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Introduction aux dix jours de Teshouva : Du bien fondé d’adopter une conduite plus stricte pendant les Dix Jours de Pénitence. Par Rav Yehiel Klein.

par: Rav Yehiel Klein

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                Introduction aux dix jours de Teshouva : Du bien fondé d’adopter une conduite plus stricte pendant les Dix Jours de Pénitence. Par Rav Yehiel Klein.

 

1 – La période des Dix Jours de Pénitence, entre Roch haChana et Yom Kippour semble posséder un statut bien particulier, non seulement parce qu’elle est propice au repentir, mais aussi au niveau de notre comportement du quotidien.

En effet, la Halah’a (Choulh’an ‘Arouh’, Orah’ H’aïm, ch. CDIV), stipule que: « Même celui qui, le reste de l’année, ne s’abstient pas de consommer le pain des gentils, se doit d’y faire attention pendant les Dix Jours de Pénitence »

L’usage en vigueur est ainsi de ne pas se limiter au pain, mais d’adopter alors de manière générale un comportement plus strict que celui du reste de l’année.

2 – La question soulevée par cette Halah’a est évidente : quel peut bien être le sens d’un tel changement temporaire ?

Si cela ne correspond pas à ce que nous faisons d’habitude, n’y a-t-il pas là, à D. ne plaise, un risque d’hypocrisie, de faux semblant ?

3 – Le Tour[1]  (Orah’ H’aïm ch. 703) cite l’origine de cette loi.

Elle a pour source le Talmud de Jérusalem (Chabbat I,3), où nous lisons la chose suivante :

« Rabbi H’ia exigeait de Rav : si pendant toute l’année tu ne peux pas consommer ta nourriture en état de pureté rituelle (H’oulin ‘al Taharat haKoddech[2]), alors tant pis ; sinon, efforce toi de le faire au moins pendant sept jours dans l ‘année ».

Le Tour cite en plus les paroles du Avi ‘Ezri[3] que ces sept jours ne sont pas n’importe lesquels, mais correspondent aux sept jours ouvrables entre Roch haChana et Yom Kippour. C’est la raison pour laquelle on a pris l’habitude en Allemagne, continue-t-il, de faire attention à ne pas consommer le pain des non-juifs pendant cette période, même pour celui qui le reste du temps n’y fait pas attention.

4 – On constate que notre Halah’a comporte deux étapes : dans un premier temps, ce qu’à l’époque talmudique, un Maître requerrait d’un autre. Et, ultérieurement, ce que les Autorités médiévales en ont déduit comme conduite à adopter dans notre vie.

Comment rendre compte du passage de l’un à l’autre ?

5 – La notion de H’oulin ‘al Taharat haKoddech n’a pas de rapport avec les lois alimentaires.

Il s’agit de ne rien manger sans être en état de pureté rituelle, selon les rigoureux critères qui seuls permettaient aux Prêtres de consommer les aliments leur étant destinés (dîme, sacrifices, etc).

C’était là une attitude que tous ne respectaient pas – ne pouvaient pas respecter…

On peut considérer que c’est là l’expression et la réalisation d’un idéal. Surtout que le respect des lois de pureté incombait surtout aux Cohanim du fait de leur obligation de servir en état de pureté au sein du Temple. Le reste du peuple d’Israël n’en avait pas l’obligation si ce n’est lors des fêtes où tout Israël se retrouvait au Temple.

Celle concernant le pain cuit par des non-juifs, en revanche, relève d’un tout autre ressort.

Elle se présente sous la forme d’un réel interdit (Choulh’an ‘Arouh’, Yoré Dé’a, ch. CII), découlant des lois alimentaires, issu des décrets pris par les Sages pour éviter toute trop grande proximité avec les païens.

Ce décret est du même ordre que celui, bien plus connu, qui défend de consommer un vin non cachère. Il a cependant un statut bien particulier.

C’est en effet un des rares cas où l’interdit n’a ni forme ni force définitive, car les Sages ne purent ni ne voulurent l’imposer à tous. Et ce, soit parce qu’ils constatèrent que les Juifs ne pourraient s’y conformer tant c’est contraignant, soit parce que le pain est un aliment si vital qu’on ne peut légiférer si sévèrement à son sujet (tout cela est longuement traité par le Talmud dans ‘Avoda Zara 35b, et dans les références halah’iques susmentionnées)

On comprend alors que cette originalité – c’est une Halah’a sans l’être vraiment – puisse souffrir la comparaison avec H’oulin ‘al Taharat haKoddech, et que l’on puisse ainsi passer de l’un à l’autre.

