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De quoi la Tsaraat est-elle le nom ?

par: Franck Benhamou

Publié le 19 Avril 2023

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La Torah présente sur plus de cent versets la « Tsaraat ». De quoi s’agit-il ? C’est une tache blanche qui apparaît sur la peau. Cette tache blanche est prise très au sérieux, puisqu’elle        se solde, après un très long processus de plusieurs semaines, par une série de trois sacrifices qui doivent être apportés au Temple. La présence parmi eux d’un sacrifice expiatoire, montre assez clairement qu’il ne s’agit pas d’une simple maladie de peau mais plutôt le symptôme d’une attitude fautive. Le Talmud va nous orienter sur la nature de cette attitude. La question qui se pose est celle du silence des versets : pourquoi le verset ne précise pas l’existence d’une faute en amont ? La Torah sait parfaitement articuler les fautes, elle sait exprimer des fautes précises, des attitudes générales inadaptées…Pourquoi ici garde-t-elle le silence ?

1 . Les symptômes

La Tsaraat occupe les chapitres 13 à 15 de Vayikra. On y distingue trois types d’affections : une portant sur les personnes, l’autre sur les tissus et enfin la troisième portant sur les habitations. Ces chapitres expliquent aussi la façon dont on doit se comporter face à ces affections. Dans un premier temps la Torah  présente les affections sur le corps humain : elle distingue    les dartres relatives au corps et celles relatives à la tête, entrant alors dans le détails sur la position de ces affections sur la tête. Curieusement, avant de passer en revue les actions liées à la sortie de l’affection des personnes, le verset explique l’attitude à adopter face à l’affection des étoffes. Après avoir expliqué le rituel pour la Tsaraat des personnes, elle entame la description de l’affection des bâtiments ainsi que l’attitude qu’il convient d’adopter.

On constate d’ores et déjà que les termes dartre ou lèpre ne conviennent pas, le terme maladie n’est pas plus adapté. Or la Torah use d’un même vocable pour décrire ces taches blanchâtres : Tsaraat. Gardons cette remarque.

Nous allons nous focaliser sur les affections du corps. Lorsqu’une tache blanchâtre apparait sur le corps d’une personne, il faut l’amener chez un Cohen, celui-ci séquestre la plaie une semaine. [1] Si au bout d’une semaine la tâche a grossi le Cohen déclare la personne impure. Elle le demeure jusqu’à disparition du symptôme. Si la plaie ne s’est pas étendue, au bout d’une seconde semaine, l’homme sera déclaré pur, sauf si celle-ci croît à nouveau ultérieurement. Un deuxième symptôme, suffisant à rendre impur la personne, est l’apparition de poils blancs sur la tâche. Dans ce cas, l’homme sera immédiatement déclaré impur. Un troisième symptôme indépendant est l’apparition d’une zone de chair vive à l’intérieur de la dartre : à nouveau la personne est impure. Dès que le Cohen constate la tache blanchâtre, alors même que celle-ci ne s’est pas encore étendue, la personne doit sortir de sa ville (si elle est entourée de muraille, c’est une indication de la Michna) et rend impur tout objet ou personne qui entrerait en contact physique avec la personne affectée. Si l’affection blanchâtre s’est développée ou si elle présente des poils blancs ou de la chair vive en son sein, l’homme doit attendre la disparition des symptômes et ensuite faire le protocole décrit au chapitre 14 : apporter deux oisillons, on prendra le sang de l’un d’entre eux, l’homme sera aspergé par le mélange de sang et d’eau, et ne sera autorisé à pénétrer au Temple qu’une semaine après, il devra apporter alors trois sacrifices : un délictif (acham), un expiatoire (’hatat) et un holocauste (ola).

La Michna prend beaucoup de temps à décrire les teintes blanches : elle en distingue quatre qui contribuent à déclarer l’homme impur : blanc comme neige, blanc comme la chaux des murs du Temple, blanc comme de la laine et enfin comme du blanc d’œuf. La personne déclarée définitivement impure [2] , c’est à dire qui possède l’un des trois symptômes précédents, et qui est donc astreinte en fin de parcours à présenter des sacrifices, devra en plus d’être à l’extérieur du camp déchirer ses vêtements, ne pas se raser, déclarer « impur, impur » sur son passage ! Dans un tel cas, l’impureté est plus lourde : non seulement son contact physique est source d’impureté, mais même le fait de cohabiter [3] avec elle devient source d’impureté.

