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KOL NIDREI

par: Rav Yehiel Klein
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1 – Le « Kol Nidreï que nous récitons le soir comme ouverture de la Fête de Yom Kippour, est une des prières les plus symboliques du Judaïsme.

 

Elle déplace les foules, fait s’émouvoir les cœurs, et tend à se confondre dans nos esprits avec la solennité du jour du Grand Pardon.

 

2 – Pourtant, quand on y réfléchit, elle est étonnante, et pour peu qu’on en sonde les mots, paraît sans grand rapport avec l’événement qu’elle inaugure.

Qu’y dit-on, en effet ?

La prière est composée de deux parties bien distinctes, d’inégales longueurs.

La première est une requête  concernant « l’autorisation de prier avec les fauteurs » que l’on adresse à D. et à la Cour Céleste.

La seconde, la plus longue, est le Kol Nidreï proprement dit. Nous y proclamons l’annulation collective de nos vœux, serments ou promesses que nous avons pu prononcer dans l’année qui vient de s’écouler ou que nous allons énoncer lors de l’année à venir…

On le voit bien, cela n’a a priori aucun rapport avec le jour de Yom Kippour, dont le reste de la liturgie est centré sur l’idée que « En ce jour, il vous sera pardonné afin de vous purifier ; vous serez purs de tous vos péchés devant l’Eternel » (Lévitique XVI, 30).

 

3 – C’est pour cela qu’une analyse plus poussée de cette prière s’avère nécessaire. Dans un premier temps pour la voir émerger, se construire et savoir ainsi quelle est sa fonction réelle, et dans un second temps, pour comprendre en quoi elle n’est ainsi pas hors de propos à Yom Kippour, bien au contraire.

 

4 – Commençons par la partie centrale, le Kol Nidreï lui-même.

Tout semble indiquer qu’elle date de l’époque des Geonims[1], et on la trouve déjà dans le Rituel de Prières de Rav ‘Amram Gaon[2].

Selon le plupart des commentateurs[3], la prière trouve sa raison d’être dans le Talmud (traité Nédarim 23b).

On y enseigne que « celui qui désire rendre caducs les vœux qu’il est appelé à prononcer lors de l’année à venir peut déclarer la veille de Roch haChana : « Que tous les vœux que je prononce à partir de maintenant soient considérés comme nuls et non-avenus » ».

La Tradition envisage donc une telle démarche, et nous tenterons dans la seconde  partie de voir à quels besoins, à quelle réalité cela correspond[4].

Car, auparavant, il convient tout simplement de découvrir si cela est licite…

En effet, le texte de Nédarim 23b ne concerne que les vœux à venir, et celui du Kol Nidreï nous semble plutôt viser les serments passés, et considérer que ce que dit la Guémara est valable pour les deux à la fois.

Eh bien, cela fut l’objet d’un débat entre les grands Décisionnaires, au début du Moyen Age : certains Geonims s’y opposaient, en arguant qu’une telle Moda’a , qu’une telle déclaration d’intention n’a aucune valeur parce qu’elle est trop vague[5]. Mais d’autres Maîtres ultérieurs[6] sont d’avis qu’on doit malgré tout réciter le Kol Nidreï, car la coutume à force de loi…

La Halah’a suit, on le constate, cette seconde opinion, mais le Choulh’an ‘Arouh’ – le Rema en l’ occurrence – lui-même stipule[7] que quelle que soit par ailleurs le valeur légale du Kol Nidreï, ce n’est  qu’ a minima, dans les cas où on a plus conscience des vœux prononcés, mais que cela ne rend absolument pas quitte d’annuler les serments dont on se souvient devant un quorum de trois personnes ou devant un rabbin compétent, comme le prévoit la loi appropriée…

C’est la raison pour laquelle un des grands Maîtres, le Tossafiste Rabbénou Tam (Nédarim 23b) a pris la décision – suivant en cela l’avis de son père – de changer la version originale et de ne rendre la prière effective que pour les vœux à venir, en adéquation avec la source talmudique, puisqu’au niveau légal, c’est une démarche bien plus défendable[8].

De toutes les manières, l’innovation de Rabbénou Tam et l’antique coutume se trouvent toutes deux respectées, puisque de nos jours, nous prononçons un mélange des deux versions : « […] Depuis le jour de Kippour passé à ce jour de Kippour, et depuis ce jour de Kippour jusqu’à celui de l’année prochaine »

 

5 – La seconde et plus succincte partie du Kol Nidreï, où nous demandons la « permission de prier avec les fauteurs », est plus tardive et semble avoir été instituée par un autre grand Maître du moyen Age, le Maharam de Rottenbourg (1215 – 1293), ainsi qu’en témoigne le Mordéh’i (Yoma § 625), décisionnaire capital de l’époque.

