Première Mishna du Traité Pessa’him (2a) : אור לארבעה עשר בודקין את החמץ לאור הנר. כל מקום שאין מכניסין בו חמץ אין צריך בדיקה .
‘A la lumière1 du quatorze (Nissan) on recherche le ‘Hamets2 à la lumière d’une bougie3. Tout endroit où on n’introduit pas de ‘Hamets (durant l’année) ne nécessite pas recherche.’ Rashi sur la Mishna explique : בודקין. שלא יעבור בבל יראה ובבל ימצא.
‘On recherche, de manière à ne pas transgresser les interdits de voir du ‘Hamets et de trouver du ‘Hamets pendant Pessah.’ En effet la Torah nous enjoint de ne pas posséder du ‘Hamets pendant Pessah. Parashat Bo, Shemot 12,19 : שבעת ימים שאור לא ימצא בבתיכם כי כל אוכל מחמצת ונכרתה הנפש ההיא מעדת ישראל בגר ובאזרח הארץ.
‘Durant sept jours on ne doit pas trouver du levain dans vos maisons, car toute personne qui mangerait toute substance levée son âme serait retranchée de l’assemblée d’Israël, que ce soit un prosélyte ou un citoyen de souche dans la terre.’ Parashat Bo, Shemot 13,7 : מצות יאכל את שבעת הימים ולא יראה לך חמץ ולא יראה לך שאור בכל גבולך.
‘Il sera mangé des Matsot durant ces sept jours, et l’on ne verra pas pour toi de pâte levée et l’on ne verra pas pour toi de levain dans tout ton territoire.’ Dans la Parashat Reé, Devarim 9,3 et 4 nous trouvons l’interdit explicite de manger du ‘Hamets ainsi que l’interdit répété d’en posséder : לא תאכל עליו חמץ שבעת ימים תאכל עליו מצות לחם עוני כי בחיפזון יצאת מארץ מצרים למען תזכור את
יום צאתך מארץ מצרים כל ימי חייך .
‘Ne mange pas en même temps que le Pessa’h de ‘Hamets, sept jour tu mangeras sur lui (sur le Pessa’h) des Matsot, pain de pauvreté, car avec précipitation tu es sorts d’Egypte, pour que tu te souviennes du jour de ta sortie de la terre d’Egypte tous les jours de ta vie.’ ולא יראה לך שאור בכל גבולך שבעת ימים.
‘Et que l’on ne voie pas pour toi de levain dans tout ton territoire durant sept jours.’ D’après ce que nous venons de voir, Rashi nous explique donc que l’obligation de rechercher le ‘Hamets le soir du quatorze Nissan tire sa source de ces interdits de posséder du ‘Hamets à Pessah. Afin de ne pas posséder du ‘Hamets pendant Pessah, je me dois de rechercher le ‘Hamets dans tout mon territoire et le détruire.
I.Question de Tossefot sur Rashi (דה »מ אור לארבעה עשר בודקין את החמץ ).
Tossefot דה »מ אור לארבעה עשר בודקין את החמץ s’opposent à Rashi. D’après eux la lecture première de Rashi est que la base de cette recherche du ‘Hamets vient de l’obligation de la Torah de ne pas posséder du ‘Hamets à Pessah. Or nous voyons dans la Guemara (6b) que Rav Yéhouda nous enseigne au nom de son Maître Rav que quand bien même devons-nous rechercher le ‘Hamets néanmoins nous devons annuler le ‘Hamets dans notre coeur, et la Guemara (4b) affirme que d’après la Torah l’annulation dans son coeur est suffisante pour ne pas transgresser les interdits de voir du ‘Hamets et de trouver du ‘Hamets pendant Pessah. Ces points étant posés, comment Rashi peut-il dire dans la Mishna que l’obligation de rechercher le ‘Hamets est le corollaire positif de l’interdit de posséder et de trouver du ‘Hamets pendant Pessah ? En effet la Mishna n’est pas un exposé théorique mais un enseignement de portée concrète sur le terrain. Or, étant donné que nous sommes enjoints de faire un Bitoul du ‘Hamets, une annulation du ‘Hamets dans notre coeur, et que ce Bitoul est attesté comme étant efficace pour ne pas transgresser ces interdits, comment la recherche du ‘Hamets peut-elle venir en prévention de l’interdit d’en posséder ? Rabbénou Its’hak l’Ancien s’oppose donc à Rashi et propose de dire qu’effectivement et concrètement cette obligation de rechercher le ‘Hamets est une institution rabbinique, et ne répond pas à une obligation torahique4. Rabbénou Its’hak répond que cette obligation de faire la recherche du ‘Hamets répond à deux nécessités. Premièrement, contrairement aux autres interdits de profit de la Torah, le ‘Hamets est tout à fait permis toute l’année et il y a donc à craindre qu’ayant l’habitude d’en manger toute l’année on en vienne à oublier l’interdit et qu’on en mange durant Pessah si on en trouve par mégarde. Cette raison ressort d’une hypothèse présentée par Rava dans Pessa’him 10b. Deuxièmement nous voyons que la Torah insiste particulièrement au sujet du ‘Hamets de ne pas en avoir chez soi et de ne pas en trouver chez soi durant Pessah, insistance qu’on ne trouve qu’au sujet du ‘Hamets. Tossefot nous invitent dès lors à nous demander : mais pourquoi la Torah insiste-t-elle de cette manière ? N’est-ce pas pour nous dire qu’il faut à tout prix ne pas arriver à en manger ? D’après cela, même si l’on ne transgresse plus ces interdits après annulation, Bitoul, néanmoins il faudra rechercher le ‘Hamets et le détruire de peur que l’on en vienne à en manger durant Pessah. [Certains commentateurs soulèvent la possibilité d’un débat entre ces deux réponses de Tossefot. La réflexion sous-jacente pourrait être : est-ce que les interdits de בל ירא ה et de בל ימצא sont-ils des interdits en soi comme l’interdit de manger du ‘Hamets à Pessah, ou sont-ils des barrières que la Torah elle-même aurait placée pour qu’on n’en vienne pas à manger du ‘Hamets à Pessah ?]