2 . Rhétorique de la lèpre

Les auteurs classiques sont partagés sur l’origine de cette affection. Trois auteurs en particulier défendent que celle-ci est contagieuse : Ibn Ezra, Ralbag et Abrabanel. Ils suggèrent donc que l’affection est organique. Les mesures préconisées par la Torah sont alors d’ordre hygiéniques ou prophylactiques. Le Talmud et à sa suite de nombreux autres auteurs affirment que l’origine de cette affection est à chercher dans une faute commise par la personne affectée : en particulier, en Er’hine 15b,il est affirmé que la « mauvaise parole [4] » est à l’origine de cette affection. Il ne s’agit donc en aucun cas d’une affection contagieuse : l’impureté ne serait qu’une façon légale d’imposer une séparation d’avec la personne. Examinons les preuves des uns et des autres.

2.1 Preuves

Les preuves qui plaident en faveur d’une affection organique et contagieuse sont les sui- vantes : il faut s’éloigner de la personne suggérant qu’il peut y avoir contagion ; la description sous forme de symptômes (usage d’un langage technique et normatif, précision de la description). D’autres passages bibliques semblent montrer encore qu’il s’agit d’une maladie : par exemple en Rois II chapitre 5 et 7, où il ne semble nullement question de faute : la Tsaraat semble être un phénomène naturel. La preuve la plus forte me semble être constituée par la question posée plus haut : à aucun moment dans ces chapitres il n’est question d’une mention de faute explicite. Notre objectif est de montrer qu’une origine organique de la Tsaraat est à exclure, et que les preuves qui militent pour la thèse inverse doivent être comprises différemment. Ce travail, répétons-le, n’est qu’un pré-requis pour une compréhension plus en profondeur des enjeux de cette péricope.

2.2 Une preuve tirée de Maïmonide

Maïmonide écrit dans le Michné Torah (16.10 des lois de la Tsaraat, traduction partielle) : Le mot Tsaraat est polyvalent, il désigne des sujets différents les uns des autres. Une peau blanchâtre, une pelade, une étoffe blanchie, une maison tachée. Cette affection concernant les étoffes et les maisons n’est pas naturelle, mais c’est un signe et un miracle qui se produisait en Israël, pour détourner de la mauvaise langue. Une personne qui aurait un tel comportement voit dans un premier temps les murs de sa maison changés ; s’il modifie son attitude, l’affection de sa maison disparaîtra ; mais s’il persévère, jusqu’à ce que les murs de son habitation requièrent d’être cassés, les ustensiles de peau de sa maison, ses chaises, son lit, changeront aussi d’aspect ; s’il continue ce sont ses vêtements qui seront atteints, s’il se repend, ils redeviendront purs, s’il persiste jusqu’à ce que ses vêtements requièrent d’être détruits, c’est sa peau qui est transformée, il sera isolé, impossible pour lui de s’adonner aux discussions des gens mauvais, aux moqueries et autres calomnies. La Torah met en garde à ce propos : rappelle-toi ce que Dieu fit à Myriam la prophétesse qui parla contre son frère, Moïse, alors qu’elle était son ainée, qu’elle l’a élevé, s’est mise en danger pour le sauver du fleuve, alors même qu’elle s’est trompée à son sujet, en le plaçant à un degré équivalent aux autres prophètes, alors que lui-même n’était pas vexé par ces mots, puisque le verset témoigne de son humilité, à plus forte raison pour les gens simples qui multiplient ces grands discours [5] …

Dans ce processus, l’affection de la peau n’est que le stade final. Sans entrer pour le moment dans les arcanes de ce texte [6] , notons que seules les affections des maisons et des étoffes sont qualifiées de non-naturelles (minhago chel olam). Les affections qui portent sur les personnes seraient-elles naturelles ? . Pourtant le texte rapporte un exemple qui est justement relatif à   une personne- Myriam et qui est clairement non-naturel.

