Qu’est-ce que le réel ?
Cette question, aussi ancienne que la pensée elle-même, nous interpelle.
Mais, comme à leur habitude, les Maîtres de notre Tradition n’abordent jamais les grandes interrogations universelles dans les termes des autres cultures.
La question du réel prend chez nos Maîtres une dimension concrète dès lors qu’elle s’inscrit dans la vie quotidienne : elle se pose avec intensité lorsque les juges doivent trancher les différends multiples et variés qui opposent des personnes. Car la Torah confie au peuple d’Israël la responsabilité de juger son prochain, de discerner entre les plaignants et de rétablir la justice dans les situations de conflit. Rambam a appelé ce champ d’investigation הלכות טוען ונטען, Hilkhot Tohèn VéNithan, ‘lois du réclamant et du réclamé’. Deux personnes viennent au Tribunal et exposent leur différent, mais qui dit vrai ? Et, en définitive, que sommes-nous capables de savoir ?
La Torah nous donne de nombreux outils pour aborder ces grandes questions, et plusieurs chapitres du Talmud y sont consacrés, en particulier le troisième chapitre du Traité Baba Batra appelé ‘Hézkat HaBatim et des parties importantes du premier et du second chapitres du Traité Ketoubot.
I. Dans un premier temps abordons le sujet suivant (Baba Batra 31a et 33b) :
זה אומר של אבותי וזה אומר של אבותי האי אייתי סהדי דאבהתיה היא והאי אייתי סהדי דאכלה שני חזקה אמר רבה מה לו לשקר אי בעי א »ל מינך זבנתה ואכלתיה שני חזקה א »ל אביי מה לי לשקר במקום עדים לא אמרינן הדר א »ל אין דאבהתך היא וזבנתה מינך והאי דאמרי לך דאבהתי דסמיך לי עלה כדאבהתי טוען וחוזר וטוען או אין טוען וחוזר וטוען עולא אמר טוען וחוזר וטוען נהרדעי אמרי אינו טוען וחוזר וטוען. ומודי עולא היכא דא »ל של אבותי ולא של אבותיך דאינו טוען וחוזר וטוען והיכא דהוה קאיי דינא ולא טען ואתא מאבראי וטען אינו חוזר וטוען מאי טעמא טענתיה אגמריה. ומודו נהרדעי היכא דאמר ליה של אבותי שלקחוה מאבותיך דחוזר וטוען והיכא דאישתעי מילי אבראי ולא טען ואתא לבי דינא וטען דחוזר וטוען מאי טעמא עביד איניש דלא מגלי טענתיה אלא לבי דינא. אמר אמימר אנא נהרדעא אנא וסבירא לי דטוען וחוזר וטוען והלכתא טוען וחוזר וטוען.
‘Celui-là dit que ce terrain appartient à ses pères et celui-là dit que ce terrain appartient à ses pères.
(C’est-à-dire que ces deux personnes revendiquent la propriété sur un certain terrain)
Celui-là amène des témoins que ce terrain appartenait effectivement à ses pères. Et celui-là apporte des témoins qu’il a consommé trois années de ‘Hazaka.
(La notion de ‘Hazaka est le sujet principal du début de ce troisième chapitre. La preuve indubitable de propriété sur un bien immobilier est le contrat de propriété, le Shtar, si tant est que ce Shtat ait été authentifié comme étant authentique et non falsifié. Que faire par contre si la personne a égaré son Shtar ? Nos Maîtres nous enseignent que si cette personne a consommé trois ans ce que ce bien immobilier peut procurer -exemples : fruits, récoltes, loyers-, et qu’il a des témoins de cette consommation cela peut palier le manque de Shtar s’il justifie sa présence dans ce bien du fait qu’il l’a acheté ou hérité ou reçu en donation. Cette ‘Hazaka peut être une preuve s’il n’y a pas eu entre temps de contestation de propriété.)
