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Eléments d’introduction à la prière à partir d’un texte du livre de Samuel

par: Rav Gerard Zyzek

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La prière est bien une énigme. Elle fait partie de la vie quotidienne du juif pratiquant et pieux, et pourtant nos Maîtres affirment (Traité Berakhot 6b) : ‘il y a des choses qui se tiennent dans les hauteurs du monde et que les gens ne font que négliger’

Rashi demande : ‘de quoi s’agit-il ? Il s’agit de la Prière, de la Tefila’. Comment peuvent-ils dire que la prière est une chose négligée alors que bien souvent elle est l’acte de dévotion par excellence du quotidien de la vie juive ?
Nous proposons de dire que la négligence pointée du doigt par nos Maîtres consiste en ce qu’on prend la prière justement comme quelque chose qui va de soi et qui ne nécessite aucun approfondissement. Peut-être que ce manque d’intérêt et de questionnement relatifs à la Tefila peuvent avoir deux causes : premièrement, il est possible que comme la prière par définition est une requête et touche au divin, si nous pouvons nous exprimer ainsi, nous avons peur de paraitre impies à nos propres yeux en posant des questions ou en insinuant ne serait-ce que par rapport à nous-mêmes qu’il puisse y en avoir.  Et d’autre part, nous nous imaginons qu’il est de toute façon inutile de nous poser des questions au sujet de la prière car sûrement elles resteront sans réponses. A quoi bon se torturer ! Prenons les choses comme des dogmes !

 

Au détour d’une étude en groupe de quelques versets du livre de Shemouel, de manière émouvante, des éléments fondamentaux relatifs à la Tefila, à la prière, se sont mis à jour. Nous allons tenter d’en rendre compte ici.

[Nous allons aborder quelques versets du livre de Samuel. Ce livre fait partie de ce que nous appelons dans notre tradition ‘les textes prophétiques’. Une difficulté nous accompagne de manière constante lors de l’étude de ces textes : comment articuler le trans-historique avec la dimension historique et factuelle. L’étude des commentaires fondés sur la tradition talmudique va nous sauver de ce déchirement.]

Shemouel I, chapitre 8, versets 19, 20 et 21.
וימאנו העם לשמוע בקול שמואל ויאמרו לא כי אם מלך יהיה עלינו.
‘Ils refusèrent d’écouter la voix de Shemouel et dirent : non ! Car c’est un roi qui sera au dessus de nous !’
והיינו גם אנחנו ככל הגויים ושפטנו מלכנו ויצא לפנינו ונלחם את מלחמותנו.
‘Et nous serons nous aussi comme les autres nations, notre roi nous rendra justice, il marchera à notre tête et conduira nos combats.’
וישמע שמואל את כל דברי העם וידברם באזני ה’.
‘Shemouel écouta toutes les paroles du peuple et les parla aux oreilles de D.ieu.’

I.

De quoi s’agit-il ? Les enfants d’Israël réclament au prophète Shemouel qu’il leur nomme un roi. Shemouel prend durement leur requête. Il n’est pas du propos de ce texte d’analyser le problème qui se posait à Shemouel et le pourquoi des remontrances terribles qu’il leur fit. Ce qui présentement nous interpelle est la formulation du dernier verset.

‘Shemouel écouta toutes les paroles du peuple’, le verset met en exergue ‘toutes les paroles’. Nous savons que Shemouel était radicalement réfractaire à leur requête, il a toutefois écouté toutes leurs paroles, c’est-à-dire il n’a pas pris en bloc tout ce qu’ils disaient. Il y avait de multiples nuances dans ce qu’ils disaient. Il a fait l’effort d’écouter tous les aspects  de leur demande.

Ensuite le verset dit : ‘il les parla aux oreilles de D.ieu.’
Outre l’anthropomorphisme, ce qui étonne est le fait que Shemouel rapporte les paroles du peuple à l’Eternel, est-ce à dire que D. n’a pas entendu ? N’a pas écouté ? A D. ne plaise !
Rabbi David Kimkhi, le Radak, répond à cette question :
‘Il faut comprendre le verset dans le sens de la traduction du Targoum[1] וסדרינון קדם ה’, ils les a dressés devant D., c’est-à-dire il les a dressés dans sa prière, il a prié à D. qu’Il lui réponde au sujet de la royauté et a placé tous les aspects devant Lui.’

Reprenons, est-ce à dire que, à D. ne plaise, l’Eternel n’avait pas entendu les paroles du peuple pour que Shemouel ait eu besoin de les rapporter devant D. ?
Le Radak, au nom du Targoum, traduction en araméen, explique que Shemouel les a dites (les paroles du peuple) dans une prière. Qu’explique-t-il en disant cela ? Que rajoute-t-il ? N’est-ce pas rajouter une difficulté à une difficulté ?