2.3 La réponse dans le Guide des Egarés

La réponse est donnée par Maïmonide lui-même, dans le guide des égarés (3.37), il écrit : Quant à l’impureté de la lèpre, nous en avons déjà exposé la signification. Les docteurs aussi l’ont exposé et nous ont fait savoir qu’on a posé en principe que cette maladie est un châtiment pour punir la médisance. D’abord, cette altération se fait remarquer dans les murs ; si l’homme se repent, le but est atteint ; mais s’il continue à pécher, l’altération s’étend à son lit et aux ustensiles de sa maison, et s’il persiste encore dans son péché, elle s’étend à ses vêtements et ensuite à son corps. C’était là un miracle qui se perpétuait dans la nation comme celui des eaux amères de la femme soupçonnée d’adultère. Il est évident que c’est là une croyance très utile, surtout si l’on réfléchit que la lèpre est contagieuse et que tous les hommes en éprouvent un dégoût presque instinctif.

Le terme Tsaraat recouvre des réalités très différentes, ceci avait déjà signalé dans le Michné Torah, mais ici l’auteur affirme que « la lèpre est contagieuse et que tous les hommes en éprouvent un dégoût instinctif », cet argument supplémentaire nous montre comment Maïmonide envisage les choses : non que la Tsaraat des personnes ne serait pas miraculeuse, mais qu’il existe une maladie de peau appelée Tsaraat -appelons la lèpre- qui est repoussante, et qu’en réutilisant ce terme pour une affection miraculeuse, la Torah veut produire un effet d’éloignement identique pour la Tsaraat miraculeuse (appelons là affection ou Tsaraat, l’homme qui en est affecté est alors Métsora). Cette distinction permet alors d’y voir beaucoup plus clair : Myriam avait bien été frappée d’une Tsaraat miraculeuse en réponse à son erreur ; par contre les textes bibliques des Rois relevaient de l’affection naturelle. Il faudra donc bien séparer ces usages : d’où l’insistance sur la polyvalence du terme. Certains auteurs [7]  rapportent un élément talmudique (Ktouvot 77b) où l’on voit que certains sages « n’entrent pas dans la rue où habite un lépreux, ne s’en approche pas de deux mètres, ne mangent pas ses œufs ». C’est faire une confusion importante : de telles attitudes relèvent clairement de la prophylaxie, et ces textes parlent de la maladie organique. La finesse de Maïmonide consiste donc à bien identifier les domaines (religieux et organiques) et donc de les séparer vigoureusement. En plus de cela, il justifie le procédé rhétorique à l’origine de cette confusion.

Autres preuves : De nombreuses autres preuves peuvent être avancées ; notamment la Michna dans négaïm 3.2 précise qu’on repousse le moment pour amener une personne consulter le Cohen. Par exemple dans le cas d’un jeune marié, ou dans le cas des fêtes qui durent sept jours. Or ce sont précisément des moments de rencontre particulièrement propices à la contagion.

2.4 Relecture des textes bibliques

Si l’on fait le bilan des textes bibliques qui parlent d’une affection miraculeuse, on ne trouve que quelques textes : l’épisode de Myriam (Bamidbar 12.10), Rois II 5 : Naaman, serviteur d’Elisha, tira bénéfice d’un miracle réalisé par son maître, pour réclamer quelque argent :

« La lèpre de Naaman s’attachera à toi et à ta postérité à jamais ; il se retira de devant lui, lépreux comme neige ».

