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Étude sur le premier des dix commandements

par: Rav Gerard Zyzek

Publié le 3 Mai 2023

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Au chapitre quarante-quatre du Guevourot HaShem, le Maharal de Prague aborde la question classique : Pourquoi, lors du premier des dix-commandements, D. se présente-t-Il comme étant Celui qui t’a fait sortir d’Egypte, de la maison d’esclaves, et non comme étant le D. qui a créé le ciel et le terre ?
Shemot 20,2 : אנכי ה’ אלקיך אשר הוצאתיך מארץ מצרים מבית עבדים.
‘Je suis l’Eternel ton D. qui t’a fait sortir d’Egypte, de la maison d’esclaves.’

Le Maharal réfute, sans les citer, les explications habituelles et propose la démarche suivante, en relevant une des anomalies du verset (nous en donnons notre traduction).  ‘Voici l’explication de « Je suis l’Eternel ton D. » et de « ton D. » en particulier : Quand bien même serait-Il le D. de tout être existant, Il est le D. d’Israël en premier et en particulier, et ensuite seulement le D. des autres êtres existants. (…) C’est pourquoi le verset dit-il juste après « qui t’a fait sortir d’Egypte ». En effet la sortie de la terre d’Egypte nous renseigne qu’Israël a un niveau divin séparé de la matérialité, ce qui est exprimé par le fait qu’Il les a faits sortir « de la maison d’esclaves ». En effet l’esclave représente la dimension matérielle par excellence, en cela que l’esclave est soumis, subit et n’agit pas. Et en ce que D. a fait sortir Israël de la maison d’esclaves, Il les a fait sortir de l’esclavage pour acquérir un niveau divin. En effet nous avons développé moulte fois qu’il n’y avait pas de nation dans le monde aussi matérialisée que l’Egypte dont tout l’investissement n’était que la matérialité. C’est pourquoi lorsque D. dit « qui t’a fait sortir d’Egypte, de la maison d’esclaves », cela exprime qu’Israël ont acquis le niveau divin, et étant donné qu’ils acquirent ce niveau il fut légitime que se relie le Nom de D. spécifiquement avec Israël, car ils sont dignes de D. en particulier. Et si D. est le D. d’Israël, par ce fait même Il est le D. de toute réalité. En effet toute réalité est attirée et secondaire par rapport à Israël, comme tous les membres sont attirés après le cœur qui est la base. Mais quoi qu’il en soit, il est impossible d’écrire « Je suis l’Eternel le D. des cieux ». Impossible, car toute réalité existante n’est créée que pour être au service d’une autre réalité. Les cieux sont créés au service de l’homme. En effet au sujet des luminaires qui sont supérieurs aux cieux le verset dit (Béréchit 1,15) « Ils seront des luminaires au firmament des cieux pour éclairer la terre ». A plus forte raison la terre sera-t-elle au service. Et même les Malakhim, les Anges, sont appelés Malakh, ce qui signifie « missionné », car ils ne sont créés que pour accomplir des missions. Bien que D. préserve Sa création, ceci ne signifie aucune soumission quelconque car toutes les créatures ne sont créées que pour Sa gloire, c’est pourquoi l’action de D. est autonome, tandis que le Malakh, l’Ange, fait ce pour quoi il est mandaté, c’est-à-dire de protéger les créatures inférieures, quand bien même ne reçoit-il aucune directive de la réalité qu’il a en mission de servir. L’homme par contre est supérieur à cette dimension, et en particulier Israël qui ne sont au service de quiconque.’

I. Analyse de ce passage du Maharal.

En juste proportion de l’importance de la question posée, la réponse proposée par le Maharal se doit d’être puissante. Et effectivement la réponse nous semble puissante et fondatrice. Cependant comme d’habitude ce passage est très concis et paraît en tout cas hermétique. Essayons de le décrypter patiemment.

