimon ben Lakish dans leur lecture de la Tossafta, comment pouvons-nous rendre compte de leur débat de fond ?
Pour Rabbi Yo’hanan, puisque de toute façon cet individu qui a été désigné par l’oppresseur ne s’en sortira pas d’aucune façon, et qu’il a été désigné, je n’opère aucun tri. Il est permis de le livrer.
Peut-être pouvons-nous dire que pour Rabbi Shimon ben Lakish son détracteur, le choix opéré par l’oppresseur est par principe inepte, et que rentrer dans son jeu est quelque part un choix. Je rentre dans son ineptie, c’est un genre de ‘se sauver sur le dos d’un autre’. Par contre s’il est condamnable à mort, je peux dire que son sang est moins rouge que le mien.

XI. Retour au Rambam cinquième chapitre de Yéssodé HaTorah Halakha 6. Démarche de Rabbi Yossef Caro dans le Késsèf Mishné.


Reprenons la Halakha de Rambam citée plus haut :
‘De même, si les idolâtres disent : donnez-nous l’un d’entre vous et que nous le tuions, sinon nous vous tuerons tous, que tous se laissent tuer et qu’ils ne livrent aucune âme d’Israël.
Si les idolâtres spécifient une personne précise et disent : donnez-nous untel pour que nous le tuions, sinon nous vous tuons tous, cela dépend. Si cette personne est condamnée à mort, comme le cas de Shéva ben Bikhri, on le leur donne. Mais on n’enseigne pas cette loi a priori.
Par contre s’il n’est pas condamnable à mort, que tous se laissent tuer et que l’on ne livre aucune âme d’Israël !’

Rabbi Yossef Caro dans son commentaire Késsèf Mishné pose deux questions sur cette décision de Rambam.
Premièrement comment se fait-il que Rambam tranche la Halakha comme Rabbi Shimon ben Lakish, mais nous avons un principe (Yévamot 36a) que la Halakha suit l’avis de Rabbi Yo’hanan en toute circonstance sauf trois exceptions mentionnées précisément dans le passage sus-cité dans Yévamot ?
Deuxièmement il cite Rabbi Moshé HaCohen de Lunel qui, dans ses remarques sur Rambam, interroge le fond de l’opinion de Rabbi Shimon ben Lakish, et analyse le sujet de la manière suivante.
Lorsque les oppresseurs nous exigent : livrez-nous l’un d’entre vous sinon nous vous tuons tous. Dans ce cas indubitablement il faut choisir quelle personne livrer, et face à ce choix il vaut mieux que nous nous laissions tous tuer.
Par contre s’ils désignent une personne précise, bien que cette personne n’ait rien fait en tant que telle, et que leur demande soit scélérate et inepte, de toute façon étant donné que dans le refus tous vont être tués et même celui qu’ils exigent, la notion de Maï ‘Hazit, de qui te dit que le sang ne s’applique pas. Pourquoi ne pas le livrer et exiger qu’il soit condamnable à mort ?

Il propose plusieurs réponses à la première question. La principale peut être le fait que la lecture la plus aisée dans la Tossafta va plutôt dans le sens de Rabbi Shimon ben Lakish, comme nous l’avons vu dans le paragraphe précédent (Rabbi Yossef Caro répond ainsi dans le Beit Yossef pour rendre compte de la démarche de Rambam). Le Gaon de Vilna, dans son Biour §16 du chapitre 157 de Yoré Déah, propose de dire que peut-être Rambam s’appuie-t-il sur le cas de jurisprudence de Rabbi Yéoshoua ben Lévy où Oula bar Koshèv était manifestement condamné à mort par les autorités.

La réponse du Késsèf Mishné à la seconde question va nous apporter un regard complètement nouveau sur le sujet de Maï ‘Hazit, de qui te dit que mon sang est plus rouge que le sien.
Nous en donnons notre traduction :
‘Il est possible de dire que Rabbi Shimon ben Lakish pense que lorsque la Guemara justifie le fait qu’il faille se laisser tuer plutôt que de tuer autrui vienne sur la base du raisonnement de Maï ‘Hazit, de qui te dit, n’est pas la base véritable de l’enseignement. Il faudrait dire que la Guemara donne cette explication en disant que c’est un raisonnement simple, ce qui est vrai, mais le fond du sujet est que nos Maîtres savent par tradition de Maître à élève que dans des cas de meurtre il faille se laisser tuer plutôt que de tuer. Ils ont donné l’explication de Maï ‘Hazit pour les cas habituels, mais l’interdit subsistera même si cette explication ne s’applique pas.’

En d’autres termes, pour justifier l’opinion de Rabbi Shimon ben Lakish, opinion faisant force de loi d’après Rambam, le Késsèf Mishné propose de lire le sujet de la manière suivante :
Les Sages de Loud ont conclu qu’en toute circonstance on ne doit pas transgresser trois types d’interdits : l’idolâtrie, les interdits sexuels et le meurtre. Ils apportent des preuves formelles à leur dire. Quant au meurtre la Guemara rapporte le dialogue que Rava a eu avec un monsieur qui était menacé par le seigneur de son village et qui l’a sommé de tuer quelqu’un sinon il le tuait. Là-dessus, Rava lui a dit : laisse-toi tuer plutôt que tu ne tues, qui me dit etc… Mais ceci n’est pas le fond du sujet. Le fond du sujet est qu’il ne faut pas tuer pour sauver sa vie, quelle que soit l’argumentation. Cette démarche est radicalement différente de celle de Rashi et de celle de Tossefot que nous avons analysées plus haut.


XII. Quelle est la conclusion légale dans le Shoul’han Aroukh ?

Rabbi Yossef Caro dans le Beit Yossef, commentaire sur le Tour Yoré Déah chapitre 157, rapporte que le Rash de Sens et Rabbénou Nissim de Gérone, le Ran, tranchent comme l’avis de Rabbi Yo’hanan. Seul Rambam tranche comme Rabbi Shimon ben Lakish comme nous venons de le voir. Par contre Rabbi Yossef Caro ne rapporte rien de ces débats dans le Shoul’han Aroukh, seul Rabbi Moshé Isserless dans ses gloses à la fin du premier paragraphe du chapitre 157 rapporte les deux opinions.
Pourquoi Rabbi Yossef Caro n’aborde-t-il pas le sujet dans son livre de conclusions légales ?
Il nous semble que le silence de Rabbi Yossef Caro sur ce sujet est en soi une lecture du sujet et une manière de lire le Rambam.
Nous avons demandé plus haut pourquoi Rambam tranchait la Halakha comme Rabbi Shimon ben Lakish plutôt que comme Rabbi Yo’hanan. Le Késsèf Mishné, Rabbi Yossef Caro, donnait aussi comme réponse que dans ces sujets extrêmement délicats et graves il valait mieux aller dans le sens de la rigueur, משום דהוי ספק נפשות ולהחמיר דלא ימסרוהו בידים בידי עובדי כוכבים, ‘parce que nous sommes en face d’un débat qui porte sur des vies humaines, sujet pour lesquels il est de mise d’être prudent et de ne pas livrer activement dans les mains des oppresseurs’. De plus nous voyons que Rabbi Yéoshoua ben Lévy, grand Maître s’il en est, a suivi l’opinion la plus prudente et néanmoins le prophète Elie a refusé de le visiter tant qu’il ne s’était pas amendé. Episode rendu par Rambam en disant : ‘mais on n’enseigne pas ainsi a priori’.
Le Shakh, Rabbi Shabtaï Cohen au paragraphe 15 synthétise en quelques mots la problématique :
וכתב דרכי משה בשם ההגהות מיימוניות שצריך לחזור לכתחלה כל צדדים קודם שימסרוהו.
‘Le Darké Moshé (Rabbi Moshé Isserless) écrit au nom du Hagahot Maïmoniot qu’il faut prendre en compte a priori tous les aspects du problème avant de livrer dans les mains des oppresseurs’.
C’est pourquoi on ne fait pas étalage d’une conclusion sur le sujet, car l’on risque de s’appuyer sur cette conclusion et faire un meurtre sans s’en rendre compte. En effet il est possible qu’au vu de la pression extrême on escamote de voir un aspect du problème et que l’on fasse un crime en toute bonne foi.
Rabbi Yossef Caro ne veut pas que l’on se dédouane en disant : c’est écrit dans le Shoul’han Aroukh ! Rien n’est écrit dans le Shoul’han Aroukh. Si un cas se présente à toi, confères-en aux grands décisionnaires de ton époque qui t’aideront à analyser et à trancher selon les finesses du cas en présence. Mais ne dis pas : c’est écrit !
XIII. Réflexion que nous inspire l’omission de Rabbi Yossef Caro.


Le point précis que nous venons de mettre à jour constitue une des motivations qui nous poussent à rédiger cet ouvrage. En effet on pourrait être déconcerté par la profusion de détails techniques et légaux que mettent en jeu les sujets abordés. Mais le but n’est pas la technicité mais de se rendre compte de la hauteur de vue des Maîtres de notre Tradition et de la Kedousha de notre Torah. En effet face à ces pressions et ces risques de pertes de vies humaines, nous pourrions nous dire : sauvons ce qui peut être sauvé ! Ce qui dans l’absolu est vrai. Mais face à des oppresseurs, prendre en compte les risques de commettre des crimes et de rentrer dans leur jeu dénote d’une manière radicalement différente d’aborder la vie et la mort. Cette différence s’appelle Kedousha, Kidoush HaShem. Dans ces circonstances c’est l’expression d’une grandeur que d’assumer de se laisser tuer, même si on aurait pu chercher des solutions mêmes légales qui nous auraient autorisés à s’en sortir en livrant une personne désignée. Nous entrons là dans une sphère de perception du réel et de la vie autre que la manière instinctive et animale.
Rambam synthétise cette dimension en quelques mots (même chapitre, Halakha 4) :
וכל מי שנאמר בו יהרג ואל יעבור ונהרג ולא עבר הרי זה קידש את השם ואם היה בעשרה מישראל הרי זה קידש את השם ברבים כדניאל חנניה מישאל ועזריה ורבי עקיבא וחביריו ואלו הן הרוגי מלכות שאין מעלה על מעלתן ועליהן נאמר כי עליך הורגנו כל היום נחשבנו כצאן טבחה.
‘Toute personne confrontée à un cas où elle doit donner sa vie plutôt que ne transgresser, et que cette personne s’est laissée tuer et n’a pas transgressé, a sanctifié le Nom de D., et si cela s’est fait en présence de dix Israëls, elle a sanctifié le Nom au sein de la Communauté comme Daniel, ‘Hanania, Mishaël et Azaria, Rabbi Akiva et ses compagnons, ce sont ceux qui ont été assassinés par le royaume impie dont le niveau supérieur n’a pas d’égal. A leur sujet le verset dit (Téhilim 44,23) « Car pour Toi nous nous sommes laissés tuer toute la journée, nous avons été considérés comme des moutons à l’abattoir ».’

