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Qora’h… Quand le politique s’oppose à la Torah

par: Joël Gozlan

Publié le 21 Juin 2022

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Nous connaissons avant tout le livre Bamidbar comme étant le sefer apekoudim (traduit par “Les nombres”), mais on l’appelle aussi sefer catastropha, le livre des catastrophes!

Cette dénomination se comprend aisément à la lecture du récit de la révolte initiée au sein des Bneï-Israël par Qora’h, d’autant qu’il s’insère, dans l’agencement des parashiot, entre « Chelah Lekha » qui relate l’épisode tragique des explorateurs et « Houkat » où l’on trouve la faute de Moshé frappant le rocher de Meriba. Ces évènements conduiront les Bneï-Israël à errer 40 ans dans le désert, avant de laisser la génération suivante vivre la conquête et l’installation en terre d’Israël.

L’azur en perspective

Il est souvent intéressant le lire le texte « à reculons », afin de comprendre les évènements dans le contexte précis où la Torah a choisi de les placer.

Si l’on regarde les derniers versets du chapitre précédant (Bemidbar 15, 38-41), nous y lisons la mitsva des Tsitsit, texte sublime récité tous les jours et inscrit « en signe » à nos portes (les mezouzot), entre nos yeux et sur notre bras (les tefilins). A ces franges, Ha’chem nous enjoint d’ajouter un fil d’azur (Petil Tekhélét) et en les regardant, nous ne nous égarerons pas et accomplirons toutes les mitsvot, afin qu’Ha’Chem soit pour nous « votre Dieu qui vous a fait sortir d’Egypte ».

Une perceptive est ainsi tracée : ce cordon indigo, cet azur des Tsitsit, est une ligne d’horizon, en direction de la liberté et de la sainteté (« kedoucha »). Et le moyen d’y parvenir réside dans la loi, la pratique des Mistvot. C’est une expérience dynamique (Kedoushim tiy’ou… Vous serez « saints »), qui doit être vécue physiquement par les Bné-Israël dans le désert.

Cette perspective, un personnage, Qora’h va le dénaturer, dans une tentative de dévoiement pour son intérêt personnel. Une des controverses de Qora’h contre Moshé, rapportée par Rachi au nom du Midrash, porte justement sur ce bleu azur, dont Qora’h habille intégralement les membres de son assemblée, prétendant que ces vêtements entièrement bleus seraient quittes de la mitsva des Tsitsits (Tanhouma 2).  Cette façon sournoise de procéder illustre parfaitement la perversité du personnage.

Mais d’abord, qui est Qora’h ? Les premiers versets du chapitre 16 nous le précisent.

Bamidbar, 16, 1 « Qora’h, fils de Yiçhar, fils de Kehath, fils de Lévi, forma un parti avec Dathan et Abirâm, fils d’Elïab, et On, fils de Péleth, descendants de Ruben.« 

 Le texte nous rappelle donc la proximité familiale entre Qora’h et Moshé, puisqu’ils sont cousins germains. Homme important de la tribu de Lévi, Qora’h est par ailleurs un Behor, un aîné, doté d’une immense fortune… Le Talmud (Sanhedrin 110a) nous apprend qu’il avait trouvé l’un des trésors cachés par Yossef et qu’il fallait 300 mules rien que pour porter les clefs de ses coffres !

Qora’h est aussi un « grand de la Torah » (Midrash Tanhouma 2, 1), dont les enfants ont rédigé des psaumes sublimes… Nous y reviendrons.

Remarquons que le texte, s’il fait remonter cette généalogie jusqu’à Levi, ne mentionne pas le nom de Ya’akov. Le Midrach (Bamidbar Rab. 18:4) pose la question: Pourquoi Ya’akov n’est-il pas mentionné? Car dans sa bénédiction à Simon et Levi, Ya’akov lui-même l’avait demandé, de façon allusive et prophétique (Berechit, 49,6) : Dans leur complot, que mon âme ne s’associe point : il s’agit des explorateurs : qu’à leur assemblée ne se joigne pas mon honneur : il s’agit de Qora’h.  

Notre père Ya’akov ne voulait pas que son nom soit associé à ces mécréants. Pourquoi?

C’est que Qora’h, homme déjà riche et puissant, en veut toujours plus… Il ne supporte pas le leadership de Moshé et de Aaron et se montre prêt à tout pour s’emparer du pouvoir et de la position. Ce politique envieux n’a donc pas intégré la loi (et en particulier la 10ème parole, « Lo Tahmod », Tu ne convoiteras pas…), il convoite la part de l’autre et sa convoitise le mènera à la discorde puis à la destruction.