6 – Il reste cependant un point important à éclaircir : quelle est la place des Dix Jours de Pénitence ici ? C’est à dire, en les introduisant dans sa requête, Rabbi H’ïa formule-t-il une exigence légale ou plutôt une exigence morale ?

La réponse à cette question semble se trouver dans la notion même des Dix Jours de Pénitence.

Ceux-ci trouvent leur source dans le traité Roch haChana 18a. Le Talmud interprète le verset d’Isaïe (LV, 6) : « Recherchez l’Eternel lorsqu’ Il est proche » comme signifiant qu’il est des périodes où, si l’on peut s’exprimer ainsi, D. est plus proche de nous qu’à d’autres[4].

Ce serait là le point de départ des deux démarches que nous avons rencontré :

D’une part, celle de Rabbi H’ïa, sur la consommation des aliments en état de pureté rituelle, relèverait à un désir d’exploiter la solennité de la période pour s’extraire temporairement des contingences de la vie quotidienne et de l’exil pour faire l’expérience au moins une fois par an d’une existence que l’on sait idéale.

D’autre part, celle des Maîtres médiévaux concernant le pain des non-juifs correspondrait plutôt à la nécessité de mettre à profit une période d’exception pour montrer que on est à même dans la pratique de se conformer à toutes les exigences de la Loi. Et ce malgré le fait que nous savons pertinemment que cela ne reflète pas notre comportement le reste du temps.

(Au sujet de cette dernière opinion, celle du Avi ‘Ezri, il importe de savoir que son application est l’objet d’une importante controverse chez les Ah’aronims (les décisionnaires modernes).

Quel est la légitimité d’un tel changement temporaire de conduite ? De deux choses l’une : si c’est la loi, c’est la loi tout le temps ; si ce n’est pas la loi, alors est on libre d’adapter sa conduite selon son humeur, selon la période du calendrier ?

Le Beït Yossef[5] se trouve ainsi opposé au Rav Chmouel, dont le Tachba »ts[6] (Responsae, CLXXX) se fait le porte-parole : est on libre d’adopter temporairement une disposition légale, dès lors que celle-ci offre la particularité de ne pas être de toute façon en usage et respectée par tout le monde ?

Pour le Tachbat »s, c’est inconcevable. Puisque à l’origine, il s’agit d’une loi (un Din, une Halah’a), s’y conformer ne serait-ce qu’une seule fois m’engagerait pour toute la vie, car ce serait considéré comme si j’avais fait vœu de la respecter[7], même implicitement, sans n’avoir rien prononcé. Il semble bien là s’opposer à l’extrapolation effectuée par le Avi Ezri (passer de  H’oulin ‘al Taharat haKoddech au pain cuit par des idolâtres), et si l’on veut s’inscrire dans la démarche de Rabbi H’ïa, il faut modifier son comportement pendant les Dix Jours de Pénitence uniquement sur des conduites qui ne sont pas des exigences légales : des coutumes (Minhaguims), des attitudes relevant d’une piété supplémentaire (Middat H’assidout ou ce qui est Lifnim mi Chourat haDin), etc.

Pour le Beït Yossef en revanche, il n’y a pas de problème, la licence entourant l’application de cette loi suffisant en elle-même à créer les conditions entraînant le fait que l’adopter ne peut pas être considéré comme un vœu me liant de manière permanente : je ne me suis jamais engagé à respecter cette Halah’a, puisqu’il n’est pas certain que c’en est une, tout du moins au niveau de son champ d’application…)

                                                              * * * * * * * * * * *

7 – Il convient à présent d’aborder la question suivante : quelle est la pertinence d’un tel comportement ? N’y a-t-il pas là, à D. ne plaise, un risque d’hypocrisie, de faux semblant ?

Trois explications principales se dégagent :

8 – La première est celle de Rav Itsh’ak Blazer[8], dans le Koh’avé Or, pour lequel ce comportement est obligatoire, quel que soit les problèmes qu’il pose par ailleurs.

On n’a pas le choix, en effet : dans cette période entre Roch haChana et Yom Kippour, D. nous juge…

Va t’on ainsi reprocher à un prévenu en attente de procès de se livrer à un excès de zèle ?

(Voisine de cette idée, nous avons celle du H’aïé Adam[9] (ch. 143), qui effectue le parallèle entre le fait que pendant les Dix Jours de Pénitence D. nous juge avec bienveillance, c’est à dire en allant au-delà de ce que requiert l’Attribut de Rigueur, et de ce fait cela implique qu’alors nous nous efforçons d’adopter le même genre d’attitude : se conduire avec un surcroît de piété (Middat H’assidout)[10])

9 – La deuxième est celle du Mih’tav méEliahou[11]qui décèle dans ce comportement temporaire une manière pratique de faire Téchouva (repentir), par le fait même de profiter de l’occasion pour amorcer un processus que l’on sait par ailleurs long et compliqué.