XIV. Retour aux démarches de Rashi et de Tossefot dans leur analyse de Maï ‘Hazit. Etude de la suite de la Halakha 4 de Rambam.


Nous avons vu plus haut aux paragraphes 3 à 5 de cette étude une différence de fond entre la démarche de Rashi et celle de Tossefot dans la compréhension de la notion de Maï ‘Hazit et dans l’approche globale de l’obligation d’accomplir les commandements de la Torah.
D’après Rashi, s’il n’y avait pas le verset de ‘ils vivront avec’ nous aurions pensé qu’il eût été nécessaire d’accomplir tout commandement de la Torah même si notre vie est en jeu. Selon une approche dans Tossefot, il aurait été évident, sans trouver un verset spécifique pour cela, que si la vie est en jeu nous n’aurions pas été engagés à accomplir les commandements de la Torah.
Da la suite de la Halakha 4 de Rambam que nous venons d’aborder, nous pourrons mettre à jour de nouvelles directions de travail dans notre sujet qui déboucheront sur de nouvelles incidences légales entre ces deux démarches.

 

Suite de la Halakha 4 de Rambam (chapitre 5) :
וכל מי שנאמר בו יהרג ואל יעבור ועבר ולא נהרג הרי זה מחלל את השם ואם היה בעשרה מישראל הרי זה חילל את השם ברבים ובטל מצות עשה שהיא קידוש השם ועבר על מצות לא תעשה שהיא חילול השם. ואף על פי כן מפני שעבר באונס אין מלקין אותו ואין צריך לומר שאין ממיתין אותו בית דין אפילו הרג באונס שאין מלקין וממיתין אלא לעובר ברצונו ובעדים והתראה שנאמר בנותן מזרעו למולך ונתתי אני את פני באיש ההוא, מפי השמועה למדו ההוא לא אנוס ולא שוגג ולא מוטעה. ומה אם עבודת כוכבים שהיא חמורה מן הכל העובד אותה באונס אינו חייב כרת ואין צריך לומר מיתת בית דין, קל וחומר לשאר מצות האמורות בתורה. ובעריות הוא אומר ולנערה לא תעשה דבר.
‘Maintenant, la personne qui se trouvait dans une situation où la Halakha était qu’elle devait se laisser tuer plutôt que de transgresser, et qu’elle a transgressé et qu’elle ne s’est pas laissée tuer a profané le Nom de D. et si cela s’est passé en présence de dix Israëls a profané le Nom de D. au sein de la communauté, a annulé le commandement positif de sanctifier le Nom de D. et a transgressé le commandement négatif de profaner le Nom de D.. Cependant étant donné que cette personne a transgressé dans un cas de force majeure, de Oness, de contrainte majeure, elle n’est pas passible de pénal, ni de flagellation, et bien entendu ni de peine de mort du tribunal, quand bien même cette personne aurait-elle tué autrui sous la contrainte. En effet la Torah ne prévoit des condamnations en pénal, de flagellation ou de mort, que pour le contrevenant volontaire (Mézid), sur lequel il y a témoins et sommation, comme dit le verset au sujet de celui qui donne de sa descendance au Molekh (Vayikra 20,5) « Je mettrai ma face sur cet homme, sur celui-là ». La Tradition Orale nous enseigne sur l’insistance du mot « sur celui-là » : lui, et non contraint ; lui, et non par erreur ; lui, et non induit en erreur.  Et nous pouvons généraliser à partir de là : si déjà dans un cas d’idolâtrie qui représente la transgression la plus grave, la personne contrainte n’est condamnable ni de retranchement de l’âme (Karèt) ni de condamnation à mort par le tribunal des hommes, raison de plus pour les autres commandements de la Torah. Et au sujet de la jeune fille fiancée (qui a été violée) le verset dit (Devarim 22,26) « et vous ne ferez rien à la jeune fille ».’

Plusieurs éléments nouveaux ressortent de cette Halakha de Rambam.
Premièrement, si quelqu’un a transgressé un de ces trois interdits fondamentaux sous la contrainte de mort et qu’il y aurait eu sommation de ne pas transgresser et témoignage sur sa transgression, malgré tout cette personne n’est pas condamnable en pénal d’aucune manière.
Deuxièmement, si cette personne a transgressé ces interdits dans l’intimité, elle a transgressé l’interdit de profaner le Nom de D. et n’a pas accompli le commandement de sanctifier le Nom de D. .
Mais ces deux points, bien qu’affirmés clairement par Rambam, ne font pas consensus.
Rabbi Nissim ben Réouven, le Ran, dans son commentaire sur Sanhédrin 61b, rapporte une grande discussion sur le premier point entre Rabbi David Bonfils [14] et les autres commentateurs, Rambam et Ramban.
Rapportons le contexte.

Sanhédrin 61b :
איתמר העובד עבודה זרה מאהבה ומיראה, אביי אמר חייב, רבא אמר פטור. אביי אמר חייב דהא פלחה, רבא אמר פטור, אי קבליה באלוה אין אי לא לא.
‘Nos Maîtres enseignent. Celui qui fait acte d’idolâtrie par amour ou par crainte, Abayé dit qu’il est condamnable, Rava dit qu’il est exempt. Abayé condamne car il a fait acte d’idolâtrie. Rava exempt : s’il l’a accepté sur lui comme dieu, oui. Sinon, non.’

De quoi s’agit-il ?
Rashi explique : ‘par amour pour un homme ou par crainte d’un homme, la personne ne considère nullement cette idole comme dieu dans son cœur.’

Avant de rentrer plus avant dans les commentateurs, nous pouvons dès à présent nous rendre compte du côté éminemment scabreux de la question posée.
Tossefot (דה »מ רבא אמר פטור) pose la question :
‘Mais comment Rava peut-il dire qu’il n’est pas condamnable mais l’idolâtrie est un des interdits pour lequel il y a l’obligation de donner sa vie plutôt que de transgresser ?’
Tossefot répond :
‘Il faudra dire qu’effectivement bien que l’on ait l’obligation de donner sa vie plutôt que de transgresser, néanmoins si la personne a transgressé plutôt que de se laisser tuer elle n’est pas condamnable.’
Telle est la première réponse de Tossefot. Selon cette réponse il faudra dire que cela est le cœur de la discussion entre Abayé et Rava, et que Abayé s’opposerait à ce point et penserait qu’a posteriori le contrevenant serait condamnable en pénal.
Mais Rabbi David Bonfils, rapporté dans le commentaire du Ran sur Sanhédrin 61b, s’oppose frontalement à ce point précis et affirme que si quelqu’un est confronté à ce dilemme et transgresse et fait acte d’idolâtrie plutôt que de se laisser tuer, et que cette personne a reçu une sommation claire de ne pas transgresser, il n’y aura pas de débat et indubitablement elle sera condamnable en pénal. Le débat tournera autour du point suivant : l’idolâtrie implique une soumission à une croyance, ce que nos Maîtres appellent : קבלו עליו באלוה, ‘il le prend sur lui comme dieu’.
Lorsque quelqu’un fait un acte de culte d’idolâtrie, sans contrainte extérieure et que cette personne a reçu sur elle une sommation de ne pas faire cet acte de culte idolâtre, elle est condamnable en pénal selon tous les avis.
Le problème posé ici est le cas de quelqu’un qui fait un acte d’idolâtrie sous la contrainte extrême. Si cette personne exprime explicitement sa soumission à cette idole, en accompagnant son acte d’une déclaration en disant : tu es mon dieu, et Abayé et Rava seront d’accord que cette personne est condamnable en pénal. Le débat entre Abayé et Rava portera si cette personne fait cet acte de culte sans expliciter son adhésion. Rava dira que cette personne sera exempte en pénal car nous pouvons affirmer que comme elle fait cet acte sous la contrainte extrême elle ne prend pas cette idole pour divinité. Abayé s’opposera et dira qu’accomplir l’acte est de fait une soumission au pouvoir de ce dieu.
Le point de débat entre Abayé et Rava est très subtil et à haut risque. Peut-on dire que je me soumets mais en vérité je garde mon indépendance, ma distance, et que je n’y crois pas ?
Le débat portera sur l’idolâtrie où la base est l’adhésion à un système, à une croyance, mais, d’après Rabbi David Bonfils, il n’y aura aucun débat entre Abayé et Rava dans les cas de Arayot, d’interdit sexuel, et de meurtre, si la personne a transgressé même sous la contrainte extrême et qu’il y a eu sommation, cette personne sera condamnable en pénal.
Le Ramban, à la suite du Rambam cité plus haut, s’oppose fondamentalement à Rabbi David, et défend qu’il ne peut nullement y avoir de condamnation en pénal dans des cas de transgression sous la contrainte extrême. Il faudra expliquer le débat entre Abayé et Rava tout autrement.
Le Ramban explique ‘par crainte’, ce n’est pas la crainte majeure de mort car il n’y aurait pas de débat entre Abayé et Rava, mais ‘par crainte’ qu’il subisse un dégât financier. Rava dit que dans un tel cas de figure il ne sera pas condamnable en pénal à titre d’idolâtrie car son but est financier et non pas idéologique, et qu’il n’a aucune adhésion à l’idolâtrie. Abayé dira que l’on ne rentre pas dans ces considérations, et qu’il sera condamnable car il a servi peu ou prou l’idolâtrie.