II. Incidence entre l’explication de Rashi et celle de Tossefot.
Mishna 10b.
רבי יהודה אומר בודקין אור לארבעה עשר ובארבעה עשר שחרית ובשעת הביעור, וחכמים אומרין לא בדק אור ארבעה עשר יבדוק בארבעה עשר לא בדק בארבעה עשר יבדוק בתוך המועד, לא בדק בתוך המועד לאחר המועד.
‘Rabbi Yéhouda dit : on doit faire la Bedika, la recherche du ‘Hamets, le soir du quatorze, le matin du quatorze et au moment où l’on doit détruire le ‘Hamets, au moment du Biour. Les ‘Hakhamim disent : s’il n’a pas fait la recherche du ‘Hamets le soir du quatorze, qu’il fasse la recherche le quatorze. S’il n’a pas fait la recherche le quatorze, qu’il fasse la recherche dans le Moèd. S’il n’a pas fait la recherche dans le Moèd, qu’il fasse la recherche après le Moèd.’ Rabbi Yéhouda dit qu’il y a trois moments possibles pour faire la Bedika du ‘Hamets, et que passés ces moments il sera interdit de rechercher le ‘Hamets de peur que l’on vienne à en manger. Pour Rabbi Yéhouda, passé le moment5 où l’on a l’obligation de détruire le ‘Hamets, heure où le ‘Hamets devient interdit à la consommation, il sera dès lors interdit de procéder à la recherche du ‘Hamets. Si nous voulions spontanément donner une explication à l’opinion des ‘Hakhamim nous expliquerions ainsi : S’il n’a pas fait la recherche du ‘Hamets le quatorze, c’est-à-dire avant le Moèd (mot qui signifie le rendez-vous, et la fête par extension), il devra faire la Bedika durant le Moèd, c’est-à-dire durant la fête. S’il n’a pas fait la Bedika durant la fête, il devra faire la Bedika après la fête (en effet du ‘Hamets qui appartenait à un juif et sur lequel est passé la fête de Pesséh est interdit de profit après la fête, et s’il n’a pas fait la recherche du ‘Hamets avant Pessah, il devra la faire après le Moèd de peur qu’il ne trouve du ‘Hamets après la fête et qu’il en vienne à en manger ou à en profiter). Mais, de manière très étonnante, Rashi (sur la Mishna 10b דה »מ בתוך המועד ) explique l’opinion des ‘Hakhamim de la manière suivante : S’il n’a pas fait la Bedika le quatorze, qu’il fasse la Bedika durant le Moèd, c’est-à-dire au moment convenu pour la destruction du ‘Hamets, au début de la sixième heure dite Zmanit. S’il n’a pas fait la Bedika durant le Moèd, au moment convenu pour détruire le ‘Hamets, qu’il fasse la Bedika après le Moèd, après le moment convenu pour détruire le ‘Hamets, c’est-à-dire après le début de la sixième heure Zmanit jusqu’à la nuit du quinze où il n’aura plus le droit de faire la Bedika. Pourquoi Rashi n’explique-t-il pas la Mishna selon le sens évident du mot Moèd qui signifie a priori ‘fête’ ? Tossefot (sur la Mishna 10b דה »מ ואם לא בדק בתוך המועד ) expliquent que Rashi ne pouvait pas expliquer la Mishna dans son sens premier car il suit sa démarche d’explication de la première Mishna, comme quoi l’obligation de faire la Bedika à Pessah est basée sur le fait de ne pas transgresser l’interdit de voir et de trouver du Hamets, or ces interdits ne s’appliquent que durant Pessah, passé Pessah il n’y a plus ces interdits. Donc, Rashi, selon sa démarche de lecture, ne peut pas expliquer le terme selon l’acceptation habituelle. Cette explication, outre qu’elle bouleverse un peu le sens du mot Moèd, soulève deux questions. Interrogeons-nous : quel est le débat entre Rabbi Yéhouda et les ‘Hakhamim. Rav Yéhouda pense qu’à partir du moment où le ‘Hamets est interdit à la consommation, c’est-à-dire à partir d’une heure avant midi la veille de Pessah, il sera interdit de faire la Bedika du ‘Hamets car, de manière paradoxale, s’il en trouve il y a à craindre qu’il ne le mange. Les ‘Hakhamim pensent qu’étant donné qu’en faisant la Bedika toute sa démarche est de détruire le ‘Hamets il n’y a pas à craindre qu’il en vienne à en manger. D’après cela pourquoi, d’après Rashi, ne sera-t-il possible de faire la Bedika pour les ‘Hakhamim que jusqu’à la nuit du quinze Nissan, puisque d’après leur logique, opposée à celle de Rabbi Yéhouda, lorsque l’on fait la Bedika il n’y a pas à craindre que l’on mange le ‘Hamets ? D’autre part, d’après l’explication de Rashi le mot Biour de Rabbi Yéhouda et le mot Moèd des ‘Hakhamim ont exactement la même signification, dès lors pourquoi deux mots pour la même chose ? Ce qui n’est pas le cas dans la lecture spontanée de la Mishna, où Biour signifie le début de la sixième heure la veille de Pessah et Moèd signifie la fête elle-même. Le Ran, Rabbénou Nissim Gérondi, répond à la seconde question contre l’explication de Rashi en disant que les ‘Hakhamim ne pouvaient pas appeler le début de la sixième heure ‘heure de la destruction du ‘Hamets’ puisque l’on parle de quelqu’un qui justement n’a pas détruit ce ‘Hamets et qu’on lui permet de le faire même après. Le terme approprié sera donc ‘l’heure convenue’. Le Ran répond aussi à la première question en disant qu’il y a une différence de fond entre l’interdit de manger du ‘Hamets à partir de midi, six heures Zmaniot, de la veille de Pessah et l’interdit de manger du ‘Hamets à