1) Le véritable miracle de Hanouka
Dans le texte de « al hanissim », (la partie ajoutée pendant la fête de ‘Hanouka dans la prière rituelle journalière et dans les actions de grâces après le repas), la guerre des hasmonéens est décrite comme un combat entre les forces du bien et les forces du mal. Les hasmonéens apparaissent comme les justes, les purs et les pratiquants alors que l’empire grec ennemi est décrit comme l’empire mauvais des impurs et comme un royaume de mécréants. Dans ce texte, la victoire des hasmonéens est due à un miracle divin.
Ce texte semble contredire la version des historiens classiques.
Ces derniers considèrent tout d’abord que ce n’est pas « le mauvais empire grec » qui voulait empêcher les juifs de pratiquer la torah mais que ce sont surtout des juifs hellénisants qui voulaient assimiler la population juive à la civilisation grecque. Il s’agit donc avant tout d’une guerre civile entre juifs plutôt que d’une guerre contre un ennemi étranger venu de l’extérieur.
De plus, selon le livre des Maccabées, aucun des hasmonéens n’était vraiment pur dans ses intentions. En réalité les Maccabées se battaient entre eux pour le pouvoir. Le grand prêtre était celui qui représentait et qui gouvernait la population de la Palestine dans l’empire grec. C’est lui qui percevait les impôts et c’est lui qui était chargé d’en reverser une partie à l’empire grec, en gardant un pourcentage pour lui-même au passage. Les Grecs avaient l’habitude de soutenir le candidat qui leur offrait la meilleure compensation. La guerre éclata lorsqu’un candidat à la grande prêtrise fut éconduit au profit de son frère. Lorsque l’armée grecque vint soutenir le candidat choisi par l’empire, le frère se révolta et fit appel au soutien populaire contre l’armée en prétextant représenter le parti de la torah.
Le livre des Maccabées fait partie de la septante, c’est-à-dire qu’il faisait partie du canon juif jusqu’à l’époque de la Mishna. Pour autant, le texte « al hanissim » institué a la même époque ne semble pas du tout lui correspondre.
On constate, par ailleurs, que les hasmonéens ne semblent pas avoir été très fidèles aux préceptes de la torah. Selon les historiens, ils changeaient de parti en fonction de ce qui leur était favorable politiquement. Ils n’étaient donc pas si justes ni si purs que cela.
Enfin, historiquement, la Palestine ne semble pas avoir été libérée de l’emprise grecque par l’armée des makabim mais par l’armée romaine. Il y a bien eu une résistance juive contre les grecs qui a contribué à la victoire des romains, un peu comme la résistance française contre les allemands. Mais ce sont bien les américains qui ont libéré la France, et ce sont bien les romains qui ont libéré la Palestine.
Pendant toute la durée du royaume hasmonéen, il est clair que les rois hasmonéens ne se sont jamais réellement affranchis de la tutelle des grecs ou des romains.
En tant que juif orthodoxe croyant, on pourrait dire que les historiens se trompent et mentent et que nous devrions avoir la foi dans la version de l’histoire telle qu’elle nous est rapportée pas nos sages qui est certainement la version véridique.
Le premier problème avec cette idée est que le livre des Maccabées, qui raconte l’histoire des Maccabées comme une guerre civile résultant de la lutte pour le pouvoir entre les prêtres, n’a jamais été désavoué par les rabbins orthodoxes. Il a été retiré de la bible, mais il n’a pas été considéré comme un livre apostat.
Le deuxième problème, plus épineux, est que le Talmud lui-même, dans divers endroits, soutient tous les points que nous avons mentionnés.
Commençons par la supposée justice et droiture des hasmonéens.
Le Talmud dans Yoma 9a dit :
« À propos de la période du Second Temple, où les Grands Prêtres étaient fréquemment remplacés, la Guemara cite que Rabba bar bar Ḥana a dit que Rabbi Yoḥanan a dit : Quelle est la signification de ce qui est écrit : « La crainte de l’Éternel prolonge les jours, mais les années des méchants seront abrégées. » (Proverbes 10:27) ? La crainte de l’Éternel prolonge les jours : c’est une référence au Premier Temple, qui a duré quatre cent dix ans et dans lequel seulement dix-huit grands prêtres ont servi, comme il est écrit dans les listes de la généalogie des prêtres dans la Bible.
