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Parachat Terouma : Ils prendront pour moi

par: Emmanuel Bonamy

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Avant d’entrer dans les multiples détails de la construction du michkan, le tabernacle dont le plan est donné au Sinaï à Moché et où, dans le désert, devait résider la présence divine et avoir lieu son culte, ordre est donné d’organiser la contribution du peuple à son édification.

Avant d’entrer dans les multiples détails de la construction du michkan, le tabernacle dont le plan est donné au Sinaï à Moché et où, dans le désert, devait résider la présence divine et avoir lieu son culte, ordre est donné d’organiser la contribution du peuple à son édification.

Chemot 25, 2 : « Parle aux enfants d’Israël, et ils prendront pour moi un prélèvement ; de tout homme que son cœur rendra généreux, vous prendrez mon prélèvement. »

A première vue, il s’agirait ici d’un don volontaire : tout homme le désirant pourrait contribuer à la mise en place du culte divin en offrant à titre gratuit une part de ses biens. Un présent au divin, en quelque sorte. Rachi semble aller en ce sens lorsqu’il explique l’expression « que son cœur rendra généreux » comme « venant du mot nedava, don volontaire, qui implique l’idée de bonne volonté. En français : présent. »

Pourtant l’idée qu’il s’agirait d’un don désintéressé pose problème. Tout d’abord l’idée d’un cadeau à D. est immédiatement frappée de contradiction : n’est-il pas celui à qui la terre entière appartient ?[[Cf. Gour Arieh sur place.]] Quel sens pourrait avoir l’idée d’offrir quelque chose à D., si ce n’est le fantasme de la toute-puissance, celui de disposer des choses de ce monde et de réduire le divin au rang de récipiendaire ? Il est ainsi nécessaire de comprendre « li, pour moi » comme « lichemi, en mon nom », en suivant Rachi. Non pas la toute-puissance du don mais la reconnaissance, par le don, de la toute-puissance.

Cependant, s’il s’agissait d’un pur don, « au nom de D. », pourquoi le verset écrit-il « ils prendront » et non « ils donneront » ? [[La question est celle du Tseror Hamor.]] Quelle est cette modalité du don, inaugurée ici, consistant à ne pas avoir d’adresse, pour ne pas entrer dans un rapport utilitaire à D., et s’effectuant par une « prise » ? Et que s’agit-il de prendre ?

Ramban au verset 25, 10 « Et ils feront une arche… » constate que le pluriel est ici utilisé, alors qu’ailleurs les ordres portant sur la fabrication des ustensiles sont au singulier. Sur la base du midrash[[Chemot Rabba 34, 2.]], il explique qu’il devait être indiqué que tout Israël était investi dans la fabrication de l’arche. « Et l’investissement était qu’ils offrirent chacun un ustensile en or pour l’arche, ou qu’ils aidèrent Betsalel,… » La prise du don serait donc la participation de chacun, le fait de prendre part en propre à l’édification du michkan.

Ainsi, deux hypothèses de ce qu’aurait pu être, à première vue, l’offrande pour le michkan peuvent être écartées. La première est l’offrande intéressée, typique de l’idolâtrie. Elle consiste à se concilier les dieux par des cadeaux, tout en les maintenant à distance de peur de perdre son individualité dans les forces supérieures. C’est un troc purement intéressé qui vise à établir la puissance de sa propre individualité. La seconde, radicalement opposée, est celle du don pur et désintéressé. Elle est sacrificielle, acceptant et même souhaitant la dissolution de l’individualité dans l’absolu du don. Ces deux acceptions du don sont renvoyées dos-à-dos comme le revers d’une même médaille par « veyikrou li, ils pendront pour moi », qui conjoint la prise, c’est-à-dire l’investissement subjectif, et le positionnement face à la toute-puissance, « en mon nom ».

Juste avant l’imposante description de l’édification du michkan, que suivra celle de la codification des modalités du service, au moment de l’établissement du culte à un niveau national, là où la subjectivité semble avoir peu de place, ces quelques versets établissent une modalité de la avodat hachem, du service divin centrée sur l’investissement désintéressé, lichma, mais de part en part subjectif.

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Emmanuel Bonamy est professeur de philosophie au lycée Georges Leven à Paris. Titulaire d’un Master de philosophie (Paris 1) et d’anthropologie des religions (EHESS/EPHE), il a étudié au Centre d’Études et de Réflexion Juives de Villeurbanne et à la Yechiva des Étudiants de Paris. Il a enseigné et enseigne le talmud dans plusieurs programmes d’étude (Pilpoul, Havrouta, SNEJ, ACT, etc.)

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