partir du soir du quinze Nissan, moment même de la fête de Pessah. Voir à ce sujet le débat entre Rambam et le Rèvèd premier chapitre des Hilkhot ‘Hamets OuMatsa, Halakha 8. D’après Rambam, le ‘Hamets est interdit d’après un interdit de la Torah à partir de midi de la veille de Pessah, et le contrevenant est passible de Malkout, flagellation. Le Rèvèd s’oppose et pense qu’à partir de midi de la veille de Pessah il est interdit de manger du ‘Hamets mais que cet interdit n’est pas passible de Malkout. Néanmoins dès la nuit du quinze Nissan manger du ‘Hamets devient un interdit majeur passible de Karet, retranchement de l’âme, selon tous les avis. Ceci étant posé, le Ran répond que, d’après la lecture de Rashi, les ‘Hakhamim permettront de faire la Bedika passée la sixième heure, mais dès la nuit où l’interdit change de teneur en devenant passible de Karèt, ils seront d’accord avec Rabbi Yéhouda que l’interdit étant gravissime on ne lui permet pas de rechercher le ‘Hamets, quand bien même serait-il dans une dynamique de le détruire. Tossefot, et le Rif, s’opposent à cette lecture de Rashi. Tossefot, expliquant que la nécessité de la Bedika vient du risque de manger du ‘Hamets et non de peur qu’on ne transgresse l’interdit d’en posséder, pourra aisément expliquer la Mishna de la manière la plus simple et dire : ‘S’il n’a pas fait la recherche du ‘Hamets le quatorze, c’est-à-dire avant le Moèd (mot qui signifie le rendez-vous, et la fête par extension), il devra faire la Bedika durant le Moèd, c’est-à-dire durant la fête. S’il n’a pas fait la Bedika durant la fête, il devra faire la Bedika après la fête’. D’après Tossefot faire la recherche du ‘Hamets après la fête a un sens puisque le ‘Hamets qui n’a pas été détruit avant la fête reste interdit (rabbiniquement) après la fête. Il y aura donc un risque après la fête que l’on en vienne à en manger, d’où la nécessité de Bedika. Le Ran, dans son commentaire sur le Rif qui a la même lecture que Tossefot de la Mishna, pose la question : Mais à quoi correspond cette recherche du ‘Hamets après la fête ? En effet la thèse de Tossefot est que nos Maîtres ont institué l’obligation de faire la recherche du ‘Hamets, même une fois que l’annulation du ‘Hamets a été faite, car l’interdit de consommer du ‘Hamets est très grave et qu’on a l’habitude d’en manger toute l’année. Or ici après Pessah l’interdit de consommer et de profiter du ‘Hamets est un interdit rabbinique et non un interdit de la Torah ! [Nous voyons d’ici que la lecture de la Mishna proposée par Rashi, bien qu’elle nous paraissait difficile à accepter en première lecture, économise cette dernière question] Le Ran répond qu’il faudra dire que, bien que l’interdit de profiter du ‘Hamets après Pessah ne soit qu’une institution rabbinique, étant donné que c’est à titre d’une pénalité pour le sanctionner d’avoir gardé du ‘Hamets pendant Pessah, de ce fait nos Maîtres ont donné un poids, une force, à cette pénalité, Knas, comme à un interdit de la Torah en exigeant une Bedika, une recherche. Et d’ailleurs c’est ainsi que Rabbi Yossef Karo conclut dans le Shoul’han Aroukh (Ora’h ‘Haïm 335,§1) : ‘S’il n’a pas fait la Bedika ni avant Pessah, ni pendant Pessah, il fera la Bedika après Pessah pour ne pas trébucher sur du ‘Hamets qui serait resté pendant Pessah et qui se trouve être interdit de profit.’ Cependant nous ne comprenons pas bien la fin des mots de Tossefot : ‘Et après la fête, après le Moèd, il fera la Bedika pour que ne se mélange pas du ‘Hamets d’interdit avec du permis et qu’il ne mange ce mélange’. Pourquoi Tossefot ne disent-ils pas plus simplement : ‘qu’il fasse la Bedika pour ne pas en arriver à manger du ‘Hamets sur lequel Pessah est passé’ 6?
III.Démarche du Ran (dans son commentaire sur le Rif au début du Traité).
Première partie.Le Ran, dans son commentaire sur le Rif au début du Traité, prend la défense de Rashi. Il explique qu’il y a deux démarches valides d’après la Torah : soit Bitoul, l’annulation du ‘Hamets, soit la Bedika, la recherche du ‘Hamets. Nous voyons que la Guemara (7b) déduit de versets de la Torah la réalité de la Bedika. Ceci signifie que la Bedika est efficace d’après la Torah pour ne pas transgresser les interdits de voir du ‘Hamets et de trouver du ‘Hamets pendant Pessah. Certes nous voyons dans la Guemara (6b) que Rav Yéhouda nous enseigne au nom de Rav que celui qui a fait la Bedika doit aussi faire l’annulation, ceci ne signifie pas que la Bedika n’est pas efficace d’après la Torah, mais ceci constitue une protection rabbinique comme nous le verrons par la suite. D’un autre côté nous voyons que la Guemara nous dit en de multiples endroits qu’il est suffisant de faire l’annulation du ‘Hamets dans son coeur pour ne pas transgresser les interdits de la Torah :
פסחים ד’ ע »ב ופסחים י’ ע »א
דמדאורייתא בביטול בעלמא סגי
Pessa’him 4b et 10a ‘D’après la Torah cela suffit simplement d’annuler’ פסחים מ »ט ע »א
מבטלו בלבו
Pessa’him 49a ‘Il l’annule dans son coeur’