Selon lui, il s’agit de la levée générale d’un Interdit concernant ceux qui, selon des modalités diverses et variées, sont mis au ban de la Société (H’erem). En l’opérant au nom de toute la Communauté, cela a force de loi également, et ces gens peuvent s’associer à tous pour la prière de Yom Kippour.

La raison de cette levée d’Interdit[9], continue le Mordéh’i se trouve également dans le Talmud.

Dans le traité Kéritout 6b il nous est enseigné au nom de Rabbi Chim’on le Pieux que tout jour de jeûne où ne sont pas associés les pécheurs n’a pas vraiment de valeur (On l’apprend du fait que dans les encens apportés au Temple – Exode ch. XXX – on devait intégrer un élément qui sentait très mauvais).

On peut se demander au passage quel est le rapport entre les deux parties de la prière… Nous tenterons également de répondre à cela.

 

6 – Il est impossible de clore ce bref aperçu sans faire mention des polémiques dont elle fut l’objet. En effet le Kol Nidreï a souvent, au Moyen Age, servi d’argument à des attaques antisémites[10].

On reprochait ainsi aux Juifs[11] d’être des gens de peu de moralité, dont la parole ne vaut rien, puisqu’ils se réunissent une fois l’an et, d’un commun accord, annulent de concert tous leurs vœux et promesses, et parmi ceux-ci, évidemment, celles qu’ils ont faites aux bons Chrétiens[12].

Les Rabbins de l’époque se défendirent comme il le purent, et dans la mesure où on leur laissait la parole, en avançant entre autres arguments que les vœux dont il est question ici ne sont que ceux relatifs aux relationx de l’Homme avec son Créateur et non ceux avec son prochain, ou bien que cette prière concerne le vœu collectif visant à mettre au ban de la Synagogue les fauteurs que l’on veut justement réintégrer, etc…

 

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7 – A présent que voici cette prière mieux identifiée, il est temps de se pencher sur son sens et sa raison d’être comme inauguration symbolique du jour du Grand Pardon : pourquoi est-il ainsi nécessaire de se livrer ainsi à une annulation de nos vœux ?

 

8 – Il semble possible de présenter l’explication suivante :

Dans la Thorah (Lévitique ch. XVI), le jour de Yom Kippour apparaît comme consacré essentiellement au Service extra-ordinaire que le Grand prêtre doit effectuer dans le Temple : il offre de nombreux sacrifices, doit changer cinq fois de tenue, s’immerger presque autant de fois dans le Bain Rituel, et pénètre pour l’unique occasion de l’année dans le redoutable Saint des Saints[13]

Il est alors aisé de s’imaginer que, puisque l’objectif de cette solennité est l’obtention du pardon de tous nos péchés, que la plupart des sacrifices apportés par le grand Prêtre vont dans cette direction, et que le pontife offre pour toute la Communauté des sacrifices expiatoires ou délictifs, comme y est astreint l’individu pécheur.

Or ce n’est pas du tout ainsi que cela se passe !

La Michna, au début du traité Chévou’ot (2b) nous apprend en effet que : « sur […] les péchés légers et les fautes graves, ceux commis par inadvertance et ceux commis sciemment, sur les fautes dont on a conscience et ceux dont on est inconscient, qu’elles concernent un commandement positif ou qu’elles concernent un Commandement négatif, que ce péché soit passif de la peine capitale devant le tribunal des Hommes ou d’une peine de retranchement surnaturel, sur tout cela, c’est le Bouc Emissaire[14] qui en obtient l’expiation » le reste des nombreuses offrandes de cette journée (suivant des modalités qui dépasseraient le cadre de notre propos[15]) ont pour objectif unique de nous obtenir le pardon sur un seul et même genre de fautes : le fait d’entrer, consciemment ou non, en état d’impureté rituelle dans le Temple et / ou d’y avoir consommé dans ce même état des aliments consacrés[16]

Il est ainsi fort  étonnant que ce soit à ce genre de loi particulière que sont consacrés l’essentiel des offrandes du jour de Yom Kippour…

 

9 – La réponse à cette interrogation peut prendre la forme suivante :

Lorsque l’on s’est fixé un objectif, il faut mettre toute les chances de son côté pour y parvenir.

C’est de cela dont il s’agit dans le fonctionnement du Temple tel que nous l’avons décrit, avec la prégnance de cette notion de « pénétration en état d’impureté rituelle »

Le Temple est l’endroit où, non seulement à Yom Kippour mais aussi le reste de l’année, on obtient le pardon de nos fautes par le biais des sacrifices et des prières qui les accompagnent. Quelle peut bien alors être l’efficacité d’un tel lieu si, quel que soit le cérémonial s’y déroulant il se trouve par ailleurs rempli de péchés ?

