ספר בראשית פרק טז
ג) ותקח שרי אשת אברם את הגר המצרית שפחתה מקץ עשר שנים לשבת אברם בארץ כנען ותתן אתה לאברם אישה לו לאשה
Saraï, la femme de Avram, prit Agar l’égyptienne, sa servante, après dix ans de séjour d’Avram en terre de Kénaan. Elle la donna à son mari entant que femme.
Abraham avait alors 85 ans (Gen.16,16) tandis que Sarah n’en avait que 76. Le Talmud (Yeb. 64a) voit dans ce verset une allusion au fait qu’un homme peut reconsidérer son engagement marital si pendant dix ans de vie commune il n’a pas d’enfant. Sarah est donc susceptible d’enfanter avant 76 ans. A l’époque les gens avaient des enfants jusqu’à un âga avancé. Sarah est sûrement restée féconde jusqu’à cet âge. Ceci expliquerait pourquoi Abraham ne prie pas pour la fertilité de Sarah car tous les signes avaient disparu. Il ne compte donc pas sur les miracles.
ספר בראשית פרק יז
יז) ויפל אברהם על פניו ויצחק ויאמר בלבו הלבן מאה שנה יולד ואם שרה הבת תשעים שנה תלד
Abraham tombe sur sa face, rit et dit en lui: « Vais-je enfanter à 100 ans et ma femme âgée de 90 ans enfanterait ! « .
A la suite de l’alliance de la circoncision entre D. et Abraham, D. lui annonce qu’il aura un fils avec Sarah.
Les commentateurs relèvent que l’expression « Bélibo » (dans son cœur) est celle des méchants qui sont soumis à leurs pulsions: ils ne sont que dans leur cœur (exemple Aman). A propos des justes, c’est l’expression « Lélibo » qui est employée: les justes dictent à leur cœur et non l’inverse. Ici on a donc une indication d’une certaine faute chez Abraham.
ספר בראשית פרק יז
יט) ויאמר אלהים אבל שרה אשתך ילדת לך בן וקראת את שמו יצחק והקמתי את בריתי אתו לברית עולם לזרעו אחריו
D. dit à Abraham que Sarah va enfanter et qu’il le nommera Isaac (Littéralement « il rira »).
ספר בראשית פרק יח
יב) ותצחק שרה בקרבה לאמר אחרי בלתי היתה לי עדנה ואדני זקן
Voila que Sarah rit en elle et dit: « Après être flétrie, retrouverais-je de nouveau ma jeunesse ? Et mon époux est vieux ».
Pour elle, c’est son incapacité à enfanter plus que ses 90 ans qui lui pose problème mais aussi l’âge de son mari.
ספר בראשית פרק יח
יג) ויאמר ידוד אל אברהם למה זה צחקה שרה לאמר האף אמנם אלד ואני זקנתי
D. dit à Abraham: «Pourquoi Sarah rit-elle en disant « pourrais-je avoir un enfant alors que je suis si vieille! » ».
ספר בראשית פרק יח
טו) ותכחש שרה לאמר לא צחקתי כי יראה ויאמר לא כי צחקת
Sarah nie avoir ri en disant: « je n’ai pas ri » car elle a eu peur. Il dit « non! Tu as bien ri ! ».
Qui est ce « Il », Abraham ou D. ? Si c’est D. Sarah serait la seule prophétesse à qui D. s’adresse directement.
Pourquoi dans Gen.17,17 lorsque Abraham rit, D. ne lui fait aucun reproche tandis que dans (Gen.18,13) D. reproche à Abraham le rire de Sarah ? Quelles sont les causes du rire d’Abraham et de celui de Sarah ? Quelle est la nature du rire d’Abraham et Sarah ?
רש »י על בראשית פרק יז פסוק יז
יז) ויפל אברהם על פניו ויצחק – זה ת »א לשון שמחה וחדי ושל שרה לשון מחוך למדת שאברהם האמין ושמח ושרה לא האמינה ולגלגה וזהו שהקפיד הקב »ה על שרה ולא הקפיד על אברהם
Rachi sur Gen.17,17: Abraham tomba sur sa face et rit: Comme le traduit Onkélos: « il s’est réjoui » tandis qu’à propos de Sarah il traduit: « elle s’est moquée ». Abraham a eu foi et s’est réjoui alors que Sarah n’a pas eu foi et s’est moquée. C’est la raison pour laquelle D. en a tenu rigueur à Sarah (Gen.18,13) et Il n’en a pas tenu rigueur à Abraham.