Mais les années des méchants seront raccourcies : c’est une référence au Second Temple, qui a duré quatre cent vingt ans et dans lequel plus de trois cents Grands Prêtres ont servi. Pour calculer la durée du mandat des Grands Prêtres, il faut déduire, du chiffre de quatre-cent-vingt ans, quarante ans que Shimon HaTzadik a servi et quatre-vingt ans que Yoḥanan le Grand Prêtre a servi, dix ans que Yishmael ben Pavi a servi et, certains disent, onze ans que Rabbi Elazar ben Ḥarsum a servi. Ces hommes étaient tous vertueux et ont eu le privilège de servir des mandats prolongés. Après avoir déduit ces cent-trente ou cent-quarante et un ans, sortez et calculez à partir de ce point et concluez : chacun des Grands Prêtres restants n’a pas terminé son année de service, car le nombre de Grands Prêtres restants est supérieur au nombre d’années restantes. »
Ce texte du Talmud semble indiquer de manière claire que les grands prêtres hasmonéens étaient des « réchaim » « des mauvais », puisque Matityahou et ses cinq fils ne font pas partie de la liste des prêtres du second temple qui ont survécu, ne serait-ce qu’une foi, à la visite dans le saint des saints.
Le Talmud semble donc contredire le texte de « al hanissim » sur ce point.
En ce qui concerne la victoire militaire des hasmonéens le Talmud dans le traité de Avodah Zarah 8a dit :
« La michna enseigne : Et Kratesis, et le jour de la fête de leurs rois. La Guemara demande : Qu’est-ce que la fête de Kratesis ? Rav Yehouda dit que Shmuel a dit : elle commémore le jour où Rome a pris le contrôle d’un empire. La Guemara demande : mais n’est-ce pas enseigné dans une baraita « Deux festivals sont la Kratesis et le jour où Rome a pris le contrôle d’un empire » ? Cela indique que la Kratesis et le jour où Rome a pris le contrôle d’un empire sont deux fêtes distinctes. Rav Yosef a dit : en deux occasions distinctes, Rome a pris le contrôle d’un empire. L’une s’est produite à l’époque de la reine Cléopâtre, lorsqu’ils ont conquis l’Égypte, et l’autre s’est produite bien avant, lorsque Rome a pris le contrôle à l’époque des Grecs.
La Guemara élabore : Lorsque le Rav Dimi est venu d’Eretz Yisrael, il a dit : Les Romains ont mené trente-deux batailles avec les Grecs mais n’ont pas pu les vaincre, jusqu’à ce qu’ils s’associent avec le peuple juif et finissent par vaincre les Grecs. Et c’est la condition qu’ils ont stipulée avec le peuple juif : si les rois viennent du milieu de nous, les gouverneurs [hiparkhei] viendront du milieu de vous ; et si les rois viennent du milieu de vous, les gouverneurs viendront du milieu de nous. Et les Romains ont envoyé le message suivant aux Grecs : jusqu’à présent, nous avons tenté de résoudre notre conflit par des combats , maintenant, réglons l’affaire par le biais du jugement. Dans le cas d’une perle et d’une pierre précieuse, laquelle d’entre elles doit servir de base à l’autre? Les Grecs les ont envoyées en réponse : la perle doit servir de base à la pierre précieuse, qui a une plus grande valeur. Les Romains se sont renseignés davantage : S’il y avait une pierre précieuse et un onyx [innakh], une pierre précieuse particulièrement précieuse, laquelle d’entre elles devrait servir de base à l’autre ? Les Grecs répondirent : la pierre précieuse doit servir de base à l’onyx. Une fois de plus, les Romains ont posé la question : dans le cas d’un onyx et d’un rouleau de la Torah, lequel d’entre eux doit servir de base à l’autre ? Les Grecs ont répondu : l’onyx doit servir de base pour le rouleau de la Torah.
Les Romains leur ont envoyé cette réponse : si c’est le cas, alors vous devriez vous soumettre à nous, car nous avons le rouleau de la Torah avec nous, et le peuple juif est avec nous. Les Romains sont apparentés à la pierre précieuse, et ils sont alliés au peuple juif qui est apparenté à l’onyx, et ils possèdent le rouleau de la Torah. Les Romains ont donc forcé les Grecs à se rendre et ont pris leur domination sur le monde. Pendant vingt-six ans, les Romains sont restés fidèles au peuple juif. À partir de ce moment, ils l’ont soumis. »
Selon le Talmud, ce sont donc bien les romains qui ont battu les grecs et qui les ont soumis. Les juifs étaient soit un prétexte idéologique, soit un allié, mais un allié de seconde importance. En effet, 26 ans après avoir pris le pouvoir, les romains les ont asservis sans autre forme de procès.
