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POURIM : ACTION OU VERITE ? par Rav Yehiel Klein

par: Rav Yehiel Klein

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                POURIM :  ACTION OU VERITE ? par Rav Yehiel Klein

I – La Méguilat Esther conclut ainsi l’heureux dénouement des aventures du Peuple juif avec le sinistre Haman :

« Car Mordéh’aï le Juif était le second du roi Ah’achvéroch, grand parmi les Juifs, apprécié de la majorité de ses frères, recherchant le bien de tout son peuple et défendait la paix pour tous les siens » (Esther X, 3)

Le Talmud (Méguila 16b) fait remarquer la chose suivante :

Mordéhaï était apprécié de la majorité de ses frères – mais non de tous… Cela vient nous apprendre qu’une partie du Sanhédrin[1], en effet, se détacha de lui [car alors il se rapprocha du Pouvoir et put moins se consacrer à l’ Etude de la Torah – Rachi].

Rav Yossef  enseignait à ce sujet : l’étude de la Torah est d’une valeur supérieure au sauvetage de la vie humaine. Car, au début [avant de parvenir au pouvoir[2]], Mordéh’aï apparaît en quatrième position dans l’énumération des Sages, et à la fin [après qu’entre temps il ait pris ses fonctions], il est le cinquième[3]   […]

II – Ce texte est très étonnant, car au vu des circonstances exceptionnelles de l’époque, on a bien du mal à comprendre la réaction d’une partie de ces Sages qui montrèrent leur désaccord avec Mordéh’aï.

C’est en effet grâce à son action et à celle de la reine Esther – dont il était le mentor – que le Peuple d’Israël du sa survie. Et quand bien même on aurait pu croire qu’une fois l’ennemi éliminé, Mordéh’aï aurait pu se retirer du palais et retourner à ses occupations spirituelles, l’analyse des derniers chapitres de la Méguila nous informent du contraire a priori : les séïdes d’Haman restaient encore nombreux et gardaient encore une certaine capacité de nuire malgré la chute de leur chef. Il était donc indispensable que Mordéh’aï accepte ce poste de premier-ministre laissé vacant par la pendaison du précédent, assurant de manière solide -jusqu’à la prochaine valse ministérielle – la sécurité de ses coreligionnaires[4] .

Or le Talmud nous raconte que les plus éminents d’entre eux lui reprochèrent cette attitude, en considérant en quelque sorte qu’il y’ avait alors mieux à faire…

III – Pourtant, cette réaction semble découler de la singularité de la Torah, et peut être considérée comme l’étonnante expression de l’identité du Peuple Juif.

On trouve une idée équivalente dans un célèbre texte de la Guémara Chabbat 10a : « Rava observait Rav Haménouna s’allongeant dans sa prière. Il lui dit :  »Abandonne-t-on ainsi la Vie Eternelle [la Torah – Rachi] pour se consacrer à la vie quotidienne [la prière, puisqu’on y quémande ses besoins journaliers – Rachi] ? »

C’est le même état d’esprit qui motivait les contemporains en désaccord avec Mordéh’aï : quelques soient les contraintes et les nécessités du moment, la Torah et son étude sont des valeurs supérieures, qui prennent le pas sur toutes les autres…[5]

IV – Il s’avère que cette problématique est d’une certaine manière présente au sein même de notre existence quotidienne, et l’homme est ainsi sans cesse déchiré entre la Torah et l’action…

Chacun est face à ce dilemme : Vérité ou action ?

L’étude de la Torah comble l’homme parce qu’elle est la Vérité, et que notre âme a soif de la connaître, car c’est uniquement à travers et par la Torah que l’on sait ce qui est juste.

Cependant, puisque précisément il s’agit d’une étude, elle ne reste que théorique[6], et ne pèse pas forcément sur le cours des événements[7]

L’action, pour sa part, quelle que soit sa portée (locale, communautaire, nationale…), est nécessaire  pour toutes sortes d’excellentes raisons – subsistance, charité, salut public, etc. -, tout simplement parce que nous vivons dans ce Monde-ci, qui est le celui de l’action ( » ‘Olam haMa’assé  »)

Mais lorsqu’on y est plongé, on ne peut par définition étudier autant que si l’on était resté dans la Maison d’Etude[8], et cela manque cruellement à l’âme juive[9]

V – Cette sensation est d’autant plus aiguë que l’on ne peut que la ressentir très fortement :

Il existe en effet dans tous les cas un véritable fossé entre la Vérité révélée par la Torah et la réalité découlant de nos actes et de nos décisions, forcément décevante.

Car l’homme n’est pas parfait, et [10] ce qu’il conçoit ne peut correspondre exactement à ce qui devrait être selon ce que lui a inspiré la Parole de D.

VI – Si il en est ainsi, on peut comprendre ce que signifie  »apprécié de la majorité de ses frères », d’après le Talmud : quoiqu’ eu fait Mordéh’aï, certains l’auraient désavoué parce que dans le domaine de l’action, on ne peut pas plaire à tout le monde !

D’aucuns vont lui reprocher d’avoir fait ceci alors qu’il aurait fallu faire cela, d’avoir parlé comme cela alors que, selon eux, il est évident qu’il aurait mieux valu dire ceci, etc.

Car l’action, on l’a vu, est par nature imparfaite.

Elle ne peut correspondre réellement à la Vérité que la Torah, elle, véhicule[11].

VII – Une fois ceci établi, la question se retourne et se pose sur Mordéh’aï lui-même : si l’Etude est si importante, aurait-il dû s’abstenir et ne rien faire ?