Rabba dit : celui qui a des témoins de ‘Hazaka a gain de cause car que gagne-t-il à mentir ? S’il voulait, il aurait pu facilement dire qu’il a acheté ce terrain de lui et qu’il a consommé les trois ans de ‘Hazaka !
(L’explication a priori est la suivante. Deux témoins disent que ce terrain appartenait aux parents de l’un. L’autre n’a aucune preuve sur le fait que lui aussi disait que ce terrain était le terrain de sa famille. Par contre étant donné qu’il a des témoins qu’il a consommé trois ans de ‘Hazaka, il a la capacité de dire qu’il l’a acheté de l’autre. S’il disait cela il aurait gain de cause. Donc lorsqu’il dit que ce terrain est celui de sa famille il n’y a pas de raison de ne pas le croire. Mais d’un autre côté si on le croit en cela que c’est le terrain de sa famille cela va en contradiction avec ce que disent les témoins de l’autre, or la Torah confère une crédibilité aux témoins. Nous sommes en face d’un conflit entre deux types de vérité : un type de vérité prôné par la Torah, les témoins, et un type de vérité guidé par le bon sens : que gagnerait-il à mentir ? Et c’est sur point d’ailleurs que va intervenir Abayé, l’élève de Rabba)
Abayé rétorque à Rabba : on ne dit pas que gagne-t-il à mentir lorsque cela va en opposition à des témoins !
Il se trouve que celui qui avait des témoins de ‘Hazaka finalement revient sur ses paroles et dit : effectivement ce terrain n’était pas à ma famille et je l’ai acheté de toi (autre version : et je l’ai acheté de tes pères), mais lorsque j’ai dit qu’il était à ma famille je voulais dire que j’étais confiant dans cette propriété comme si c’était mon terrain de famille.
Oula dit qu’une personne qui a affirmé quelque chose au tribunal et se voit perdre peut revenir pour expliquer ses dires et les réajuster.
Les Maîtres de Néardéha disent qu’il n’est pas habilité à reprendre ses paroles et les réajuster.’
Ce passage soulève la grande question de savoir si l’on dit la notion de Miguo en présence de deux témoins, מה לי לשקר במקום עדים , ‘que gagne-t-il à mentir lorsque cela va en opposition à des témoins’.
La première lecture de cette Guemara est de dire qu’il y a débat entre Rabba et son élève Abayé sur ce sujet.
Néanmoins le Rashba (cité par le Shita Mekoubétset dans 31a) pose la question fondamentale : mais quel est le débat, nous voyons bien de la Mishna au début du second chapitre de Ketoubot 15b où elle réclame la Ketouba et dit qu’elle était Betoula et lui dit qu’elle était Almana, il est cru car il avait la possibilité de dire qu’il lui a déjà payé la Ketouba et qu’elle n’a rien à réclamer. Par contre s’il y a des témoins qu’elle est sortie avec la Hinouma qui est l’habit de Betoula il n’a pas le Miguo. Le Rashba répond qu’ici c’est différent de la Mishna de Ketoubot car ici comme on le voit dans la suite de la Guemara on peut réparer ses dires en les corrigeant, et dire que lorsqu’il a dit que ce terrain était celui de ses pères cela signifie qu’il considère ce terrain qu’il a acheté comme si c’était vraiment son terrain indéfectible ou bien que ses pères l’avaient acheté des pères de l’autre.
Le Ramban pose la question un peu différemment. Il demande : si des témoins disent que ce terrain était toujours dans la propriété des parents de celui-ci et non dans la propriété de celui-ci est-ce que le Miguo aura la force de dire que les témoins sont des menteurs, mais la Torah donne une crédibilité forte aux témoins telle que l’on sort de l’argent sur la force de deux témoins etc. ?