Le commentaire de Rachi ne présente aucune nuance. Comment du même mot « rire », Rachi traduit dans un sens positif pour Abraham et dans un sens négatif pour Sarah ?
Étonnant, il n’y a pas de commentaire sur ce Rachi. Pas de Maharal. Comment une telle femme, seule prophétesse avec qui D. parle, peut-elle se moquer de la parole de D. ? Abravanel dans son introduction au Na’h dit que le Na’h parle en se plaçant du point de vue de la personne concernée. Si dans le texte Saül fait figure de méchant, c’est qu’il se perçoit comme méchant. Sur cette trace, on pourrait dire que Sarah se perçoit comme une moqueuse et c’est ainsi Onkélos et Rachi nous la présentent. Cependant elle même nie être une moqueuse. Mais sa peur témoigne contre elle. Cependant D. ou Abraham réaffirme qu’elle a ri. Mais de quel rire s’agit-il ?
Si Abraham rit, c’est seulement parce qu’il exprime sa joie. Il a déjà eu Ismaël, il y a 13 ans. Sa capacité à enfanter ne se pose pas. Le rire d’Abraham ne porte pas sur une remise en question des capacités de D. à lui donner un enfant, il en a la capacité. Il s’agit d’un rire qui relève d’une expression de joie plus que d’un rire qui relève d’une incongruité, de quelque chose qui échappe à l’attendu : D. dit à Abraham une blague: « tu auras un enfant avec Sarah », mais lui ne rit pas d’un rire de blague mais d’un rire de joie.
Abraham a déjà vécu un miracle, celui d’échapper à la fournaise de Nimrod (Gen.15,7). Le miracle ne lui est pas étranger mais ce n’est pas fondamental dans sa vie . Abraham vit avec son temps et son monde mais en marge. Il est Ivri, de l’autre côté, en marge (Midrach rabba 39,1). D’ailleurs D. lui dit que c’est sur ce point qu’il peut s’identifier à ses descendants parce que « sa descendance sera elle aussi étrangère sur une terre qui ne sera pas la sienne » (Gen.15,13). Elle aussi sera en marge dans le pays où elle vivra. Abraham imprime sa descendance de la marque du « en marge du monde ». Le rire d’un autre qu’Abraham aurait dû être celui de la moquerie, mais lui ne se moque pas, il se réjouit. Le nom de son fils sera la marque du rire de joie d’Abraham du « en marge du monde ». Cependant, D. fait le reproche à Abraham du rire de Sarah, se pourrait-il qu’il en soit responsable ? De plus, Abraham relève aussi que sa femme a 90 ans (Gen.17,17) et là il y a une remise en question des capacités de D.. Est-ce une faute de sa part ? D. ne lui en tient pas rigueur.
On peut dire qu’Abraham est d’abord un rationaliste solitaire mais qu’il a aussi des sentiments, des intuitions. Il ne vit donc pas sur le mode du miracle. D. ne lui reproche pas de ne pas compter sur les miracles. Abraham est un homme planté dans le sol . Il chemine de la terre vers le ciel sans rien perdre du monde. Sa relation avec D. ne passe pas ou très peu par les miracles mais par les 10 épreuves qui s’inscrivent dans le monde. Nahmanide nous apprend (Gen. 22,1) que l’épreuve n’est là que pour apprendre à l’éprouvé ce dont il est capable. En cela D. aide Abraham sur son chemin. Un chemin élaboré où le miracle existe, mais où il n’est pas déterminant.
D. fait le reproche à Sarah. Elle ne doit pas fonctionner sur le même mode qu’Abraham. L’épreuve de Sarah est de savoir vivre le miracle au naturel. Elle n’a pas comme Abraham à se confronter au monde, à aller casser de l’idole (pas de l’idolâtre évidement). Sarah doit vivre dans l’attente (la tente) du miracle. D. tient grief à Sarah qu’elle se plaint de son infécondité à 90 ans et de sa remarque sur l’âge de son mari. Sarah doit compter sur le miracle. Elle y avait si bien réussi jusqu’à 76 ans. Quand (Gen.18,15) D. (ou Abraham) lui reproche de rire c’est pour avoir douté de la possibilité du miracle, ce n’est pas un rire de moquerie à l’égard de D. mais à l’égard de la démarche d’Abraham qui ne peut rien entendre à ce sujet.
