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VaEt’hanan, La force de l’imagination

par: Rav Gerard Zyzek

Publié le 6 Aout 2023

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I. Les interdits relatifs à l’idolâtrie.

La Torah met beaucoup l’accent sur l’interdit d’idolâtrie. A notre époque, éclairée et éduquée, ces interdits et l’insistance qui leur est relative nous déconcertent. Nous passons rapidement sur le sujet, avec un sentiment de malaise car nous sentons que nous passons à côté d’un sujet central de la Torah. Prenons quelques versets de la Parashat VaEt’hanan (passage lu aussi le matin du jeûne du neuf Av). Devarim 4,27 et 28 :

והפיץ ה’ אתכם בעמים ונשארתם מתי מספר בגוים אשר ינהג ה’ אתכם שמה. ועבדתם שם אלהים מעשה ידי אדם עץ ואבן אשר לא יראון ולא ישמעון ולא יאכלון ולא יריחון.

‘D. vous éparpillera parmi les nations et vous ne resterez qu’un petit nombre parmi les peuples où D. vous conduira. Vous servirez là-bas des dieux, oeuvre de la main de l’homme, du bois et de la pierre, D. qui ni ne voient, ni n’entendent, ni ne mangent, ni ne sentent.’

Nous sommes perplexes et dubitatifs : comment est-ce envisageable que des personnes se prosternent à des statues qu’ils ont fabriquées le matin même avec du bois et de la pierre ? Et ceci nous paraissant absurde et impossible, pourquoi la Torah insiste-t-elle sur la catastrophe que cela peut représenter et pourquoi cela figure-t-il au premier rang des interdits de la Torah ? De même la Torah nous enjoint dans les dix paroles (ici dans la Parashat VaEt’hanan 5,8 et 9 et dans la Parashat Yétro 20,4 et 5) : לא תעשה לך פסל וכל תמונה אשר בשמים ממעל ואשר בארץ מתחת ואשר במים מתחת לארץ. לא תשתחוה להם ולא תעבדם. ‘Ne fabrique pas pour toi toute statue et toute image de ce qui est dans les cieux tout en haut et de ce qui est dans la terre tout en bas, et de ce qui est dans les eaux tout en dessous de la terre. Ne te prosterne pas à elles et ne leur vouent pas de culte.’ Là aussi qui aurait l’idée de fabriquer une image de poisson le matin et de se prosterner devant l’après-midi ?

II. Nous vivons une époque formidable.

Rendons grâce aux nouvelles technologies qui nous permettent aujourd’hui d’entendre ce dont la Torah nous enseigne et nous enjoint.
Alexei Grinbaum, chercheur au Cea de Paris-Saclay, rapporte dans son livre remarquable Paroles de Machines [1] (mai 2023 aux éditions HumenSciences) que, lors de l’élaboration de programmes d’Intelligence Artificielle, un chercheur qui venait de perdre son amie et qui en était extrêmement affecté, a élaboré un programme qui intégrait toutes les données qu’il possédait sur son amie défunte. Fort de cela il a conçu une machine où il pouvait dialoguer virtuellement avec elle. Une des particularités de l’Intelligence Artificielle est que l’Output, le résultat que procure la machine, est imprévisible et donne l’impression d’une créativité, d’une spontanéité et d’une émotivité bien que la machine n’ait finalement fait qu’exécuter les directives qui lui ont été programmées. Le matin il était accueilli par la voix de son amie qui lui disait : comment vas-tu mon chéri ? As-tu bien dormi ? Ainsi que d’autres bavardages sympathiques et spontanés que s’échangent des personnes intimes. Le résultat a été que cet informaticien sortit de sa forte dépression et tira un énorme profit de la fréquentation de sa propre machine. Le développement de nouveaux marchés commerciaux étant ce qui anime principalement ces nouvelles technologies, bien évidemment s’est créé à la suite de telles expériences ce que l’on appelle le « death tech », la technologie mortuaire. Des entreprises comme Re;Memory donnent la possibilité de retrouver post mortem nos chers disparus en trois dimensions et conversant avec nous, etc… Ces marchés sont dans un essor prodigieux et là s’ouvre évidemment notre réflexion : comment se fait-il qu’on y croie ? Comment puis-je croire que l’objet que je viens de fabriquer me sent, m’écoute, a de l’empathie pour mes sentiments et mes souffrances ? Bien sûr nous n’aurons nullement l’ambition de sonder la profondeur de cette énigme [2], mais nous pouvons a minima la mettre en relation avec un aspect de l’idolâtrie où l’humain croit au plus profond de lui-même que son gri-gri est animé de sentiments et de savoir.