Le Ramban prouve de la suite de la Guemara que même d’après les détracteurs qui disent qu’on ne peut revenir corriger ses dires néanmoins ils sont d’accord que s’il dit que ce terrain était à ses pères qui ont acheté de ses pères il peut corriger ainsi ses paroles. D’après cela il ressort que lorsque Rabba et Abayé discutent c’est dans le cas où chacun parle sans préciser ses dires en disant : ce terrain est à mes pères et ce terrain est à mes pères sans rien rajouter. Il ressort donc que lorsque les témoins disent que ce terrain était aux pères de l’un, ils ne précisent pas plus. Fort de cette remarque le Ramban explique ainsi :
L’un dit de manière affirmée que ce terrain était à ses pères, l’autre dit aussi de manière affirmée que ce terrain était à ses pères. Maintenant des témoins disent que ce terrain était aux pères de l’un. Rabba dit que puisque l’autre a trois ans de ‘Hazaka, et qu’il aurait pu confirmer que ce terrain appartenait aux pères de l’un et qu’il l’avait acheté de lui, et que dans ce cas il aurait été cru, on peut corriger ses dires en disant que ses pères l’ont acheté des pères de l’autre. Ce n’est pas contraire au témoignage des témoins.
אביי סבר כיון דאמר סתם של אבותי ולא של אבותיך משמע והנה העדים מכחישין אותו הילכך צריך הוא לחזור ולטעון של אבותי שלקחוה מאבותיך או דסמכי לי עלה כדאבהתי.
Abayé pense que puisque la personne dit que ce terrain appartenait à ses pères et que les deux témoins confirment cette affirmation, le Miguo n’a pas assez de force pour corriger ses dires et aller contre le sens simple de ses dires. Rabba pense que oui.
Le Ramban met cette Sougia en relation avec la Sougia de בבא בתרא דף ה’ ע »ב וו’ ע »א de savoir si on dit מה לי לשקר במקום חזקה ?
Au Daf 6a la Guemara dit que même contre une ‘Hazaka on ne dit pas מה לו לשקר donc raison de plus contre des témoins, et sur ces points il n’y pas de discussion.
C’est-à-dire qu’il y a des témoins qui disent qu’il doit de l’argent à untel, et maintenant le lendemain il dit qu’il ne doit rien, or il aurait pu dire qu’il a remboursé dans la soirée, il n’est pas cru car les témoins témoignent qu’il a reconnu devant qu’il devait de l’argent, or il est possible que les témoins mentent. Or la Guemara dit qu’il n’est pas cru. Le raisonnement du Ramban est le suivant : si déjà face à une ‘Hazaka, un Miguo n’est pas pris en compte, raison de plus qu’un Miguo ne sera pas pris en compte face à des témoins ! Donc on ne dit pas מגו נגד עדים à moins que ce soit comme dans la Sougia de 31a où le Miguo permet de corriger les dires de la personne d’après Rabba et non d’après Abayé et Rava. Il ressort donc clairement qu’on ne dit pas Miguo en présence de témoins.
Il y a cependant des questions face à ces affirmations de Rashba et de Ramban.
II. Questions contre la démarche de Ramban et de Rashba.
La Guemara reprend ce même sujet un peu plus loin au Daf 33b :
בבא בתרא ל »ג ע »ב
זה אומר של אבותי חה אומר של אבותי האי אייתי סהדי דאבהתיה הוא והאי אייתי סהדי דאכל שני חזקה אמר רב חסדא מה לו לשקר אי בעי א »ל מינך זבינתה ואכלתיה שני חזקה אביי ורבא לא סבירא להו הא דרב חסדא מה לי לשקר במקום עדים לא אמרינן.
‘Celui-là dit que ce terrain est à ses pères et celui-là dit que ce terrain est à ses pères. Celui-ci apporte des témoins que ce terrain est à ses pères, et celui-là apporte des témoins qu’il a mangé les trois années de ‘Hazaka.
Rav ‘Hisda dit qu’il est cru du fait qu’il aurait pu dire : je l’ai acheté de toi et j’ai mangé les trois ans de ‘Hazaka.