Si c’est Abraham qui l’accuse d’avoir ri, elle a peur et s’en défend. Elle ne peut pas lui dire ce qu’elle en pense, il ne comprendrait pas. Si c’est D. qui lui fait le reproche, parce que son rire est intérieur, son rire n’est que l’expression d’une joie, D. lui révèle qu’elle est trop dans la rationalité, dans les pas d’Abraham, et qu’elle n’a pas assez pris de distance vis à vis de son mari, son maître. Elle n’est pas encore installée dans le miracle. Le texte ne semble pas indiquer comment elle a effectué sa révolution copernicienne mais que la responsabilité de son rire est imputée à Abraham. Sarah doit se détacher d’Abraham pour se réaliser.
Sarah aura les pieds plantés dans le ciel, c’est ce que D. attend d’elle. S’ensuivront les miracles permanents dans la tente de Sarah: la nuée sur la tente, les lumières allumées de Chabat en Chabat et la bénédiction dans la pâte (Béréchit Rabba 60,16) .
Isaac est le fils d’Abraham, l’homme qui construit son chemin sur des critères rationnels, et celui de Sarah, qui aborde le monde par le dépassement du naturel. Pourquoi fallait-il que le deuxième patriarche soit le « produit » de ce déchirement ? Pourquoi faut-il que l’identité d’Isaac soit entre la terre et le ciel ?
ספר בראשית פרק כב
ד) ביום השלישי וישא אברהם את עיניו וירא את המקום מרחק
Et ce fut le troisième jour, Abraham leva ses yeux et vit l’endroit de loin.
S’il « leva ses yeux » c’est qu’il fit un effort de voir ce qui ne va pas de soi. Mais pour voir quoi ?
וירא את המקום – ראה ענן קשור על ההר
Rachi: il vit l’endroit de loin »: il vit le nuage attaché à la montagne.
D. avait dit qu’Isaac serait l’héritier d’Abraham. Abraham en trouve la confirmation au moment de la ligature Isaac. Isaac pense qu’il n’y a pas de distance entre le ciel et la terre: l’excroissance de la terre (la montagne) rejoint l’excroissance du ciel (le nuage). Les autres (Ichmaël et Eliezer) ne voient rien de particulier. Pour Isaac, la terre et le ciel ne sont pas distants, ils ne fusionnent pas non plus mais ils se touchent. Imaginer le contraire, pour un véritable descendant d’Abraham, serait faire preuve de folie: ne pas être soi même.
תלמוד בבלי מסכת חגיגה דף טו/א
מעשה ברבי יהושע בן חנניה שהיה עומד על גב מעלה בהר הבית וראהו בן זומא ולא עמד מלפניו אמר לו מאין ולאין בן זומא אמר לו צופה הייתי בין מים העליונים למים התחתונים ואין בין זה לזה אלא שלש אצבעות בלבד שנאמר ורוח אלהים מרחפת על פני המים כיונה שמרחפת על בניה ואינה נוגעת אמר להן רבי יהושע לתלמידיו עדיין בן זומא מבחוץ מכדי ורוח אלהים מרחפת על פני המים אימת הוי ביום הראשון הבדלה ביום שני הוא דהואי דכתיב ויהי מבדיל בין מים למים וכמה אמר רב אחא בר יעקב כמלא נימא
Haggiga 15a: « Quelle est la distance entre les eaux d’en haut et celles d’en bas ? Maximum l’épaisseur d’un cheveu, dire plus serait une pure folie ce serait être « en dehors »(du monde). »
Il n’est pas possible, pour un juif, d’imaginer qu’il existe une distance entre le ciel et la terre alors que la pensée occidentale nous a appris à séparer le corps de l’esprit. Être descendant d’Isaac c’est pouvoir avoir des racines dans la terre et le ciel .
Après la ligature d’Isaac, Sarah disparaît, Rivka naît, elle reprend la démarche de Sarah là où elle l’a laissée. La nuée sur la tente, les lumières allumées de Chabat en Chabat et la bénédiction dans la pâte reviennent.
L’épisode du rire de Sarah est une partie constituante de l’identité juive. Être juif c’est se définir par ces doubles racines: vivre ses possessions spirituellement et ses aspirations matériellement.
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