Le Ran, dans la suite de son développement et dans son exposé des lectures respectives de Rabbi David Bonfils et du Ramban, va relier la première innovation que nous avons relevée dans cette Halakha de Rambam à la seconde.
Le Ramban, comme nous venons de le dire, s’oppose à la démarche de Tossefot et à celle de Rabbi David. Pour lui il n’est pas concevable que quelqu’un puisse être condamnable en pénal dans un cas de danger de mort, et il n’est pas concevable qu’il puisse y avoir débat sur ce point.
Son raisonnement est le suivant : nous avons vu plus haut, au début de notre étude (§2), que pour Rabbi Yishmaël pour tout commandement de la Torah, si l’on nous contraint à transgresser en public (en présence de dix Israëls, il s’impose à nous de nous laisser plutôt que de transgresser à titre du commandement de Sanctifier le Nom de D., ונקדשתי בתוך בני ישראל. Les détracteurs de Rabbi Yishmaël sont d’accord avec lui sur ce point. Le litige est si la contrainte extrême est dans l’intimité, mais en public ils sont d’accord. Le Ramban déduit de là que lorsque l’on parle de donner sa vie plutôt que de transgresser, c’est en vertu du verset de ‘Je me ferai sanctifier au sein des enfants d’Israël’ bien qu’il y ait concomitamment l’injonction de Ve’Haï Baém, ‘il vivront avec’.
Reprenons son raisonnement en d’autres termes.
Il y a une injonction générale de vivre avec les Mitsvot, avec les commandements de la Torah, Ve’Haï Baém, ‘il vivront avec’. Néanmoins, lorsque la contrainte est en public tout le monde est d’accord qu’il faut donner sa vie plutôt que de transgresser. Mais comment est-ce possible puisqu’il y a l’injonction de vivre avec les commandements de la Torah ?
De cette question le Ramban déduit un principe fondamental. Il y a deux notions : premièrement, les commandements de la Torah n’impliquent pas par définition de donner notre vie pour les respecter, en vertu du principe de ‘ils vivront avec’. Deuxièmement, dans des cas ponctuels, il peut y avoir d’autres considérations, des considération supérieures. Sur ce point nous rapportons le langage sublime du Ramban :
דהא אף על גב דבעבודה זרה אמרינן דיהרג ואל יעבור היינו שהוא מצוה עליו שיהרג על שמו של הקדוש ברוך הוא אבל שיהרג בבית דין אין לנו ואי עבר פטור.
‘Bien qu’en fait dans des cas d’idolâtrie nous disions que même dans l’intimité nous disions qu’il doive se laisser tuer plutôt que de transgresser, c’est-à-dire qu’il y a une obligation qui lui incombe de se laisser tuer pour le Nom de D., mais qu’il soit condamnable s’il n’a pas accompli cette obligation il n’en est rien, et il ne sera nullement condamnable en pénal.’

Quant aux interdits de la Torah, dès qu’il y a une contrainte de mort, la personne en tant que telle ne doit pas se laisser tuer, car il y a un principe que les commandements n’ont pas été donnés pour mourir mais pour vivre ! Mais dans des cas précis, entrent d’autres considérations : sanctifier le Nom de D. . Si la personne n’a pas accompli cette injonction supérieure elle a enfreint cette injonction, mais n’est pas condamnable ni de meurtre, ni d’avoir transgressé un interdit sexuel etc..
Donc le Ramban a prouvé que lorsque nos Maïtres nous exigent que nous donnions dans certains cas notre vie, ce n’est pas à titre des conditions internes de l’interdit mais c’est à titre du commandement positif de Sanctifier le Nom de D. . Donc il y a une notion de Sanctifier le Nom de D. dans l’intimité, dans les cas d’idolâtrie, de meurtre et d’interdits sexuels.

Rabbi David Bonfils s’oppose du tout au tout. Il y a un distinguo fondamental entre ces trois commandements et les autres interdits de la Torah. Certes lorsque Rabbi Yishmaël nous enseigne que pour tout interdit, s’il y a contrainte de mort il faille se laisser tuer c’est à titre du commandement de Sanctifier le Nom de D.. Mais quant aux trois interdits fondamentaux ce n’est pas à titre de Sanctifier mais à titre de leur gravité intrinsèque que la Torah nous demande de ne jamais les transgresser. Ce qui implique que si la personne les a transgressés sous la contrainte il sera condamnable en pénal car le principe de ‘ils vivront avec’ n’a pas été dit à leur sujet.
Rabbi David s’objecte à lui-même : mais nous avons vu plus haut qu’au sujet de celui qui sert l’idole appelée Molekh il est dit (cité par Rambam plus haut) « Je mettrai ma face sur cet homme, sur celui-là » et que la Tradition Orale nous enseigne sur l’insistance du mot « sur celui-là » : lui, et non contraint, et non Anouss ?
Il répond qu’il faudra comprendre Anouss dans cet enseignement dans le sens ‘perturbé’ mentalement par exemple, ayant l’esprit pas clair. Mais que sous la contrainte de mort il sera condamnable.

Nous pouvons maintenant revenir à la démarche de Rashi et à celle de Tossefot. Et nous pouvons dès lors affirmer que d’après la démarche de Rashi dans les trois cas fondamentaux si la personne a transgressé plutôt que de se laisser tuer et qu’il y a eu témoignage et sommation, elle sera condamnable en pénal. Mais non d’après la démarche de Tossefot.

XV. Retour sur la démarche de Rambam dans la notion de Maï ‘Hazit. Et retour sur l’histoire de Shéva ben Birkhi. Démarche du ‘Hazon Ish.



Nous avons apporté aux paragraphes 11,12 et 13 de cette étude la lecture que proposait Rabbi Yossef Caro dans le Késsèf Mishné pour rendre compte de la conclusion légale de Rambam. En substance, si la Guemara justifiait le fait que l’interdit de tuer n’est pas repoussé dans un cas de contrainte extrême en vertu de l’adage de ‘qu’est-ce qui me dit que ton sang etc..’, ce raisonnement n’est pas en fait le fin mot. Il faut dire que nous savons par tradition ce principe, et que l’interdit s’applique même si techniquement Maï ‘Hazit ne s’applique pas.
Malgré la puissance de cette démarche, le ‘Hazon Ish dans le chapitre 25 de son commentaire sur le Traité Sanhédrin (section ‘Hoshen Mishpath) nous invite à relire tout le sujet.

Reprenons le Yéroushalmi :
‘Nos Maîtres enseignent : il y avait une caravane qui allait en chemin. Des idolâtres leur tombèrent dessus et leur dirent : donnez-nous un d’entre vous que nous le tuions sinon nous vous tuons tous. Même si tous meurent, ils ne livreront pas une âme d’Israël. Par contre s’ils désignent quelqu’un comme Shéva ben Birkhi, qu’ils le livrent et qu’ils ne se fassent pas tuer.
Rabbi Shimon ben Lakish dit : il est permis de livrer celui qui a été désigné par les oppresseurs s’il est condamnable à mort comme Shiva ben Bikhri. Rabbi Yo’hanan dit : même s’il n’est pas condamnable à mort comme Shéva ben Bikhri.’

Le ‘Hazon Ish demande : la Beraïta citée par le Yéroushalmi fait référence à Shéva ben Birkhi, s’ils désignent quelqu’un comme Shéva ben Birkhi.
Rabbi Shimon ben Lakish permettra de le livrer s’il est condamnable à mort comme Shéva ben Birkhi, mais de quelle condamnation parle-t-on ?
Spontanément nous comprenons que pour Rabbi Shimon ben Lakish on ne pourra le livrer que s’il est condamnable à mort selon notre juridiction. Le ‘Hazon Ish demande alors : mais si cette personne est condamnable à mort selon notre juridiction pourquoi faut-il attendre qu’elle soit désignée par les ennemis ? Si les ennemis demandent qu’on leur livre une personne sinon ils tuent tout le monde, s’il y a dans la population une personne en instance d’exécution pourquoi ne la livrerions-nous pas ? Donc le débat entre Rabbi Yo’hanan et Rish Lakish portera sur quelqu’un qui est condamnable selon la législation des ennemis et non selon la nôtre. Selon cette mise en perspective, le débat se trouve complètement métamorphosé.
Si un juif est condamné à mort par les autorités non-juives et se réfugie auprès de ses frères. Ces autorités arrivent et menacent la communauté en disant : donnez-le-nous que nous l’exécutions, sinon nous vous tuons tous. Dans ce cas il n’y a pas de débat. Tous sont d’accord que se réfugiant auprès de ses frères il met la communauté en danger et prend le statut d’agresseur auprès de ses frères, de Rodef, רודף.
Rish Lakish dira que, par contre, s’ils viennent et désignent une personne de manière arbitraire il sera interdit de la leur livrer, car pourquoi entrer dans leurs considérations ineptes ?
Rabbi Yo’hanan pensera que même dans ce cas il sera permis de livrer cette personne désignée car nous ne trions personne. Le fait est que c’est cette personne maintenant qui met la communauté en danger, même si elle n’en a aucune responsabilité en tant qu’elle-même.
D’après cette démarche innovante mais qui a le courage de poser clairement les questions que nous n’osions pas poser sur le débat entre Rabbi Yo’hanan et Rish Lakish, la question posée par Rabbi Moshé Cohen rapportée par le Késsèf Mishné ne se pose plus. Si Rambam tranche comme Rish Lakish ce n’est pas une preuve qu’il ne tient pas le principe de Maï ‘Hazit. Le débat n’est plus là-dessus. Le débat est de définir est-ce que cette personne a un statut de Rodef, d’agresseur ou non. Donc, d’après cette lecture, la thèse percutante de Rabbi Yossef Caro comme quoi la notion de ‘qu’est-ce qui me dit que mon sang est plus rouge que le tien’ n’est pas le fin mot de l’obligation de se laisser tuer plutôt que de tuer n’a plus de source textuelle ni de pertinence.

XVI. Incidence de la lecture du ‘Hazon Ish sur la compréhension de l’épisode de Oula bar Koshèv.


Rapportons à nouveau la suite du Yéroushalmi.

‘Oula bar Koshèv était poursuivi par les Romains. Il se réfugia chez Rabbi Yéoshoua ben Lévy dans la ville de Lod. Les Romains arrivèrent et firent le siège de la ville. Ils leur dirent : si vous ne nous le livrez pas, nous détruisons la ville ! Rabbi Yéoshoua ben Lévy alla rejoindre Oula bar Koshèv dans sa cachette, l’encouragea et le leur livra.
Le prophète Elie, que son souvenir soit pour le bien, avait l’habitude de se révéler à Rabbi Yéoshoua ben Lévy. A la suite de cela il ne se révéla plus à lui. Rabbi Yéoshoua ben Lévy jeûna plusieurs jeûnes et il se révéla à lui de nouveau. Il lui dit : est-ce que je me révèle à des livreurs de juifs ? Il lui dit : mais n’ai-je pas agi selon la justesse de l’enseignement ? Il lui dit : mais est-ce bien un enseignement pour les zélés de D., pour les ‘Hassidim ?’