Abayé et Rava ne tiennent pas cette manière de voir : on ne dit pas qu’avait-il à mentir dans le cas où cela vient contredire des témoins.’
A priori cette Guemara est un doublon par rapport à ce que nous venons de voir deux pages avant au Daf 31a. Si c’est ainsi pourquoi ne voyons-nous pas les mêmes protagonistes ?
Le Rashbam répond à cette question en disant que le cas de 33b n’est pas le même que dans 31a. Le cas de 33b parle que les témoins attestent que ce terrain était dans la propriété du père de celui-là jusqu’au jour de leur mort et qu’ils ne l’on pas vendu de leur vivant à celui-là ni aux pères de celui-là. Il faut alors dire que dans la Guemara de 31a la personne revient et dit : en fait je l’ai acheté de tes pères, et lorsque j’ai dit que ce terrain était celui de mes pères j’ai voulu dire que je suis tellement convaincu de mon bon droit que j’ai pu affirmer que c’est le terrain de mes pères.
D’après cette précision du Rashbam on comprend la différence entre les deux cas. En effet, précise le Maharsha, dans 31a la Guemara dit que les Néardahé sont d’accord qu’il peut revenir et dire que ce terrain appartenait à ses pères qui l’on acheté des pères de l’autre, or selon la précision de Rashbam dans 33b on ne peut pas dire cela.
Mais nous ne comprenons tout de même pas. En effet même avec ce témoignage dont parle le Rashbam on peut encore corriger ses paroles et faire que ce n’est pas un vrai Miguo en face de témoins.
A moins de dire qu’effectivement la version de la Guemara dans 31a est : en fait je l’ai acheté de tes pères et j’ai trois années de ‘Hazaka, et j’ai dit que ce terrain est à mes pères car je suis convaincu de ma propriété comme si c’était mon terrain familial. Et pourquoi ne dit-il pas qu’il l’acheté de lui ? peut-être parce que ce serait une sorte de Miguo effronté מיגו דהעזה, que l’on ne prend pas en compte. D’après cela dans 33b on ne peut pas donc corriger ses paroles. D’après cela il ressortirait que Rav ‘Hisda penserait qu’un Miguo peut donc s’opposer à un témoignage. Ceci serait donc une forte question contre le Rashba et le Ramban.
D’après cette analyse on peut donc dire que le détracteur de Abayé dans 31a est Rava et non Rabba, et que Rava lui-même sera d’accord dans 33b contre Rav ‘Hisda. Par contre Tossefot dans 31a דה »מ אמר רבה insistent pour dire que l’on ne peut pas dire que Rava tienne Miguo dans un cas de témoins dans 31a.
Pour résumer, d’après Tossefot il faut dire que dans 31a la personne a un Miguo car elle aurait pu dire : je l’ai acheté de toi et j’ai trois ans de ‘Hazaka, donc lorsque j’ai dit que ce terrain était celui de mes pères il faut comprendre et expliciter mes dires que je considère ma propriété comme si c’était mon terrain familial, et que ce n’est pas un Miguo effronté. Donc le contentieux dans 33b est le même et Rava qui s’oppose dans 33b à Rav ‘Hisda ne peut pas penser que l’on corrige les paroles dans 31a. Pour Tossefot même Rav ‘Hisda ce n’est pas un vrai Miguo frontal contre des témoins.
Par contre pour Rashbam, qui a la version du texte ‘je l’ai acheté de tes pères’, considère que dire que je l’ai acheté de toi est un Miguo effronté, donc dans le cas de 33b Rav ‘Hisda pensera que l’on dit un Miguo frontal même en face de témoins, ce qui est contraire aux thèses de Ramban et Rashba.
III. Autre cas où nous voyons un Miguo en présence de témoins.
Rav Yaakov Haïm Charabani, dans son livre Ohalé Yaakov, rapporte une Guemara dans le Traité Baba Métsia 81b qui apporte un nouvel éclairage à notre sujet.