Le Talmud, qui est un texte des plus prépondérants de la littérature rabbinique classique, semble donc, à nouveau, contredire le texte rituel de « al hanissim ».
Enfin, le Talmud dans sotah 49b reprend explicitement l’histoire des hasmonéens telle qu’elle est rapportée dans le livre des Maccabées. Il explique clairement que ce ne sont pas les grecs qui ont profané le temple, mais bien des juifs hellénisants qui étaient eux même de la lignée des hasmonéens.
« La mishna enseignait que pendant la guerre de Titus, les Sages ont décrété qu’une personne ne devait pas enseigner le grec à son fils. Les Sages ont enseigné que ce décret a été pris à la suite de l’incident suivant : Lorsque les rois de la monarchie hasmonéenne se sont assiégés mutuellement dans leur guerre civile, Hyrcanus était à l’extérieur de Jérusalem, l’assiégeant, et Aristobulus était à l’intérieur. Chaque jour, ils descendaient des dinars dans une boîte depuis l’intérieur de la ville, et ceux de l’extérieur leur envoyaient des animaux pour qu’ils apportent les offrandes quotidiennes dans le Temple. Un certain Ancien était là, à Jérusalem, qui connaissait la sagesse grecque. Il communiquait avec l’extérieur par le biais de la sagesse grecque, en utilisant des mots que seuls les experts en la matière pouvaient comprendre. Il leur a dit : Tant qu’ils seront engagés dans le service du Temple, ils ne seront pas livrés entre vos mains. En entendant cela, le lendemain, lorsqu’ils ont descendu des dinars dans une boîte, ils leur ont envoyé un cochon. Une fois le cochon arrivé à mi-chemin du mur, il inséra ses sabots dans le mur et Eretz Yisrael fit frissonner quatre cents parasangs. Quand les Sages ont vu cela, ils ont dit à l’époque : « Maudit est celui qui élève des porcs, et maudit est celui qui enseigne la sagesse grecque à son fils » . Et en ce qui concerne cette année de guerre civile, au cours de laquelle la terre a été détruite, nous avons appris (Menaḥot 64b) : Un incident s’est produit au cours duquel l’omer, la mesure d’orge apportée en offrande commune le seizième jour de Nisan, provenait de Gaggot Tzerifim, et les deux pains offerts à Shavuot venaient de la vallée d’Ein Sokher. »
Il apparaît donc que ce sont des juifs hellénisants qui ont aboli le service du temple et qui l’ont profané en y apportant des porcs. De plus, ces juifs étaient eux même de la dynastie hasmonéenne et ils se battaient à l’origine pour devenir grands prêtres.
À partir de ces observations, comment expliquer les sens de la commémoration de ‘Hanouka et surtout ses ajouts liturgiques afin qu’ils concordent avec les textes du Talmud
Pour répondre à cette question, il y a lieu de s’attarder sur une anomalie dans les lois de ‘Hanouka relevée par le Rav Yossef Karo l’auteur du Shulhan Arukh, dans son livre Beth Yossef.
En effet le Talmud (chabbat 21), rapporté par Maïmonide (Lois de Méguila et ‘Hanouka, chapitre 4, 10 ), dit la chose suivante:
« Une cour qui possède deux portes sur deux rues doit avoir deux lumières (une donnant sur chaque rue), pour éviter que les passants sur l’un des côtés ne disent : il n’a pas allumé la lumière de ‘Hanouka. »
Il apparaît clairement qu’en ce qui concerne ‘Hanouka, l’homme doit faire en sorte de préserver de tout soupçon. S’il a deux portes, il doit allumer aux deux portes pour bien montrer qu’il accomplit la mitsva d’allumer les bougies de ‘Hanouka.
Cependant, en ce qui concerne la prière journalière, le Talmud dit dans le traité de Bera’hot rapporté par Maïmonide (Lois de tefila et nessiat kapayim, Chapitre 6, 1) :
« Il est interdit de passer derrière une synagogue pendant la prière sans y entrer, sauf si l’on porte une charge ou si la synagogue avait deux entrées (sur deux rues) car, dans ce dernier cas, on peut supposer qu’il va entrer par la seconde entrée. »
S’il y a deux entrées, le juif n’est pas tenu de rentrer dans la synagogue, car il peut se reposer sur le fait que les gens pensent qu’il entrera par l’autre porte.