Nous avons vu plus haut la lecture que donnait le Rambam de cet épisode et l’incidence pratique qu’en déduisait Rabbi Yossef Caro. En substance, Rambam disait que bien que la Halakha soit comme Rabbi Shimon ben Lakish [15], néanmoins on n’enseigne pas cette décision légale car le risque de céder à la pression est trop grand et la tentation de sacrifier quelqu’un pour sauver un autre trop prégnant.
Cette lecture provient du fait que l’enjeu est de circonscrire la notion de Maï ‘Hazit, c’est-à-dire de faire un choix ou non. Et comme l’explique admirablement Rabbi Yossef Caro, la discussion entre Rabbi Yo’hanan et Rabbi Shimon ben Lakish est de savoir si dans un cas où toute la ville est en danger de mort, et que les ennemis désignent une victime précise, a-t-on le droit de le leur livrer étant donné que ce n’est pas nous qui l’avons désigné. Rabbi Yo’hanan permettra en vertu du principe que dans ce cas nous ne faisons pas de choix et que ne s’applique pas l’impasse de Maï ‘Hazit. Rabbi Shimon ben Lakish dira que même dans ce cas on ne sauve pas un Israël par la vie d’un autre, et que se soumettre à leur dictat inepte est aussi une sorte de choix.
Rambam, et Rabbi Yossef Caro à sa suite, expliquerons donc ainsi les reproches du prophète Elie à Rabbi Yéoshoua ben Lévy. Bien que telle soit la Halakha, il sera déconseillé de rentrer dans ces considérations, même si des vies sont en danger.
Mais, le ‘Hazon Ish, déplaçant complètement le débat, et expliquant que la discussion entre Rabbi Yo’hanan et Rabbi Shimon ben Lakish touche une toute autre problématique, à savoir si une personne désignée par les ennemis est considérée comme un agresseur, orientera les reproches du prophète Elie sur une toute autre direction.
En effet ici il n’est plus du tout question d’un quelconque choix. Si on décide que quelqu’un qui est condamné à mort part les ennemis et qui se réfugie chez nous est considéré comme un agresseur, il n’y a aucune raison de ne pas le livrer pour sauver toute la ville. Et même ne pas prendre ses responsabilités et ne pas le livrer sera considéré comme un crime, ou un suicide. En effet la Torah nous enseigne (Traité Sanhédrin 72a):
הבא להרגך השכם להרגו
‘Celui qui vient te tuer, réveille-toi plus tôt que lui pour le tuer !’
Le problème n’est nullement de savoir si je peux choisir untel ou untel, mais de savoir si cette personne est considérée juridiquement comme un agresseur ou non, un Rodef. Il n’y a plus lieu de tergiverser, pourquoi dès lors le prophète Elie tint-il tellement rigueur à Rabbi Yéoshoua ben Lévy ?
Le ‘Hazon Ish explique alors l’attitude du prophète Elie d’une toute autre manière. Certes dans de telles circonstance la Halakha est qu’il faut livrer cette personne qui met toute la ville en péril. Mais tu aurais dû prier, cher Rabbi Yéoshoua ben Lévy, pour trouver une autre issue, et s’il eût prié, sa prière eût été acceptée, comme nous le voyons dans le Traité Avoda Zara au sujet de Rabbi ‘Hanina bar ‘Hama qui a prié dans une situation difficile et a ressuscité un mort. De même tu arais dû prier et trouver une autre issue au problème, et ne pas être confronté à devoir livrer cet individu toi-même [16].

XVII. Revenons aux versets du livre de Shemouel. Qui est cette femme intelligente, savante ?



Au paragraphe 7 de cette étude nous avons rapporté l’enseignement de Rambam duquel le Késsèf Mishné tirait une démarche novatrice sur la notion de Maï ‘Hazit. Cet enseignement de Rambam tirait sa source de l’épisode de la révolte de Shéva ben Birkhi. Nous nous sommes aussi demandés au paragraphe 11 pourquoi Rambam avait-il tranché la Halakha comme l’avis de Rish Lakish.
Nous voudrions, à cette étape de notre étude, reprendre la lecture des versets du livre de Shemouel, versets à l’origine de ces débats halakhiques majeurs.


Verset 19 :
אנכי שלומי אמוני ישראל אתה מבקש להמית עיר ואם בישראל למה תבלע נחלת ה’.
‘Je suis parfaite dans ma fidélité d’Israël et tu cherches à tuer une ville, une mère d’Israël ! Pourquoi veux-tu engloutir le patrimoine de D. ?’
Nous avons rapporté au paragraphe 9 de cette étude le commentaire du Malbim :
‘Shloumé Emouné Israël, je suis parfaite et fidèle dans Israël. C’est-à-dire que je suis d’une totale loyauté envers mon roi, le roi David. Et de ce fait je suis d’une fidélité totale envers mon D., le D. d’Israël. Donc pourquoi viens-tu abattre notre ville, métropole du territoire d’Israël ?’

Le verset nous interpelle : elle parle en son nom personnel en revendiquant sa fidélité parfaite envers le roi désigné par D., le roi David. Certes, mais en quoi sa fidélité peut-elle être garante de celle de l’ensemble de la ville ?
Rashi met en relief cette difficulté et propose une première lecture du verset :
אנכי שלומי אמוני ישראל. אני מבני העיר, ששלמים ונאמנים לישראל ולמלך.
‘Je suis parfaite et fidèle dans Israël. Je suis une personne de la ville dont les habitants sont parfaits dans leur fidélité à Israël et au roi.’

Rashi nous dit que pour rendre compte du sens simple, du Pshat du verset, il faudra le lire de cette manière.
Mais fort de cette difficulté de lecture, Rashi va donner une seconde lecture au nom du Midrash :
ומדרש אגדה. סרח בת אשר, אני השלמתי נאמן לנאמן, על ידי נגלה ארונו של יוסף למשה, אני הגדתי ליעקב כי יוסף חי.
‘Le Midrash Hagada (Midrash Béréshit Rabba chapitre 94, Yalkouth Shimoni sur le verset de Shemouel) explique : cette femme était Séra’h la fille d’Asher le fils de Yaakov. C’est moi qui aie complété le fidèle au fidèle. C’est par moi qu’a été dévoilé le cercueil de Yossef à Moshé. C’est moi qui aie réussi à transmettre à Yaakov que son fils Yossef était toujours vivant.’

La logique simple de ce commentaire de Rashi nécessite explication. La Tradition Orale nous enseigne que cette femme de science, ‘Hakhama, était Séra’h la fille d’Asher le fils de Yaakov. L’expression du verset Shloumé Emouné Israël est ici traduite par shilamti, ‘j’ai complété le fidèle, Nééman, au fidèle, Nééman’. Shalem signifie ‘complet’, ‘parfait’. Nos Maîtres traduisent ici les termes par ‘complété’. Cette femme a aidé Moshé notre Maître, qui est qualifié de Nééman, ‘de confiance’ dans les versets (Bamidbar 12,7), à trouver où se trouvait le cercueil de Yossef, Yossef qui est lui aussi qualifié de Nééman, ‘de confiance’ dans les versets (Béréshit 39,4). C’est elle aussi qui a réussi à dire à Yaakov que son fils Yossef, disparu depuis vingt-deux ans, était toujours vivant.

Le Midrash Rabba (Béréshit Rabba, chapitre 94) qui est la source du commentaire de Rashi ajoute encore une explication au verset qui nous occupe :
אמר לה מאן את. אמרה ליה אנכי שלומי אמוני ישראל, אני הוא שהשלמתי מנינן של ישראל במצרים.
‘Yoav lui a dit : qui es-tu ? Elle lui répondit : je suis Shloumé Emouné Israël, c’est moi qui aie complété le compte des enfants d’Israël en Egypte.’
Le terme Shloumé est traduit ici dans le sens de ‘compléter’.
De quoi s’agit-il ?
Les Maîtres de la Tradition Orale vont nous faire remonter très loin. Alors remontons avec eux !
Dans la Parashat Vayigash (livre de Béréshit), lorsque Yaakov apprend que son fils Yossef est en vie et qu’il est le vice-roi d’Egypte, il part avec tous les siens pour aller en Egypte retrouver Yossef et échapper à la famine extrême qui sévissait dans la terre de Canaan.
Les versets font le compte de toute cette famille.

XVIII. Versets de la Parashat Vayigash (Béréshit chapitre 46).


Verset 26 :
כל הנפש הבאה ליעקב מצרימה יוצאי ירכן מלבד נשי בני יעקב ששים ושש.
‘Toute âme venant pour Yaakov en Egypte, ceux qui sortent de sa cuisse, outre les femmes des fils de Yaakov, soixante-six.’
Verset 27 :
ובני יוסף אשר יולד לו במצרים נפש שנים, כל הנפש הבאה מצרימה שבעים.
‘Et les fils de Yossef qui lui naquirent en Egypte deux âmes. Toute âme venue en Egypte soixante-dix.’

Ces deux versets qui se suivent se contredisent. Le premier nous dit que les enfants de Yaakov qui descendent en Egypte sont au compte de soixante-six, auxquels s’ajoutent Yossef et ses deux fils nés en Egypte. Le total est donc de soixante-neuf. Le second verset affirme que le total est de soixante-dix. Comment est-ce possible ?

Le Rashbam répond que d’après le sens simple il faut distinguer entre ceux qui sortent de la cuisse de Yaakov qui sont au nombre de soixante-neuf, et ceux qui sont descendus en Egypte qui sont au nombre de soixante-dix car alors il faut introduire Yaakov lui-même dans le compte, car lui-même est descendu en Egypte.

Le Rabbin Elie Munk, dans son commentaire La Voix de la Torah sur le verset, rapporte le commentaire du Rosh à la fin de ses décisions légales sur le Traité Pessa’him (chapitre 10, §40) :
‘telle est l’habitude du langage de la Torah, lorsque l’on arrive au compte des dizaines moins une unité de donner le compte plein des dizaines, sans tenir compte du manque d’une unité’.

Néanmoins malgré ces explications pertinentes, Rashi, se basant sur des nuances grammaticales des versets, va donner une explication beaucoup plus élaborée. Cette explication de Rashi est fondée sur la Guemara du Traité Baba Batra 123a et b.

Rashi explique que le premier terme Habaa est grammaticalement au présent dans le sens de ‘venants’. Le second terme Habaa est grammaticalement au passé dans le sens ‘venus’.
Il faudra donc expliquer les versets de cette manière :
Lorsqu’ils sont allés en Egypte ils étaient soixante-neuf. Lorsqu’ils arrivèrent en Egypte ils furent soixante-dix. Comment est-ce possible ? Un enfant leur est né juste au poste frontière. Et c’est cet enfant qui a complété le compte des soixante-dix.

Rashi (sur le verset 15) prend l’option de la Guemara de Baba Batra comme quoi cet enfant est Yokhévèd la future mère de Moshé :
זו יוכבד שנולדה בין החומות בכניסתן לעיר, שנאמר אשר ילדה ללוי במצרים. לידתה במצרים ואין הורתה במצרים.
‘C’est Yokhévèd qui naquit entre les murailles lorsqu’ils entrèrent dans la ville, comme dit le verset (Bamidbar 26,59) « qui a mis au monde à Lévy en Egypte », sa venue au monde fut en Egypte, mais sa conception n’était pas en Egypte.’