Le Talmud lui-même (Roch haChana 17b) considère que l’une des premières étapes de la Pénitence est le  »Chinouï Ma’assé », modifier ses actions.

Cela – précise le Rav Dessler – n’a rien d’hypocrite, mais au contraire se fonde sur une certaine vision de la Téchouva en cours dans la Tradition : l’idée selon laquelle  »l’extériorité réveille l’intériorité » (cf. Méssilat Yécharim, ch. VII)

10 – Une dernière explication voudrait que cette attitude particulière des Dix Jours de Pénitence corresponde à une sorte d’  »appartement témoin »[12], visant à prouver que l’on est capable de vivre comme un  »bon-juif », et ce même si ce n’est que pour un temps.

Mais, à la différence des deux précédentes, ceci peut être motivé moins par notre relation avec le Saint Béni Soit-Il (jugement et / ou Téchouva) que pour nous même.

L’objectif profond de cette démarche serait de se rattacher au moins une fois par an[13] à ce qu’est un Judaïsme authentique.

En effet, la période des Dix Jours de Pénitence peut être considérée comme le cœur de l’année juive (rappelons que Roch haChana est le jour de la Création de l’Homme[14]), et au-delà de la notion de jugement qui y a cours, cela peut être l’occasion de se poser alors la question de notre lien avec cet ensemble dont nous nous revendiquons.

Et si le reste du temps nous sommes les prisonniers de notre vie quotidienne, de l’Exil qui s’allonge et du temps qui, forcément, creuse chaque année encore plus le fossé qui nous sépare de nos ancêtres, on peut consacrer une dizaine de jours à se  »ressourcer ».

Ce serait là en réalité le sens de l’intervention de Rabbi H’ïa, et de tout ce qui en découle :

Consommer H’oulin ‘al Taharat haKoddech ne doit pas uniquement être perçu au niveau des exigences halah’iques, mais au niveau de ce que cela représente au niveau de tout un vécu, de ce que l’on peut percevoir comme la  »Civilisation Juive » : qu’y a-t-il de plus proche de la Tradition que ces personnes qui se montrent ainsi fidèles, avec méticulosité, à l’ensemble de ce que la Tradition attend de nous ?

On comprend que cela exerce une séduction particulière sur quiconque désire sincèrement éprouver ce qu’est le Judaïsme le plus authentique ?

Dans ce cadre, on comprend comment est-ce qu’avec le temps, on soit passé de  H’oulin ‘al Taharat haKoddech au pain cuit par les gentils : au-delà des diverses exigences de la Loi, il se trouve que cette obligation correspond de nos jours à ce qu’était la pureté rituelle pour l’époque talmudique…

Là aussi, on ne saurait être taxé d’hypocrisie en adoptant ce comportement : va-t-on en vouloir à un prince déchu de revêtir dès qu’il en a l’occasion ses habits royaux ?

                                                                         CHANA TOVA

 



[1]Selon Ro’ch, Roch haChana IV, §14

[2]Ce terme va être expliqué.

[3]Rabbi Eli’ezer ben Yoël halévi, un des plus importants décisionnaires parmi les Ba’alé haTossfot (Allemagne, 1140 -1220)

[4]C’est à l’évidence une idée qui interroge, mais on peut supposer que c’est lié au Jugement qui est en cours entre Roch haChana et Yom Kippour.

[5]Le Beït Yossef est la grande œuvre de Rabbi Yossef Karo (Tolède, 1488 – Safed, 1575), l ‘auteur du Choulh’an ‘Arouh’ – le Code de la Loi.

[6]Rabbi Chim’on ben Tsémah’ Duran (Espagne, 1361 – Alger, 1444)

[7]La Torah prévoit que par vœu (Néder) on puisse s’imposer toute sortes de choses (Nombres, ch. XXX)

[8]Un des principaux élèves de Rav Israël Salanter, et donc par conséquent un des Maître du Mouvement du Moussar (Vilna, 1837 – Jérusalem, 1907)

[9]Ouvrage central de la Halah’a des derniers siècles, de Rabbi Avraham Dantzinger (1748 -1820)

[10]Cf. Roch haChana 17a pour ce qui est de l’exposition de ce principe.

[11]Du Rav Eliahou Dessler (1892 – 1953)

[12]Expression qui m’a été ramenée au nom du Rav I. Yéchouroun de Marseille.

[13]Nombres d’obligations s’inscrivent dans un tel cycle.

[14]Cf. Roch haChana 9b.

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