Les deux lois semblent se contredire, puisque concernant ‘Hanouka nous disons que l’homme est tenu d’allumer aux deux portes, alors qu’au sujet de la prière, l’homme est dispensé d’entrer dans la synagogue.
On peut considérer qu’à travers cette anomalie hala’hique, les sages veulent nous expliquer le sens profond de la fête de Hanouka et de la mitsva d’allumer les bougies.
En réalité, la mitsva d’allumer la ‘hanukia est un engagement politique qui montre que l’on adhère à un mouvement politique. En allumant la ‘hanukia, on crée une pression sociale sur notre voisin qui le contraint presque à allumer lui-même une ‘hanukiah. En effet, l’allumage de notre propre ‘hanukiah oblige le voisin à définir son camp en montrant lui aussi son engagement, sous peine de stigmatisation.
Historiquement, les hasmonéens ont utilisé la religion comme prétexte pour recevoir un soutien de la part du peuple. Lorsqu’ils n’avaient plus besoin de ce soutient, ils ont changé de camp et cherché celui des grecs.
La mitsva d’allumer la ‘hanukia a été instituée pour faire pression sur les hasmonéens afin de leur rappeler que le soutien populaire dont ils avaient bénéficié était dû à leur attachement et à l’attachement du peuple à la religion, ainsi qu’à leur promesse d’œuvrer au rétablissement du service du temple.
Par l’instauration de la fête de ‘Hanouka, les sages ont rappelé aux rois hasmonéens qu’ils devaient rester fidèles à leur promesse et à leur attachement à la religion juive s’ils voulaient garder le soutien du peuple et donc le pouvoir.
Pour accroitre encore leur pression sur le gouvernement, les sages ont institué une prière devant être récitée trois fois par jour pendant huit jours. Elle déclamait la justice des hasmonéens et leur attachement à la torah. Cette déclamation publique du texte de «al hanissim » avait pour effet de contraindre hasmonéens afin de les oblige à rester fidèles à l’image que les sages avaient donnée d’eux. La prière de « al hanissim » et l’allumage des bougies de ‘Hanouka avaient un rôle performatif.
En disant que les hasmonéens étaient des héros du judaïsme, on les forçait à rester fidèles à cette image. Comme disent les américains « if you cannot do it, fake it », ce qui veut dire « si tu ne peux pas le faire, au moins fait semblant ». La ‘hanukia avait pour but de créer une pression sociale qui établissait le judaïsme orthodoxe comme la norme de la société israélienne et le service du temple comme son centre de gravité.
Lorsque les sages ont institué cette mitsva, cet état de fait n’existait pas. C’est la mitsva de ‘Hanouka qui a créé ce nouvel état d’esprit. Et c’est cela le véritable miracle de ‘hanouka : le succès d’un endoctrinement idéologique par la pression de la masse populaire organisée par les rabbins autour du rituel de la fête.
La démocratie triomphe dans le judaïsme alors que celle des grecs s’effondre. La démocratie de ‘Hanouka est une démocratie basée sur l’engagement personnel venant du foyer. Alors que la démocratie des grecs est basée sur le débat idéologique et donne forcément le pouvoir au plus beau parleur.
La ‘hanukia est l’ancêtre du gilet jaune. Elle nous apprend, toutefois, qu’afficher nos opinions à notre fenêtre est plus efficace et moins dangereux que de manifester dans la rue et que, plutôt que d’antagoniser le pouvoir, mieux vaut le séduire si on veut le manipuler.
2) Le temple d’Hérode.
Le seul passage de la bible qui parle des hasmonéens se trouve dans la prophétie de Haggaï, chapitre 2.