 

 

XIX. Guemara du Traité Baba Batra 123a et b.


La source du commentaire de Rashi que nous venons de citer est la Guemara de Baba Batra 123a et b. La Guemara relève la contradiction entre les versets :
בעא מיניה אבא חליפא קרויא מרבי חייא בר אבא. בכללן אתה מוצא שבעין ובפרטן אתה מוצא שבעין חסר אחד.
‘Rabbi ‘Halipha le spécialiste des versets demande à Rabbi ‘Hyia bar Aba : dans le chiffre global tu trouves soixante-dix et dans les détails tu trouves soixante-neuf !’

Rabbi ‘Hyia bar Aba donne une réponse que Rabbi ‘Halipha réfute aisément [17].  Finalement Rabbi ‘Halipha avoue que sa question était rhétorique car en fait il avait une réponse à sa propre question :
אמר ליה מרגלית טובה היתה בידי ואתה מבקש לאבדה ממני. הכי אמר רבי חמא בר חנינא זו יוכבד שהורתה בדרך ולידתה בין החומות שנאמר אשר ילדה אותה ללוי במצרים. לדתה במצרים ואין הורתה במצרים.
‘Il lui dit : j’avais une magnifique perle dans ma main et tu veux que je la perde ?
Ainsi a dit Rabbi ‘Hama bar ‘Hanina : la personne qui manque dans le compte c’est Yokhévèd qui fut conçue en chemin et qui naquit entre les murailles, comme dit le verset (Bamidbar 26,59) « qui a mis au monde à Lévy en Egypte », sa venue au monde fut en Egypte, mais sa conception n’était pas en Egypte.’

Reprenons. On peut résoudre la contradiction de multiples manières, rien ne s’impose apparemment des versets. Toutefois nous avons en tradition qu’ici se joue un point sublime, incroyable. Une extraordinaire pierre précieuse : la personne qui complète le compte problématique c’est Yokhévèd la fille de Lévy le fils de Yaakov, la future mère de Moshé notre Maître, dont notre Tradition affirme qu’elle fut conçue en chemin et naquit entre les murailles.

Avant d’aller plus avant il faut bien se rendre compte que si nous affirmons que la personne qui complète le compte est Yokhévèd la mère de Moshé nous sommes obligés de dire qu’elle avait cent-trente ans lorsqu’elle le mit au monde. En effet les enfants d’Israël restèrent en Egypte deux cent dix ans et Moshé notre Maître avait quatre-vingt ans à la Sortie d’Egypte. Et justement Rabbi Avraham ibn Ezra dans son commentaire sur les versets qui nous occupent demande : si la Torah nous fait un très long développement sur le miracle incroyable relatif à Sarah notre Mère qui a enfanté à l’âge de quatre-vingt ans, si telle était la réalité que Yokhévèd avait cent-trente ans lorsqu’elle mit au monde Moshé, pourquoi le verset n’en parle que de manière extraordinairement allusive ?

 

  1. Commentaire du Maharal de Prague dans les ‘Hidoushé Agadot sur la Guemara de Baba Batra et au treizième chapitre du Guevourot HaShem. Qu’est-ce que le peuple d’Israël ?



    Bien qu’apparemment ces détails puissent paraître un peu des pinaillages, néanmoins le Maharal de Prague nous fait découvrir que nos Maîtres nous enseignent ici des choses fondamentales. Et c’est ce qu’ils nous disent ici en disant que nous allions presque perdre une perle de valeur inestimable. Essayons d’en donner notre synthèse.Si nous pouvons nous exprimer ainsi, le peuple d’Israël est comme la structure de l’humanité, ou, plus précisément, la Tsoura de l’humanité, צורה. Le verset dit dans le Cantique de Aaazinou (Devarim 32,8) :
    יצב גבולות עמים למספר בני ישראל.
    ‘Il fixa les limites des Nations selon le compte des enfants d’Israël’.
    Notre Tradition affirme qu’il y a soixante-dix Nations du Monde. Ce chiffre de soixante-dix correspond à la structure de soixante-dix, qui est la matrice du peuple d’Israël, matrice qui se concrétisa au moment précis de la descente des enfants de Yaakov en Egypte.
    Expliquons-nous.
    Nos Maîtres aiment utiliser la terminologie aristotélicienne de forme/Tsoura et matière/’Homer.
    La pensée informela matière. Prenons un exemple. Un potier veut faire une poterie. Il prend de l’argile, une matière première. Il a une idée. Fort de cette idée il va transformer cette matière, la façonner et en faire une poterie. La pensée a donné une forme à la matière, a informéla matière. Le verset de Aazinou affirme que la structure des Nations, le fait qu’elles soient traditionnellement appelées soixante-dix Nations, vient du fait que la base structurante du peuple d’Israël est de soixante-dix âmes.
    Le commentaire de Rashi sur le premier verset de la Torah fait ressortir cette dimension fondatrice :
    בראשית ברא. בשביל התורה שנקראת ראשית, ובשביל ישראל שנקראו ראשית.
    ‘Au commencement. Pour la Torah qui est appelée commencement, et pour Israël qui sont appelés commencement.’
    La Torah commence avec l’affirmation qu’il y a un commencement dans le monde, qu’il y a un phénomène de création. Dire qu’il y a une création, c’est affirmer qu’il y a un créateur, qui a une pensée et qui, fort de cette pensée, de ce projet, crée. Et qu’il y a à un moment T une concrétisation de cette pensée. Mais le monde dans lequel nous vivons peut nous faire imaginer qu’il n’en est rien, et que ce monde est le champ d’action de forces aveugles qui sont  depuis toujours. C’est la vocation de la Torah et du peuple d’Israël informer, d’insuffler dans la réalité du monde et de l’histoire humaine cette pensée, ce Réshit, ce commencement. Dire qu’il y a commencement, c’est dire qu’il y a une pensée qui s’exprime dans la réalité du monde et de l’humanité.Mais tout cela est encore abstrait. Le Maharal va donner corps à ces réflexions à partir de la Guemara du Traité Baba Batra citée plus haut.
    La structure-base du peuple d’Israël est de soixante-dix âmes. Avant que ne se forme cet ensemble de soixante-dix âmes on ne pouvait encore pas parler d’une entité globale. Mais, et là se trouve la perle d’une valeur inestimable, c’est au moment précis où les enfants de Yaakov pénètrent en Egypte qu’ils atteignent le chiffre qui exprimera le fait qu’ils sont une entité et non un agglomérat de personnes.
    כל הנפש לבית יעקב הבאה מצרימה שבעים.
    ‘Toute l’âme [18] qui est venue pour la maison de Yaakov soixante-dix’. Rashi explique : lorsqu’ils descendirent, ils étaient soixante-neuf. Lorsqu’ils arrivèrent en Egypte, ils furent soixante-dix : c’est Yokhévèd qui naquit au poste frontière.‘Si les enfants d’Israël avaient été au nombre de soixante-dix avant qu’ils n’arrivent en Egypte, ils auraient été comme un fœtus hors de la matrice de leur mère qui ne peut survivre. Si par contre c’eût été en Egypte qu’ils atteignirent le compte de soixante-dix, cela aurait signifié qu’à leur arrivée ils n’auraient pas atteint ce compte structurant, ils auraient été alors comme la semence dans le ventre féminin qui est complètement annulé par rapport à la mère. Ils n’auraient eu alors aucune spécificité, or il était nécessaire et vital que les enfants d’Israël soient reconnaissables en Egypte, c’est-à-dire différents et séparés des Egyptiens. Et c’est précisément lorsque les enfants d’Israël atteignirent le chiffre de soixante-dix qui est le début de l’entité d’Israël qu’ils purent être signifiés comme entité différente. Car les douze tribus sont comme des racines pour Israël ; mais soixante âmes représentent le début d’Israël. Et si, en entrant en Egypte, ils n’eurent point été au nombre de soixante-dix, ils n’auraient point été distincts parmi les Egyptiens, et ils auraient disparus complètement parmi eux, à D. ne plaise, et se seraient annulés complètement par rapport aux Egyptiens. C’est pourquoi naquit Yokhévèd entre les murailles, et ceci est une perle de valeur inestimable indubitablement. Il faut aussi encore ajouter un point de portée supérieure et dire qu’ils ne purent atteindre le compte de soixante-dix qu’en arrivant en Egypte, et c’est en arrivant et en se liant à eux qu’ils furent soixante-dix. Il faut méditer beaucoup sur ce dernier point.’



    XXI. Méditation sur le commentaire du Maharal.



    Il y a deux aspects dans ce commentaire du Maharal : un aspect formel, technique, et un appel à une réflexion intérieure.
    Tout d’abord il faut comprendre que le peuple d’Israël s’est formé à la Sortie d’Egypte. L’Egypte est comme la matrice dans laquelle se forme Israël, comme dit le Midrash Sho’her Tov (Tehilim 116) :
    כעובר שהוא נתון בתוך מעיה של בהמה והרועה נותן ידו שומטו כך הנסה אלקים לקחת לו גוי מקרב גוי.
    ‘Comme un fœtus qui se trouve dans le ventre de l’animal, et que le berger tend le bras à l’intérieur de la matrice et le retire, de même (Devarim 4,34) « Et quelle divinité s’est aventurée à venir prendre un peuple du sein-même d’un autre peuple ! »’. Le nombre de soixante-dix correspond à l’entité d’Israël. Si Israël avait atteint ce nombre avant la descente en Egypte, dit le Maharal, cela aurait ressemblé à un fœtus hors de la matrice de sa mère, qui n’est pas viable. Si ce nombre eut été atteint après leur arrivée en Egypte, cela aurait signifié qu’Israël n’a aucune entité en soi, qu’ils auraient été comme la semence dans le ventre féminin qui n’a aucune autonomie et qui commence à exister par la matrice féminine qui lui donne corps. Israël a une existence, une spécificité, mais au moment même de son contact avec la matrice qui en sera le révélateur.

    Telle est la structure formelle de ce que nous enseigne le Maharal. Mais, et là réside la difficulté récurrente lorsque l’on étudie les commentaires du Maharal, tout cela est bien beau, formellement joli, mais qu’est-ce que cela veut dire ? Et c’est à cette réflexion qu’il nous invite en disant à la fin de ce paragraphe : ‘Il faut méditer beaucoup sur ce dernier point.’ Mais dans quelle direction aller ?
    Il nous semble que ces enseignements nous invitent à nous interroger sur ce qu’est le peuple d’Israël, que nous pourrions appeler ici ‘peuple juif’ pour simplifier la réflexion.
    Un auteur français a voulu dire que l’on est juif par le regard de l’autre, et qu’il n’y a pas de définition ontologique, en soi, du fait juif. Cette affirmation n’est pas complétement erronée, comme nous pouvons le voir dans cette Guemara de Baba Batra éclairée par le commentaire du Maharal. Pas complètement erronée mais pas complètement juste, en cela que nous voyons que c’est juste l’aboutissement des soixante-dix qui se fait au moment précis de la confrontation avec l’Egypte. Il nous semble devoir expliquer ainsi.
    C’est par la confrontation avec l’extériorité que l’intériorité émerge, comme dit le verset (Shir HaShirim 5,6) « נפשי יצאה בדברו, mon âme est sortie en parlant ». Verset que nous pouvons traduire par : c’est en m’exprimant que mon âme est apparue [19].