ההוא גברא דאוגר ליה חמרא לחבריה אמר ליה חזי לא תיזול באורחא דנהר פקוד דאיכא מיא זיל באורחא דנרש דליכא מיא אזיל באורחא דנהר פקוד ומית חמרא כי אתא אמר אין באורחא דנהר פקוד אזלי ומיהו ליכא מיא א »ל רבא מה ליה לשקר אי בעי אמר ליה אנא באורחא דנרש אזלי אמר ליה אביי מה לי לשקר במקום עדים לא אמרינן.
‘Cet homme qui a loué un âne à autrui. Il lui dit : regarde, je te demande instamment de ne pas passer par le chemin de Nahar Pakod car il y a là-bas de l’eau, passe par le chemin de Narash où il n’y a pas d’eau. Finalement il est allé par le chemin de Nahar Pakod et l’âne est mort. Quand il est venu, il a dit au propriétaire de l’âne : en fait j’ai pris le chemin de Nahar Pakod mais il n’y avait pas d’eau (et l’âne n’est pas mort de ce fait, il est mort par un cas de force majeure indépendante de l’eau).
Rava dit : que gagnerait-il à mentir ? S’il voulait il pourrait dire qu’il a pris le bon chemin !
Abayé lui dit : on ne dit pas Miguo en présence de témoins !’
En lecture première on ne comprend pas bien ce que veut dire Abayé : en quoi notre sujet a-t-il à voir avec un Miguo en présence de témoins ? Rashi répond à cette question en disant :
במקום עדים. דאנן סהדי שאין אותו הדרך בלא מים.
‘Cela s’appelle un Miguo en présence de témoins car nous pouvons attester que ce chemin n’existe pas sans eau.’
Le concept qu’emploie Rashi est אנן סהדי, ‘nous pouvons témoigner’, que nous avons traduit par ‘nous pouvons attester’. אנן סהדי, Anan Saadé, ‘nous pouvons témoigner’, ne correspond pas à un témoignage formel. Ceci correspond à dire : nous savons de notoriété publique. Et cette notion qu’introduit Rashi comme lecture de la Guemara nous ouvre à la réflexion suivante.
D’un côté cette personne qui a emprunté l’âne n’a strictement aucune raison de mentir. Elle a une forte présomption de dire vrai. Par contre nous savons pertinemment que le chemin en question est détrempé et glissant. Maintenant, dans la vie, tout est possible et des fois la réalité dépasse la fiction. Mais affirmer toutefois que ce chemin n’était pas détrempé est peu vraisemblable. Nous ne sommes pas dans le cas d’un Miguo en présence de témoins stricto sensu. En effet dans les premiers cas que nous avons abordés, nous étions en face d’un témoignage véritable. La Torah nous enseigne que lorsque nous ne savons pas la réalité des choses nous sommes enjoints de suivre le témoignage de témoins, si tant est que ceux-ci correspondent aux critères de témoins d’après la Torah.
En tout cas d’après l’explication de Rashi de la Guemara de Baba Métsia 81b le débat entre Rava et Abayé est le suivant : l’emprunteur n’a aucune raison de mentir, par contre ce qu’il dit est fort improbable, voire impossible. Peut-on privilégier la présomption forte de sincérité face à ce qui se présente comme un fait établi et bien réel ? Rava pense que oui, Abayé pense que non.
Nous avons vu que, dans la Guemara de Baba Batra 33b, Rava pensait qu’on ne dit pas la notion de Miguo face à des témoins, mais là-bas il s’agissait de témoins patentés, et son raisonnement était que puisque la Torah nous enjoint de porter une crédibilité aux témoins, une présomption forte de crédibilité n’est pas assez forte juridiquement pour ébranler la crédibilité des témoins attestée par la Torah.
Telle est la démarche de Rashi, ainsi que celle du Nimouké Yossef.
