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« Les gens heureux n’ont pas d’histoire »

par: Rav Yehiel Klein

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Lorsque nous lisons cette paracha, on ne peut s’empêcher d’être frappé par une certaine différence entre les bénédictions et les malédictions: celles-ci sont en effet en nombre bien plus élevé que les premières.

Quelle est la raison de ce déséquilibre?

Le commentaire de Rabbénou Bah’aïé (Vayikra XXVI, 13) peut nous servir de base pour éclairer cette question: « Remarque que les malédictions sont en nombre supérieur aux bénédictions – et il en est de même pour celles du Livre de Dévarim (Parachat Ki Tavo, ch. XXVIII) – et le but de cette dissymétrie est bien d’impressionner les gens et de les effrayer par des descriptions de malheurs qui les dissuaderont de se livrer au péché […]

Il convient d’intercaler ici, avant de revenir au texte de Rabbénou Bah’aïé, ce que répond Ibn Ezra sur le même sujet et dans le même sens (Vayikra XXVI, 11): « Il n’y a pas de question car, si on observe bien, on se rendra compte que les bénédictions constituent des généralités, alors que le malédictions sont composées de détails, pour effrayer ceux qui les écoutent »

Rabbenou Bah’aïé, pour sa part, continue à développer son idée et rapporte un Midrach (cf. Midrach Tanh’ouma Reéh §4; de même que Vayikra Rabba XXXV, 1 et traité Baba Batra 88b): « Ne dis pas que lorsque D. vint bénir les Enfants d’Israël, Il leur prodigua peu de bénédictions, tandis que lorsqu’il vint les maudire, Il multiplia les Malédictions [c’est en réalité un argument que l’on entend souvent – et peut-être l’entendra t on encore ce Chabbat dans nos Synagogues: la Bible est parfois perçue comme un Livre trop sévère et rempli d’imprécations…]. Puisque les bénédictions commencent par la lettre Alef ( « Im béh’oukotaï téléh’ou »ch. XXVI, v. 3) et se terminent par la lettre Tav (« Komémiout », v. 13), lettres aux deux extrémités de l’alphabet, pour nous montrer que ces Bénédictions sont l’essentiel. Alors que les malédictions débutent par un Vav (« Véim béh’oukotaï timassou », v. 14) et finissent par un (cf. V. 45), pour signifier qu’en réalité elles ne sont pas sensées advenir puisqu’elles n’ont pas de réelle existence, de même qu’ il n’y a rien entre le Vav (sixième lettre de l’alphabet) et le (Cinquième lettre) »

Le message énigmatique du Midrach par lequel Rabbénou Bah’aïé a tenu à clore son propos, nous est donné par le Mécheh’ H’oh’ma au début de notre paracha (Vayikra XXVI, 4): en s’attachant à la teneur des versets des bénédictions, et en commentant le texte de la Guémara Bérah’ot 4b selon lequel « quiconque récite « Achreï » (Psaume CXLV) chaque jour est assuré d’avoir une part dans le monde futur, parce que ce psaume est organisé selon l’ordre alphabétique […] », le Mécheh’ H’oh’ma explique que ce que symbolise ici l’ alphabet et ce à quoi se réfèrent les bénédictions n’est autre que… la nature ! [et l’ordre alphabétique renvoie à ces lois physiques organisées immuablement, et amenant l’abondance d’ En Haut ici-bas]

En effet, on peut dire que les « généralités » dont parlait Ibn Ezra sont en réalité les principes naturels que D. a mis en place dans Sa Création et qui entraînent – à la condition notable que « Vous suiviez mes Préceptes » – de par leur simple fonctionnement la survie et la richesse des pays dans lesquels ils se manifestent. Ce serait là le sens de ce que la Torah nous promet : « Je vous donnerais les pluies en leur saisons, et la terre livrera son produit, etc… », ainsi que l’illustre le Midrach (Torat Cohanim I, 1) cité par notre auteur: « A l’époque de Chim’on ben Chéttah’ et de la reine Chlomtsion [Soit la meilleure période du Deuxième Temple, après la domination des Grecs et avant les persécutions des Romains], les pluies tombaient très régulièrement, au point que l’on voyait des grains de blé gros comme des reins, des grains d’orge de la taille du noyau d’une olive et des fèves semblables à des pièces d’or »

Et si il en est ainsi, les malédictions que Ibn Ezra percevait comme des détails, ne peuvent être autre chose, car elles correspondent aux dérèglements de la Nature (dus, encore une fois, à des causes morales: « Si vous dédaignez Mes Lois »), et ne peuvent dès lors être abordées que par une description précise, comme doit l’être tout ce qui fait exception à le règle… [Dans le même ordre d’idée, cf. Maharal, Netsah’ Israël ch. XIV)

Il faut mentionner que Nahmanide (Vayikra XXVI, 11) semble a priori suivre un chemin opposé à celui que nous proposons ici : selon lui, il ne faut pas voir dans les bénédictions la nature mais bien des miracles cachés permanents qui sont la marque de la Providence qui à chaque instant s’attache au Juste (Il continue par un long développement sur cette notion de Confiance en D., « Bitah’on« , allant même jusqu’à discuter du bien-fondé de la médecine…)

Cependant, peut-être que Nahmanide ne fait ici que dévoiler ce qui est le sens profond de la Nature, qui n’est autre que la constance de la Création, c’est à dire la Parole de D., comme lui même le démontre au tout début du Livre de Béréchit.

De cette manière il n’ y’ aurait nulle contradiction entre ces deux idées.

A présent, il serait pertinent de se pencher sur ce que ces principes dégagés par le Mécheh’ H’oh’ma et le Maharal peuvent avoir comme impact sur notre vie quotidienne, et sur la manière que nous avons plus généralement d’aborder l’existence.

Il s’agirait d’identifier ici un phénomène que l’on pourrait nommer « la complexité du mal », qui voudrait remarquer qu’à la vie rangée, prévisible et parfois monotone de ceux qui s’efforcent de suivre le droit chemin s’oppose celle pleine de péripéties, d’aventures de ceux qui, ne serait ce qu’un moment, s’en détournent. Cela, bizarrement, est devenu le thème essentiel de l’expression qui nous entoure. Car de quoi nous entretiennent littérature et cinéma, sans compter (surtout?) l’ actualité, si ce n’est de la vie des gangsters, des aventuriers et autres personnes qui prennent tous les risques du monde, puis qu’à quoi bon raconter autre chose, sachant que les gens heureux n’ont pas d’histoire?

La Torah nous invite au contraire, non pas forcement à une vie faite uniquement de méditations et de prières, mais nous appelle plutôt à chercher l’ « aventure » ailleurs, dans la connaissance et la sagesse, à l’intérieur de soi-même au lieu de la poursuivre dans de dangereuses pérégrinations…

Pour conclure, il serait tentant de comprendre dans le sens de nos paroles le célèbre verset du Prophète Osée (XIV, 10): « Car droits sont les chemins de D., les justes les suivent et les méchants y trébuchent », puisqu’il semble bien qu’on y retrouve bien les notions évoquées ci-dessus: à travers l’emploi du sobre « cheminement » des justes opposé au « trébuchement » des méchants. C’est la même voie, celle de notre vie ici-bas, mais si elle suit son cours plus ou moins balisé pour les tsaddikims elle est instable et périlleuse pour les récha’ims qui décident de s’en écarter…

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