Parachat Yitro: Yitro et Rahav
par: Rav Yehiel KleinPublié le 22 Janvier 2019
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Le Midrach (Zévah’im 116a-b et Méh’ilta Yitro I) :
« Et Yitro entendit… » (Exode, XVIII, 1) qu’a t-il entendu exactement pour que cela le décide à venir rejoindre les Enfants d’Israël ?
Il s’agit de la guerre victorieuse remportée contre ‘Amalek (Exode ch. XVII), puisque c’est le passage qui précède immédiatement – telles sont les paroles de Rabbi Yéhochou’a.
Rabbi Eli’ezer haModa’ï disait : c’est le Don de la Torah qui le convainc[1]. Car au moment précis où le Saint Béni Soit-Il donna la Torah à Israël, tous les rois de la Terre se mirent à trembler dans leurs palais, comme il est dit (Psaumes XXIX, 9) : » Dans Son palais tous de s’écrier: « Gloire! » » Ils se rendirent alors ensemble chez Bil’aam l’impie[2], pour le consulter : »Bil’aam ! D. ne serait Il pas en train de faire déferler sur nous un nouveau Déluge ? » Il leur répondit : »Sots que vous êtes ! Il a déjà juré à Noé de ne plus jamais en déclencher […] » Ils n’étaient pas rassurés : »Mais peut-être n’enverra t-il plus de déluge aquatique, mais un déluge de feu ? » Il les rassura encore : »Non, ni d’eau, ni de feu. Simplement, [ce qui se passe, c’est que] D. est en train de donner la Torah à Son Peuple fidèle, comme il est dit (Psaumes, id., 11) : » Que l’Éternel donne la force à son peuple ! » » Aussitôt, les rois s’écrièrent en choeur (id.): »Que l’Eternel bénisse son peuple par la paix! », et ils s’en retournèrent dans leurs châteaux.
Rabbi Eli’ezer enseignait : c’est la Traversée de la Mer Rouge qui le convainquit, car la séparation des eaux produisit un bruit qui s’entendit d’un bout à l’autre du Monde[3], comme le dit le verset (Josué V, 1) : »Lorsque les rois des Amoréens, […] entendirent que l’Éternel avait mis à sec les eaux du Jourdain à l’approche des Israélites, jusqu’après leur passage, le coeur leur manqua, et ils perdirent tout courage devant les enfants d’Israël ». C’est d’ailleurs ce que confia également Rah’av l’aubergiste[4] aux deux espions envoyés par Josué [à Jéricho][5] : » Car nous avons appris comment l’Éternel a mis à sec devant vous les eaux de la mer des Joncs, quand vous êtes sortis d’Egypte […] Nous l’avons appris et le cœur nous a manqué, et personne ne s’est plus senti de courage devant vous ! » (id. II, 10-11) Rahav, rapporte une Tradition, avait dix ans lorsque les Enfants d’Israël sortirent d’ Egypte, puis pendant les quarante ans où ils traversèrent le Désert, elle continua son commerce, et à cinquante ans, elle se convertit[6]. Elle implora alors : »Maître du Monde ! Ces trois objets[7] – la corde, la fenêtre et la muraille[8] – furent les instruments de mon péché. Qu’ils soient désormais ceux de mon repentir, comme il est dit (v. 15) : »Elle les fit descendre par la fenêtre au moyen d’une corde, car sa maison était contiguë au rempart, et c’est dans le rempart même qu’elle demeurait » »
Ce Midrach riche et éloquent nous met en présence de quatre protagonistes.
En premier lieu, l’ensemble des Soixante Dix Nations, ici représentées par leurs souverains, tous occupés à jouir de leurs richesses. Leur confort et leurs certitudes sont soudainement mis à mal lorsque survient le bouleversement cosmique qu’est le Don de la Torah.
Ensuite, Bila’am, prophète impie des Nations, double négatif de Moïse, qui semble endosser ici le rôle de mauvais génie d’une Humanité tentée par l’égoïsme, et qui se refuserait à tout changement qui nécessiterait une trop grande remise en question. Il est leur mauvaise conscience, et parvient malheureusement à les convaincre de ne surtout rien changer…
Mais d’un autre côté, nous avons ceux qui précisément semblent bien être les seuls individus à réagir au Don de la Torah, remarquables exceptions au sein d’une masse indistincte, que l’on imagine – imitant ou influencée par ses dirigeants[9] – incapable de sortir de sa torpeur et de son indolence spirituelle – Yitro et Rah’av.