Le Maharal nous éveille à une réflexion fondamentale : comment D., Créateur de toute chose, peut-il associer Son Nom à une quelconque réalité créée ? Comment le verset peut-il dire « Je suis l’Eternel ton D. » ? Certes nous sommes habitués à dire n’importe quoi, et, si nous voulons être honnêtes, rien ou presque ne nous choque, néanmoins le Maharal nous apprend à lire un verset, et à nous interroger : Comment D. peut-il dire « Je suis l’Eternel ton D. » ? C’est-à-dire associer Son Nom à une créature, à un être créé ? La réponse est dans la suite du verset « qui t’a fait sortir d’Egypte, de la maison d’esclaves ».  Il n’y avait pas de nation aussi investie dans la matérialité que l’Egypte et l’esclave est la matérialité même [1]. Dire « Je suis l’Eternel ton D. qui t’a fait sortir d’Egypte, de la maison d’esclaves », c’est dire que comme tu es sorti d’Egypte et que tu n’es pas esclave, cela signifie que tu as un niveau hors de la matérialité, appelons-le ‘divin’ [2], et de ce fait-là tu peux être Mon interlocuteur, dit D. . C’est-à-dire que Je peux dire : « Je suis l’Eternel ton D. » et relier Mon nom au tien.  Si le verset avait dit « Je suis l’Eternel ton D. qui a créé le ciel et la terre », cela aurait-été incompréhensible, inaudible. Il aurait été impossible de détecter comment l’Eternel peut-il relier Son nom à une créature quelconque. Dire que Je t’ai sorti d’Egypte, de la maison d’esclaves, c’est expliquer comment D. peut relier Son Nom à toi. En effet être sorti d’Egypte, nation entièrement investie dans la matérialité, et de l’état d’esclave qui est un état subi, cela exprime le niveau spécifique d’Israël qui est séparé de la matérialité, donc à qui D. peut associer Son grand Nom.

Le Maharal définit la matérialité comme subissant, comme étant malléable [3], comme un esclave qui n’a pas de choix, qui obéit aux ordres. Dans un deuxième temps il ajoute qu’en disant que l’Eternel est le D. d’Israël, automatiquement cela implique qu’Il est le D. de toute réalité car toute la réalité est secondaire par rapport à Israël. Toute la réalité est au service d’Israël qui est la base, le עיקר. Les cieux, la terre sont au service d’Israël. Il aurait été inepte de dire « Je suis l’Eternel qui a créé le ciel et le terre », car les cieux et la terre ne sont pas pour eux-mêmes, mais sont au service d’autres, des humains en l’occurrence, et d’Israël en particulier. D. est libre, si nous pouvons nous exprimer ainsi. Il ne peut pas associer Son Nom à une réalité qui serait au service de quoi que ce soit. Il est inepte de définir D. par le fait qu’Il a créé les cieux et la terre, réalités qui sont au service d’autres réalités.

Nous tenons à mettre en relief la démarche du Maharal. Sur le fond cela ne nous gênerait pas spécialement que le verset ait dit « Je suis l’Eternel qui a créé le ciel et la terre », bien au contraire ce serait une déclaration tonitruante et qui affirmerait bien Sa dimension de Créateur de toute chose. Le Maharal nous apprend à lire la Torah : ceci serait une ineptie, car comment limiter la Création à une dimension utilitaire ? Bien au contraire on ne peut définir le Créateur comme source de toute liberté qu’en le reliant à des êtres libres et non à des réalités au service d’autres [4].

II. Analyse d’une ambiguïté dans ce commentaire du Maharal.

Une phrase, dans le commentaire du Maharal cité plus haut, soulève une certaine ambiguïté : ‘La sortie de la terre d’Egypte nous renseigne qu’Israël a un niveau divin séparé de la matérialité, ce qui est exprimé par le fait qu’Il les a faits sortir « de la maison d’esclaves »’.
Nous nous posons la question : les enfants d’Israël sont-ils sortis d’Egypte parce qu’ils avaient un niveau divin, ou bien c’est la sortie d’Egypte qui leur a conféré un niveau divin ?