IV. Démarche du Ran. En quoi consiste le Bitoul d’après la Torah ?
Il y a deux sources dans les versets de la Torah. La Guemara que nous venons de citer (Pessa’him 4b) dit : דמדאורייתא בביטול בעלמא סגי
‘D’après la Torah cela suffit simplement d’annuler’ Rashi explique : ‘L’annulation seule suffit car le verset (Shemot 12,15) dit : תשביתו שאור מבתיכם , « vous arrêterez le levain de vos maisons ». Le verset ne dit pas « détruisez ». Et un arrêt, une annulation dans le coeur suffit pour être une annulation.’ La Torah n’utilise pas le même langage qu’elle emploie au sujet de l’idolâtrie où il est clairement dit de la détruire, de la brûler, de l’annihiler. Et d’ailleurs Onkelos traduit le terme Tashbitou par Tibateloun qui signifie « annulez ». Seconde source. Le verset dans Parashat Reé (Devarim 16,4) dit : ולא יראה שאור בכל גבולך , « et que l’on ne voie pas pour toi de levain dans tout ton territoire ». Le Sifri relatif à ce verset dit : לא יראה לך שאור, בטל בלבך. מכאן אמרו ההולך לשחוט את פסחו ונזכר שיש לו חמץ בתוך ביתו אם אינו יכול לחזור ולבער ולחזור למצוותו מבטלו בלבו .
‘Que l’on ne voie pas pour toi, annule-le dans ton coeur. De ce verset nos Maîtres apprennent (Mishna Pessahim 49a) : il allait à Jérusalem égorger son sacrifice de Pessah et il se souvient qu’il a du ‘Hamets dans sa maison. S’il ne peut pas retourner chez lui, détruire le ‘Hamets, retourner à Jérusalem et faire le Pessah en temps et en heure, il annule le ‘Hamets dans son coeur (même si le ‘Hamets est encore concrètement chez lui, il est quitte de son obligation).’ Mais en quoi consiste pratiquement cette annulation, ce Bitoul ? La Guemara dans Pessa’him 6b compare le Bitoul à la notion d’Héfker, d’abandon de propriété [du fait de la comparaison faite dans la Guemara avec les סופי תאנים ]. Mais il faut dire, et telle est la thèse du Ran, que cette comparaison avec la notion d’Héfker n’est pas complète. En effet il ressort de la Sougia principale relative au sujet de la procédure d’Héfker, de désappropriation dans Nédarim (de 43a à 45a) que le Héfker est une procédure juridique et une annulation dans son coeur n’opère aucune désappropriation [ דברים שבלב אינם דברים , ‘des paroles dans le coeur n’ont aucun impact juridique’]. Or la Mishna dans Pessa’him 49a dit bien qu’il annule dans son coeur, comment cela est-ce possible ?
Il faut dire qu’indéniablement un homme ne peut pas retirer sa propriété d’un de ses biens en l’annulant de sa pensée et de son intérêt. Le ‘Hamets fait exception. En effet nous avons vu que si quelqu’un possède du ‘Hamets à Pessah il transgresse les interdits de voir du ‘Hamets et de trouver du ‘Hamets pendant Pessah. Or à partir de la veille de Pessah à la fin de la sixième heure saisonnière, la Torah nous dit que le ‘Hamets est interdit de tout profit, Issour Hannaa. C’est-à-dire qu’à partir de ce moment la Torah nous désapproprie de tout ‘Hamets que nous le voulions ou non. C’est l’enseignement de Rabbi Elazar (Pessa’him 6b et Baba Kama 29b) : אמר רבי אלעזר שני דברים אינן ברשותו של אדם ועשאן הכתוב כאילו הן ברשותו ואלו הן ברשותו ואלו ה ן בור ברשות הרבים וחמץ משש שעות ולמעלה.
‘Rabbi Elazar dit 7 : deux choses ne sont pas dans la propriété de l’homme et la Torah les met dans leur propriété (pour en être responsable). Ce sont : un trou fait dans le domaine public8 et le ‘Hamets à partir de six heures saisonnières la veille de Pessah.’ Pour résumer, le ‘Hamets à partir de la sixième heure saisonnière n’est plus dans la propriété de l’homme, la Torah va le considérer qu’il est dans son domaine pour l’en rendre responsable de l’avoir en son domaine. De ce fait, il sera suffisant pour qu’il ne transgresse pas ces interdits qu’il exprime dans son coeur qu’il détache tout intérêt de ce ‘Hamets. Ce Bitoul est efficace d’après la Torah même pour un ‘Hamets connu, חמץ ידוע . La preuve en est l’exclamation de la Guemara (6b) lorsque la Guemara justifie l’enseignement de Rav Yéhouda au nom de Rav qui exige Bitoul même si la Bedika a été faite : אמר רבא גזירה שמא ימצא גלוסקא יפה ודעתיה עילויה, וכי משכחת ליה לבטליה.
‘Rava dit : cette obligation de faire le Bitoul même si la Bedika a été faite est une institution rabbinique de peur qu’il ne trouve pendant la fête un très beau gâteau et qu’il tarde un laps de temps (et transgresse alors Bal Iraé et Bal Imatsé). Mais quand il trouve ce gâteau il n’a qu’à l’annuler ! (…).’ Nous voyons de là que la Guemara considère que ce Bitoul est efficace même pour un ‘Hamets effectif et connu.
