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Yitro : Conversion et Torah

par: Jérôme Bénarroch
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Plusieurs éléments concernant la figure de Yitro sont difficiles à comprendre.

1. Pourquoi la sidra du don de la Tora porte son nom, n’est-ce pas lui faire un trop grand honneur ?

2. Plusieurs éléments concernant la figure de Yitro sont difficiles à comprendre.

1. Pourquoi la sidra du don de la Tora porte son nom, n’est-ce pas lui faire un trop grand honneur ?

2. Si l’on suit Rachi, qui prouve au verset 13 du chapitre 18 que Yitro est venu rejoindre Israël dans le désert après le don de la Tora et non pas avant, tel que l’ordre linéaire du texte le laisserait entendre, pourquoi son intervention nous est-elle relatée ici, juste après la sortie d’Egypte, la traversée de la mer, et la guerre contre Amalek ?

3. Comment interpréter les recommandations qu’il délivre à Moïse et qui semblent concerner l’organisation hiérarchique de la justice, pourquoi en faire un chapitre de la Tora ?

4. Pourquoi Moïse ne cite pas son nom lorsqu’il relate cet épisode aux enfants d’Israël dans les plaines de Moav, juste avant la conquête du pays de Canaan[[Deut.Chapitre 1 versets 9 à 18]] ?

Tentons simplement de répondre à ces 4 questions.

Pourquoi la sidra du don de la Tora porte son nom

1. Yitro est le « converti par excellence » du Tanach.
Si l’on enlève le ioud de son nom, il reste le tav, le rech et le vav, qui sont les mêmes lettres que le nom Ruth, et dont la valeur numérique est 606. Ajoutez les 7 mitsvot bené Noa’h : ce qui donne les 613 mitsvot de l’accession complète au peuple juif. Yitro et Ruth représentent donc la vocation universelle des paroles de la Tora, le fait que dans son fond, la Tora s’adresse à l’homme en général. Et lorsque un individu extérieur à l’histoire particulière des juifs entend cette dimension chez Israël, et veut s’y joindre, cela exprime un passage de valeur messianique. Et ce qu’est cet individu introduit un élément de renouveau en Israël, [[Comme le dit le Maharal dans Netsa’h Israël]]d’où ce nom que l’on donne au beau père de Moïse, Yitro, de Yioter : ajout.

Rachi nous dit : « Yitro avait 7 noms : Reou’el Yieter, Yitro, ‘Hovav, ‘Hever, Queni et Poutiel… Yieter parce qu’il a ajouté (yatar) une paracha à la Tora. Yitro, parce qu’il s’est converti et a accompli toutes les mitsvot, on lui a ajouté un vav à son nom… »
Le vav du Nom de D. ajouté à son nom, est aussi à mettre en parallèle avec les 6 grains d’orge que Boaz offre à Ruth en allusion aux 6 enfants merveilleux dont elle sera la source, représente la forme même d’Israël, le trait droit, lien et conscience, maintien entre le haut et le bas.

La Tora a été donnée à Israël pour qu’il l’accomplisse, mais dans la mesure où se dévoile d’emblée le principe de la reconnaissance de sa vérité. Il existe donc une nécessité de joindre Yitro « le converti » au don de la Tora, au point que la Tora ne vaille que de cette liaison.

Pourquoi son intervention nous est-elle relatée ici, juste après la sortie d’Egypte, la traversée de la mer, et la guerre contre Amalek ?

2. Il fallait donc qu’il y eût un Yitro. Qu’il soit le beau-père de Moïse, et non pas son beau-frère ou le roi de Canaan, n’est pas indifférent.
Le Midrach Rabba explique qu’en tant que conseiller de Pharaon, il avait fui l’Egypte pour ne pas être complice de l’injustice faite aux hébreux. Puis il avait accueilli Moïse, un étranger en fuite. Michpat et Tsedaka, les qualités pour lesquelles D. avait choisi Avraham[[Beréchit 18-19]], étaient présentes chez le prêtre de Midian. Il acquiert par là une envergure qui honore la Tora, car c’est donc un des personnages les plus haut placé du monde qui quitte le confort et les honneurs pour venir dans le désert aride entendre les paroles de vérité[[Voir Rachi sur Chemot 18-5 « vers le désert »]]. En tant que beau-père de Moïse, il reçoit d’autant plus une stature de grand homme. Mais c’est pour souligner la gloire de la Tora qui, du côté masculin, fait s’abaisser les plus honorables.