Pour analyser les différents aspects de cette ambiguïté nous proposons d’étudier un passage du Traité Baba Metsia 10a : אמר רב יהודה אמר רב פועל יכול לחזור בו אפילו בחצי היום. ‘Rav Yéhouda dit au nom de Rav : un employé peut résilier son contrat même au milieu de la journée.’

Rav Yéhouda, au nom de son Maître Rav, nous enseigne ici une loi fondamentale relative au droit des salariés : פועל יכול לחזור בו אפילו בחצי היום « L’ouvrier peut se rétracter (de son contrat) même au milieu de la journée (de travail) ». La Torah conçoit que l’employeur et l’employé sont soumis, dès que le travail a débuté, à des engagements mutuels. L’employeur ne peut pas licencier son employé, ni renégocier le salaire convenu. L’employé est lui-même assujetti dans une certaine mesure à son employeur en cela que, s’il trouve durant son temps de travail un objet perdu, cet objet appartiendra d’office à l’employeur et non au salarié qui l’aura trouvé. C’est le principe talmudique : יד פועל כיד בעל הבית « La main de l’ouvrier est comme celle de son employeur », c’est-à-dire que durant le temps de travail l’ouvrier est comme l’extension juridique de son employeur. Toutefois, Rav Yéhouda nous enseigne au nom de Rav que le salarié, à tout moment, peut résilier son contrat de travail sans pénalité ; l’employeur, quant à lui, n’a nullement la capacité de licencier son employé, sauf pour faute [Nous tenons à mettre en exergue l’aspect éminemment progressif de cette loi].

La Guemara cherche à définir le statut juridique d’un employé, mais achoppe ici sur un paradoxe. Les employés à l’époque du Talmud ne ressemblaient pas aux salariés d’aujourd’hui, c’était des journaliers qui venaient travailler de telle heure à telle heure de la journée. La Guemara nous dit que si dans ce laps de temps l’employé trouvait un objet perdu qui pertinemment n’appartenait à personne cet objet revenait à l’employeur et non à l’employé, en vertu du principe : יד פועל כיד בעל הבית
« La main de l’employé est comme celle de son employeur ». Ceci signifie que durant le temps du contrat de travail l’employé n’a aucune autonomie juridique, il est l’extension juridique de l’employeur.
Mais, demande la Guemara, s’il en est ainsi, comment se fait-il que Rav Yéhouda nous enseigne au nom de Rav que l’employé a la capacité juridique de résilier son contrat même au milieu de la journée fixée, cela signifierait alors qu’il a une autonomie juridique tout le temps de son engagement à l’égard de son employeur et de ce fait son patron ne devrait pas bénéficier de l’objet trouvé par son employé ?

La Guemara répond à cette question :
אמר ליה כל כמה דלא הדר ביה כיד בעל הבית הוא, כי הדר ביה טעמא אחרינא הוא דכתיב כי לי בני ישראל עבדים עבדי הם, ולא עבדים לעבדים.
‘Il lui répondit : tant que l’employé n’est pas revenu, il est comme la main de l’employeur. Par contre lorsqu’il revient (de son contrat), c’est une autre logique, comme dit le verset (Vayikra 25,55) « Car pour Moi les enfants d’Israël sont des esclaves, ce sont Mes esclaves », et non des esclaves d’esclaves.’

On ne comprend pas la réponse de la Guemara. Si de fait les enfants d’Israël sont les esclaves de D. qu’Il a acquis en les faisant sortir d’Egypte, cela signifie que personne ne peut s’immiscer à l’intérieur de cette relation d’exclusivité, comment donc, tant que l’employé ne rompt pas son contrat, est-il considéré acquis à son employeur ? Soit les enfants d’Israël sont les esclaves de D. soit ils ne le sont pas ! Que signifie l’expression טעמא אחרינא הוא, ‘c’est une autre logique’ ?