On comprend aisément que cela pose un problème technique, et un problème éthique.

Problème technique car, bien qu’on puisse ne pas maîtriser exactement le mécanisme complexe allant des sacrifices à l’absolution, on peut comprendre qu’il y ait ici une impasse, une contradiction. C’est comparable à celui qui voudrait utiliser une machine pour purifier l’air, mais celle-ci serait remplie de miasmes et autres microbes qu’elle propagerait en même temps qu’elle est sensée nettoyer l’environnement. Ou bien ,pour utiliser une métaphore chère aux Maîtres du Moussar (au nom du Rav  E. Dessler), à quelqu’un qui se plaint d’avoir suivi à la lettre une recette de cuisine mais obtenu en retour un plat immonde, et à qui on fait remarquer qu’elle a oublié de laver les ustensiles auparavant…

Un problème éthique, car prétendre obtenir la rémission de nos péchés en étant par ailleurs entourés d’autres péchés dont on ne fait visiblement pas cas, est de nature à remettre en cause notre sincérité. Ce serait comme quelqu’un qui se tremperait dans le Mikvé, le bain rituel, mais qui tiendrait dans ses mains un reptile rendant impur, l’accompagnant dans son immersion[17]

Ce serait alors dans cette optique que la Thora prévoit à intervalles réguliers et rapprochés qu’une certaine partie des sacrifices sert précisément à assurer la propreté du Lieu pour que celui-ci soit le plus efficace possible.

 

10 – Il semble qu’il en soit de même pour notre actuelle liturgie de Yom Kippour, à travers le Kol Nidreï.

Nous aspirons à obtenir le pardon de nos fautes. Mais fait-on le maximum pour cela ?

A l’instar de ce que nous avons vu concernant le fonctionnement du Temple, nous devons nous assurer qu’il ne se trouve pas par ailleurs des éléments qui bloqueraient et hypothéqueraient nos chances d’être absous.

Les vœux risquent de jouer ce rôle néfaste : ce sont des interdits ou des obligations que nous nous rajoutons à nous même, selon une législation certes prévue par la Thorah (Nombres ch. XXX, etc…), mais que celle-ci entend bien nous voir respecter une fois l’engagement pris : « Tout homme qui prononcera un vœu […] ne devra pas profaner sa parole : il se conformera à tout ce qui est sorti de sa bouche » (Nombres XXX, 2)

Il convient alors de régler ce problème avant de s’adresser au Saint Béni Soit-Il de nous pardonner nos péchés.

Ce serait là le sens de Kol Nidreï.

 

11 – Cette interprétation permet de répondre à certaines des questions que nous avons abordées précédemment :

-Le texte serait à dessein le plus général possible (et on a vu les problèmes halah’iques que cela posait), car c’est là justement son unique raison d’être : annuler ce qui nous empêche de nous faire pardonner, c’est à dire essentiellement les vœux dont nous n’avons plus conscience[18]. A Kippour nous profitons ainsi de l’occasion pour effacer nos ardoises, et se donner la possibilité de repartir à zéro.

-On le récite le soir de Yom Kippour et non juste avant Roch haChana puisque selon nos dires, la démarche du Kol Nidreï est ainsi moins indispensable à la Téchouva, la Pénitence, qu’au pardon effectif des fautes que nous octroie le Seigneur.

-Le Kol Nidreï est précédé, selon la décision du Maharam de Rottenbourg, d’une demande de notre part de réintégrer les fauteurs, car là aussi il s’agit de mettre toutes les chances de notre côté en se conformant à l’injonction de la Guémara de Kéritout 6b que nous avons ramené plus haut.

-Enfin, concernant l’accusation antisémite dont fut l’objet cette prière, on peut tout simplement répondre que, bien au contraire, notre attitude témoigne d’un sens moral aigu, de scrupules qui sont à mettre au compte de ceux qui les éprouvent, même si ils risquent en s’exprimant de leur causer du tort. Car aller jusqu’à se réunir et demander à haute voix que ce que nous nous sommes promis à nous même (et donc dont personne n’est forcément au courant!) soit tenu par D. comme nul et non avenu – n’est pas là une manière de proclamer que nous refusons toute idée de compromis et d’hypocrisie[19] . Le Kol Nidreï serait alors une recherche d’authenticité, qui souhaiterait témoigner d’une Communauté qui refuse de se laisser enfermer dans de confortables convenances…



[1]Sages continuateurs du Talmud en Babylonie (600 – 1000). Ils précèdent le déplacement de la Diaspora en Europe, qui est le fait des Richonims.