    XXII. Petite digression. Mon âme est sortie en parlant.



    Guemara Traité Erouvin 54a :
    אמר ליה שמואל לרב יהודה שיננא פתח פומיך קרי פתח פומיך תני כי היכי דתתקיים ביך ותריך חיי, שנאמר כי חיים הם למצאיהם ולכל בשרו מרפא, אל תקרא למצאיהם אלא למוציאיהם בפה.
    ‘Le grand Maître Shemouel a dit à Rav Yéhouda son élève : ouvre ta bouche lorsque tu étudies des versets, ouvre ta bouche lorsque tu étudies des Mishnaïot de manière à ce que ton étude subsiste en toi et que ta vie s’allonge ! Comme dit le verset (Mishlé 4,22) « Car la Torah c’est la vie pour ceux qui la trouve, et elle guérie toute sa chair », ne dis pas « pour ceux qui la trouve », mais dis « pour ceux qui la sorte de leur bouche ».’

    Nos Maîtres font un jeu de mots entre la racine du verbe qui signifie ‘trouver’, Motsé, et la racine du verbe qui signifie ‘sortir’, Motsi.
    Pour se trouver il faut s’extérioriser. Ou, en d’autres termes, c’est dans la déperdition de soi qu’il y a existence.
    En fait, si nous pouvons nous exprimer ainsi, c’est de toute l’aventure de la Création dont il est question ici.
    Rabbi Yo’hanan enseigne (Traité Rosh HaShana 32a et Traité Méguila 21b) :
    ‘Le monde a été créé avec dix paroles’. C’est-à-dire que dans le premier passage de la Torah qui parle de la Création, nous trouvons dix fois que D. ait parlé.
    La Guemara objecte : ‘Mais si l’on regarde précisément, on ne trouve que neuf paroles !’
    Elle répond : בראשית נמי מאמר הוא, ‘Béréshit aussi est une parole’.
    Le premier mot de la Torah, Béréshit, que nous pouvons traduire par ‘au commencement’, est aussi une parole.
    Le sens simple de cette affirmation est que les cieux et la terre dont il est question dans le premier verset de la Torah ont été créés par la parole de D., comme dit le verset dans Téhilim (33,6) : « par la parole de D. les cieux ont été faits ». Néanmoins n’apparaissent pas les mots ‘D. dit’ dans le premier verset. Nous proposons de dire que Béréshit est une parole, c’est-à-dire que le phénomène même de la Création est une extériorisation, et devient, par cette extériorisation-même, le révélateur de la pensée qui a précédé cette extériorisation.  Et cela, dans la même mesure qu’une parole exprimée est créatrice par rapport à l’état initial encore non-exprimé.

    Prenons encore un exemple pour sentir un peu l’enjeu de notre propos.

 

XXIII. Guemara Traité Souka 49b et Makot 24a.

 
La Guemara (Souka 49b et Makot 24a) analyse les différents termes d’un verset du prophète Mikha 6,8 :
הגיד לך אדם מה טוב ומה ה’ דורש ממך כי אם עשות משפט ואהבת חסד והצנע לכת עם ה’ אלקיך.
‘Il te dit : homme ! Qu’est-ce qui est bien et qu’est-ce que D. attend de toi ? Seulement de faire la justice, d’aimer la générosité et d’aller avec discrétion avec l’Eternel ton D.. ‘
והצנע לכת עם השם זו הלוית המת והכנסת כלה לחופה. והלא דברים קל וחומר, ומה דברים שדרכן לעשותן בפרהסיא אמרה תורה הצנע לכת, דברים שדרכן לעשותן בצנעא על אחת כמה וכמה.
‘Et d’aller avec discrétion avec l’Eternel ton D. : cela parle d’accompagner le mort à sa sépulture et d’introduire la mariée sous le dais nuptial. Nous pouvons en déduire le raisonnement a fortiori suivant : si déjà des choses qui ont l’habitude d’être vécues au su et au vu de tous, la Torah dit à leur sujet « conduis-toi avec pudeur, avec discrétion », raison de plus les choses qui se vivent sans que personne ne le sache qu’il nous incombera de les vivre avec discrétion.’

Comme d’habitude les paroles de nos Maîtres sont complexes. Au niveau de la structure simple de ce passage, comment les ‘Hakhamim peuvent-ils affirmer que ce verset parle particulièrement d’accompagner le mort à sa sépulture et d’accompagner la mariée sous le dais nuptial ?
Rashi répond à cette question en nous faisant remarquer que le verset dit ‘d’aller avec discrétion’. Le terme ‘aller’ fait référence au verset de Kohélet (chapitre 7) : « il est meilleur d’aller à maison des endeuillés que d’aller à la maison de fête ». Accompagner le mort à sa sépulture et accompagner la mariée sous le dais nuptial sont deux activités qui nous demandent d’aller, de sortir, de sortir de chez nous pour aller nous préoccuper d’autrui. C’est dans ce contexte d’action éminemment sociale que la Torah nous enjoint d’être discret, pudique, secret.
Essayons de comprendre le raisonnement a fortiori.
Parfois nous sommes amenés à aider quelqu’un, voire à sauver la vie de quelqu’un, mais il y a un problème : personne ne le sait. Instinctivement, nous avons besoin d’en faire étalage, d’en faire la publicité. La Guemara nous enseigne : si déjà des choses qui ont l’habitude d’être vécues au su et au vu de tous, la Torah dit à leur sujet « conduis-toi avec pudeur, avec discrétion », raison de plus les choses qui se vivent sans que personne ne le sache qu’il nous incombera de les vivre avec discrétion.’

Ici nos Maîtres nous enseignent la vertu cardinale de la discrétion. A telle enseigne que les ‘Hakhamim vont nous dire : והצנע לכת עם השם אלקיך, ‘et d’aller avec discrétion avec l’Eternel ton D.. ‘, si tu vas avec discrétion, tu es avec l’Eternel ton D.. Mais pourquoi est-ce dans le cadre d’une activité éminemment sociale que son importance nous est révélée ? Pourquoi les ‘Hakhamim ne nous recommandent-ils pas d’être la personne extrêmement discrète que personne ne remarque, le parangon du Juste Caché que personne n’a jamais vu et sur qui paradoxalement le monde tiendrait ?
Il ressort de l’ensemble de l’étude présente que c’est justement dans la confrontation à l’extériorité que la dimension de discrétion peut émerger.

Les enfants demandent : mais où est HaShem, D., pourquoi ne le voit-on pas ? La réponse est simple : D., HaShem, est discret. Mais nous rajoutons que D. est Un. Dire que D. est Un c’est affirmer qu’il n’y a pas une coupure entre l’intériorité et l’extériorité. Il peut y avoir une attitude qui en général pourrait être l’expression d’une extériorisation totale mais qui paradoxalement serait mue par une discrétion extrême, par une pudeur extrême.  Ceci est la fonction du roi d’Israël, de nous faire découvrir que dans le lieu même de l’extériorité peut se trouver la pudeur extrême, c’est-à-dire l’Unité du Nom de D., comme nous le voyons dans le dialogue entre Mikhal, la fille du roi Shaoul, et son mari, le roi David, au sixième chapitre du second livre de Shemouel.
David a réussi à récupérer l’Arche d’Alliance qui avait été pris par les Philistins pendant de nombreuses années. Les versets nous décrivent la joie extrême par laquelle le roi David a ramené l’Arche au sein des enfants d’Israël.
Verset 14 :
ודוד מכרכר בכל עז לפני ה’ ודוד חגור אפוד בד.
‘Et David danse avec toute sa puissance devant D., et David est vêtu d’une tunique de lin.’
Verset 16 :
והיה ארון ה’ בא עיר דוד ומיכל בת שאול נשקפה בעד החלון ותרא את המלך דוד מפזז ומכרכר לפני ה’ ותבז לו בלבה.
‘Et l’Arche de D. vient dans la ville de David, et Mikhal la fille de Shaoul se penche par la fenêtre et voit le roi David en train de danser et faire des galipettes devant D., elle eut honte pour lui dans son cœur.’
Verset 20 :
וישב דוד לברך את ביתו ותצא מיכל בת שאול לקראת דוד ותאמר מה נכבד היום מלך ישראל אשר נגלה היום לעיני אמהות עבדיו כהיגלות נגלות אחד הריקים.
‘Et David revint pour bénir sa maison [20], et Mikhal la fille de Shaoul sortit à la rencontre de David. Elle lui dit : combien glorieux est ce jour Oh roi d’Israël où il se montra aujourd’hui aux yeux des servantes de ses serviteurs comme peut se montrer à tout le monde un homme de rien [21] !’
Verset 21 :
ויאמר דוד אל מיכל לפני ה’ אשר בחר בי מאביך ומכל ביתו לצוות אותי נגיד על עם ה’ על ישראל ושחקתי לפני ה’.
‘David dit à Mikhal : devant D. qui m’a choisi plus que ton père et plus que sa maison pour m’ordonner d’être chef sur le peuple de D. sur Israël, j’ai fais le fou devant D. !’

C’est-à-dire, c’est justement par sens des responsabilités que j’ai fait le fou devant D.. Je n’ai pas demandé à être roi. C’est Lui qui ma choisi et qui m’en a conféré la responsabilité. Et c’est justement pour Le remercier de m’avoir donné la possibilité inespérée de récupérer Son Arche que j’ai exprimé cette joie débridée et incroyable ! Il en va de ma responsabilité nationale de remercier D., Lui la source de mon intimité.
ושחקתי לפני ה’.
‘Je jouais devant D.’. J’ai été exhibitionniste devant D. .
Verset 22 :
ונקולתי עוד מזאת והייתי שפל בעיני, ועם האמהות אשר אמרת עמם אכבדה.
‘Et je me suis encore plus dénigré que tu le crois. J’étais très bas à mes propres yeux. Et avec les servantes dont tu as parlé, avec elles je n’étais qu’honoré.’