V. Démarche du Ran.
Si le Bitoul est efficace d’après la Torah, peut-être que la Bedika n’est qu’une institution rabbinique et ne correspond pas à une notion de la Torah ? Si comme venons de le démontrer, en faisant l’annulation on est quitte de ses obligations de ne pas posséder du ‘Hamets à Pessah, il est alors possible que la recherche effective du ‘Hamets et sa destruction n’ait pas de source dans la Torah ? Plusieurs sources dans la Guemara prouvent que la Bedika et la destruction du ‘Hamets correspondent à des notions toraïques. Premièrement la Guemara dans Pessahim 7b déduit des sources à la recherche du ‘Hamets à la lumière d’une lampe (bougie) à partir de versets de la Torah. Et si tu disais que ces déductions ne sont que des allusions à partir de verset (Asmakhta, אסמכתא ), nous voyons que, dans la première Mishna du second chapitre, les Maîtres de la Mishna apprennent de versets de la Torah le mode opératoire de la destruction du ‘Hamets (et aussi Rabbi Akiva 5a). VI.Démarche du Ran. Résolution des questions.La conclusion est que ce qui est visé9 par le verset de Tashbitou, תשביתו , peut s’accomplir de deux manières différentes : -soit d’annuler le ‘Hamets dans notre coeur. Et ceci est efficace même pour un ‘Hamets dont nousavons la connaissance précise, ‘Hamets Yadouha’.-soit de rechercher le ‘Hamets à la lumière d’une lampe et de le détruire.Si l’on a recherché le ‘Hamets et qu’on l’a détruit, on ne transgresse plus les interdits de voir du ‘Hamets et de trouver du ‘Hamets pendant Pessah. Et c’est dans ce contexte que Rashi écrit dans la Mishna que l’on doit faire la Bedika : ‘de manière à ne pas transgresser les interdits de voir du ‘Hamets et de trouver du ‘Hamets pendant Pessah.’ C’est-à-dire que, si l’on n’a pas annulé le ‘Hamets, la Bedika, la recherche du ‘Hamets, et sa destruction sont efficaces pour ne pas transgresser les interdits ainsi que pour accomplir l’obligation de Tashbitou. Une question se pose : si l’on dit que la Bedika est efficace pour ne pas transgresser les interdits, quel sera le statut du ‘Hamets que l’on risque d’avoir oublié ? Peut-être que l’on va en trouver pendant la fête ! Il faudra dire que la Torah considère que si la personne a fait la Bedika de tout endroit où dans l’année on a été susceptible d’y avoir introduit du ‘Hamets alors elle ne transgresse plus aucun interdit. Les lois de la Torah sont fondées sur les notions de ‘Hazakot, comme cela sera développé dans la suite du Traité (Pessa’him 9a). La Guemara (6b) citée plus haut (§4) envisage ce cas : ‘Rava dit : cette obligation de faire le Bitoul même si la Bedika a été faite est une institution rabbinique de peur qu’il ne trouve pendant la fête un très beau gâteau et qu’il tarde un laps de temps avant de le brûler (et transgresse alors Bal Iraé et Bal Imatsé).’ Rashi explique : ‘Qu’il considère un laps de temps ce gâteau et qu’il ait un instant du scrupule de le détruire, et il transgresserait alors l’interdit d’en posséder’. Il ressort du commentaire de Rashi que la transgression ne serait qu’à partir du moment où il trouve le ‘Hamets durant la fête et qu’il aurait une hésitation avant de le détruire. Mais selon Rashi il n’y aurait aucune transgression rétroactive, car la Torah considère que s’il a fait la Bedika des endroits où il est susceptible que s’y trouve du ‘Hamets, il y a une ‘Hazaka, une estimation forte, que ne se trouve pas de ‘Hamets dans les autres endroits. Nous pouvons encore nous demander : mais peut-être a-t-il mal effectué cette Bedika ? Peut-être avait-il sa pensée ailleurs et qu’il transgresserait alors les interdits, même s’il a effectué la Bedika ? Certes, et c’est pourquoi la Bedika doit être effectuée avec une application intense et un véritable investissement, mais une fois la Bedika effectuée, il y a présomption forte, ‘Hazaka, qu’il ne possède plus de ‘Hamets. VII.Démarche du Ran. Si d’après la Torah, le Bitoul est suffisant pour ne pas transgresserl’interdit de posséder du ‘Hamets, pourquoi nos Maîtres ont-ils exigé de faire la Bedika ?Le Ran pose cette question, et nous allons rapporter la manière dont il y répond : למי שמבטל סגי בהכי אלא מפני שבטול זה תלוי במחשבתן של בני אדם ואין דעותיהן שוות ואפשר שיקלו
בכך ולא יוציאוהו מלבן לגמרי ראו חכמים להחמיר שלא יספיק בטול והצריכוהו בדיקה וביעור שהוא מספי
גם כן מן התורה או מפני שחששו שאם ישהנו בתוך ביתו יבא לאכלו.
‘Si quelqu’un fait le Bitoul cela est suffisant d’après la Torah, mais étant donné que ce Bitoul dépend de la pensée intime des gens et que la pensée intime de l’un ne ressemble pas à la pensée intime d’un autre, et qu’il est possible que l’on prenne à la légère cette annulation et que l’on ne sorte pas véritablement le ‘Hamets de nos pensées et de notre intérêt de manière ferme et franche, c’est pourquoi nos Maîtres ont exigé Bedika et Biour, destruction effective du ‘Hamets, procédure qui est efficace en tant que telle d’après la torah, comme nous venons de voir. Nous pouvons aussi dire que les Sages ont exigé que l’on fasse la Bedika et le Biour car il y a à craindre que si l’on ne fait que le Bitoul reste dès lors du ‘Hamets dans nos maisons et que l’on vienne à en manger durant Pessah.’ La seconde réponse du Ran est en fait la réponse de Tossefot à cette même question, réponse de Tossefot que nous avons analysée dans le premier paragraphe de cette étude. Nous comprenons que le Ran rapporte la réponse de Tossefot car indubitablement nous voyons dans la Guemara (10b) que nos Maîtres prennent en compte le risque que l’on mange par mégarde du ‘Hamets durant Pessah. Mais d’un autre côté pourquoi Tossefot ne rapportent-ils pas la première réponse du Ran ? Est-à-dire que Tossefot et le Ran ne comprennent pas de la même manière en quoi consiste le Bitoul, et que pour Tossefot, quand bien le Bitoul serait efficace d’après la Torah il n’y aurait pas de risque de faire un Bitoul déficient ? VIII.Bitoul Hamets. Conception de TossefotEn effet Tossefot dans Pessa’him 4b (דה »מ מדאורייתא בביטול בעלמא סגי ) s’opposent frontalement à la conception de Rashi de la notion de Tashbitou. Nous avons cité au quatrième paragraphe de cette étude que la Guemara dans Pessa’him 4b affirme : דמדאורייתא בביטול בעלמא סגי
‘D’après la Torah cela suffit simplement d’annuler’ Et Rashi explique : ‘L’annulation seule suffit car le verset (Shemot 12,15) dit : תשביתו שאור מבתיכם , « vous arrêterez le levain de vos maisons ». Le verset ne dit pas « détruisez ». Et un arrêt, une annulation dans le coeur suffit pour être une annulation.’ Tossefot, afférant à ce Rashi, posent deux questions sur cette conception. Premièrement, il ressort clairement de l’avis de Rabbi Akiva dans Pessa’him 5a que Tashbitou signifie ‘détruire’, ‘brûler’ et non ‘annuler’, comme nous allons le voir dans la suite. Deuxièmement, il ressort que l’obligation de Tashbitou s’applique après que le ‘Hamets soit interdit de profit, comme nous allons le voir. Or, si tu dis que Tashbitou signifie ‘annuler’, comment peut-on annuler une chose qui ne nous appartient plus. Par contre si l’on dit que Tashbitou signifie ‘détruire’, certes il est possible de détruire, de brûler, quelque chose qui ne nous appartient pas. Analysons cet enseignement de Rabbi Akiva. Il y a une grande difficulté dans la lecture du verset dans Shemot 12,15. שבעת ימים מצות תאכלו אך ביום הראשון תשביתו שאור מבתיכם.