« 1 Le septième mois, le vingt-et-unième jour du mois, la parole de Dieu arriva par l’organe du prophète Haggaï en ces termes : 2 « Adresse donc à Zorobabel, fils de Chaltiel, gouverneur de Judée, à Josué, fils de Jotsadak, le grand-prêtre, et au reste du peuple les paroles que voici : 3 « Est-II encore parmi vous quelqu’un qui ait vu ce temple dans sa splendeur primitive ? Et comment le considérez-vous à présent ? N’est-il pas vrai qu’il est comme rien à vos yeux ? 4 Toutefois, prends courage, Zorobabel, dit le Seigneur, prends courage, Josué, fils de Jotsadak, toi le grand-prêtre, prenez courage, vous les gens de ce pays, dit l’Eternel, et agissez [en conséquence], car je suis avec vous, dit l’Eternel-Cebaot. 5 Aux termes de l’alliance que j’ai contractée avec vous lors de votre sortie de l’Egypte, mon esprit réside au milieu de vous : ne craignez rien ! » 6 « Oui, ainsi parle l’Eternel-Cebaot, encore un court délai, et je mettrai en mouvement le ciel et la terre, la mer et le continent ; 7 je mettrai en mouvement tous les peuples, pour qu’affluent [ici] les biens les plus précieux de tous ces peuples, et ainsi je remplirai cette maison de splendeur, dit l’Eternel-Cebaot. 8 A moi appartient l’argent, à moi l’or, dit l’Eternel-Cebaot. 9 Plus grande sera la splendeur de ce second temple que celle du premier, dit l’Eternel-Cebaot, et en ce lieu je ferai régner la paix, dit l’Eternel-Cebaot. » »
La prophétie est axée principalement sur l’annonciation de l’embellissement et de l’agrandissement du temple. Les hasmonéens vont rendre au temple sa gloire passée, en le rendant encore plus magnifique que celui de Salomon. « Plus grande sera la splendeur de ce second temple que celle du premier, dit l’Eternel-Cebaot ». En effet, lorsque les juifs sont revenus en Israël pour construire le deuxième temple, ils avaient peu de moyens et le temple était assez rustique. Ils n’avaient même pas de quoi faire des murs en dur, les cloisons étaient des rideaux, etc..
Or, cet embellissement du temple qui devait faire trembler le ciel et la terre, comment est-il advenu ? Voilà ce que nous raconte le Talmud (Baba Batra 3b) :
« Hérode était un esclave dans la maison des Hasmonéens. Il a posé ses yeux sur une certaine jeune fille de la maison des Hasmonéens. Un jour, cet homme, Hérode, entendit une voix divine qui disait : Tout esclave qui se rebelle maintenant réussira . Il se leva et tua tous ses maîtres, mais épargna cette jeune fille. Quand cette dernière a vu qu’il voulait l’épouser, elle est montée sur le toit, a élevé la voix et a dit : Quiconque vient et dit : « Je viens de la maison des Hasmonéens », est un esclave, puisque seule cette fille, c’est-à-dire moi, est restée loin d’eux . Et cette fille est tombée du toit sur le sol et est morte.
On raconte qu’Hérode a conservé le corps de la jeune fille dans du miel pendant sept ans pour éviter qu’il ne se décompose. Il y a ceux qui disent qu’il s’est livré à la nécrophilie avec son cadavre et ceux qui disent qu’il ne s’est pas livré à la nécrophilie avec son cadavre. Selon ceux qui disent qu’il s’est livré à la nécrophilie avec son cadavre, la raison pour laquelle il a préservé son corps était de satisfaire ses désirs charnels. Et selon ceux qui disent qu’il n’a pas fait de nécrophilie avec son cadavre, la raison pour laquelle il a conservé son corps était pour que les gens disent qu’il avait épousé la fille d’un roi.
Hérode se dit : Qui expose le verset : « Tu établiras un roi parmi tes frères » (Deutéronome 17:15), ce qui signifie que celui qui est établi comme roi doit venir d’une famille juive et ne peut être un esclave émancipé ou un converti ? Ce sont les Sages qui exposent le verset de cette manière, en insistant sur le fait qu’un roi doit avoir des racines juives. Il s’est alors levé et a tué tous les Sages, mais a épargné Bava ben Buta afin de prendre conseil auprès lui.
Hérode a placé une guirlande en peau de porc-épic sur la tête de Bava ben Buta, ce qui lui a arraché les yeux. Un jour, Hérode est venu s’asseoir devant lui sans s’identifier afin de le tester. Il a dit : « Hérode : Vois, maître, ce que fait cet esclave maléfique qu’est Hérode. Bava ben Buta lui dit : Que dois-je lui faire ? Hérode lui dit : Le maître doit le maudire. Bava ben Buta lui dit : Mais c’est écrit : « Ne maudis pas le roi, pas même dans tes pensées » (Ecclésiaste 10:20). Hérode lui dit : Ce n’est pas un roi, puisqu’il règne illégalement. Bava ben Buta lui dit : Et même s’il n’était qu’un homme riche, je ne le maudirais pas, comme il est écrit : « Et ne maudis pas un riche dans ta chambre à coucher » (Ecclésiaste 10:20). Et même s’il n’était qu’un chef, je ne le maudirais pas, comme il est écrit : « Et ne maudis pas un riche dans ta chambre à coucher » (Ecclésiaste 10:20) : « Et tu ne maudiras pas un chef parmi ton peuple » (Exode 22:27).
