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Parachat Massé, l’exil existe-t-il ?

par: Rav Gerard Zyzek

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Parachat Massé, l’exil existe-t-il ?

L’exil est un thème central de notre tradition, toutefois son contenu manque de clarté. Parachat Massé, l’exil existe-t-il ?

L’exil est un thème central de notre tradition, toutefois son contenu manque de clarté. Prenons plusieurs exemples des difficultés que ce thème soulève.
Depuis le dix-sept Tamouz a commencé une période de deuil sur la destruction du Temple, ce deuil aussi n’est pas clair : c’est lorsque la plupart des gens commencent à être à l’aise, qu’il fait beau, que c’est le moment un peu de se laisser aller, de se promener en maillot de bain, que commence pour nous une période de deuil ! Sur quoi s’endeuiller ? Sur l’antisémitisme ? Et si je n’ai pas vraiment vécu de haine anti-juive, serait-ce signe qu’il n’y aurait plus matière à s’endeuiller? Or il est bien clair que nos Maîtres affirment que nous sommes en exil ! En quoi consiste cet exil ? Où y a-t-il exil au cœur de la période de vacances, vacances ô combien chères aux Parisiens ?
Et puis, d’aucuns diront que l’exil n’existe que pour ceux qui habitent hors d’Israël, et que si tu fais ta Alya tu ne seras plus en exil.

La Parachat Massé nous éveille à ces questions comme nous allons l’étudier à partir des versets.

Deux passages de la Paracha qui apparemment n’ont aucun rapport se trouvent s’éclairer l’un l’autre. La Paracha débute par les étapes des pérégrinations des enfants d’Israël depuis leur sortie d’Egypte jusqu’à leur station dans les plaines de Moav de l’autre côté du Jourdain, face à Jéricho. Ces étapes sont au nombre de quarante-deux (Rachi sur le premier verset).
Nous retrouvons ce chiffre de quarante-deux dans un autre passage de la Paracha. Une fois que la Torah a énuméré toutes les stations des enfants d’Israël dans le désert, HaKadoch Baroukh Hou donne les limites de la terre d’Israël et nomme les personnes qui seront responsables du futur partage de la terre. Les enfants d’Israël devront donner, à partir du territoire qu’ils recevront, des villes pour les personnes de la tribu de Levi car les Leviim n’ont pas d’héritage au sein de la terre comme les autres tribus. La Torah enjoint donc les enfants d’Israël de donner des villes bien aménagées aux Leviim. Mais ces villes, outre le fait qu’elles sont finalement la seule propriété des Leviim dans la terre d’Israël, ont comme particularité de servir de lieu de refuge pour ceux qui ont fait des homicides involontaires.

La Torah nous présente deux statut d’homicide, le volontaire, Mezid, et l’involontaire, Chogueg. Celui qui a tué par erreur, par inadvertance, n’est pas condamné à mort. Mais les proches de la victime ont le droit, voire le devoir de venger la personne assassinée. La Torah prévoit que cet assassin non volontaire parte de chez lui et aille se protéger. Les villes des Leviim seront les villes de refuge pour l’assassin involontaire. La Torah (Devarim, ch. 35 ver. 6) ordonne de donner six villes spécifiques de refuge auxquelles s’ajouteront quarante-deux autres villes qui seront la propriété pleine des Leviim (voir traité Makot 13a, une des différences entre les six et les quarante-deux est que dans les six l’assassin involontaire ne paie pas de loyer aux Leviim, tandis que dans les quarante-deux l’assassin doit payer un loyer, ce qui exprime que ces quarante-deux villes sont plus spécifiquement la propriété des Leviim).

Nous retrouvons ce chiffre de quarante-deux (qui en fait est très chargé de sens) lorsque les Sages nous enseignent (traité Kidouchin 71a) que le ‘nom explicite’ de D. est un nom justement de quarante-deux lettres.

Quel est le lien entre les quarante-deux étapes des enfants d’Israël dans le désert et les quarante-deux villes des Leviim qui se trouvent être en terre d’Israël, des villes où l’assassin involontaire s’exile pour échapper à une certaine vendetta (voir Note 1) ?

Nous proposons la démarche suivante.

Notre Paracha opère une transition entre deux périodes extrêmement différentes de l’histoire du peuple d’Israël, la période des pérégrinations dans le désert et l’entrée dans la terre de Canaan. La Torah, lorsqu’elle nous présente la terre d’Israël nous exhorte à deux choses : donner des villes aux Leviim qui, contrairement aux autres tribus, n’ont pas à proprement parler de possession dans la terre, et deuxièmement organiser le pays en sorte que l’assassin involontaire puisse trouver refuge et ne soit pas à la merci des ‘libérateurs du sang (impuni)’.