La révolte des nantis

Comment procède Qora’h ? En habile démagogue, il détourne  sa « sagesse » en Torah, pour servir ses intérêts. Par des paroles trompeuses, il prend avec lui (une des lectures, selon Rachi, du Va’Ykach Qora’h qui débute le péricope) les ainés des Bneï-Israël (la tribu de Reuven), Datan et Abiram (les alliés radicaux, nostalgiques de l’Egypte) et 250 autres chefs de Sanhedrin, tous des notables.

La perversité du discours de Qora’h est double. S’il intègre des vérités de Torah, son discours mélange le vrai et le faux et surtout se trompe de temporalité. Qora’h mène ainsi son groupe en s’insurgeant contre Moshé et Aaron :

(Bamidbar 16, 3)  « Tous sont saints et Ha’chem réside parmi eux, Pourquoi vous élevez-vous au-dessus de la communauté?»

Ce discours démagogique présente au peuple la « Kedousha » comme un présent, comme un acquis, alors que cette Kedousha est un futur : (Chemot 25) « Je résiderai au milieu d’eux » et une direction (halakha).

Dans ce slogan de Qora’h « L’azur partout et la sainteté pour tous, ici et maintenant !», nous retrouvons tous les ingrédients du discours populiste du politicien le plus exercé !

Moshé, face aux manipulateurs

Face à cette révolte, Moché ne répond pas vraiment… Il refuse d’entrer dans une logique politique de langage et d’argumentation. Il reste humble et fidèle à la crainte de D.ieu, il tombe sur la face et prie.

Son combat, il le mènera du côté du service divin, en proposant l’épreuve des encensoirs à l’entrée du Mishkan. Il déplace ainsi le débat vers la spiritualité et la subtilité (celle des encens), qui sont les seules raisons d’être de sa position et de celle d’Aaron. Par cela, il montre que l’attaque menée par Qora’h n’est pas seulement dirigée contre lui et son frère, mais qu’elle porte avant tout sur la Torah d’Ha’Chem.

Cette attitude est juste… Qora’h est englouti dans la bouche de la terre, dont le feu emporte aussi l’assemblée des frondeurs… On ne triche pas avec la science délicate des Ketoret !  Une Mishna du Traité des Pères (Avot, 5, 17) nous l’avait enseigné : la controverse intéressée (car entièrement dirigée vers la prise de pouvoir) de Qora’h, ne peut subsister, à la différence des controverses désintéressés (Le’chem Chama’Yim), comme celles de Hillel et Chammaï. Les Makhlok’tot (controverses) de nos maîtres continuent d’être étudiés jour après jour, celles de Qora’h et sa clique ont été avalées par la terre!

Les enfants de Qora’h

L’histoire, si tragique qu’elle soit, ne s’arrête pas là.

Qora’h aura une descendance, ses fils n’ont pas été engloutis avec leur père et ont aussi été sauvés de l’épidémie ayant frappé le reste des rebelles.

(Bamidbar, 26, 11) : Les enfants de Qora’h ne moururent point.

Les fils de Qora’h deviennent des sages et ont écrit de nombreux psaumes récités en leur nom, dont celui du deuxième jour, Yom Cheni. On remarque que, dans le récit de la Genèse, le deuxième jour est celui de la séparation « des eaux d’en haut et des eaux d’en bas », et c’est aussi celui pour lequel il n’est pas écrit que « Ha’Chem vit que cela était bon ». Comme si, dans l’apparition nécessaire de la dualité, s’inscrivait aussi la racine de quelque chose de dangereux, le germe de toutes les querelles, y compris celles de Qora’h.

Nos textes disent aussi que Qora’h aurait fait techouva juste avant son engloutissement et c’est d’ailleurs de lui que le Cantique de ‘Hanna dit :

(Samuel I, 2, 6) D.ieu fait mourir et il fait revivre, il précipite au Chéol (tombeau des morts) et il en fait remonter.

Ce Cantique, nous le trouvons dans le livre de Samuel… Qui est –lui-aussi- un descendant de Qora’h !

Il n’y a rien à faire… En dépit de toute les catastrophes ayant émaillé l’histoire de notre peuple, le judaïsme reste d’un optimisme constant.

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