Hérode lui a dit : Cette halakha a déclaré en ce qui concerne « un chef parmi ton peuple », c’est-à-dire un juif digne qui agit en tant que membre de ton peuple, c’est-à-dire conformément à la loi de la Torah, et celui-ci ne fait pas les actes de ton peuple. Bava ben Buta lui dit : Néanmoins, j’ai peur de lui. Hérode lui dit : Il n’y a personne qui ira le lui dire, puisque toi et moi sommes assis seuls ici. Bava ben Buta lui dit : Néanmoins, c’est écrit : « Car un oiseau du ciel portera le bruit, et celui qui a des ailes racontera la chose » (Ecclésiaste 10:20).
Lui dit Hérode : Je suis Hérode. Si j’avais su que les Sages étaient si prudents, je ne les aurais pas tués. Maintenant, quel est le remède de cet homme, c’est-à-dire, que puis-je faire pour me repentir de mes actions pécheresses ? lui dit Bava ben Buta : Celui qui a éteint la lumière du monde en tuant les Sages de la Torah, comme il est écrit : « Car la mitsva est une lampe, et la Torah est une lumière » (Proverbes 6:23), doit aller s’occuper de la lumière du monde, le Temple, comme il est écrit à propos du Temple : « Et toutes les nations y afflueront [venaharu] » (Esaïe 2:2), le mot venaharu faisant allusion à la lumière [nehora]. Il y a ceux qui disent que c’est ce qu’il lui a dit : Celui qui a aveuglé les yeux du monde, comme il est écrit en référence aux Sages : « Et si par ignorance il est commis par les yeux de l’assemblée » (Nombres 15:24), doit aller s’occuper de l’oeil du monde, du Temple, comme il est écrit : « Je profanerai mon Temple, l’orgueil de ta force, le délice de tes yeux » (Ezéchiel 24:21).
Hérode lui dit : J’ai peur du gouvernement romain, qu’il ne me permette pas de faire des changements dans le Temple. Bava ben Buta lui dit : Envoyez un messager qui y voyagera pendant un an, et y restera une année de plus, et prendra encore une année pour revenir. En attendant, vous pouvez démolir le Temple et le reconstruire. C’est ce qu’il fit. Finalement, ils ont envoyé un message à Hérode depuis Rome : Si vous ne l’avez pas encore démoli, ne le démolissez pas ; et si vous l’avez déjà démoli, ne le reconstruisez pas ; et si vous l’avez démoli et déjà reconstruit, vous serez comptés parmi ceux qui agissent mal, ne demandant conseil qu’après avoir déjà agi. Même si vous êtes armé et que vous commandez une force militaire, votre livre, c’est-à-dire votre dossier généalogique, est là. Vous n’êtes ni un roi [reikha] ni le fils d’un roi, mais plutôt Hérode, l’esclave qui s’est fait homme libre [kelonya].
Les Sages disent : Celui qui n’a pas vu le bâtiment d’Hérode n’a jamais vu un beau bâtiment de sa vie. La Guemara demande : Avec quoi l’a-t-il construit ? dit Rabba : Avec des pierres de marbre blanc et vert [umarmara]. Il y a ceux qui disent qu’il l’a construit avec des pierres de marbre bleu, blanc et vert. Des rangées alternées de pierres envoyaient un bord un peu plus loin et dessinaient un bord un peu plus près, afin de mieux recevoir et tenir le plâtre. Il envisagea de le recouvrir d’or, mais les rabbins lui dirent Laissez-le, et ne le couvrez pas, car il est plus beau ainsi, car il ressemble aux vagues de la mer. »
Le second temple prédit par la prophétie, plus grand et plus sublime que celui de Salomon, celui où devait régner la paix, a été construit par un esclave qui a exterminé toute la famille des hasmonéens et tous les sages du Sanhédrin et, qui plus est, se payait le luxe d’être nécrophile.
On voit bien encore, à travers cette histoire du Talmud, que le rabbin Baba ben Buta a manipulé un roi hasmonéen sauvage et immoral grâce au soutien du peuple. Il est parvenu à le transformer en un nouveau Salomon qui a reconstruit un temple magnifique, plus glorieux et plus saint que celui de ce dernier.
La période des hasmonéens est l’unique période où le peuple juif s’est développé et épanoui spirituellement et matériellement dans la terre d’Israël. C’est en fait dans cette période que le Talmud et la Kabala sont nés.