Mais par là même, en tant que ce lien de conversion se joue du côté de l’honneur, du côté extérieur, il s’avère qu’il va reposer sur des éléments eux-mêmes extérieurs. Ainsi, Rachi explique[[Chemot 18-1]] que ce qu’a entendu Yitro, malgré le fait qu’en réalité il est venu rejoindre Israël après le don de la Tora, et donc qu’il connaissait son existence, ce qui l’a incité à venir, était fondamentalement « le passage de la mer et la guerre contre Amalek ».

La puissance de D., «Hachem homme de guerre », plus que l’image du « vieillard miséricordieux » dont Rachi explique que c’est par elle que D. avait parlé à Israël au moment du don de la Tora[[Chemot 20-2]]. La grandeur même de Yitro fait qu’il est plus sensible à la dimension de puissance qu’à la dimension intérieure du Sens.

Pourtant, c’est un choix de Rachi, car la Guemara Zeva’him 116a qui rapporte les raisons du rapprochement de Yitro du peuple juif donne 3 avis.

– Rabbi Yehochoua pense que c’est la guerre contre Amalek,
– Rabbi Eleazar Hamodaï dit c’est le don de la Tora,
– Rabbi Eliezer ben Yaacov dit c’est le partage de la mer.

Mais étant donné que cette paracha est rapportée avant le don de la Tora, le pchat oblige à ne pas mentionner cette raison. Cela indique en outre que la Tora place ici la paracha de Yitro pour révéler que cet attachement au peuple juif a d’abord, et principalement été une soumission à la toute-puissance de D. ; l’enseignement de la Tora, qui est pourtant le fond principal de toute cette aventure, ne venant que de manière seconde.

Cela nous apprend que la grandeur sociale, au même titre que la beauté peut-être[[Voir [l’article sur la beauté d’E. Smilevitch->http://www.yechiva.com/article.php3?id_article=61] en ligne sur le site]], est en soi un obstacle à l’appréhension première du vrai, car le vrai réside au départ dans l’intériorité extrême, et ce n’est qu’ensuite qu’il s’ouvre et se déploie à la lumière.[[Au contraire, Ruth effectue une conversion selon l’absolu (Ruth 1-16) : « N’insiste pas près de moi, pour que je te quitte et m’éloigne de toi, car partout où tu iras, j’irai, où tu demeureras, je veux demeurer, ton peuple sera mon peuple et ton D. sera mon D., là où tu mourras, je veux mourir aussi et être enterrée ». Selon une adhésion intérieure qui dépasse la mort, et toute contingence. Elle fait d’elle-même un désert pour recevoir le joug du ciel. C’est donc une dimension du Sinaï. Elle relève du centre du vav, le 6, mesure de Tiféret, de Chavouot et du don de la Tora, et a mérité 6 fils sublimes : David, le Messie, Daniel, ‘Hanania, Michel, et Azaria ( Sanhédrin 93a). Pourquoi est-ce une femme de Moav qui incarne la « conversion forte » ? A cause de Loth, ancêtre de Moav, qui se sépara d’Avraham pour aller vers Sodome. Inconsciemment, fémininement, la réparation de l’être de débauche, de l’idôlatrie, avec qui avait rompu Avraham, mais pas Loth, pouvait avoir lieu.]]

Comment interpréter les recommandations qu’il délivre à Moïse ?

3. Que vient amener Yitro d’après le sens simple ? L’organisation juridique, la mise en forme sociale, la fonctionnalité. C’est-à-dire l’adaptation au monde, à la relativité, aux aléas du temps. Le calcul, les plans prévisionnels. Quelque chose d’entièrement étranger au principe de la Tora : l’introduction radicale, forte, de l’absolu dans le monde. Or, cette dimension de relativité, qui si elle est première dans l’existence, s’appelle l’Egypte [[on se rappelle que Yitro vient d’Egypte d’après Midrach Rabba 27-16]]ou aujourd’hui la gestion du Capital, trouve ici une place au sein même de l’absolu, en tant qu’ajout greffé. Comme si à la fois l’absolu risquait d’être trop aride pour se maintenir ( Yitro dit à Moïse, [[Chemot 18-18]]« T’épuiser, tu t’épuiseras, aussi toi-même, aussi ce peuple-ci qui est avec toi, car la chose est trop lourde pour toi… »), et en même temps nous dévoilait la forme aboutie, pleinement réalisée de l’existence, intégrant toutes les dimensions, les ayant simplement recomposées selon l’ordre juste.