Outre le coté éminemment poétique de ce verset, sa structure et sa logique nous échappent.
De quoi s’agit-il ?
Interrogeons-nous sur les expressions récurrentes dans ces versets : danser devant D., s’amuser devant D. ? En général pour s’amuser on va plutôt avec des amis et on va faire les fous ! Que signifie l’expression ‘faire le fou devant D.’, ’s’amuser devant D.’ ? Ces termes sont a priori antagoniques : si d’aventure nous nous trouvions devant D. on n’aurait plutôt peur !
Nous proposons de dire ainsi :
David en récupérant l’Arche réalise le bonheur incroyable qu’il en train de vivre et réaliser concrètement dans sa vie : comment un petit berger se retrouve roi du peuple de D. et que lui petit homme il a réussi à faire l’impensable, ramener l’Arche de D. . Le destin du peuple d’Israël et inespéré, et son propre destin individuel est lui-même inespéré. Vivre qu’il n’est rien devant D. est l’expression la plus profonde de la gloire de D.. De vivre que l’on n’est rien, et que, malgré cela, l’on soit vivant et que l’on ait un destin impressionnant est l’origine d’une joie débridée, qui sort des bornes et des limites, comme notre vie qui est sortie des limites.  Et là les femmes du peuple comprennent cela, et elles honorent leur roi, car elles perçoivent qu’il n’y a pas des castes dans le peuple d’Israël : le peuple et les hommes de pouvoir. Mais qu’au contraire, l’homme de pouvoir par excellence, le roi, se perçoit lui-même comme un miraculé et qu’il n’existe que par ce que son Créateur lui donne de la vie et qu’il est vivant, devant D. . Ce roi est proche d’elle, car il se perçoit encore plus petit qu’elles. Elles sont petites par leur niveau social, par leur classe sociale, lui est petit, car il est essentiellement petit. Comme dit le verset (Shemouel second livre, chapitre 7, verset 18) :
ויבא המלך דוד וישב לפני ה’ ויאמר מי אנכי ה’ אלקים ומי ביתי כי הביאותני עד הלום.
‘Le roi David vint et s’assit devant D. et dit : qui suis-je HaShem Elokim et qu’est la maison de mon père pour que Tu m’amènes jusque-là ?’.
Remarquons l’expression David s’assit devant D.. mais comment est-ce possible d’être assis devant D. ? Ne serait-ce pas plus compréhensible que l’on soit terrassé devant D. et non assis ? Et c’est au moment où il s’assied devant D. qu’il dit : qui suis-je ?
Remarquons aussi que le terme pour dire Je dans ce verset est Anokhi, אנכי, qui est la forme emphatique, et non le terme simple Ani, אני.

 

 

XXIV. Retour aux soixante-dix âmes qui sont descendues en Egypte et à la formation du peuple d’Israël.



Pour synthétiser, le peuple d’Israël prend sa structure spécifique représentée par le nombre de soixante-dix âmes au moment précis où ils arrivèrent en Egypte, ni avant, ni après. Nous pourrions dire qu’Israël était en potentiel avant la descente en Egypte. La concrétisation de ce potentiel émerge au moment précis de la confrontation. L’avènement dans l’existence émerge au moment de la confrontation [22].
Il y a une discussion dans le Midrash cité plus haut pour savoir qui était cette soixante-dixième âme qui a complété le compte des soixante-dix âmes.
Un avis, et c’est l’opinion de Rashi dans son commentaire sur la Torah et l’avis de la Guemara de Baba Batra citée plus haut, dit que c’était Yo’hévèd la mère de Moshé notre Maître qui est née entre les murailles. Peut-être pouvons-nous dire qu’au moment précis de cette confrontation nait la promesse d’un devenir par la naissance de celle qui donnera corps à celui qui les sortira d’Egypte et qui leur transmettra la Torah.
Une seconde opinion dit que cet enfant qui naquit entre les murailles fut Sera’h la fille d’Asher.
Nous avons rapporté cette opinion au dix-huitième paragraphe de cette étude. Certes Sera’h la fille d’Asher est une grande personnalité de notre Tradition, et si nous approfondissons le sujet nous sommes confiants que nous pourrons comprendre en quoi il est légitime d’expliquer qu’elle fut précisément cette soixante-dixième âme qui compléta le compte. Le point qui nous interroge et nous taraude est de savoir pourquoi c’est du verset relatif au siège de la ville d’Avel par Yoav et à la harangue de cette femme de science que nous en avons l’allusion, comme dit le verset :
אמר לה מאן את. אמרה ליה אנכי שלומי אמוני ישראל, אני הוא שהשלמתי מנינן של ישראל במצרים.
‘Yoav lui a dit : qui es-tu ? Elle lui répondit : je suis Shloumé Emouné Israël, c’est moi qui aie complété le compte des enfants d’Israël en arrivant en Egypte.’
Que veulent nous dire les Maîtres de la Tradition Orale lorsqu’ils nous disent que cette femme intelligente, qui nous enseigne des fondements quant aux lois de אין דוחין נפש מפני נפש, de ‘on ne sacrifie pas une vie pour une autre’, est non seulement Sera’h bat Asher mais encore celle qui justement a complété le compte des soixante-dix âmes qui sont descendues en Egypte [23]?
Nous nous permettons de poser ces questions car au niveau du sens simple du verset rien n’impose une telle lecture, il est possible qu’il y eût dans la ville d’Avel une femme pleine de sagesse. Pourquoi nous dire que cette femme était Sera’h bat Asher, ce qui implique automatiquement qu’elle aurait eu six-cent cinquante ans au minimum, quand apparemment cela ne s’impose nullement au niveau de la lecture simple des versets ?

 

XXV. Que veulent nous dire nos Maîtres lorsqu’ils disent que cette femme qui livra Shéva ben Birkhi fut Sera’h bat Asher et que c’est de ce verset-même que nous apprenons qu’elle compléta le compte des soixante-dix âmes ? Mais regardons d’abord qui fut Sera’h.

Rashi que nous avons cité au paragraphe dix-sept de cette étude nous rapportait le Midrash (Midrash Béréshit Rabba chapitre 94, Yalkouth Shimoni sur le verset de Shemouel) :
‘Cette femme était Séra’h la fille d’Asher le fils de Yaakov. C’est moi qui aie complété le fidèle au fidèle. C’est par moi qu’a été dévoilé le cercueil de Yossef à Moshé. C’est moi qui aie réussi à transmettre à Yaakov que son fils Yossef était toujours vivant.’

Qui était Sera’h bat Asher ?
Tout d’abord nous voyons qu’elle est citée parmi les enfants de Yaakov qui descendirent en Egypte (Béréshit 46,17) :
ובני אשר ימנה וישוה וישוי ובריעה ושרח אחותם.
‘Et les fils d’Asher : Imna et Ishva et Ishvi et Beri’ha et Séra’h leur sœur.’

Deuxièmement elle est citée dans le compte des enfants d’Israël dans la Parashat Pin’has à la fin des quarante ans de pérégrinations dans le désert (Bamidbar 26,46) :
ושם בת אשר שרח.
‘Et le nom de la fille d’Asher, Séra’h.’
Rashi explique :
‘Le verset la mentionne car elle était encore en vie’.
Rashi répond à la question suivante : pourquoi le verset de la Parashat Pin’has cite-t-il Séra’h, mais ne sont comptés a priori que les enfants d’Israël qui prendront une part dans la terre d’Israël, or les filles n’auront pas de part en tant qu’elles-mêmes ? Rashi répond en disant qu’il était nécessaire de citer Séra’h car elle était la mémoire vivante de toute l’histoire des enfants d’Israël. Et que cette mémoire était vitale justement pour la génération qui prendrait possession de la terre de Canaan, génération majoritairement née dans le désert et qui n’ont pas connu les malheurs de l’asservissement en Egypte ni vécu les miracles de la sortie d’Egypte.
Nous voyons dans ce verset la preuve textuelle de la longévité exceptionnelle de Séra’h. En effet d’après les versets que nous avons vus plus haut elle faisait partie de ceux qui sont descendus en Egypte. La Tradition Talmudique nous dit que les enfants d’Israël restèrent deux-cent dix ans en Egypte, et le compte présent se passe à la fin des quarante années dans le désert, donc ici Séra’h a au minimum deux-cent cinquante ans.

Mais quelle fut la cause de la longévité hors-norme de Sera’h ?
Le Targoum de Yonathan ben Ouziel sur le verset de la Parashat Pin’has nous explique la raison de la longévité hors-norme de Séra’h la fille d’Asher :
‘Le nom de la fille d’Asher est Sera’h, qui, accompagnée par six-cent mille anges, est montée au Jardin d’Eden vivante par le fait qu’elle réussit à annoncer à Yaakov que Yossef était encore en vie’.

 

XXVI. Récapitulons.


Sera’h, la petite fille de Yaakov, réussit à faire comprendre à Yaakov que son fils chéri Yossef était toujours en vie. Notre tradition nous dit qu’elle eut l’idée de chanter une petite chanson et de mettre dans le petit refrain : Yossef est encore en vie ! Yossef est encore en vie !
Par cette petite chanson, Yaakov réalisa une chose incroyable : son fils est encore en vie, et le souffle prophétique qui avait quitté Yaakov durant ces vingt-deux ans de séparation revint sur lui :
ןתחי רוח אביהם
‘Le souffle de leur père revécut.’ (Béréshit 45,27)

Comme nous l’avons vu plus haut sur le verset du livre de Shemouel (Midrash Béréshit Rabba chapitre 94, Yalkouth Shimoni sur le verset de Shemouel) c’est aussi Sera’h qui retrouva le cercueil de Yossef juste avant la sortie d’Egypte. L’épisode est décrit dans le Traité Sotha (13a). Tossefot, sur cette Guemara de Sotha, demande (דה »מ סרח בת אשר נשתיירה מאותו הדור) : Mais pourquoi Moshé s’est-il adressé à Sera’h pour savoir où était le cercueil de Yossef, mais il y avait d’autres personnes très âgées qui vivaient encore à cette époque et qui avaient connu Yossef comme Makir et Yaïr les fils de Menashé ? Tossefot répond : ‘il faut dire que le secret de la Guéoula a été transmis à Sera’h la fille d’Asher, comme nous le voyons au chapitre quarante-huit du Pirké de Rabbi Eliezer’.

Tossefot nous enseignent ici le point central sur lequel s’articule tout notre sujet : chaque fois qu’il est question de la pérennité du peuple d’Israël apparait Sera’h bat Asher. Elle est le personnage clef qui dénoue l’impossible et œuvre avec finesse pour qu’Israël ait un devenir.