Et, toutes proportions gardées, nous même, que devons-nous faire ?

VIII – Voici une question difficile s’il en est, mais il semble néanmoins que l’on peut proposer l’option suivante :

Mordéh’aï s’est lancé dans l’action parce qu’il était concerné, c’est à dire qu’il a senti que c’était à lui d’agir et de momentanément quitter le Beit haMidrach.

En effet, la Méguilat Esther et les Midrachims nous apprennent que Mordéh’aï était bien au centre des événements, sans le vouloir forcément mais parce que visiblement tel était le plan de la Providence.

L’analyse conjointe des deux textes (Esther III, 1-6 et Méguila 13b :  »[…] et Mordéh’aï dont Haman devint jaloux à mort… ») montre bien que le projet d’ extermination germa dans le cerveau fragile de Haman parce que Mordéh’aï refusa de se prosterner devant lui.

Puisque en agissant ainsi Mordéh’aï n’était nullement motivé par désir de se singulariser et de créer le buzz, mais bien parce qu’il pensait que c’est avec cette intransigeance que la Halah’a lui commandait de se comporter (Est-ce si certain ? C’est un sujet à part entière, cf. Méguila 19a), il comprit que c’est bien le Saint Béni Soit-Il qui l’a placé dans cette situation[12] et qu’il ne peut donc rester inactif car il a visiblement un rôle à jouer – le sien.

Comme si c’était paradoxalement la Torah elle-même qui en réalité nous guidait et nous indiquait ce qui convenait de faire à partir de sa partie pratique, qui est la Halah’a[13].

(La Guémara dans Méguila 12b-13a semble nous indiquer une autre démarche : Haman est un descendant de Esaü, d’Amalek et de Agag, dernier roi amalécite (Esther III, 1), tandis que Mordéh’aï est un descendant de Binyamin[14] et du roi Saül qui a négligé de tuer Agag comme le lui avait demandé le prophète Samuel[15] : Mordéh’aï aurait pu se sentir ainsi investi d’une mission…

Mais doit-on forcément le  percevoir ainsi comme un personnage qui s’invente un destin?)

Quant à ce qui nous concerne directement, peut être pouvons-nous imaginer que, de la même manière, il faut se fier à ce que nous ressentons devoir être fait, soit parce que c’est notre rôle dans la Communauté soit parce que..  personne d’autre ne le fait !

                                                                                                 POURIM SAMEAH’



[1]Par Sanhédrin, il faut entendre ici l’instance qui à l’époque gouvernait spirituellement le Peuple Juif, c’est à dire la Grande Assemblée, qui, entre autres éminentes réalisation, eurent la responsabilité de reconstruire le Deuxième Temple…

[2]Cf. Rachi et Maharcha pour les détails historiques de cette affirmation.

[3]Cf. Ezra II, 2 et Néh’émia VII, 7.

[4]Il est également probable qu’il a ainsi pu jouer un certain rôle dans le projet de reconstruction du Temple de Jérusalem.

[5]Cf. à ce sujet le commentaire du Maharal de Prague sur la Méguila (Or H’adach  X, 3)

[6]Sauf pour ce qui concerne la Halah’a ! On y reviendra…

[7]On peut cependant constater que certains des plus grands Maîtres de la génération peuvent, de par ce statut même, avoir une certaine influence, en tous cas sur les membres de leur obédience.

[8]Cf. une lettre récemment publiée de Maïmonide à son traducteur qui voulait lui rendre visite : il l’en dissuade gentiment en lui faisant part d’un emploi du temps saturé…

[9]Remarquons que, להבדיל בין אלף אלפי הבדלותchez les non-juifs on peut observer un phénomène semblable, d’être partagés entre le besoin d’absolu et de contemplation que représente leur art, et le désir de peser sur les événements à travers l’action politique, de Cicéron à Chateaubriand, en passant par Lamartine et Victor Hugo, jusqu’à Nicolas Sarkozy (pour ce dernier je plaisante, bien entendu)

[10]Sauf exception, chez les plus grands Tsaddikims à la recherche de l’acte parfait qui pourra marquer durablement le monde. (Cf. Kétouvot 5b – ils peuvent parfaire l ‘oeuvre de la Création – et Rambam sur Makkot 23b.

[11]On s’étonnera en remarquant que à première vue au contraire dans l’étude de la Torah qu’il y’ a le plus de désaccords, avec la fameuse mah’loket (contreverse) C’est exact, bien sûr, comment ne pas le constater ? Mais cela est moins imputable à la Torah elle-même qu’aux  »failles » de sa transmission (cf. Témoura 15b, ce qui s’est passé à la mort de Moïse) ce qui est le fait des hommes et donc de leur  naturelle  imperfectibilité

[12]D’autant plus que c’est sa propre nièce qui a été choisie comme nouvelle reine, qu’il a été par hasard (?) mêlé au complot de Bigtan et Térech qui projetaient d’assassiner le roi, sans le vouloir le moins du monde mais parce qu’il se trouvait en tant que membre du Sanhédrin être un parfait polyglotte (Méguila 12b), etc….

[13]Surtout depuis que la prophétie a disparue et que notre seul guide est la Torah… Or il se trouve que ce moment charnière est justement celui de Pourim (Cf. Rabbi Tsaddok haCohen, Réssisseï Laïla §56)

[14]Le seul de tous les fils de Ya’akov à ne pas s’être prosterné devant Esaü (Midrach Esther Rabba sur III, 2)…

[15]Cf. I Samuel ch. XV.

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