Un autre épisode biblique est moins connu, Divrei Hayamim 26.19 :

Mais dans la puissance, son cœur [du roi Uozzia] s’enorgueillit jusqu’au crime ; il fut rebelle contre l’Éternel, son Dieu, et pénétra dans le sanctuaire de l’Éternel, pour faire des fumigations sur l’autel des parfums. Azariahou, le prêtre, entra derrière lui, accompagné des prêtres de l’Éternel, au nombre de quatre-vingts hommes courageux, qui s’opposèrent au roi Ouzzia et lui dirent : « Ce n’est pas ton rôle, Ouzzia, d’offrir l’encens à l’Éternel ; c’est celui des prêtres, des descendants d’Aaron, consacrés à ce soin ; sors du sanctuaire, car tu as péché, et cela ne te fait point honneur devant l’Éternel Dieu. Ouzzia se mit en colère, tandis qu’il tenait en main l’encensoir à fumigation, et alors qu’il s’emportait contre les prêtres, la lèpre brilla sur son front, en présence des prêtres, dans le temple de l’Éternel, auprès de l’autel des parfums. Azariahou, le prêtre en chef, se tourna vers lui ainsi que tous les prêtres, et voici qu’il était atteint de    lèpre au front. Ils le firent sortir en hâte du lieu, et lui-même, d’ailleurs, s’empressa de sortir, car l’Éternel l’avait frappé. Le roi Ouzzia resta atteint de lèpre jusqu’au jour de sa mort et demeura lépreux dans une maison de repos [8] , car il avait été retranché du temple de l’Éternel [9]

. Jotham, son fils, préposé au palais du roi, gouvernait les gens du pays.

Un autre personnage a été touché par la lèpre : c’est Job, nous en reparlerons un peu plus loin. Nous allons essayer de préciser les contours de la thèse adoptée par le Talmud, puisque c’est la thèse admise par la Torah orale d’une manière générale [10] .

3 . Du code au signe

Le Talmud en Er’hine 15b énonce une première phrase lapidaire : les affections définitives (c’est-à-dire une affection effectivement déclarée impure par le Cohen, par la suite nous appellerons cela « une plaie ») ont pour source la mauvaise langue. Il semble donc que là Dieu s’exprime par un codage bien clair. Dans la page en regard, le Talmud n’énonce pas moins de sept raisons pour lesquelles des plaies s’abattent sur les personnes : le meurtre, les mœurs légères, les faux serments, l’orgueil, le vol, la mesquinerie, la mauvaise langue.

Quelle est l’unité de cet ensemble ? Le Maharal dans son commentaire sur les Aggadot du Talmud tente une synthèse. Le Talmud avait  indiqué qu’il existait sept causes pour l’arrivée de la Tsaraat : l’indication chiffrée semblait montrer que la liste est close. Maharal montre qu’il n’en n’est rien : ce chiffre sept indique un centre à partir duquel irradient six directions, une centralité rayonnante ; les fautes en question ne forment pas une liste close, mais elles indiquent un foyer. Le Maharal essaie alors d’en comprendre la clôture. Pour lui, toutes ces fautes sont d’ordre interindividuelles. Certaines fautes sont facilement comprises à travers cette interprétation, d’autres posent plus de problèmes. Par exemple, le faux serment vise en réalité selon le Maharal, le témoignage à faux qui exclut l’accusé de sa socialité. L’intérêt pour nous du Maharal c’est qu’il précise bien la nature des fautes en jeu, en même temps qu’il accorde un certain crédit à la dimension collective de la faute. Or cette dimension collective est largement présente dans le texte.

4 . Une maladie sociale ?

Revenons à notre question initiale : pourquoi le verset ne précise-t-il pas tout cela ? Pourquoi reste-t-il silencieux ? Lorsque le Sforno arrive à la fin de son commentaire, il expose la même théorie que Maïmonide concernant la progressivité de l’affection. Il utilise un verset de Job (36.10) : il ouvre leur oreille à la réprimande.