En quoi est-ce tellement central de se préoccuper des homicides involontaires ?

Il nous semble que le fond de l’entrée dans la terre est mis en relief par l’assassin involontaire, à la limite plus que par l’assassin volontaire. L’assassin involontaire est la personne qui était trop prise par ce qu’elle avait à faire. Elle ne voulait pas tuer. Elle est prise par son quotidien, par ses préoccupations qui petit à petit prennent tout l’espace de ses pensées et ne se rend plus vraiment compte de ses responsabilités à l’égard d’autrui. L’assassin involontaire doit partir de chez lui, laisser derrière lui ses attaches, sa famille, son business dans lequel il était investi jusqu’au cou, et partir dans la ville des Leviim.

Pourquoi ?

Les Leviim sont ceux dont la vocation est d’étudier et d’enseigner la Torah au peuple d’Israël. D. ne leur donne pas une part spécifique dans la terre, sauf quelques villes aménagées sans plus. Ils ne s’investissent pas dans les cultures, ils sont nourris de ce que la Torah a prévu à leur égard, ce que l’on appelle les Maassérot.

La personne qui finalement s’est trouvée avoir tué par mégarde, par inattention, découvre en fréquentant les Leviim qu’il est possible de vivre sans avoir la tête prise du matin au soir dans les choses matérielles de la gestion du monde. Elle retrouve dans une certaine mesure son équilibre, son identité profonde.

Nous pouvons maintenant décrypter le lien profond entre les villes des Leviim et les étapes des enfants d’Israël dans le désert.
Ce sont les villes des Leviim qui confèrent une spécificité à la terre d’Israël : c’est une terre que D. nous donne mais dans laquelle on est encore un peu en exil. Dans laquelle on ne s’enfonce pas complètement (voir Note 2).
Nous trouvons une problématique similaire au début de la Paracha. Elle commence par nous exposer les stations des enfants d’Israël dans le désert.
Le premier verset nous dit : ‘voici les voyages des enfants d’Israël qui sortirent de la terre d’Egypte selon leurs armées par la main de Moché et d’Aaron’.

Tous les commentateurs demandent : mais on sait déjà que c’est par l’intermédiaire de Moché et d’Aaron que les enfants d’Israël sont sortis d’Egypte !
D’autre part, Rachi nous dit qu’il y a quarante-deux étapes mentionnées, les commentateurs demandent : mais si on compte, on n’en trouve que quarante et une !

Il nous semble qu’il faille répondre aux deux questions de la manière suivante :
Rachi veut nous dire qu’en vérité il faut compter le lieu dont ils sortent comme première étape.

Qu’est-ce que cela signifie ?

Les enfants d’Israël étaient en Egypte, ils étaient esclaves. Mais l’esclavage était comme une normalité, nos maitres disent qu’il n’y avait pas de policier pour empêcher les esclaves de s’enfuir d’Egypte car aucun esclave n’avait l’idée de s’enfuir. Il ne sentait presque pas qu’il était esclave. Comme nous qui ne ressentons pas que nous sommes en exil. Ce sont Moché et Aaron, par l’intensité de leur vécu, par leur humilité très caractéristique, qui les ont faits sortir d’Egypte, c’est-à-dire qui leur ont fait ressentir que l’Egypte même est un voyage, une étape, un passage et non un absolu et une fatalité.

Note 1.

De deux choses l’une, si l’assassin involontaire n’est pas condamnable à mort, alors pourquoi la capacité est donnée par la Torah aux proches de la victime de le venger ? Le Maharal de Prague explique dans le septième chapitre du Nétsa’h Israël qu’un sang versé réclame apaisement, exige, bout. Nous aimerions ajouter ici une remarque incidente : d’aucuns disent que l’homme est un animal comme un autre. Indépendamment du déséquilibre social qu’opère un crime, la Torah met ici en exergue la souffrance béante qu’opère un crime impuni. Cette sensation profonde d’exigence de vengeance et de rééquilibre nous semble être une haute perception de la spécificité de ce qu’est l’homme.

Note 2.

La Torah nous ordonne dans Devarim (19, 8) de rajouter des villes de refuge pour les assassins involontaires lorsqu’aux temps messianiques la terre d’Israël sera plus vaste. D’après la démarche que nous proposons, nous pouvons très bien le concevoir, car la définition de la terre d’Israël est d’être une terre où on peut y percevoir que l’on est en exil, dans une certaine mesure.

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

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