Les quelques mots que le Radak rajoute en se basant sur le Targoum viennent nous éclairer sur des questions de fond relatives à la prière.
Le Maharal de Prague pose, au début du second chapitre de Nétiv HaAvoda (partie de son œuvre le Netivot Olam), deux questions fondamentales sur la Tefila, la prière. Premièrement s’il est juste que D. donne à sa créature ce qui lui revient, pourquoi ne le lui donnerait-Il pas sans que sa créature le Lui demande ? Et d’autre part pourquoi faudrait-il que l’homme formule sa requête à D., ne sait-Il pas sonder les cœurs et les pensées ?
Les mots du Targoum nous font entendre que la réponse de D. sera relative à la manière dont on lui demande.
C’est cela : il les a dressés, il a repris tout ce que les enfants d’Israël avait dit et reformulé tous les détails devant D., Radak rajoute : ‘dans sa prière’.
Au niveau le plus simple nous pouvons déduire d’ici l’enseignement suivant.
Sans la prière les choses sont déterminées, c’est la prière qui apportera une dimension de liberté.
Nous ne savons pas bien évidemment qui est D., par définition. Ce qui est de bon ton est de dire qu’Il est omniscient et pourvoit à toute réalité, petite ou grande.
S’il n’y avait pas la parole du prophète Shemouel, ou sa prière, comme nous l’explique le Radak, tout serait pris en charge par des forces supérieures, déterminé selon une volonté supérieure implacable, voire mécaniste.
Il y a un problème. Ici les enfants d’Israël demandent, peut-être à tord, un roi, D. va agir.
Shemouel écoute tout ce que les enfants d’Israël disent, quand bien même cela lui serait-il insupportable, et reformule patiemment tous les aspects de la requête devant D.. Nous ressentons de là que la réponse ne sera pas implacable, elle sera adaptée aux besoins précis des enfants d’Israël.
Nous pouvons grâce à cette explication du Radak comprendre avec précision l’enseignement de Rabbi Itz’hak dans le Traité Yévamot 64a.

  1. Première fonction de la prière : sortir du déterminisme.

Au début de la Parashat Toledot (Béréshit 25,21) la Torah nous rapporte que Rivka, Rébecca, était stérile. Itz’hak pria pour elle. Le verset dit : ויעתר יצחק לה’, ‘Itz’hak pria à D.’. Il y a en hébreu plusieurs termes pour dire ‘prier’. Le terme employé ici est inhabituel. La racine du mot est עתר, Etar. Les ‘Hakhamim, les Sages du Talmud et du Midrash, vont en donner plusieurs explications et nuances.
Rabbi Itz’hak dans le Traité Yévamot (64a) relève la similitude entre Etar, racine du mot qui signifie ici ‘prier’, et le mot עתר, Etèr, qui signifie ‘une fourche’. Voici sa déduction :

‘Pourquoi la prière des justes est-elle comparée à une fourche ? C’est pour nous dire que, de même que la fourche renverse la récolte d’un endroit à un autre endroit, de la même manière la prière des justes renverse l’attitude de l’Eternel de la dimension de colère à la dimension de Rakhamim, de mansuétude’.

Nous pourrions relever deux difficultés dans cet enseignement. Premièrement, ce n’est pas toute prière qui fait un effet, c’est la prière des justes ? Et qu’a de particulier la prière d’un juste par rapport à celle de celui qui ne l’est pas ?
Deuxièmement, cet enseignement de Rabbi Itz’hak est étonnant. ‘De même la prière des justes renverse (…) de la dimension de colère à la dimension  de mansuétude’, si nous regardons le contexte où cette expression Etar a été dite, où y avait-t-il matière à colère ?

Certes Rivka était stérile (et même Itz’hak selon l’explication des ‘Hakhamim), mais où y a-t-il eu lieu que s’abatte une dimension de colère ?

Le passage du livre de Shemouel que nous venons d’étudier peut nous aider à décoder ce texte difficile du Traité Yévamot, et à répondre à nos deux questions.

Les enfants d’Israël demandent au prophète une requête insupportable. Et d’ailleurs Shemouel ne se gêne nullement de le leur dire. Maintenant il faut agir, que faire ?
Le verset dit : ‘Shemouel écouta toutes les paroles du peuple’. Il aurait pu dire à D. : regarde, c’est insupportable ! Réagis !
Nous voulons déduire d’ici un principe important : la prière peut être une manière de vouloir se débarrasser de que l’on vit. De dire à D. : enlève-moi ce problème ! C’est ce que Rabbi Itz’hak dit : ‘la prière des justes’, car la prière normale, instinctive, c’est un refus du réel, un refus de la vie que l’on vit.
Il y a un choc entre la réalité et notre abord de cette réalité. Ce choc, c’est la dimension de colère. Comme si D. lui-même était en rupture avec sa création, et que s’abat une volonté implacable sur le monde, sur le réel. Comme Shemouel aussi qui entend cette demande insupportable.
Mais, le juste, Shemouel ici, reformule patiemment tous les dires du peuple, et par cette reformulation repositionne la relation entre D. et sa création, et fait sortir la création de sa détermination. C’est cela la prière du juste, qui n’est pas comme notre prière à nous qui est en fait un refus de ce réel, une colère contre ce réel[2].
Et c’est ce que fit Itz’hak, qui par sa Tefila, sa prière, donna la possibilité que la nature de son épouse se transforma de stérile à féconde[3].