‘Sept jours vous mangerez des Matsot, seulement le premier jour vous arrêterez le levain de vos maisons.’ Que signifie ce terme ‘le premier jour’ ? Serait-ce qu’il faille rompre avec le levain après que le premier jour de fête ait débuté ? Tous les Maîtres de la Mishna sont d’accord que ce terme ‘le premier jour’ signifie ‘la veille de Pessah’. C’est un grand principe de la Tradition Orale sur lequel il n’y a pas contestation. Néanmoins peut-on trouver une preuve textuelle à cette tradition orale ? Rabbi Akiva dit : הרי הוא אומר אך ביום הראשון תשביתו שאור מבתיכם, וכתיב כל מלאכה לא יעשה בהם, ומצינו להבערה שהיא אב מלאכה.
‘Le verset dit « Seulement le premier jour vous arrêterez le levain de vos maisons », et il est dit au sujet des jours de fête (Shemot 12,16) « Aucun travail ne pourra être fait ces jours-là ». Or nous savons que brûler est considéré comme un travail prohibé les jours de fête.’ Raisonnement de Rabbi Akiva : nous sommes obligés de dire que cet arrêt du levain se doit d’être la veille du jour de fête, car brûler est une action prohibée les jours de fête, comment pourrais-tu rendre obligatoire ce jour de fête une action qui y est interdite ? Nous sommes donc obligés de dire que cette obligation d’annihiler le ‘Hamets se passe avant le jour de fête. Disent donc Tossefot : nous voyons donc de ce raisonnement de Rabbi Akiva que pour lui ‘Tashbitou’ c’est brûler, et non annuler dans le coeur comme le disent Rashi et le Ran. Analysons la seconde preuve de Tossefot. Après le raisonnement de Rabbi Akiva, la Guemara apporte celui de Rabbi Yossi (HaGalili) : הרי הוא אומר אך ביום הראשון, מערב יום טוב או אינו אלא ביום טוב. תלמוד לומר אך חלק, ואי ביום טוב
עצמו מי שרי .
‘Le verset dit « Seulement le premier jour vous arrêterez ». Cet arrêt doit s’effectuer la veille de
Yom Tov, ou bien serait-ce le jour de Yom Tov même ? Ce à quoi le verset vient répondre en disant « seulement ». Le mot « seulement » signifie que cet arrêt est partiel, à moitié. Si tu disais que cet arrêt s’effectuerait le jour de Yom Tov, serait-ce concevable qu’il y ait du ‘Hamets une partie du jour et qu’il n’y en ait pas l’autre partie ? Cela prouve donc que ce verset ne parle que de la veille de Pessah.’ Tossefot ajoute à cette phrase de la Guemara en disant : Cela prouve que ce verset ne parle que de la veille de Pessah où durant la moitié du jour il est licite de posséder du ‘Hamets et que l’on doit le bannir la seconde moitié de la journée. Il ressort, disent Tossefot, que l’impératif de Tashbitou commence après la sixième heure saisonnière, moment où l’on n’a plus le droit de posséder du ‘Hamets. Or, si nous disions comme Rashi et le Ran que Tashbitou est une annulation dans le coeur, comment est-ce possible d’annuler quelque chose que l’on ne possède pas ? Cela impose de dire que Tashbitou consiste à détruire physiquement le ‘Hamets, le brûler par exemple. Si Tashbitou consiste à détruire le ‘Hamets, que veut dire la Guemara en disant en différentes endroits que l’on peut annuler le ‘Hamets dans notre coeur et que cela est suffisant pour être quitte de nos obligations selon la Torah ? Rabbénou Its’hak l’Ancien répond que dès que l’on a annulé le ‘Hamets il devient Héfker et est sorti du domaine de son propriétaire, et il devient donc permis de l’avoir dans son espace, comme dit le verset : ‘ne vois pas pour toi’, ce que nos Maïtres traduisent en disant ’ pour toi tu ne vois pas, mais tu peux voir le ‘Hamets qui appartient à d’autres’. La Guemara dans le Traité Nedarim nous enseigne (45a) que la procédure de désappropriation, de Héfker, nécessite un chorum de trois personnes, comment donc Rabbénou Its’hak peut-il dire qu’un Héfker dans son coeur peut faire sortir le ‘Hamets de notre possession ? Il faut dire que Tossefot considère que cette exigence est d’ordre rabbinique et que le Héfker peut être efficace dans son propre coeur. Nous sommes ici en présence de deux points de divergence fondamentaux entre la démarche de Rashi (et le Ran) et la démarche de Tossefot. Pour Rashi (et le Ran), l’annulation du ‘Hamets répond à l’exigence du verset qui nous dit Tashbitou ! Annulez le ‘Hamets, et cette annulation dans le coeur ne répond pas aux exigences d’Héfker. Pour Tossefot, Tashbitou signifie la nécessité de détruire le ‘Hamets si l’on ne s’en est pas débarrassé avant l’heure requise. Le Bitoul est une manière comme une autre de se débarrasser du ‘Hamets avant l’heure requise et procède de la procédure d’Héfker. D’après cette explication de Tossefot, l’impératif de Tashbitou ne signifie pas qu’il y ait une Mistva de détruire avant l’heure de son interdit, mais exprime l’obligation de se trouver à l’entrée de Pessah dans une situation où je n’aie pas de ‘Hamets. Pour les premiers avis, un Héfker ne peut d’aucune manière s’effectuer dans le coeur. Pour Tossefot, un Héfker peut s’effectuer dans le coeur. De manière à avancer dans notre étude il sera nécessaire d’éclaircir deux points. Premièrement comment Rashi répondra aux deux questions de Tossefot. Deuxièmement quelles sont les bases à leur discussion sur ce qu’est la procédure d’Héfker.