Le livre de Job est particulièrement propice aux commentaires du thème de la Tsaraat : Job      en a été frappé. Rappelons la structure du livre de Job : Job est un juste, le Satan intercède devant Dieu pour le tester. Dieu l’accable de terribles souffrances. Quatre de ses amis viennent le consoler, chacun avec un discours différent. Le texte dont est extrait ce verset est issu d’un des discours de Eliou, le quatrième ami. Ce discours intervient à la suite du verset qui coupe le livre de Job en deux : « les trois hommes cessèrent de répliquer à Job, parce qu’il se considérait comme juste ». (Job 32.1). Le discours d’Eliou, qui obtient les faveurs divines, alors que les discours des autres compères s’en approchent parfois beaucoup. [11]. IL existe une différence entre le discours d’Eliou et ceux des autres compères : alors que pour les trois amis, Dieu exerce une justice implacable, pour Eliou, cette justice s’exerce mais est annoncée : « A la vérité Dieu parle une fois, même deux fois : on n’y fait pas attention ; en songe, dans des    visions nocturnes, lorsqu’ils dorment sur leurs couches, , alors il ouvre l’oreille des mortels, et met un sceau sur la correction qu’il leur inflige. » (33.14-33.16). Contrairement aux autres amis, Eliou sait ouvrir l’oreille de Job, comme Dieu. Il lui ouvre l’oreille non pas en questionnant la justice divine, mais ce que fait Job de ses souffrances.

Il me semble qu’on peut à présent comprendre le silence du verset quant aux raisons de l’apparition de la Tsaraat. Comment faire pour ouvrir l’oreille à une personne qui reste sourde ? Job clame sa propre pureté de cœur et par cela impose le silence à ceux qui veulent le consoler.    Le verset reste silencieux, parce que l’homme lui-même a fermé ses oreilles aux signes avant-coureurs ainsi qu’aux invectives. Il est blanc, il se considère comme blanc. Revenons aux deux exemples que nous avons travaillés : Myriam a toutes les raisons avec elles, c’est son frère, son jeune frère, lui voudrait-elle du mal ? Elle-même l’a sauvé, comment ne comprendre les paroles bienveillantes qui traversent sa bouche lorsqu’elle souhaite à son frère une vie affective ? Sa faute est si légère. On comprend que la langue mauvaise forme l’exemple princeps qui cause les affections : c’est une simple parole dont les effets peuvent facilement être niés car ils sont immatériels. De même pour l’exemple de Ouzzia : celui-ci a fermé son oreille aux invectives des autres Cohen, il veut faire le bien, apporter de l’encens au temple, n’est-il pas beau le roi qui réunit en lui-même pouvoir et prêtrise ? L’accent ne doit pas être mis sur la subtilité de la faute mais plutôt sur l’absence d’écoute du fauteur. Si le verset ne met pas en avant la dimension fautive de la personne, uniquement en fin de réhabilitation c’est pour dire que sa faute n’est entendue qu’à la fin. Eliou ouvre l’oreille de Job non pas en justifiant Dieu, mais en s’appuyant sur la souffrance infligée par Dieu, comme source de réflexion.

Isabelle Cohen rappelle que Job était silencieux lorsque Pharaon persécuta Israël, il s’enfuit. [12]

Face à son silence, il récolte le silence divin. Si l’on peut dire l’homme frappé de Tsaraat est celui qui aura fait taire la voix de Dieu. Dieu ne parle donc pas un langage codé, mais parle un langage de sourd, indiquant peut-être par quel membre l’homme a fauté. S’agit-il d’une faute faite par son corps ou son esprit ? Le Natsiv par exemple précise que là se trouve la raison de distinguer les plaies du corps de celles de la tête : renvoyant à des catégories de fautes différentes. On peut ainsi essayer de comprendre les symptômes de la Tsaraat. Le blanc indique la relation que l’homme entretient avec lui-même : il est sans faute ; les exemples qui décrivent la faute sont la neige, la blancheur du temple ou la laine du mouton [13] éléments purs. Le poil blanc indiquerait ainsi la vieillesse comme signe de sagesse. Le développement de la tâche serait signe que l’homme est dans la bonne voie de sa blancheur. L’interprétation de la chair vive au milieu de la plaie paraît moins simple : peut-être faut-il y voir que l’homme se sent « transparent »