Selon cette démarche la conclusion légale sera comme Rava en vertu du principe que la Halakha est toujours comme Rava face à son détracteur Abayé si ce n’est dans six cas où la conclusion est comme Abayé (Baba Métsia 22a, Sanhédrin 27a etc.), or ce sujet ne fait pas partie de ces six cas.
Par contre Rambam dans le chapitre 4 des Hilkhot Skhérout Halakha 3 lit la Guemara de Baba Métsia différemment de Rashi.
מעשה באחד שהשכיר חמור לחבירו ואמר לו לא תלך בו בדרך נהר פקוד שהמים מצויין שם אלא בדרך נרש שאין בה מים הלך בדרך נהר פקוד ומת החמור ולא היו שם עדים שמעידים באי זה דרך הלך אלא הוא מעצמו אמר בנהר פקוד הלכתי ולא היו שם מים ומחמת עצמו מת ואמרו חכמים הואיל ויש עדים שהמים בנהר פקוד מצויין חייב לשלם שהרי שינה על דעת הבעלים ואין אומרים מה לי לשקר במקום עדים.
‘Une fois quelqu’un loua un âne de son prochain. Celui-ci lui dit : ne va pas par le chemin de Nahar Pakod car il y a de l’eau là-bas, va par le chemin de Narash où il n’y a pas d’eau. Il alla par le chemin de Nahar Pakod et l’âne mourut. Il n’y avait pas de témoins qui pouvaient témoigner quel chemin avait-il emprunté, amis c’est lui-même qui affirma : je suis allé par le chemin de Nahar Pakod et il n’y avait pas d’eau, et l’âne est mort de lui-même (donc je suis exempt de payer). Les Sages disent : étant donné qu’il y avait des témoins qui attestent qu’il y avait de l’eau là-bas, il est obligé de rembourser car il a changé des consignes du propriétaire et on ne dit pas qu’avait-il à mentir en présence de témoins.’
Il est clair que Rambam n’explique pas comme Rashi. En effet il dit qu’il y avait des témoins qui attestent qu’il y avait de l’eau. Nous sommes bien ici dans un cas de Miguo en face de témoins et non en face d’un fait de notoriété publique. D’après cette lecture nous sommes étonnés que Rambam tranche la Halakha comme Abayé contre Rava, et d’ailleurs comment Rava pourrait-il penser que l’on peut suivre le Miguo face à des témoins or nous avons vu que Rava lui-même dans Baba Batra 33b tient comme Abayé qu’on ne dit pas Miguo face à des témoins effectifs ?
Les commentateurs de Rambam, dont le Torah ‘Haim sur Baba Métsia, disent que nous sommes obligés de dire que dans le cas de Nahar Pakod ce n’est pas Rava qui intervient mais Rabba, et que telle est la version du texte dans le Rif.
Si c’est ainsi il ressort qu’outre Rav ‘Hisda dans Baba Batra 33b (selon la lecture de Rashbam) Rabba dans Baba Métsia 81b penserait qu’un Miguo peut s’opposer à un témoignage en bonne et due forme et que l’on dirait
מה לי לשקר במקום עדים
‘que gagnerais-je à mentir face à des témoins’.
Néanmoins même si nous affirmons cette possibilité cela n’implique pas que Rabba penserait ce point de manière générale. En effet nous sommes dans un cas d’espèce où ce Miguo dispense la personne de payer, et de plus nous sommes dans un cas où la responsabilité de la personne n’est pas évidente. En effet Rambam explique que la personne est condamnable dans la conclusion du fait qu’elle n’a pas appliqué les consignes du propriétaire. Nous pouvons affirmer qu’il n’est pas évident que cette notion impose de payer et il est possible qu’un simple Miguo suffise pour Rabba pour s’en disculper. En effet les témoins n’affirment pas que c’est l’eau qui a causé la mort de l’âne, les témoins n’affirment qu’un seul point : il y avait de l’eau.
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