IX. Comment peut-on répondre aux questions de Tossefot sur Rashi ?
Le Pené Yéhoshoua (sur ce Tossefot) répond à la première question de la manière suivante. Il faut dire que, d’après Rashi, fondamentalement tous les avis pensent que la Mitsva de Tashbitou s’effectue de manière active par un acte circonstancié, en brûlant le ‘Hamets par exemple pour Rabbi Yéhouda et Rabbi Akiva (en comparaison au Notar). Néanmoins si le propriétaire du ‘Hamets n’est pas présent et qu’il n’est pas dans sa capacité concrète de détruire le ‘Hamets, il lui sera possible d’annuler le ‘Hamets dans son coeur, en vertu du fait que le verset s’exprime d’une manière étonnante, en disant Tashbitou, ‘annulez’, et non ‘Tivharou, ‘détruisez’. Dernière phrase du Pené Yéhoshoua : היכא שאפשר לשרפו לרבי יהודה או לפרר לרבנן ודאי זה עיקר מצוותו דתשביתו, מכל מקום לענין לאו דבל
יראה לכולי עלמא בביטול בעלמא סגי.
‘Lorsqu’il est possible de brûler le ‘Hamets selon Rabbi Yéhouda ou de l’éparpiller selon l’avis des ‘Hakhamim, il est évident que telle est la manière principale d’accomplir la Mitsva de Tashbitou. Mais tous les avis concorderont pour dire que relativement à l’interdit de ne pas en voir durant Pessah, cela suffit de l’avoir annulé dans son coeur.’ Quant à la seconde question de Tossefot sur Rashi, il est possible de dire que Tashbitou est un impératif d’entrer à la moitié de la veille de Pessah en étant dépossédé de tout ‘Hamets, mais que s’il se trouve qu’on n’ait pas accompli cette obligation, il y ait réparation de cet interdit en le détruisant activement après l’heure de l’interdit. Il ressort de ces deux réponses que nous proposons qu’indubitablement nous sommes obligés de dire que d’après Rashi l’impératif de Tashbitou s’exprimera selon les cas de telle ou telle façon. S’il y a du ‘Hamets précis l’obligation sera de le détruire, en le brûlant par exemple d’après Rabbi Yéhouda et Rabbi Akiva. Pour du ‘Hamets non-connu en l’annulant ou si l’on n’est pas sur place pour le détruire. Et si l’heure de l’annuler est passée en le détruisant. Nous proposons de dire que Tossefot s’oppose à cette conception plurielle de l’impératif de Tashbitou. X. Discussion sur la conception de ce qu’est le Héfker, la procédure de désappropriation. Comme nous l’avons relevé dans le paragraphe huit de cette étude le débat entre Rashi et Tossefot est soutenu par un débat sous-jacent sur ce qu’est fondamentalement la procédure de se déposséder de ses biens, le Héfker. D’après Rashi et le Ran il est impossible de se déposséder de ses biens dans le coeur, d’après Tossefot ceci est possible. Le Tour au chapitre 273 de ‘Hoshen Mishpat ( טור חושן משפט סימן רע »ג ) rapporte le débat entre Rambam et le Rosh sur la base de la procédure de Héfker : כתב הרמב »ם דבר תורה אפילו הפקר בפני אחד הוי הפקר אבל חכמים אמרו שלא יהא בפחות משלשה,
ואדוני אבי הרא »ש ז »ל כתב שאם הפקירו אפילו בינו לבין עצמו הוי הפקר .