 

III. Seconde fonction de la prière : se sentir concerné par ce qui se passe, intériorisation.

Le Midrash Rabba (Béréshit Rabba 63,5) sur le verset de Parashat Toledot donne au nom de Rabbi Yo’hanan une autre nuance au mot Etar, prière[4]. ‘Rabbi Yo’hanan dit : il déversa des prières avec richesse’.
Le mot richesse se dit Oshèr en hébreu, or le SHE et le TE, le Shin et le Tav, sont des lettres proches et fréquemment interchangeables en hébreu. Donc il y a proximité de sens entre Etar, prière, et Oshèr, richesse.
Essayons de décrypter.
Le passage du livre de Shemouel va nous aider.

La question originelle était : pourquoi Shemouel rapporte-t-il les dires du peuple ‘aux oreilles’ de D. ? D’où la question du Maharal : si D. est omniscient, pourquoi faut-il formuler sa requête devant D. ?
La parole a une double fonction, d’extériorisation et d’intériorisation, ce qui est profondément paradoxal. C’est en parlant que je me rends compte de ce que je pense, et c’est en formulant que j’intègre.
Revenons au verset relatif à la prière d’Itz’hak. Rabbi Yo’hanan dit qu’il a versé ses prières avec richesse. Comment peut-on associer le mot richesse, en allusion dans le terme Ater, avec la prière qui dénote indéniablement une pauvreté, une détresse et un manque ?
Nous proposons d’expliquer ainsi, et cette explication sera complémentaire de la première que nous avons abordée dans le paragraphe précédent.
Il y a paradoxalement un hiatus dans ce que nous vivons. Nous vivons des choses, mais dans une certaine mesure elles nous passent à côté, ou bien nous passons à côté de ce que nous vivons.
Prenons un exemple et notre volonté est de choquer. Certains bons esprits cléricaux disent fréquemment : nous allons prier pour la paix dans le monde. Mais en fait qu’en avons-nous à faire ? Est-ce que cela nous empêche de dormir ? Est-ce que vous connaissez quelqu’un qui pleure dans sa prière pour qu’il y ait la paix dans le monde ?
Nous connaissons quelqu’un qui est malade, cela nous affecte et nous fait mal au cœur. Mais en fait, dans le fond on s’en fout.
C’est ce que dit Rabbi Yo’hanan : Itz’hak a versé ses prières avec richesse. C’est-à-dire qu’il a prié, et prié, jusqu’à ce que son cœur s’ouvre et qu’il ressente que ça le concerne, que c’est son problème. Au moment où il est complètement bouleversé par ses propres mots, alors il sait qu’il est répondu, il est riche. C’est par le fait de dire les mots qu’il peut faire ressortir ce qu’il ressent dans son cœur, et qu’il peut être répondu. C’est ce que nos Maîtres disent dans leur souffle prophétique[5] (Shir HaShirim Rabba 5,2) : ‘D. est appelé le cœur d’Israël’, לבן של ישראל.

Revenons à notre passage du livre de Shemouel. D’un côté il y a la requête bizarre des enfants d’Israël, de l’autre il y a la vérité, le prophète, il y a D. .  En dressant les paroles des enfants d’Israël devant D., en sortant avec précision ses paroles de sa bouche, Shemouel, le juste, fit que ce qui se passe le concerna, fit que son cœur fut bouleversé par ce qui se passe, et, par ce fait, que D. put y répondre. Le cœur, le lieu de l’unité de D. avec sa création, œuvre du labeur du juste[6].

[1] La langue araméenne était la langue courante à l’époque de la Mishna et de la rédaction du Talmud. Les Maîtres de la Mishna se sont attachés à donner une traduction en araméen des textes saints qui corresponde à la traduction orale. La traduction des livres des prophètes est l’œuvre de Yonathan ben Ouziel, élève de Hillel l’Ancien. La traduction de la Torah est l’œuvre d’Onkelos ben Kalonimos, disciple de Rabbi Eliézer et condisciple de Rabbi Akiva. La traduction du livre de Shemouel est donc celle de Yonathan ben Ouziel.

[2] Ce qui ne veut pas dire que la colère ne puisse jamais être de mise, voir la prière implacable de Moshé lors de la révolte de Kora’h.

[3] Nous voulons apprendre d’ici qu’il n’y a pas de concept de réel en soi, tout dépend de la manière dont on en parle et des mots exprimés pour en parler.

[4] Nous avons découvert ce Midrash dans le livre d’enseignements de Rabbi Sim’ha Zissel de Kelm, ‘Hokhma Ou Moussar, deuxième tome, premier texte, sur la prière.

[5] Nous touchons ici à la question que nous avions posée au début de cette étude : comment aborder les textes dits prophétiques ? C’est le travail talmudique qui fera jaillir le souffle prophétique de ces textes.

[6] Nous tenons à mettre ici en exergue que des grands maîtres en Talmud qui nous a été donné de connaitre ou de côtoyer, c’est leur dimension émotionnelle qui nous a toujours le plus frappé, plus encore que leur haute stature intellectuelle.

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

“Eléments d’introduction à la prière à partir d’un texte du livre de Samuel”

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