Pendant le reste de l’histoire juive, lorsque le peuple a profité d’une abondance matérielle, il est descendu spirituellement. Lorsque Salomon a atteint le sommet de sa gloire, le jour même où il a inauguré le temple, il s’est marié avec la fille de pharaon qui a organisé des services idolâtres à Jérusalem.
Les juifs, en règle générale, n’arrivent pas accommoder une abondance matérielle avec une ascèse spirituelle. Le seul moment de l’histoire ou la matérialité et la spiritualité du peuple se sont développés de manière concomitante, c’est la période des rois hasmonéens.
Il semble que la semi-corruption du pouvoir et de ceux qui doivent représenter le peuple entraine, de manière paradoxale, une élévation spirituelle du peuple et son succès matériel.
En réalité, le fait que le peuple ne se sente plus soutenu par un leader hors norme, comme Moïse ou Salomon mais qu’il se sache, au contraire, guidé et représenté par des hommes médiocres et faibles comme les hasmonéens ou Hérode, entraîne que le citoyen se responsabilise et qu’il décide de prendre sa propre destinée en main.
Le peuple réalise qu’il ne peut pas compter sur son gouvernement pour réguler ou organiser son économie, il décide donc de l’organiser lui-même. Le peuple sait que ce n’est pas le gouvernement qui va décider de construire le temple ou de créer un système éducatif, il décide donc de l’organiser lui-même.
C’est le sens profond de l’allumage des bougies de ‘Hanouka. C’est la lumière du foyer qui va permettre l’allumage des bougies du temple. C’est le succès de la responsabilité citoyenne de chacun envers sa propre famille et son propre peuple qui va garantir le succès d’Israël.
Chaque père ou mère de famille juive peut faire mieux spirituellement et matériellement que Moïse ou Salomon réunis.
On peut même généraliser cette idée dans le rapport au divin. Lorsque D. est parfait, alors il condamne l’homme à la faute. C’est ce que nous montre l’épisode du premier homme dans le jardin d’Eden ou celui des juifs dans le désert. À l’époque de Moïse, les juifs étaient quotidiennement protégés par des miracles dans le désert. Devant la perfection de D., les juifs et le premier homme n’ont pu que chercher à faire le mal.
L’homme a besoin de trouver sa place et un rôle dans le monde pour l’illuminer.
D. a besoin de créer l’obscurité en se cachant derrière la férocité des lois de la nature et la cruauté de la rationalité pour que l’être humain puisse décider de les dépasser en cherchant une justice et une ascèse spirituelle. Il fallait étendre l’obscurité de la rationalité grecque pour que s’allume la lumière de la famille juive.
3) Revendication identitaire, fascisme et religion.
La fête de Pourim s’oppose à celle de ‘Hanouka en ce qui concerne la relation à la revendication identitaire. A Pourim on porte un masque on se couvre le visage. Dans la Meguila, Esther ne dit jamais qu’elle est juive. Même les « chapeaux noirs » se déguisent en goy a Pourim.
A ‘Hanouka au contraire on affirme haut et fort son identité juive, on la montre à sa fenêtre comme un drapeau. On attribue même à cette revendication une valeur religieuse.
La fête de ‘Hanouka est liée à Yossef qui s’est toujours revendiqué comme juif lorsqu’il était en Egypte et qui, pour cette raison, a eu le mérite d’être enterré en Israël. Les hasmonéens aussi sont enterrés en Israël.
La fête de Pourim, en revanche, est liée à Moïse puisqu’il a toujours caché sa judéité et s’est toujours identifié comme étant un égyptien en gardant son nom égyptien. C’est pour cette raison que, selon le midrash, il n’a pas mérité d’être enterré dans la terre d’Israël. Esther et Mardochée ne l‘ont pas été non plus.
La fête de Pourim coïncide presque avec la naissance et la mort de Moshé alors que la fête ‘Hanouka tombe toujours dans les Parashiot qui nous racontent l’histoire de Yossef.
A première vue, la revendication identitaire est le contraire de l’acte religieux. C’est pour moi un acte plus grave, plus dangereux et plus impur que l’idolâtrie.
La revendication identitaire est en réalité la racine du fascisme et des totalitarismes. Vouloir s’identifier à une image de soi, image à laquelle on ne peut croire soit même que si elle est acceptée par les autres, est, selon moi, l’acceptation implicite de l’absurdité de la vie et une négation de soi en tant que personne. (La négation de soi en tant que personne entraîne, à plus ou moins long terme, la négation de l’autre en tant que personne).
