À l’occasion de la Parachat Yitro et du don des 613 commandements qu’elle relate, nous voudrions ici proposer une réflexion plus large sur la notion de Bat/Bar Mitsva.
1)
La Michna enseigne (Nidda, V, 6) :
Une fille âgée de onze ans révolus, ses vœux1 sont examinés. À partir de douze ans révolus, ses vœux sont valides.
Rachi explique : Entre onze ans révolus et douze ans, on interroge la jeune fille. Si elle montre sa conscience du fait que ses vœux l’engagent vis à vis de Dieu, ses vœux sont valides et toutes les lois afférentes aux vœux s’appliquent. Dans le cas contraire, c’est comme si elle n’avait rien dit. À partir de douze ans révolus, ses vœux sont valides sans examen préalable.
Il en va de même pour un garçon un an plus tard.
La Michna continue :
Avant onze ans révolus pour une fille et douze ans révolus pour un garçon, même si l’enfant montre sa conscience du fait que ses vœux l’engagent vis à vis de Dieu, ses vœux ne sont pas valides.
Après douze ans révolus pour une fille et treize ans révolus pour un garçon, même si l’enfant montre qu’il n’a pas conscience du fait que ses vœux l’engagent vis à vis de Dieu, ses vœux sont valides.
2)
Cette Michna pose la question de ce qui fait la majorité : l’âge ou la conscience ?
Mais les lois qu’elle énonce trahissent un paradoxe : puisque entre onze et douze ans (pour la fille) c’est la conscience qui fait la majorité, ne devrions-nous pas examiner en permanence son degré de conscience sans jamais tenir compte de l’âge2 ?
En conséquence, une jeune fille de sept ans qui prouve sa conscience devrait voir ses vœux valables et une jeune femme de quinze ans qui prouve sa carence en conscience ne devrait pas voir ses vœux valides.
Ou alors : puisque la Michna détermine un âge précis en deçà et delà duquel la majorité est déterminée de façon absolue, qu’il en soit de même en permanence sans faire jamais entrer en ligne de compte l’idée d’une conscience.
Il n’en est rien.
3)
Nous proposons subséquemment de dire que c’est à une double réflexion éducative que la Michna nous invite :
Ce qui fait un adulte est précisément l’assumation de la complexité du monde et de sa propre complexité. L’acceptation parfois douloureuse des paradoxes inhérents à l’existence.
De surcroît, il ne s’agit pas ici d’un paradoxe quelconque.
Ce qui mène à l’âge adulte (entre onze et douze ans pour une fille) est la voie de la conscience, du Da’at. Il est essentiel de nourrir sans relâche la quête de sens qui nous anime et nous autorise une appréhension équilibrée des commandements divins.
Mais travailler à donner du sens hors d’une structure arbitraire solide (l’âge qui encadre le sens avant et après) pourrait biaiser cette quête et la rendre stérile.
La Guemara (Baba Batra 23b) nous relate le fait suivant :
Si l’on trouve un oisillon ne sachant pas voler dans un périmètre de cinquante coudées autour d’un pigeonnier, l’oisillon appartient au propriétaire du pigeonnier. Si on le trouve au-delà de ce périmètre, il appartient à celui qui le trouve.
[…] Rabbi Yirmiya a demandé : Si il a un pied à l’intérieur des cinquante coudées et un pied à l’extérieur, quelle est la loi ? Sur ce, ils firent sortir Rabbi Yirmiya de la maison d’étude.
Si les Sages exclurent Rabbi Yirmiya, c’est parce qu’il les agaçait par ses questions aberrantes, nous dit Rachi. Il était d’ailleurs coutumier du fait3.
Mais Tossefoth disent que la raison en est que par sa question il a dénigré les mesures établies par les Sages. Nous dirions, parce qu’il a dénoncé le principe d’une limitation arbitraire.
Or l’acceptation de cette limite est la condition de l’étude. Sans adhérer à l’axiome d’un jalon artificiel, sans en admettre l’utilité sinéquanone, il ne pouvait décemment poursuivre sa quête de sens dans le cadre de la maison d’étude.
Gout Chabbes/Chabbat Chalom à toutes et à tous.
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