Notre paracha s’achève par ce verset : « et le chef des échansons ne se souvint pas de Joseph, et il l’oublia. <doc293|left>
Notre paracha s’achève par ce verset : « et le chef des échansons ne se souvint pas de Joseph, et il l’oublia. » (Berechit, chapitre 40, verset 23).
Rachi commente ainsi : « il ne s’en souvint pas » le jour même, « et il l’oublia » par la suite [[Rachi explique l’apparente redondance entre « il ne se souvint pas » et « il l’oublia ».]]. C’est parce que Joseph avait placé son espoir en lui (le chef des échansons) qu’il a dû rester enfermé encore deux ans.
Rappelons brièvement les faits : Joseph a été vendu par ses frères en Egypte, et se retrouve gouvernant dans la maison d’un notable, Putiphar. A la suite de la dénonciation calomnieuse de la femme de Putiphar, Joseph est enfermé en prison depuis dix ans. Il est mis au service du chef des échansons et du chef des panetiers du Pharaon, qui sont également incarcérés. Une nuit, ces derniers font un rêve, Joseph va leur en donner l’interprétation. Il annonce au chef des échansons qu’il va être libéré dans trois jours, tandis que le chef des panetiers va être exécuté. Et Joseph demande au chef des échansons de se souvenir de lui une fois qu’il sera sorti de prison, et d’entreprendre des démarches pour le faire libérer à son tour [[En reconnaissance du fait que Joseph a bien interprété son rêve et lui a annoncé sa libération prochaine.]].
Rachi nous apprend que Joseph a commis ce faisant une faute. Il n’aurait pas dû faire appel au chef des échansons et placer tout son espoir dans la Providence divine, c’est pourquoi sa détention a été allongée de deux ans.
Mais pourtant, il est bien connu que l’homme se doit d’utiliser les voies naturelles que D. met à sa disposition (hichtadlout) sans que cela n’ébranle, en quoi que ce soi, sa foi et sa confiance en D. [[N.B. : la notion de hichtadlout ne signifie pas que l’homme et D. se partagent le travail, l’homme faisant le premier effort, et D. se chargeant du reste. Il est bien clair que du début à la fin, tout dépend de Hakadoch Baroukh Hou. Mais l’homme doit faire comme si c’est son action qui produisait des fruits, tout en sachant qu’en réalité, la Providence divine conduit sa vie jusque dans les moindres détails.]] Dès lors, quel reproche peut-on faire à Joseph ? Il fallait bien qu’il saisisse cette occasion de sortir de prison !
Reprenons les termes dans lesquels le maître échanson rapporte son rêve à Joseph :
« Dans mon rêve, et voici une vigne devant moi, et dans la vigne trois branches, elle était en fleur, ses bourgeons se développaient, ses grappes produisaient des raisins mûrs. Et la coupe de Pharaon était dans la main. J’ai pris des raisins, je les ai pressés dans la coupe de Pharaon, et je lui ai donné la coupe dans sa main. »
Comme on le sait, Joseph lui annonce alors que les trois grappes symbolisent trois jours, et que dans trois jours il sera rétabli dans ses fonctions.
Le Midrach Rabba enseigne (chapitre 88) :
– « et voici une vigne devant moi » : ceci désigne Israël, comme il est dit (Psaumes, 80, 9) : « Tu as fait partir d’Egypte trois vignes »,
– « et dans la vigne trois branches » : ceci désigne Moché, Aharon et Myriam,
– « elle était en fleur » : alors que fleurissait la délivrance d’Israël,
– « ses bourgeons se développaient, ses grappes produisaient des raisins mûrs » : dès que la vigne fleurit, immédiatement elle bourgeonne – dès que les raisins apparaissent, ils sont déjà à maturité.
Il y a donc une deuxième lecture du rêve du maître échanson, qui n’est révélée qu’à Joseph. Ce rêve préfigure la délivrance à venir de Joseph puis de tout Israël.
On peut s’émerveiller de ce qu’un jeune homme, victime de tant de vicissitudes, soit capable du fond de sa geôle de décrypter ce message de délivrance. Qui plus est, d’accepter d’incarner, à travers ses difficultés personnelles, le destin de tout Israël. Quel magnifique témoignage de confiance en D. ! Mais alors, quoi de plus cohérent que de demander au maître échanson, ce messager involontaire de D., de se souvenir de lui et de le faire sortir ?
Un texte dans la Guemara Sanhedrin 97a peut nous permettre de mieux comprendre le sujet.