Les philosophes post-modernes français, Foucault, Deleuze et Bourdieu qui cherchaient à articuler une pensée subversive, antifasciste, anti-pouvoir, ont, en fait sans le savoir, jeté les bases du néofascisme actuel en plaçant l’identité comme centre de gravité de leur philosophie.
On pourrait donc s’étonner que cette revendication identitaire soit célébrée et même sacralisée pendant la fête de ‘Hanouka. Comment le fait de revendiquer son appartenance à un courant politique ou religieux en allumant les bougies de ‘Hanouka, revendication qui a pour but presque avoué de manipuler le voisin pour l’obliger à nous copier et à s’identifier à ce même parti sous peine de marginalisation, peut-il constituer un acte sacré ? Comment se fait-il que cet acte ne soit pas l’action idolâtre par excellence ?
La réponse à cette question peut se comprendre lorsque l’on analyse l’opposition de la relation au temps et à l’histoire entre la fête de ‘Hanouka et de Pourim.
Dans la Meguila de Pourim, le récit suit presque l’ordre chronologique du déroulement des faits. L’histoire a un sens linéaire compréhensible.
En ce qui concerne ‘Hanouka, vous avez pu constater, si vous avez lu les chapitres précédents qui reproduisent une partie des textes ayant trait à l’histoire des hasmonéens, que le Talmud et la tradition nous donnent une version éclatée, incohérente de l’histoire. On ne sait pas si on se battait contre des grecs ou contre des juifs. On ne sait pas si les hasmonéens étaient des justes ou pas. On ne sait pas si le temple remplace les sages massacrés ou pas.
Lorsque l’on allume les bougies de Hanouka on ne mentionne pas le miracle de la victoire militaire mais lorsque l’on fait la prière journalière on ne mentionne pas le miracle de la lumière. Le Talmud et le Midrash ne racontent pas la même histoire.
À ‘Hanouka, on nous donne une version hallucinée de l’histoire, remplie d’anecdotes bizarres et peu crédibles. Une histoire de romains qui battent les grecs parce qu’ils ont un sefer torah. L’histoire d’un roi nécrophile qui construit un temple magnifique à la gloire de D..
On nous raconte l’histoire comme une expérience traumatique ou hallucinée.
A ‘Hanouka on nous raconte l’histoire telle qu’elle est vécue par la victime d’une agression. La victime d’une agression n’arrive pas à mettre de l’ordre ou du sens dans son expérience.
Ainsi les sages ont voulu nous raconter l’expérience grecque comme une expérience traumatique.
Le Talmud dit : “Le rabbin Assi a déclaré : Pourquoi Esther a-t-elle été comparée à l’aube ? C’est pour vous le dire : Tout comme l’aube est la conclusion de la nuit entière, Esther est la conclusion de tous les miracles accomplis pour l’ensemble du peuple juif.
La Guemara demande : Mais n’y a-t-il pas le miracle de Hanouka, qui a eu lieu bien des années plus tard ? La Guemara répond : Il est vrai que d’autres miracles ont été accomplis après le miracle de Pourim; cependant, c’est en ce qui concerne les miracles pour lesquels la permission a été accordée de les écrire, que nous disons que le miracle de Pourim a été le dernier. »
Nous savons que durant la période de ‘Hanouka toutes les filles vierges juive d’Israël ont été violées.
Le Talmud le dit (Ketuvot 3a), mais comment raconter ce viol ?
Esther peut raconter son viol dans la Meguila, par ce que c’est une expérience isolée que le lecteur peut accepter. Celui qui écoute la Meguila sait qu’en écoutant l’histoire d’Esther, il la guérit de son traumatisme. C’est pour cela qu’il aime l’écouter, c’est pour cela que l’on peut l’écrire.
Mais un viol général, massif, systématique, comment le raconter ? Le récit d’une vengeance militaire n’a malheureusement pas de vertu thérapeutique.
Les sages ont voulu raconter l’expérience de l’obscurité grecque par le silence, en cassant la rationalité qu’il y aurait pu avoir dans la narration linéaire.
L’identité juive se définit par une hallucination, par un rapport halluciné à soi, au monde et à l’histoire. C’est un trauma qui refuse de guérir. L’histoire d’Israël et l’histoire personnelle sont décrites à ‘Hanouka comme une fragmentation, un éclatement, un kaléidoscope baroque. Voilà l’identité que l’on revendique à ‘Hanouka ! Et c’est la seule revendication identitaire porteuse de sens qui ne soit pas un acte fasciste ou idolâtre.
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