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Vaykira : un sacrifice de soi ?

par: D. Scetbon

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Introduisant les premières lois des sacrifices, le cinquième verset de notre paracha dit : « Et il égorgera le taureau devant Hachem, et les enfants d’Aharon, les Cohanim (les prêtres), approcheront le sang et ils en feront aspersion tout autour de l’autel qui est au seuil de la tente du Rendez Vous ». Introduisant les premières lois des sacrifices, le cinquième verset de notre paracha dit : « Et il égorgera le taureau devant Hachem, et les enfants d’Aharon, les Cohanim (les prêtres), approcheront le sang et ils en feront aspersion tout autour de l’autel qui est au seuil de la tente du Rendez Vous ».

Une lecture simple du verset permet d’y déceler une particularité. Il comprend un « glissement » du sujet de la troisième personne du singulier à la troisième personne du pluriel. Le sacrifice est présenté dans un premier temps comme étant offert par un individu, et ensuite seulement, les Cohanim commencent leur travail.

Rachi ne manque pas de relever cette particularité. Il intervient et dit « [ils] approcheront : [c’est seulement] à partir de la réception du sang [du sacrifice que commence] le commandement de la prêtrise, nous apprenons [d’ici] que l’abattage [du sacrifice] est valide s’il a été opéré par un non-Cohen (zar) ». Le fait que le verset exprime le geste de l’abattage de l’animal avec un sujet au singulier (« il égorgera »), pour passer juste après à un pluriel (« les prêtres ») nous enseigne donc que l’abattage de la bête peut être pratiqué par tout un chacun, pas uniquement par un prêtre. La source principale de cet enseignement, maintes fois réitéré dans le Talmud, se situe dans le traité Zeva’him, page 32.

Or le Zohar, à au moins deux reprises (sur notre verset, et de manière plus explicite sur la paracha de Nasso, page 324), dit que la ché’hita (l’abattage) doit nécessairement être pratiquée par un non-Cohen « car il est interdit à un Cohen de réaliser un acte relevant de la [stricte] rigueur ».

Ainsi, d’après le Zohar, la ché’hita est un acte intrinsèquement incompatible avec le statut même du Cohen. La ché’hita est un acte de rigueur, et comme le dit le Zohar lui même, le Cohen, lui, est le porteur de la dimension du ‘hessed, de bonté (cela ressort en particulier, très clairement, de la formulation de la bénédiction des Cohanim : « … qui nous a ordonné de bénir son peuple Israël avec amour »).

Ces deux notions antinomiques viendraient à se heurter si l’abattage devait être réalisé par un Cohen. Bien entendu ce texte a un sens très profond qui nous échappe en grande partie, il n’en reste pas moins que ses ramifications dans la halakha ne sont pas négligeables. Nous allons tenter de les examiner.

Comment concilier le texte du traité Zeva’him qui autorise tout Juif, y compris un Cohen, à pratiquer l’abattage du sacrifice, et ce texte explicite du Zohar qui en exclut les Cohanim ?

Deux auteurs se sont penchés sur ce sujet.

Le premier est le ‘Hechek Chelomo [[Rabbi Chelomo Hacohen de Vilna (1828-1905)]] (sur Mena’hot, 19a). Il confronte les deux textes et propose l’analyse suivante. Pour lui, et il en apporte de multiples preuves, un sacrifice doit nécessairement être abattu par son propriétaire, par celui qui l’apporte au Temple. Il est donc normal que le Zohar écarte le Cohen dans cette situation.

Toutefois, ce principe ne trouve son application que pour un sacrifice individuel (korban ya’hid) et non pour une offrande collective (korban tsibour). Le Zohar n’inclut pas ce dernier cas, le Cohen retrouve alors sa place et peut pratiquer la ché’hita. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Guemara raconte que les Cohanim se « réservaient » systématiquement l’abattage d’un tel sacrifice.

La seconde réponse nous est offerte par l’un des plus grands décisionnaires de notre époque : Rav Moché Feinstein [[1895-1986]] (Yoré Dea volume 2, responsum 16 in fine). Pour lui, le Zohar n’empêche pas réellement un Cohen de faire la ché’hita d’un sacrifice.
En effet, avant d’être Cohen, celui-ci n’en est pas moins Juif. Sa ché’hita peut donc être faite mais à condition qu’il la réalise non pas au titre de sa position de Cohen, mais en tant que simple Juif. On lui demande en quelque sorte de se défaire provisoirement, à ce moment précis, de son statut de Cohen, et de ne se présenter qu’en tant que Juif du commun, faisant un instant fi des prérogatives attachées à sa fonction propre [[J’avoue très humblement trouver la réponse de Rav Feinstein plus compatible a priori avec les paroles du Zohar que celle du ‘Hechek Chelomo. En effet, le Zohar semble vouloir insister sur une incompatibilité essentielle entre la fonction de prêtre et la che’hita. Or la réponse du ‘Hechek Chelomo pourrait sembler un peu réductrice sur ce point en en faisant un enseignement circonstanciel, plus axé sur le rôle du propriétaire du sacrifice.]] .

Nous sommes donc à présent en possession de deux informations. Elles poussent à s’interroger sur la place qu’occupe la ché’hita au sein du rituel des sacrifices.

Rav Chimchon Rephaël Hirsch fait une analyse approfondie de ces points dans son commentaire sur notre paracha. Pour lui, il faut voir la personne qui apporte un sacrifice au Temple comme traversant un processus comprenant des étapes successives allant de la consécration de la bête à la consomption des chairs sur l’autel, le mizbéa’h.

Lorsqu’un homme choisit minutieusement la bête qu’il va sacrifier, qu’il l’emmène au Temple, qu’il s’appuie de toutes ses forces sur elle (smikha), s’opère chez lui un cheminement intérieur de l’ordre de l’identification avec la bête. Lorsqu’il l’abat, c’est toute sa dimension égoïste qu’il met à mort. Pourtant, là n’est pas l’essence d’un korban. Tout cela n’est encore qu’un préalable au service divin.

C’est pourquoi la Guemara dit (Zeva’him, 12b) : שחיטה לאו עבודה היא, « l’abattage n’est pas l’un des éléments du service des sacrifices ». S’annuler soi-même ne peut en aucun cas être une fin en soi. Il s’agit seulement d’une préparation. C’est alors seulement que peut commencer la avoda (le culte, le service) proprement dite. Ainsi, contrairement à l’idée que l’on s’en fait généralement, l’essentiel du sacrifice ne réside pas dans la ché’hita de l’animal. Il s’agit plutôt de créer chez l’homme le terrain indispensable, la disponibilité à une réalité plus élevée qui est, elle mise en œuvre par les Cohanim eux-mêmes.

Malgré tout, ce travail préalable doit se faire dans sa totalité en harmonie avec celui des Cohanim. A telle enseigne qu’une pensée « étrangère » au korban, même au cours de l’abattage, sera de nature à invalider celui-ci (Zeva’him, 47a).

Si l’introduction à un judaïsme authentique nécessite avant tout une remise en cause profonde de notre façon d’être, cela n’en est aucunement le fin mot. C’est seulement à cet instant que le véritable service commence.

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