A propos du verset suivant (Devarim, chapitre 32) : « quand D. prendra parti pour son peuple et qu’Il se ravisera en faveur de ses serviteurs, quand Il verra que la main est sans forces et qu’il n’y a plus d’espoir de trouver un appui ou des ressources », la Beraïta enseigne : le fils de David ne viendra pas avant que ne se multiplient les dénonciateurs [[On se rappelle que dénoncer autrui est une faute cardinale.]]. Autre explication : jusqu’à ce moment où diminueront les étudiants (de Torah). Autre explication : jusqu’à ce moment où il n’y aura plus un sou en poche [[C’est-à-dire une période d’extrême pauvreté. A moins qu’il ne s’agisse d’une allusion aux nouveaux moyens de paiement, qui font que l’on n’a littéralement plus de monnaie dans la poche ?]]. Autre explication : jusqu’à ce moment où ils désespéreront de la délivrance. (…) Comme ce qui se passait avec Rabbi Zeïra. Lorsqu’il trouvait des Sages qui étudiaient ce sujet (Rachi : ils essayaient de calculer la date de la venue du Messie), il leur disait : s’il vous plaît, ne l’éloignez pas ! Comme il est enseigné dans la Beraïta : trois choses arrivent de manière inattendue, le Messie, une trouvaille et un scorpion.
Pourtant, la Guemara Chabbat 31a nous enseigne que lorsque l’homme se présente au Jugement divin, six questions lui sont posées, l’une d’entre elles est : « as-tu espéré la délivrance ? » Et cette attente fait bien partie des treize articles de foi énoncés par Maïmonide.
Pour résoudre ce paradoxe, prenons le chapitre 32 du Netsa’h Israël, l’ouvrage du Maharal de Prague qui traite de l’exil et de la délivrance. Le Maharal enseigne : « la venue du Messie consacre une nouvelle réalité qui entraîne la disparition de celle qui la précède. »
Il nous semble possible d’expliquer ainsi : les temps messianiques ne sont pas la suite logique des temps qui les précèdent, à la manière dont une période de l’histoire suit l’autre. Car s’il en était ainsi, ce serait une époque du même ordre que les précédentes, elle ne pourrait être essentiellement, radicalement différente. Ce ne serait pas une ère nouvelle.
Il nous faut attendre le Messie, mais cela passe par une conscience accrue de l’absence apparente de la Providence divine. Par une sensation que le sol se dérobe sous nos pieds. En cela, la confiance (bita’hon) que nous devons témoigner à D. diffère selon l’espoir que nous vivons. En ce qui concerne ce monde-ci, cette confiance n’exclut pas de recourir à des moyens naturels. Mais par rapport au monde à venir, le bita’hon réside dans une lucidité, une compréhension intime que notre réalité est mensonge et donc qu’elle ne peut être le vecteur de l’avènement du Règne divin. Notre travail consiste à rétablir la Présence divine en nous. Alors : « dès que la vigne fleurit, immédiatement elle bourgeonne. »
Citons pour finir le Midrach Rabba à propos de notre verset de départ : « et le chef des échansons ne se souvint pas de Joseph. »
Toute la journée, dit le Midrach, le maître échanson avait échafaudé des plans pour se souvenir, et l’Ange venait les contrarier. Il faisait des nœuds à ses habits et l’ange les dénouait. D. disait : toi, oublie-le, Moi, Je ne l’oublierai pas.
Autre explication : le maître échanson t’a oublié, Moi, Je ne t’oublierai pas.
Qui attendait d’Avraham et Sarah, qui étaient vieux, qu’ils aient un fils ?
Qui attendait de Yaakov, qui a traversé le Jourdain muni de son seul bâton, qu’il réussirait et s’enrichirait ?
Qui attendait de Joseph, qui a connu tant de malheurs, qu’il devienne roi ?
Qui attendait de Moché, enfant jeté au Nil, qu’il devienne ce qu’il fut ? (…)
Qui attend de la Soukka de David qui tombe que D. la relève, comme il est dit (Amos, 9, 11) : « et ce jour-là, Je relèverai la Soukka de David » ?
Qui attend de l’humanité qu’elle soit unie dans la vraie foi, comme il est dit (Tsefania, 3, 9) : « alors Je ferai en sorte que tous les peuples ne parlent que d’une seule voix pour proclamer le Nom de D. et Le servir à l’unisson » ?
Le Midrach reste sur ces interrogations.
L’homme ne peut voir le kets, la fin, c’est-à-dire l’aboutissement de l’histoire. C’est D. qui attend le kets dont il a Lui-même fixé le terme.
Joseph a cru que pour obtenir la délivrance, il fallait utiliser tous les moyens possibles. Mais D. lui en tient rigueur et prolonge son emprisonnement : sa délivrance, qui est liée à la délivrance d’Israël, échappe aux mécanismes humains. Elle se situe au-delà du cadre où l’homme peut et doit exercer ses efforts de manière naturelle.
Comme le dit le Maharal, la guéoula débouche sur une « nouvelle réalité ». Nouvelle, c’est-à-dire sans aucune continuité avec ce qui précède. Nous devons espérer la délivrance chaque jour, mais notre hichtadlout n’a aucune prise sur elle.
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