Nous proposons la démarche suivante pour répondre à nos questions. La personne, pour gagner sa vie, se vend quelque part en esclave à un employeur durant le laps de temps qu’ils ont convenu. Durant cette période où la personne a vendu, si nous pouvons nous exprimer ainsi, sa force de travail [5], elle n’a pas d’indépendance juridique : « La main de l’employé est comme celle de son employeur ». Mais il est possible qu’à un moment lambda cet employé en ait assez, que cela lui devienne insupportable, aliénant, qu’il souffre de cette aliénation [6]. A cet instant précis, et seulement à ce moment, la Torah lui donne le droit de rompre son contrat, car il est esclave de D. et non esclave des hommes. Souvent nous nous sommes demandés pourquoi le verset de Parashat Béhar (Vayikra 25,55) dit-il que les enfants d’Israël sont les esclaves de D. pour dire qu’ils sont libres, pourquoi le verset ne dit-il pas franchement que les enfants d’Israël  sont libres [7] ? Il nous semble ressortir de la Guemara de Baba Metsia qu’intrinsèquement nous ne sommes pas libres. Nous vaquons à nos occupations et parfois nous nous assujettissons à autrui pour pouvoir gagner notre vie. Il est possible qu’alors quelqu’un se perçoive investi d’une urgence plus impérieuse, soumis à une problématique plus fondamentale, et se perçoive alors esclave de D.. Esclave de D. signifierait sentir en soi-même que ma vie n’est pas que gagner ma vie mais qu’il y a en moi une exigence d’existence, alors le droit juif atteste la capacité de rompre à ce moment-là le contrat dans lequel je m’étais limité.

Nous apprenons de ce passage qu’être sorti d’Egypte n’est pas une donnée, un état statique. La Torah ne dit pas : tu es libre. Si quelqu’un perçoit en lui qu’il ne supporte pas l’esclavage, souffre de cet esclavage, et ne peut vivre comme un esclave, alors D. le sort d’Egypte, le fait accéder à la liberté, et devient un interlocuteur de D. : « Je suis l’Eternel ton D. ».  Cette irruption est le vécu soudain qu’une nécessité supérieure s’impose à moi et que ce ne sont pas les hommes qui s’imposent à moi. C’est ce que la Guemara appelle טעמא אחרינא הוא, ‘c’est une autre logique’.

Cette Halakha de Rav Yéhouda au nom de Rav nous permet de donner un contenu précis au verset « ce sont Mes esclaves », ce que les ‘Hakhamim traduisent en disant « et non esclaves d’esclaves ». Que signifie être esclave de D. ? C’est être mû par une préoccupation intérieure impérieuse qui fait que je ne peux pas être esclave des hommes.

Nos Maîtres disent qu’aucun esclave ne partait d’Egypte [8], אין עבד יוצא ממצרים. J’ai entendu de Rav Binyamin Ringer זצ »ל qu’il était inutile de mettre des barbelés ni des miradors, personne n’avait l’idée qu’il était possible de ne pas être esclave.
Le Maharal, cité plus haut, rapporte qu’il n’y avait aucune nation aussi matérielle que l’Egypte. Cette affirmation nous étonne. En effet l’Egypte antique est la source, avec la Mésopotamie, de toutes les sciences et de tous les savoirs ! A priori ce serait plus adéquat de dire cela à propos des peuples archaïques et non civilisés ! Le Maharal lui-même répond à cet étonnement. En effet l’esclave est au service d’autrui, comme les astres qui sont au service d’autres réalités [9]. L’homme civilisé est au service de la civilisation, il est un pion dans cet univers qu’il construit pierre par pierre. D’où lui viendrait l’idée qu’il pourrait en être autrement et que l’on pourrait vivre différemment ?