Nous avons vu plus haut qu’il y avait débat dans le Midrash Rabba pour savoir qui était cette soixante-dixième personne mystérieuse qui complétait le compte des enfants d’Israël à leur arrivée en Egypte. Une opinion disait que c’était Yo’hévèd la future mère de Moshé le libérateur. Une autre opinion disait que c’était Sera’h bat Asher, porteuse du secret de la libération, comme nous le disent Tossefot. Bien évidemment si l’on dit que Sera’h compléta le compte des soixante-dix ce ne peut pas être elle qui annonça à Yaakov que Yossef était encore en vie, puisque la venue en Egypte s’effectue juste après. De ce fait Rashi qui dit que c’est Sera’h qui annonça à Yaakov que Yossef était vivant est obligé de dire que c’est Yo’hévèd qui compléta le compte des soixante-dix. Mais le point commun entre ces deux opinions est qu’au moment précis où ils entrent en Egypte nait ce qui leur donnera la possibilité de sortir de cet exil.

XXVII. Que veulent nous dire nos Maîtres lorsqu’ils affirment que cette femme ‘Hakhama était Sera’h bat Asher ? La féminité de la loi.


Grâce au commentaire de Tossefot dans le Traité Sotha 13a nous venons d’apprendre que Sera’h représente celle qui se trouve toujours au moment clef où le devenir d’Israël est en jeu, et que grâce à sa sagacité elle sait dénouer des situations bloquées, et leur donner un devenir. C’est à elle qu’a été confié le secret de la délivrance. Si c’est ainsi que veulent nous dire nos Maîtres lorsqu’ils affirment que cette femme ‘Hakhama était Sera’h bat Asher ? En quoi ce qu’elle nous enseigne entre dans ce que peut être un avant-goût de la délivrance ?
Il est vrai que le cas du verset de Shemouel, le cas de Shéva ben Birkhi, recouvre plusieurs paramètres comme l’expose la Tossafta rapportée par Rashi sur le verset. Néanmoins il nous semble que cette femme nous enseigne deux choses :
premièrement, sa fidélité indéfectible à la royauté de David
deuxièmement, que si l’oppresseur désigne une personne, et qu’il ne nous incombe pas de faire le choix entre l’un ou l’autre, il est licite de livrer cette personne si tant est que, s’ils ne le font pas, tout le monde sera assassiné, et cette personne aussi.
Certes nous avons un principe halakhique אין למדין מן האגדות, ‘on n’apprend pas la Halakha d’une Aggada’, on ne déduit pas une décision légale d’un passage midrashique. Or dire que cette femme était Sera’h bat Asher est une opinion dans le Midrash Rabba et cette opinion n’est pas rapportée dans le Talmud ni de Babylone ni de Jérusalem. Néanmoins, si l’on est attentif à l’écho profond des paroles de nos Maîtres, il nous semble percevoir que cette femme prend ses responsabilités et, étant donné que concrètement, si la personne a été désignée par l’oppresseur nous ne nous situons pas dans un cas où il faut sacrifier une personne pour d’autres, il sera licite de livrer cette personne (si tant est que cette personne aurait été tuée avec eux de toute façon). Cette analyse s’oppose donc à l’analyse puissante de Rabbi Yossef Caro (développée dans le onzième paragraphe de cette étude) dans sa tentative de rendre compte de la décision de Rambam.
Nous proposons de dire que Sera’h bat Asher, haut personnage féminin, représente traditionnellement la Tradition Orale, la subtilité de la loi orale, qui innove des ouvertures dans le concret des situations, quitte à défrayer la chronique au niveau de la morale. Et que ceci est un avant-gout de la délivrance.
Certains aimeraient que la tradition juive professe une recherche d’ouverture, de progrès, d’innovation. L’essentiel n’est pas dans des déclarations esthétiques et plaisantes. Lorsque le Midrash dit que la soixante-dixième âme des descendants de Yaakov fut Sera’h bat Asher, qui naquit juste en arrivant en Egypte, cela signifie que l’insertion dans le réel d’Israël se révèle par la loi orale, la Torah ShéBéal Pé.
Le cas qui nous occupe est l’exemple même d’un cas désespéré où l’on ne voit pas d’issue. Livrer une personne pour en sauver d’autres est une limite infranchissable au niveau légal. Cette femme innove en proposant que si une des personnes encerclées a été désignée par les ennemis, nous ne trions pas et il sera licite de la livrer, malgré l’aspect hautement dramatique de la chose. Rabbi Yossef Caro ne rapporte rien de ce sujet dans le Shoul’han Aroukh. En effet il ne faut pas faire un cas général de cette situation extrême. Et il faudra aborder les situations au cas par cas, et non en faire des déclarations tonitruantes. Nous aimerions dire qu’émerge ici une dimension féminine de la loi [24]
Des méandres complexes de l’étude présente il nous semble pouvoir définir la spécificité de ce que nous appelons traditionnellement la Tradition Orale, la Torah ShéBéal Pé : la capacité de statuer légalement tellement au cas par cas qu’elle ne souffre pas une mise à l’écrit.
Nous avons entendu au nom de Rav Zelig Kossovski que Rav Yossef Shalom Eliashiv, pilier de la Halakha de notre génération, n’a écrit aucun livre de ses décisions légales pour qu’on n’en fasse pas de généralisation.


1. L’étage de la maison de Natza dans la ville de Loud est un endroit mentionné plusieurs fois dans les enseignements de nos Maîtres. Il ressort des commentateurs qu’il y eut des persécutions à cette époque et qu’il était interdit sous peine de mort d’étudier la Torah. L’étage de la maison de Natza opérait un refuge clandestin où les Sages se réunissaient et débattaient des problèmes majeurs auxquels la communauté était confrontée, comme la question présente l’atteste.

2. Ce verset vient nous statuer sur le cas d’un viol. Il est question du cas d’une jeune fille fiancée, la Naara Meourassa, נערה מאורסה. Lorsqu’un homme donne Kidoushin à une femme, celle-ci prend le statut de femme mariée, même si cet homme et cette femme n’ont encore pas eu de vie conjugale ensemble. Le verset qui nous occupe parle d’une jeune femme Naara, c’est-à-dire durant sa première puberté, entre douze ans et douze ans et demi. Cette jeune femme a reçu donc les Kidoushin, cet acte juridique lui confère le statut de femme mariée. Le verset nous dit que si elle est violée, quand bien même aurait-elle un statut de femme mariée, et que cet acte soit un adultère, néanmoins elle n’est nullement passible de poursuite en pénal (à titre d’avoir contracté une relation adultère) car son cas est un cas de victime. C’est comme le cas de quelqu’un qui est victime d’un meurtre, il ne faut rien lui faire. Nous tenons à relever que, dès le don de la Torah, la personne qui subit un viol est considérée juridiquement comme une victime.

3. La Torah nous dit que la jeune fille fiancée qui subit cette relation forcée n’est pas condamnable. Certes. Mais pourquoi la Torah nous dit-elle que c’est comme la victime d’un assassinat ? Qu’est-ce que la Torah nous enseigne de plus juridiquement par cela ? En effet nos Maîtres nous enseignent que la base de la Torah n’est pas un message quelque qu’il soit, que nous pourrions appeler éthique, mais doit avoir un impact juridique. D’où la question de la Guemara : qu’apprenons-nous juridiquement de cette mise en relation entre le meurtre et le viol ?

4. Rabba, grand Maître du Talmud.

5. La Torah donnée au Sinaï s’adresse aux enfants d’Israël et aux individus parmi les Nations qui les ont rejoints. La Torah par contre enjoint tout un chacun de l’humanité à respecter sept lois. Ce sont les sept lois des fils de Noé. D’où la question de la Guemara de Sanhédrin : un fils de Noé est-il enjoint de respecter ces commandements même au prix de sa vie ?

6. C’est effectivement une sorte d’aporie.

7. C’est-à-dire pour accomplir un commandement tel que si on ne l’accomplit pas maintenant on ne pourra pas l’accomplir plus tard.

8. Il n’y a pas de Talmud de Babylone sur le Traité Teroumot.

9. Toute personne qui a quelques notions de l’histoire du peuple d’Israël sait dans les pleurs combien les oppresseurs se sont toujours délectés à nous imposer de faire ces choix destructeurs.

10. C’est-à-dire : Revenons à la situation bénie où nous n’avions pas de roi, et que chacun gérait ses affaires librement ! Le terme Belihal, que nous avons traduit par ‘sans foi ni loi’, signifie précisément ‘sans joug’. Il prône une sorte d’argument anarchiste : rejetons tout pouvoir ! Il est à remarquer toutefois que dès le verset suivant cela ne le gênera nullement de prendre le leadership.

11. Voir dans le chapitre cité les détails relatifs à ce commandement majeur.

12. Le terme ‘métropole’ est bien la traduction précise de l’expression du verset ‘ville et mère’ dans Israël, c’est-à-dire une ville principale dont dépendent d’autres villes secondaires.

13. Il reste à définir avec précision la gravité de se révolter contre la royauté de la maison de David.

14. Maître à Montpellier, élève du Rambam, contemporain du Rashba. Cité abondamment dans les ‘Hidoushé HaRan sur Sanhédrin.

15. Ce qui en soit est un problème, comme nous l’avons vu plus haut.

16. Le ‘Hazon Ish trouve une base à cette démarche du Midrash Rabba Parashat Vayigash (fin du §94).

17. Voir le commentaire du Maharsha sur la Guemara.

18. Au singulier.

19. Rav Na’hman de Braslav, Likouté Mouharan 31,7.

20. Bénir sa maison, c’est-à-dire pour retrouver son épouse, l’honorer et la remercier pour tout le temps qu’elle l’a attendu patiemment et ardemment qu’il revienne des champs de guerre.

21. Quel exhibitionnisme !

22. Pour discuter avec l’auteur français cité plus haut, nous pouvons dire qu’il a mis en exergue une intuition subtile, voire choquante pour qui aurait une vision nationaliste, essentialiste du fait juif. Israël prend son existence au moment de la confrontation aux Nations. Par contre dire qu’il y a concrétisation signifie qu’il y a une gestation antérieure. Il y a une soixante-dixième âme dans la mesure où il y en avait soixante-neuf qui l’ont précédée.

23. En remarquant toutefois que Rashi qui rapporte l’opinion que cette femme est bien Sera’h bat Asher ne rapporte pas le Midrash complètement et omet de dire que c’est la femme qui a complété le compte des soixante-dix.

24. Nous laissons au lecteur d’apprécier l’audace qu’ont nos Maîtres de donner une dimension féminine à la loi. Nous ne parlons pas ici de jurisprudence mais de décisions légales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

  1. Bouaziz charly

    Exceptionnel travail fouille, précis et dense qui nécessite un vrai limoud sérieux et inestimable. Merci mille fois