Rachi commente « T’épuiser, tu t’épuiseras » en disant : « comme une feuille qui s’est flétrie sous l’effet de la chaleur et sous l’action du gel ». L’absolu strict est comme la structure, l’ossature du vrai, nous pourrions comparer cela à la composition lumineuse d’ensemble d’une photographie noir et blanc. Mais si l’absolu se radicalise ou se crispe, l’image devient trop contrastée et fatigue le regard, « l’effet de la chaleur et l’action du gel » représentant justement ces trop forts contrastes.

Par contre, l’image trouve son aboutissement lorsque les gris, selon leurs nuances infinies, viennent l’habiller, ou la remplir. C’est ce qui est dit quand Adam déclare[[Beréchit 2-23]]: « Cette fois-ci, celle-ci est os de mes os, et chair de ma chair ».
S’il n’y a que des gris, le monde atone de la « démocratie » est en réalité le règne de l’oppression de la nature, ou de l’être. Par cette mention du terme « démocratie », nous-mêmes prenons pied dans notre réalité, dans l’impureté même de notre exil, pour précisément effectuer ce que la Tora indique.

Mais l’inessentiel peut être sanctifié par l’essentiel. De même, dans un autre domaine, celui qui passe beaucoup de temps à gagner de l’argent est sanctifié, s’il participe au monde de l’étude par ses dons.

Le fait que D. entérine comme bonne la proposition de Yitro, dévoile une dimension messianique, de réunification des choses.

Pourquoi Moïse ne cite pas son nom lorsqu’il relate cet épisode aux enfants d’Israël ?

4. Moïse relate l’institution des juges en disant : « Je vous ai dit en ce temps-là en disant : je ne puis, moi seul, vous porter ».
Rachi commente : « Que signifie « en disant » : Moïse leur a dit, ce n’est pas de mon propre chef que je vous parle, mais cela vient de la bouche du Saint béni soit-Il ». Par conséquent, cette dimension d’adaptation à la réalité qu’il faut introduire dans le monde juif n’est pas considérée comme le mérite de Yitro. Lui n’a fait que regarder selon ce point de vue de gestionnaire le monde juif. C’est D. seul qui montre la dimension messianique de la chose.

Ainsi, on peut penser que certaines conversions sincères mais dépourvues de la conscience aiguë de l’absolu sont néanmoins nécessaires au peuple juif, et agréées par D., dans la mesure où l’attachement à Israël peut prendre toutes les formes, et introduire des parcelles d’impureté qui, orientées adéquatement, donnent corps et font resplendir la kedousha de la Tora. Aussi, il faudrait regarder dans le détail la manière dont les propositions de Yitro sont reprises par Moïse, dans Devarim 1, 9 à 18, pour prendre la mesure des repositionnements selon le vrai.

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1990
Agrégé de lettres et Docteur en philosophie, Jérôme Benarroch est un ancien élève puis enseignant de la Yechiva des Étudiants de Paris. Il est actuellement professeur de philosophie et de français au lycée Ozar Hatorah Paris 13ème. Enseignant à l’Institut Elie Wiesel, à l’Institut Universitaire Rachi de Troyes, au SNEJ de l’Alliance Israélite Universelle, dans le cadre du cycle ACT de la Yechiva des Etudiants de Marseille, au Collège des Bernardins, et à l’Université Catholique de Louvain, il a publié des articles au sein des Cahiers d’Etudes Lévinassiennes, des revues La Règle d’Abraham, Orient-Occident les racines spirituelles de l’Europe, et des Cahiers philosophiques de Strasbourg et intervient régulièrement sur Akadem.

  1. Zerah

    Très interressant!!