Le Maguen Avot [10] de Rabbi Shlomo Zalman Schneerson, second rabbi de Kapouts, dit que nos Maîtres ont institué que l’on mentionne deux fois par jour la sortie d’Egypte, le matin et le soir, pour que nous nous rappelions que nous sommes esclaves et que nous en souffrions et que nous quémandions à D. deux fois par jour qu’Il nous sorte d’Egypte.

III. Le Maharal au chapitre précédent, chapitre 43, prouve de la Guemara du Traité Sota 11b que les enfants d’Israël que D. a sortis d’Egypte étaient aptes à ce que D. les fasse accéder à la liberté.

דרש רב עוירא בשכר נשים צדקניות שהיו באותו הדור נגאלו ישראל ממצרים…שופתות שתי קדירות אחת של חמין ואחת של דגים ומוליכות אצל בעליהן לשדה ומרחיצות אותן וסכות אותן ומאכילות אותן ומשקות אותן וזקקות להן בית שפתים שנאמר אם תשכבון בין השפתים וגו’.
‘Rabbi Avira nous donne le Drash [11] suivant : c’est par le mérite des femmes vertueuses de cette génération que les enfants d’Israël ont été délivrés d’Egypte. Que faisaient-elles ? Elles faisaient chauffer deux casseroles, l’une d’eau et l’autre de poisson. Elles amenaient ces casseroles au champ où travaillaient leurs maris (aux travaux forcés). Elles les lavaient, les parfumaient, leur donnaient à manger et à boire, et s’accouplaient avec eux dans les bocages entre les champs, comme dit le verset (Téhilim 68,14) « Si vous restez couchés entre les haies ».’

Pour apprécier ce Drash de Rav Avira, il est nécessaire de comprendre le contexte. Le Sifri, rapporté dans la Hagada de Pessa’h, commente le verset de Devarim 26,7 ainsi : וישמע ה’ את קולנו וירא את ענינו ואת עמלנו ואת לחצנו
‘ « D. entendit notre voix, il vit notre souffrance, notre épuisement et notre oppression ». « Il vit notre souffrance », c’est l’abstinence de couple, comme dit le verset (Chemot 2,25) « D. vit les enfants d’Israël et D. sut [12] ».’
Nos Maîtres apprennent des versets que les oppresseurs organisaient les travaux forcés de manière à ce que les couples d’Israël vivent séparés, et que toute vie de couple soit impossible. Rav Avira apprend du verset de Téhilim que les femmes d’Israël bravaient l’impossible pour retrouver leur mari, pour les ragaillardir, les revigorer, et leur donner la possibilité qu’ils aient malgré tout une descendance dans l’adversité. Le verset clame la grandeur d’Israël en cela qu’ils étaient couchés entre les haies, בין שפתים . Rashi explique (dans son commentaire sur la Guemara de Sotha) :
בין שפתים. בין מצרי השדות מקומות צנועין מצר גבול השדה גבוה מכאן וחבירו מכאן וחריץ באמצע.
‘Entre les limites. Entre les limites des champs, des endroits discrets à la limite des champs, avec un talus d’un côté et un talus de l’autre côté.’ Nous avons traduit ‘dans les bocages entre les champs’.
Le mot hébreu, Bein Shefataïm, signifie ‘entre les limites’.
Ces femmes outrepassaient les limites pour retrouver leurs époux, pour leur redonner de la vie, et les éveiller à s’unir à elles, et à avoir une descendance au cœur même de l’adversité.

