Au début de la Paracha, Yakov Avinou bénit son fils Yossef. Notre étude portera sur la fin de cette célèbre bénédiction : וידגו לרוב בקרב הארץ. ‘et qu’ils se multiplient abondamment au sein de la terre’ [Béréchit 48,16]
Nous traduisons le terme וידגו par ‘qu’ils se multiplient’ bien que ce mot signifierait plutôt ‘qu’ils poissonnent’ puisque le mot דג, Dag, signifie ‘poisson’.
Rachi justifie l’usage de ce mot de la manière suivante :
וידגו. כדגים הללו שפרים ורבים ואין עין הרע שולטת בהם.
‘Veyidgou. (de la racine du mot Dag qui signifie poisson) qu’ils soient comme ces poissons qui fructifient et se multiplient et sur lesquels le mauvais œil n’a pas de prise .’
Nous ne résistons pas au désir de rapporter ici le commentaire de Rav Schimchon Raphaël Hirsch sur ce verset :
‘Ce mot Daga n’est utilisé dans le sens de multiplier que dans notre verset, partout ailleurs dans les versets de la Torah il prend le sens simple de poisson.
Fondamentalement l’usage de ce terme vient exprimer toute la profondeur du sens de la bénédiction de Yakov.
Ce mot (Veyidgou) vient nous enseigner ce que signifient les termes de la bénédiction : le contenu véritable de porter le destin de Yakov, d’être appelé par le nom de Yakov ; qu’est-ce qu’aller devant le D. devant qui allèrent nos pères, qu’est-ce qu’être nourri directement par Sa main et d’être sauvé par Son envoyé.
Dans son lieu de vie à part, dans des profondeurs que l’œil de l’homme n’atteint pas, là vit le poisson des vies tranquilles.
L’homme qui passe au bord de l’eau ne porte pas son attention, n’a même aucune idée de la vie joyeuse, agréable et heureuse qui s’épanouit en bas avec profusion, et qui se transmet de génération en génération. Ainsi la famille de Yakov compose-t-elle sa vie de manière indépendante, tranquille, heureuse. Elle vit, tout en étant au sein de la terre, בקרב הארץ , dans son cadre de vie à part, là où le monde qui l’entoure n’arrive pas à comprendre véritablement ce qui s’y passe et n’ a même aucune idée de son contenu.
La famille de Yakov est comparée aux poissons en cela qu’elle vit, si nous pouvons nous exprimer ainsi, au milieu de l’eau au sein de l’humanité sur terre, au sein de la terre.
Nous saisissons maintenant la traduction de Onkelos de notre verset :
וכנוני ימא יסגון בגו בני אנשא על ארעא.
et comme les poissons de la mer ils se multiplierons au sein des hommes sur la terre. ‘
Essayons de synthétiser l’idée de Hirsch. Cette expression Veyidgou, ‘ils se multiplieront’, est en quelque sorte l’aboutissement, le couronnement des bénédictions de Yakov et en même temps l’expression de leur concrétisation. Le peuple juif, sur lequel sera nommé le nom de Yakov, le peuple dont la subsistance vient directement de son Créateur et dont la survie ne dépend que de Lui, et non de sa propre force et de sa violence comme son frère Essav, ce peuple vit sur terre mais comme inatteignable par la hauteur de ses vues.
Et cette difficulté à être perçu et compris par les autres peuples est à la fois le test de sa grandeur et sa capacité à recevoir la bénédiction de D., de s’épanouir et de vivre une vie élevée et joyeuse.
Cette explication de Hirsch nous interpelle.
Tout d’abord, comment supporter cet appel à la discrétion ? Yakov souhaite comme vœu le plus cher que ses enfants glisse dans l’histoire comme des poissons nagent dans l’océan. C’est insupportable ! Ne doit-on pas au contraire prendre en main notre destin dans le concert des Nations ! Dire que Hirsch est dépassé est une chose, mais il faudra bien de toute façon rendre compte du verset !
Deuxièmement, la communauté (juive il s’entend) n’a de cesse de se plaindre de la partialité avec laquelle les médias de toutes sortes perçoivent et la communauté juive et le pays d’Israël.
Partialité, incompréhension, et bien souvent malveillance.
Nous voyons de cette explication que cette incompréhension, cette difficulté qu’ont les Nations à saisir véritablement ce qui se passe dans le peuple juif sont quant à leur fond l’expression d’une bénédiction. Qu’ainsi nous est donnée la possibilité de vivre notre spécificité, et notre bonheur de servir notre Créateur.
Combien sommes-nous loin de cette vision intérieure des choses ! Combien sommes-nous obnubilés à imposer, à montrer ce que nous sommes et à imposer notre ego !
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