[2]Mais selon une autre Tradition ramenée dans le Zohar (Michpatim 116b) et par le Ran (Nédarim 23 b), elle serait bien antérieure et daterait de l’époque des Sages de la Grande Assemblée (Vème siècle avant notre ère)…

[3]Cf. Ran et Chita Mékoubétset sur Nédarim 23b.

Mais cf. également le Roch (§5 sur Nédarim ch. III) et le Nimouké Yossef (Nédarim 23b) pour de toutes autres interprétations…

[4]De même que nous tenterons de comprendre pourquoi on récite cette prière le soir de Yom Kippour et non avant Roch haChana comme semble plutôt le préconiser la Guémara.

[5]De notre Guémara de Nédarim 23b elle-même il ressort que la démarche en question est loin de faire l’unanimité…

[6]Le Roch ibid.

[7]Choulh’an ‘Arouh’ Yoré Dé’a, ch. CCXI, 1.

[8]Rentrer dans les détails serait très technique, mais on peut dire en un mot qu’une telle « déclaration d’intention » concernant l’avenir est différent d’une ayant trait au passé, parce que le Talmud lui-même (Babba Bathra 39b -40a) envisage que quelqu’un puisse adopter une telle démarche si il sait que certaines personnes malhonnêtes ou mal intentionnées vont venir l’obliger à vendre son bien alors qu’il n’en a pas le désir. Les vœux peuvent d’une certaine manière être assimilés à ceci, car parfois, on les prononce sincèrement sur le moment mais sans penser aux conséquences (c’est là tout l’objet et l’enjeu de la Hatarat Nédarim, l’annulation légale des vœux…). On viserait ainsi à s’en préserver. Mais concernant les vœux déjà prononcés, la même « déclaration d’intention » serait moins efficace, voire pas du tout, car ce qui a été promis a été promis…

[9]L’idée selon laquelle sa raison d’être serait la volonté de réintégrer ceux de nos coreligionnaires qui se seraient faits Chrétiens après l’Expulsion des Juifs d’Espagne en 1492 serait ainsi sans fondements, puisqu’on voit qu’elle est bien antérieure !

[10]Comme quoi tous les moyens sont bons…

[11]Attesté dans certaines retranscriptions de la Disputation que dût souffrir rabbi Yéh’iel de Paris, un des plus grands Tossafistes, sous le règne du roi louis IX, dit Saint Louis.

[12]D’où, semble-t-il, l’apparition de l’infamant serment more judaico que seuls les Juifs devaient prêter si ils désiraient faire affaire avec des Chrétiens.

[13]Il en fut ainsi tout le temps où le Temple subsistait. Le Pardon de ce Jour ne dépendait alors que du Grand Prêtre. Ce n’est qu’à la suite de la Destruction du Temple que Yom Kippour prit la forme que nous lui connaissons, où on se retrouve toute la journée à la synagogue, etc… Néanmoins, il reste de cette époque une trace non négligeable, la récitation versifiée de ce Service – la ‘Avodah – lors de l’office de Moussaf.

[14]Cf. Lévitique XVI, 20-21. Remarquons qu’une offrande concernant tous les autres type de fautes est prévue à part pour le Grand Prêtre et toute sa Maison.

[15]Notons que dans ce cadre s’inscrit également le sacrifice correspondant à chaque néoménie…

[16]Cf. Nombres ch. XIX, Lévitique ch. VII, XXII.  Cela ne concerne pas uniquement les Prêtes ou les Lévites, car chacun d’entre nous pouvait être amené à pénétrer dans le Temple pour y accomplir quelconque obligation, ou se rendre quitte du don qu’il a promis…

[17]Cf. Ta’anit 16a.

[18]Peut-être a-t-on besoin ici de se replacer dans le contexte d’une société différente de la nôtre où les gens avaient l’habitude de se livrer à ce genre de choses – une société où la parole avait une autre valeur ?

[19]On peut considérer que cet état d’esprit est déjà un premier dans l’optique de notre relation, non pas à D., mais à notre prochain, dont Yom Kippour ne nous apporte le pardon quant aux fautes commises à son égard que si nous faisons l’effort d’aller auprès de lui s’excuser explicitement (Michna Yoma VIII, 9)… Le Kol Nidreï serait ainsi médian entre nos relations avec D. et celles avec nos semblables (« Beïn adam lé’atsmo »)

Voir l'auteur

  1. Michel Gaches

    Très instructif, je découvre cette prière grâce à la musique de Schönberg .