Comment comprendre cela ?
Qu’est ce qui peut bien pousser certains à se rapprocher de la Vérité, alors que la multitude garde ses yeux rivés sur ses croyances idolâtres ?
Il est remarquable de constater que l’on trouvera difficilement des personnages aussi opposés que Yitro le pontife de Midyan et Rah’av la courtisane.
De Yitro, nous pouvons supposer (cf. Rachi, Exode XVIII, 10) qu’il doit probablement son cheminement particulier à sa position de »grand intellectuel », d’un esprit supérieur en recherche permanente d’authenticité. Il fut donc enclin à déceler le mensonge de tous les cultes païens, et dont les divers prodiges qui ont accompagné la Sortie d’Egypte (car on ne peut exclure qu’en fin de compte ce sont ces trois éléments combinés qui ont convaincu Yitro) ont heureusement coïncidé avec les interrogations d’une âme inquiète.
Mais le parcours de Rah’av ne saurait être plus différent. En effet, de prime abord, elle est une courtisane de haut rang – elle fréquente les rois, les princes et tous les puissants[10] – et nos préjugés nous amènent à penser qu’elle est la dernière personne à se préoccuper de son devenir spirituel, au point de longuement préméditer de rejoindre à terme les Enfants d’Israël…
Pourtant, c’est bien ce qui s’est passé.
Peut-être pourrait on avancer l’idée suivante : De même que la quête de Yitro fut, on l’a dit, facilitée par le fait qu’il était en contact avec les élites spirituelles de son temps, Rah’av a vécu une expérience parallèle. Car sa connaissance du monde est certes moins prestigieuse, mais cette femme est au coeur du pouvoir ! Or elle a accès aux secrets de celui-ci, et ne peut alors que constater que ce qui fonde leur puissance est annihilé par le choc de la traversée de la Mer Rouge[11]. Ils sont devenus impuissants[12]… Ils se garderont évidemment de le faire savoir – de même que les prêtres collègues de Yitro ne lui confiront jamais les doutes que l’événement du Sinaï a insinué dans leur coeur. Rah’av en spectatrice avertie comprend que les apparences sont dépassées, et qu’on est désormais au seuil d’un nouveau monde[13]. Il ne lui reste désormais plus qu’à rester fidèle à ce que sa raison lui a dévoilé, parvenir à être honnête avec elle-même, pour agir en conformité avec ce qu’elle sait advenir… Et ce même si sa place dans la société l’empêche pendant tout la durée de l’errance d’Israël dans le Désert d’agir de quelque manière que ce soit.
C’est peut-être ainsi qu’il convient de rechercher la symbolique de la corde, de la fenêtre et de la muraille[14] : ils sont les instruments de son pouvoir sur les hommes (et donc sur la société, puisque ce n’était pas n’importe quels hommes, quand bien même il est tout à fait informel), et, ayant constatés qu’ils sont à présent inutiles, elle décide de les ériger en instruments de salut pour les Explorateurs hébreux, avant garde du nouveau pouvoir qui va prendre possession de la Terre Promise.
[1]Par Tradition, le récit biblique ne souffre pas d’ordre chronologique.
[2]Le Prophète des Nation, ennemi d’Israël (cf. Nombres, ch. XXII)
[3]Cf. aussi Rachi Exode XIV, 21.
[4]Cf. Rachi Josué II, 1 – mais également le Rada »k qui donne une autre dimension à ce terme…
[5]D’après les Midrachims, il s’agissait de Pinh’as et de Calév.
[6]Selon le Talmud (Méguila 13b), son mari ne fut autre que Josué en personne…
[7]Cf. Zévah’im 116b pour une approche tout à fait différente de ces trois objets.
[8]On suppose que c’est par eux qu’on pouvait la rejoindre…
[9]Dont Bila’am serait le conseiller…
[10]Cf. Rachi sur Josué II, 11.
[11]On ne sait pas vraiment pourquoi certains sont marqués par le Don de la Torah et d’autres impressionnés par la Traversée de la Mer Rouge.
[12]Cf. Rachi sur Josué II, 11.
[13]Cf. Midrach Yalkout Chim’oni sur Josué III, 11.
[14]Cf. Maharal sur Zévah’im 116a qui les identifie aux trois composants du péché…
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