Conclusion : aller au Temple

L’impureté n’est pas un concept creux : sa conséquence est essentiellement l’interdit d’aller au Temple. Comme le dit Maïmonide (Guide 3.47), suivant en cela l’ensemble des commentateurs classiques : Nous avons déjà exposé que tout ce qu’on voulait obtenir par le sanctuaire, c’était qu’il produisit une impression sur celui qui viendrait le visiter, qu’il inspirât la crainte et le respect, comme il est dit : et vous craindrez mon sanctuaire (Lévit., 19, 30). Mais, lorsqu’on aborde continuellement n’importe quel objet respectable, l’effet qu’il produit sur l’âme diminue et l’impression qu’on en reçoit est moindre. Les docteurs déjà ont appelé l’attention sur ce sujet en disant qu’il n’est pas bon d’entrer à tout moment dans le sanctuaire, et ils citent à l’appui ces paroles : Ne mets pas trop souvent ton pied dans la maison de ton prochain, de peur qu’il ne se rassasie de toi et ne te haïsse (Prov., 25, 17). C’est dans cette intention que Dieu défendit aux impurs d’entrer dans le sanctuaire, et les cas d’impureté étant très-nombreux, on ne pouvait guère trouver que très-rarement une personne pure.

La Torah utilise les notions de pureté pour parler du Métsora. En utilisant cette langue, c’est tout une machine qui se met en branle : en particulier quiconque serait en contact avec un Métsora écope d’une certaine impureté qui l’empêche momentanément d’aller au Temple. On peut voir dans ces lois une simple logique insensée : la Torah en utilisant les notions de pur et d’impur n’a pour objectif que de parler au Métsora lui-même, et les conséquences mécaniques qui en découlent, notamment toutes sortes d’impuretés qui en découlent pour les autres, ne seraient que des règles abstraites. Il me semble pourtant qu’on peut aller plus loin. En quoi      le contact avec le Métsora parle-t-il même à celui qui n’a pas sa problématique ? C’est que précisément, aller au Temple requiert une attitude opposée à celle du Métsora : la surdité est contagieuse ! Il n’est pas nécessaire pour aller au Temple de se penser comme un juste parfait, ou de mettre ses fautes sous le tapis. En imputant une impureté à une personne qui coexiste avec un Métsora, on affirme que ce dont souffre le Métsora est susceptible de toucher chacun.


  1. Rachi dit qu’il faut isoler la personne. Mais, il s’agit plutôt de séquestrer la plaie : entourer celle-ci pour en marquer le contour précis, comme le dit le Roch voire simplement ne rien faire : uniquement prendre note de la taille de l’affection. Pour une discussion précise voir Michné Léméléh sur Hilhote Toumat Tsaraat 14.5. Voir aussi Haketav Véhakabala.
  2. Que nous distinguons à la suite de la Michna Méguila chapitre 1, de Métsora transitoire (moussgar, en attente), c’est à dire qui n’aura pas besoin d’apporter des sacrifices à l’issue de son affection.
  3. Toumat Bia, décrit dans le chapitre 13.4 de la Michna : il s’agit de s’installer dans une pièce où le Métsora séjourne, le simple passage dans la pièce n’est pas contraignant.
  4. Lachone Ara : calomnie, médisance, parole qui porte préjudice ou atteinte à autrui.
  5. L’insistance de Maïmonide, est une véritable leçon de vie : l’autorisation que chacun se donne pour proférer contre ses proches, contre ceux qui ont contracté une dette morale vis à vis de nous,alors même qu’on a pu avoir une attitude irréprochable, autant d’arguments existentiels sur lesquels chacun s’appuient pour s’autoriser un mépris.
  6. Inspiré de Vayikra Rabba 17.4.Tossefta Négaim 6.6. ; Séfer Hamitsvot assé 112
  7. Voir par exemple le Méchéh Hohma sur Vayikra 13.2 ou le Midrash Rabba 16.3
  8. Voir Métsoudot David
  9. Il ne pouvait plus rentrer au Temple
  10. Voir par exemple Michna Négaïm 12.
  11. On pourra consulter avec beaucoup d’intérêt le livre d’Isabelle Cohen, Un monde à réparer. Notamment dans son essai, à partir de la p.482
  12. P.486 et notes.
  13. Voir Daniel 7.9 : Je continuai à regarder, lorsque des trônes furent dressés et un ancien des jours prit la place. Son vêtement avait la blancheur de la neige, et la chevelure de sa tête, celle de la laine éclatante, son trône était des flammes étincelantes et ses roues un feu incandescent. Qu’on nous permette de rappeler que la
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