Le Maharal, dans le chapitre 43 du Guevourot HaShem, ainsi que dans son commentaire dans les ‘Hidoushé Hagadot sur le Traité Sotha, explique que la matière est passive, malléable, comme l’esclave qui reçoit les ordres et qui n’a aucune marge de manœuvre, aucune possibilité d’action, c’est-à-dire d’action voulue. La femme qui est en général réceptive, ici devient actrice, agente. Au lieu de subir, elle reste femme en tant qu’elle désire s’unir à son mari, mais devient active de cette union. Elle introduit une dimension de liberté d’action à l’intérieur de sa dimension féminine qui est d’être réceptive. Plus encore, les persécutions mettent des limites infranchissables, ces femmes vertueuses dépassent les limites, elles s’unissent entre les limites. Elles hissent leur matérialité qui est la dimension de limite à une dimension qui dépasse ces limites, une dimension de liberté qui introduit de l’illimité au sein des limites. Ces enfants conçus dans ce contexte ne pouvaient pas être esclaves, cette génération est une génération apte à être délivrée d’Egypte.

Au niveau textuel, il y a une progression dans l’exposé du Maharal. Après avoir expliqué le mérite des femmes vertueuses de cette génération, il nous explique le premier verset des dix commandements. L’un explique l’autre. C’est la capacité hors norme de ces femmes vertueuses de dépasser les limites par leur désir ardent de retrouver leurs époux et de leur donner une descendance, qui a fait que les enfants d’Israël purent être des êtres libres et être les interlocuteurs de l’infini.

Il ressort des ces différents éléments une certaine définition de ce que la Torah considère comme liberté. La liberté est une perception de ne pas être esclave, de ne pas être limité. Il y a dans la liberté une manière de ne pas être limité. La manière instinctive de voir les choses est de dire que l’on peut faire ce que bon nous semble, je suis libre. Je sors des limites. Les femmes vertueuses ne se laissent pas enfermées dans les contraintes des persécutions, et vont encourager leurs époux et s’unir à eux entre les champs. Cette image exprimée par le verset בין המשפתים, ‘entre les limites’, nous définit précisément la conception de la Torah de la liberté : entre les limites il y a un espace de liberté. Ce n’est pas s’affranchir des limites mais introduire de l’illimité à l’intérieur des limites. C’est la dimension appelée Kedousha, sainteté.


[1] Bien évidemment ces notions nécessitent éclaircissement.

[2] Termes aussi à définir.

[3] Ceci est une définition de la matérialité. La matière, comme la glaise par exemple, reçoit la forme qu’on lui donne. Les enfants d’Israël qui souvent sont qualifiés d’avoir la nuque raide, קשה עורף. Le Maharal explique que leur difficulté à se soumettre, même aux ordres de D., vient de leur dimension non-matérielle, de leur dimension de la forme et non de la matière (par exemple chapitre 14 du Netsah Israël).

[4] L’esclave veut donner une lecture objective du texte. Le Maharal, comme maître éminent de la Tradition Orale, nous éduque à avoir une lecture libre du texte, c’est-à-dire existentielle. La Tradition Orale nous enseigne que l’existant qui lit précède le texte.

[5] A remarquer combien cette analyse du Talmud correspond aux termes choisis par Marx.

[6] Relevons aussi le terme d’aliénation.

[7] Nous avions abordé cette question dans notre premier ouvrage, ‘Le Désir des Désirs’, à la page 277 de la première édition.

[8] Mekhilta début de Parashat Yétro sur le verset עתה ידעתי.

[9] C’est pourquoi le premier commandement qui sera donné au peuple d’Israël qui va sortir d’Egypte sera de sanctifier le nouveau mois, exprimant par cela que c’est l’homme qui fixe le temps et non le temps qui fixe la destinée de l’homme, מקדש ישראל והזמנים.

[10] J’ai vu indubitablement cette explication dans le Maguen Avot mais présentement je ne la retrouve pas.

[11] Un Drash n’est pas une lecture simple du verset, mais propose des paraboles pour saisir le contenu intime ou un aspect du contenu intime du verset.

[12] C’est-à-dire que D. vit et sût quelque chose qu’aucune autre réalité que Lui ne pouvait se rendre compte car c’était trop intime et discret. Et qu’était-ce ? L’impossibilité organisée par les oppresseurs de vie de couple entre les hommes d’Israël et leurs épouses.

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

“Étude sur le premier des dix commandements”

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