III. La force de l’imagination. כח הדמיון

Les détracteurs des faits religieux ont toujours mis en relief la dimension d’illusion et de fantasme qui les anime. Nous en sommes nous-mêmes convaincus comme nous pouvons l’avoir succinctement démontré ici. Mais ce n’est pas en constatant l’existence de cette force imaginative (au sens d’image, תמונה ) et en la critiquant que nous règlerons une fois pour toute cet impulse surpuissant. Effectivement lorsque nous prions au D. Un il est possible que nous ne fassions que projeter nos rêves, nos fantasmes et nos espérances. Toutefois un verset du livre de Mishlé (28,9, Proverbes du roi Salomon) peut nous éveiller à une démarche. מסיר אזנו משמוע תורה גם תפילתו תועבה.
‘Celui qui détourne son oreille d’écouter la Torah, sa prière aussi est atroce’.

Le Metsoudat David (commentaire de Rabbi David Altschuler) explique : ‘Etant donné qu’il ne donne pas d’importance aux paroles d’autrui [3], l’implication en sera que, mesure pour mesure, D. exècrera sa prière. Elle n’aura aucune importance à Ses yeux et ne sera pas agréée.’ On pourrait expliquer aussi de la manière suivante. On ne connait pas D. Est-Il une vue de notre esprit, la projection de nos fantasmes ? D. nous a donné Sa Torah. La Torah c’est D. qui nous parle. Si je porte mon attention de manière précise à étudier la Torah, alors je commence à réaliser qui est mon interlocuteur. Comme dit le verset de Divré HaYamim (I,28,9) : דע את אלקי אביך ועבדהו. ‘Connais le D. de ton père et sers-Le.’ C’est-à-dire qu’il faut une connaissance de son interlocuteur pour tisser une relation avec lui. Le terme דע , Dah, que nous avons traduit par ‘connais’, va plus loin que ce sens premier. Nous pourrions aussi le traduire par « aie une expérience du D. ton père et sers-Le ». En effet, l’étude de la Tora n’est pas que de l’ordre de la connaissance mais procède aussi de l’ordre de l’expérience. L’étude de la Torah est une discipline très difficile qui engage notre intellect et aussi notre corps. Notre corps se confronte à un texte qui est autre qu’un texte rédigé par l’homme et cette confrontation rugueuse nous donne l’expérience qu’il y a, qu’il existe une autre réalité, radicalement différente de la nôtre. Nous trouvons cette acceptation du terme דע , Dah, au sens fort dans la relation entre un homme et sa
femme, comme le dit le verset (Béréshit 4,1) : והאדם ידע את חוה אשתו.
‘Et l’homme connut Eve sa femme’. C’est dans la relation entre un homme et sa femme, que l’humain découvre qu’il y a une autre réalité que lui-même, et qu’il peut alors imaginer qu’il puisse y avoir d’autres interlocuteurs que lui-même. Nous avons entendu de notre Maître Rav Eliahou Abitbol נר »ו (au nom de Ramban, mais nous n’en n’avons pas retrouvé la source) qu’il est écrit deux fois [4] le mot זאת , Zot dans la Torah. Ce mot signifie ‘celle-là’, une fois au sujet de la création de la femme et une fois au sujet de la Torah. Au sujet de la femme il est écrit (Béréshit 2,23) : לזאת יקרא אשה כי מאיש לוקחה זאת.
‘C’est pourquoi elle sera appelée Isha, femme, car de l’homme, Ish, elle a été prise celle-là, Zot.’ Au sujet de la Torah il est écrit (Devarim 4,44) : וזאת התורה אשר שם משה לפני בני ישראל.
‘Et celle-là, Zot, la Torah que Moshé a placée devant les enfants d’Israël.’ Celle-là, c’est-à-dire elle est devant toi (elle, la femme, la Torah), elle existe indépendamment de toi, elle n’est pas un fantasme [5].


[1] Page 125.

[2] Ce petit texte n’a d’autre ambition que d’éveiller une réflexion et non de faire le tour du problème fondamental de l’idolâtrie.

[3] Apprécions le choix des mots du Metsoudat David. Il appelle les paroles de Torah : paroles d’autrui.

[4] Ce terme est employé bien d’autres fois dans la Torah mais ce qui est mis en relief ici est le fait que la Torah utilise ce terme et au sujet de la Torah et au sujet de la femme.

[5] L’étude de la Torah n’est pas une panacée en soi. Nos Maîtres enseignent (Traité Makot 10a) : ‘Malheur à ceux qui étudient la Torah seul ! Non seulement malheur à eux mais encore ils deviennent idiots, et non seulement ils deviennent idiots mais encore ils fautent’. La base de l’étude de la Torah se fait traditionnellement sous forme de ‘Havrouta, d’étude en binôme.

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

“VaEt’hanan, La force de l’imagination”

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