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Vaéra… De la promesse à l’accomplissement.

par: Joël Gozlan

Publié le 18 Janvier 2023

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Vaéra est la première des deux parachiot relatant les dix plaies d’Egypte, qui vont conduire à la libération « au forceps » des Bnei-Israël de la maison des esclaves en Égypte, par un bras étendu et des jugements terribles.

Cette intervention dévoilée et éclatante du créateur en faveur de son peuple peut permettre de comprendre le début énigmatique de cette paracha.

Chemot 6, 2-3.

וַיְדַבֵּר אֱלֹהִים אֶל מֹשֶׁה וַיֹּאמֶר אֵלָיו אֲנִי יְהוָה.וָאֵרָא אֶל אַבְרָהָם אֶל יִצְחָק וְאֶל יַעֲקֹב בְּאֵל שַׁדָּי וּשְׁמִי יְהוָה לֹא נוֹדַעְתִּי לָהֶם

« D.ieu Elokim parla à Moshé et lui dit : Je suis Ha’Chem

Je suis apparu (Vaéra) à Abraham, Ytsaak et Yaakov comme D.ieu El Shaddaï, mais de mon nom Ha’Chem, je ne me suis pas fait reconnaitre d’eux. »

Ces deux phrases, qui renferment trois des principales dénominations du créateur, sont en effet étonnantes : à de maintes reprises, Ha’Chem n’est-il pas apparu dans le livre Berechit sous le nom « ineffable » Ha’Chem aux trois patriarches ?

Et que signifie du coup le nom « El Shaddaï » ?

Cette dénomination Shaddaï contient le mot « Daï » : « cela suffit », ce qui conduit nos sages à y voir une notion de « limites ». El Shaddaï serait ainsi l’attribut qui aurait, lors de la création, dit à Son monde : assez ! : « Che’amar le’Olamo : daï ! »

Pour Rambam (cité par Yeshayahu Leibowitz), El Shaddaï serait « celui qui se suffit à lui-même », celui dans l’essence réside en lui-même, et non dans ces actions.

Il faut probablement comprendre ici que les patriarches, qui marchaient au-devant de Ha’Chem, avaient une foi « intrinsèque » qui n’exigeait aucune démonstration extériorisée de la part du créateur : ni acte ni miracle ! Nos pères illustrent ainsi la recommandation d’Antigone de Sokho, dans le traité Avot (Perek, 1, Mishna 3) :

…Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent leur maître afin de recevoir un salaire; mais soyez comme des serviteurs qui servent leur maître sans en attendre de rétribution…

Mais rétribution, bien sûr, il y aura, et celle-ci se manifeste ici, lorsque Aqadosh Baroukh Hou se dévoile à la génération des fils, celle de Moshé, en tant que Ha’Chem, celui qui est, selon le commentaire de Rachi sur ce verset 2 « fidèle pour rétribuer un salaire à ceux qui marchent devant lui ».

Nous assistons donc en ce début de Parasha à une bascule entre la promesse, faite aux pères, et l’accomplissement de cette promesse, pour les fils !

Un énoncé de cet accomplissement se lit au verset 6 :

Chémot 6, 6

…וְהוֹצֵאתִי אֶתְכֶם מִתַּחַת סִבְלֹת מִצְרַיִם וְהִצַּלְתִּי אֶתְכֶם מֵעֲבֹדָתָם וְגָאַלְתִּי אֶתְכֶם בִּזְרוֹעַ נְטוּיָה וּבִשְׁפָטִים גְּדֹלִים.

… Je vous ferais sortir des souffrances (« sivlot ») de l’Egypte, je vous sauverais de leur esclavage, je vous délivrerais avec un bras étendu et de grands jugements.

Nos commentateurs se sont interrogés sur cette répétition insistante – et à première vue redondante- des accomplissements de Ha’Chem lors de la sortie d’Egypte.

Si les Bneï-Israël sortent des souffrances de l’Egypte, c’est qu’ils sont sauvés de l’esclavage non?

Le rav Ittah, dans son sefer Yéerav Alan Si’hi, explique que cette répétition récapitule en fait les différents types d’esclavage dont il fallait débarrasser le peuple juif.

Il rapporte tout d’abord un enseignement du Rabbi Ystsa’k Meïr de Gour qui remarque que le mot « sivlot », utilisé ici pour désigner les souffrances de l’Egypte, vient de la racine « sevel » qui signifie également « supporter ». Il fallait déjà que les Bneï-Israël cessent -de l’intérieur- de supporter leur conditions d’esclaves avant de pouvoir les délivrer, par le bras étendu de Ha’Chem. Cela n’est pas forcément évident… La condition d’esclave est bien sûr difficile, mais le piège est qu’elle peut -d’un certain côté- être « confortable », dans la mesure où on n’a pas à se préoccuper de sa propre existence, mais juste assurer le travail que l’on nous impose. Rappelons d’ailleurs que, dans un autre contexte, la Torah prévoit le cas où un esclave juif (Eved Ivri) refuse d’être libéré, comme il en a le droit, à la septième année (Chemot 21, 5-6).

Cette nécessaire prise de conscience explique l’ordre singulier des trois actes à récapituler durant le séder : Pessah, Matsa et Maror. Il aurait été plus logique de placer Maror, qui signifie l’amertume, avant Pessah et Matsa, qui représentent la libération. Il faut peut-être voir dans cet enchaînement paradoxal la nécessité de se libérer avant de pouvoir réaliser l’amertume de la condition d’esclave.

Le Rav Ittah ramène ensuite, au nom du Ba’al HaTourim que les trois occurrences dans le Tanah de mot « Pédout » signifiant délivrance (ici dans Chemot, 8/19, puis dans deux Tehilim : 11, 9 et 130, 7) correspondent à trois types -ou niveaux- différents de l’exil….

Le premier est le plus évident, puisqu’il s’agit de l’exil du peuple juif en terre étrangère, qu’il soit accompagné ou non d’oppression. L’Egypte en a été la matrice, suivi des quatre autres, annoncés dès le deuxième verset de Berechit, par les mots « TOHOU, BOHOU, ‘HOCHE’H et TEHOM » qui préfigurent, selon le Ba’al HaTourim, les exils de Babylonie, Perse, Grèce et Rome…

Le second est l’exil des juifs au sein même de leur terre, lorsque les dirigeants sont des impies, ou ne sont pas au niveau requis pour les conduire de façon juste.

Le dernier exil est le plus profond… Il s’agit de l’exil en nous-même, lorsque nous perdons conscience de notre véritable identité, à avoir la parcelle divine qui réside en nous, et que nous sommes du coup asservis aux seuls besoins du corps. La conscience même de cet exil est perdue, ce qui rend encore plus difficile la délivrance.

Cet exil intérieur explique l’état construit utilisé dans le texte pour définir la sortie d’Egypte. La Torah parle en effet de Yetsiat’Mitsraïm (c’est ici l’Egypte qui sort !), et nous pas de Yetsiat’ Mi Mitsraïm (qui serait la façon de formuler la sortie « géographique » de la terre d’Egypte).

Remarquons que tous ces exils sont d’actualité… Les valeurs d’Edom dominent encore -et largement -le monde, la terre d’Israël a été redonnée au peuple juif mais sa direction politique reste problématique et, s’il y a plus de 3000 ans que nous sommes sortis d’Egypte, extirper l’Egypte qui est en nous demeure un travail de tous les jours !

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“Vaéra… De la promesse à l’accomplissement.”

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