D’aprés le Pahad Yitshak de Rav Y. Hutner
Le livre de Shemot (l’Exode) s’ouvre sur l’énumération des fils d’Israël s’étant rendus en Egypte, puis, au verset 6, par la mention de leur décès :
« Joseph mourut, ainsi que tous ses frères et toute cette génération. »
Or, dans la parasha précédente, dans le dernier verset du sefer Bereshit (Genèse), le décès de Joseph a déjà été mentionné :
« Joseph mourut âgé de cent dix ans (…) »
Quel sens donner à cette redondance ?
Abordons le problème ainsi : si le décès des autres fils de Jacob n’est mentionné que dans le sefer Shemot, alors que celui de Joseph est mentionné dans sefer shemot et dans sefer Bereshit, nous pouvons déduire deux choses :
1. La dimension des shevatim (1) s’exprime particulièrement dans le sefer shemot, à l’exclusion du sefer Bereshit
2. La dimension de Joseph est double : une dimension de shevet, exprimée dans shemot, et une autre dimension, dont le lieu d’expression est sefer Bereshit. (2)
Voyons ce qui se joue dans chacun des deux premiers houmashim, au niveau le plus général. Le livre de Bereshit relate principalement la construction des fondements du peuple d’Israël, c’est à dire l’héritage des avot (patriarches) Abraham, Isaac et Jacob. Si le décès de Joseph appartient au livre de Bereshit, c’est qu’il participe d’une façon ou d’une autre de cet édifice.
Le livre de Shemot, quant à lui, correspond au récit de l’épanouissement du peuple d’Israël, matérialisé par le don la Torah au Sinaï. C’est la fructification et la concrétisation de cet héritage des avot.
A la lumière ce cela, nous comprenons aisément que la notion de fils d’Israël, de shevet, soit mentionnée au début du sefer shemot. Les shevatim, c’est le début de la ramification, de la fructification. Bien sûr, en tant que fils de Jacob, Joseph possède cette dimension. Mais en quoi participe-t-il à l’édifice même de la nation ?
Nous ne développerons pas ici les dimensions spécifiques apportées par Abraham et Isaac. En revanche nous avons besoin de décrire à gros traits le travail de Jacob. Jacob est représenté par les dimensions de shlemout/temimout/émet (disons : intégrité). Abordons, comme le fait le texte biblique, par l’image. Jacob est blessé par l’ange d’Esaü, et la Torah choisit ce moment pour nous dire que Jacob s’en est allé « shalem », entier. Jacob ment, trompe, et il est pourtant qualifié de vrai, intègre. Il semblerait ainsi que les contingences ponctuelles ne portent pas atteinte à son être profond. On dirait, en termes modernes, qu’il est « stable ». Il apporte cette stabilité à l’édifice des avot, qui assure un potentiel de transmission. On passe alors à l’idée de Benei Israel. Ce point est exprimé dans la halakha : Israel, af al pi she ‘hata, Israel hou. Un juif qui transgresse la torah, n’en reste pas moins juif (Sanhedrin 44a). Ainsi toute la descendance de Yaakov, de façon constitutive, appartient à cet héritage (Yaakov, mitato shlema, la nichée de Jacob est intègre (Vayikra Raba 36,4))
On peut pourtant pointer un défaut dans cette dimension, dévoilé par la halakha suivante : si un juif cohabite avec une non-juive, leur enfant a le statut identitaire de sa mère (Kidoushin 66b).
Il existe donc une limite à l’engendrement de Jacob, prête à s’exprimer dès la seconde génération.
Intervient Joseph. Confronté à une tentation d’une difficulté extrême dans la maison de Putiphar où la femme de ce dernier le sollicite jour après jour, il reste droit. Il prouve par l’exemple que l’homme pourra toujours, y compris dans les situations les plus difficiles, faire le choix d’inscrire sa descendance dans la tradition des avot. En cela il annule le défaut qui nous semblait présent de façon constitutive dans la structure de la descendance de Jacob : si la descendance ne reste pas dans le peuple juif, c’est le fait d’un choix humain individuel.
Ainsi, le travail de Joseph vient parfaire le niveau de Jacob. En cela, il se rattache aux accomplissements des patriarches. Sa place appartient donc, à ce titre, au sefer Bereshit.
Ce rapport particulier le met au rang de celui qui engendre, ainsi ses propres enfants Ephraïm et Ménashé sont qualifiés de « shevet ». Ces éléments nous permettent de mieux aborder la bénédiction adressée par Jacob à son fils Joseph. Le terme « ben porat » se lit au sens simple : fils agréable, joli ; mais aussi : fils de la fructification.
« Joseph, fils prolixe, fils prolixe pour l’œil, chacune des filles s’est hissée pour contempler. »
Notes
(1) « Tribus ». C’est la dénomination générale des fils de Jacob.
(2) Le décès correspond au moment où on accède à une vision globale de l’œuvre d’une personne. Le fait de mentionner le décès dans un contexte donné n’est pas fortuit.
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