‘Le Rambam écrit (Hilkhot Nédarim chapitre 2, Halakha 16) : d’après la Torah un Héfker en présence d’une personne est efficace, néanmoins les ‘Hakhamim ont exigé qu’un Héfker ne se fasse pas en présence de moins de trois personnes. Mon Maître mon père le Rosh a écrit (fin du quatrième chapitre du Traité Nédarim, Siman 11) que, s’il a rendu Héfker ne serait-ce qu’avec lui-même seul, le Héfker est efficace.’ Rabbi Yossef Karo dans le Shoul’han Aroukh ‘Hoshen Mishpat chapitre 273 § 7 tranche comme Rambam et Rabbi Moshé Isserless comme le Rosh. Rabbi Yéoshoua Falk, dans le Séfer Méirat Yénaïm §10 et 11, explique le débat de la manière suivante. Le premier avis pense que la présence d’une personne extérieure est nécessaire car cette personne entendra que le propriétaire s’est désapproprié de ce bien et peut potentiellement en prendre possession, sinon il n’y a pas de statut d’Héfker. C’est pour cette raison même que nos Maîtres ont dit dans le Traité Nédarim (45a) qu’un Héfker ne peut être possible qu’en présence de trois personnes, car sinon le propriétaire initial pourrait nier et dire qu’il n’a jamais retiré sa propriété de ce bien. Tandis que si l’Héfker a été opéré en présence de trois personnes, n’importe lequel des trois peut prendre possession du bien et les deux autres peuvent témoigner qu’il a en a retiré sa possession. Le second avis pense qu’effectivement rabbiniquement nos Maîtres ont exigé qu’un Héfker se fasse en présence de trois personnes, pour la raison que nous venons de dire. Mais bien que la Guemara dans Nédarim dise que d’après la Torah l’Héfker doit être en présence d’une personne extérieure, en fait cela pourrait être même s’il est seul. Que voulons-nous dire par là ? D’après la Torah il faut une personne ou non ? L’incidence pratique serait le cas d’une personne qui a prêté ou loué son animal à un non-juif durant la semaine avec l’intention que le non-juif lui rende l’animal avant Shabbat. Et il ne lui a pas rendu. Alors il pourra rendre Héfker son animal en étant seul pour ne pas transgresser l’interdit de faire travailler son animal le jour de Shabbat. En effet dans un tel cas nous pouvons témoigner, אנן סהדי , que les propriétaires veulent véritablement se désapproprier de leur bien pour ne pas transgresser l’interdit de faire travailler son animal le jour de Shabbat. D’après l’analyse du Smah, Séfer Méirat Yénaïm, il faut dire que d’après la première démarche lorsque la Guemara dans Nédarim dit que d’après la Torah il faut que le Héfker ait été réalisé en présence d’une tierce personne cela est à prendre au sens strict. Dit le Smah : s’il n’y a pas quelqu’un qui puisse potentiellement en faire acquisition, il n’y a pas de statut d’Héfker sur ce qu’il a exprimé. Par contre selon le second avis, l’Héfker doit être exprimé en présence d’un tiers car s’il est seul et que personne ne sait qu’il a retiré sa propriété de son bien, quel sérieux apporter à ses dires ou à ses pensées, nous pouvons affirmer que son Héfker est nul et non avenu. Par contre s’il se trouve dans des circonstances limites où il lui est nécessaire de retirer sa propriété pour ne pas transgresser un interdit de la Torah par exemple, dans ces cas limites nous pourrons affirmer que sa volonté de retirer sa propriété de ce bien est pleine et sincère.
XI Développement sur la notion d’Héfker. Pour résumer, il ressort de ce que nous avons vu dans le paragraphe précédent que, selon le Smah, le second avis pense qu’un Héfker doit être fait en présence d’une tierce personne car s’il l’a fait seul, qui peut en bénéficier, personne ne peut le savoir, donc on peut affirmer que la personne ne se détermine pas dans son coeur véritablement à retirer sa propriété de ce bien. Par contre dans des cas limites, où la personne risque de transgresser un interdit si elle possède ce bien, le Héfker serait efficace même s’il l’a fait seul car nous pouvons témoigner que vu l’enjeu il retire sa propriété avec toute son intention. Cependant il parait difficile d’affirmer que l’opinion de Rabbi Moshé Isserless corresponde avec cette analyse du Smah. En effet le Rama dit sans restriction qu’un Héfker peut être un Héfker même si la personne l’a exprimé seule. Et c’est ce qui ressort de Tossefot dans notre sujet (Pessa’him 4b) ainsi que du Rosh dans ses décisions dans le Traité Nédarim (chapitre 4,§11). L’origine de la notion qu’un Héfker serait efficace même si la personne l’a fait seule se trouve dans le Rosh (cité ci-dessus) au nom de Rabbi Shimshon. Le Rosh au début ne comprend pas comment Rabbi Shimshon peut dire qu’un Héfker peut être efficace sans la présence d’une tierce personne. En effet la Guemara de Nedarim (citée plus haut 45a) conclue sur la discussion entre Rabbi Yo’hanan et Rabbi Yéhoshoua ben Lévy : אמר רבי יוחנן משום רבי שמעון בן יהוצדק כל המפקיר בפני שלשה הוי הפקר, בפני שנים לא הוי הפקר ורבי
יהושע בן לוי אמר דבר תורה אפילו באחד הוי הפקר ומה טעם אמרו בשלשה כדי שיהא אחד זוכה ושנים
מעידים .
‘Rabbi Yo’hanan dit au nom de Rabbi Shimon ben Yéotsadak : si quelqu’un se désapproprie devant trois personnes, son Héfker est efficace. Devant deux personnes, son Héfker est nul et non avenu. Rabbi Yéhoshoua ben Lévy dit : d’après la Torah, un Héfker peut être fait devant une personne. Pour quelle raison nos Maîtres ont-ils dit qu’il faut que le Héfker soit effectué devant trois personnes ? Pour qu’il y ait une personne qui en prenne possession et que les deux autres en soient les témoins.’ Il y a de grandes discussions entre les Rishonim pour rendre compte du débat entre Rabbi Yo’hanan et Rabbi Yéhoshoua ben Lévy, voir Tossefot et Ran sur Nédarim 45a. Toutefois, quelle que soit la teneur de la discussion, tous les décisionnaires tranchent que la conclusion légale est comme Rabbi Yéhoshoua ben Lévy. Mais, demande le Rosh, même si la conclusion légale est comme Rabbi Yéhoshoua ben Lévy, rabbiniquement nos Maîtres exigent que l’Héfker soit fait en présence de trois personnes, et même si tu me dis que cela ne serait pas rédhibitoire, d’après la Torah il faudrait de toute façon que l’Héfker soit effectué en présence d’une tierce personne, selon les dires de Rabbi Yéhoshoua ben Lévy : ‘d’après la Torah un Héfker peut être effectué devant une personne’, devant une personne et non tout seul ! Comment Rabbi Shimshon peut-il donc affirmer que légalement on pourrait faire un Héfker sans la présence d’une tierce personne ? Fort de cette question le Rosh va innover et nous forcer à rechercher quelle est la source de la notion d’Héfker dans la Torah.
XII. Source de la notion d’Héfker dans la Torah. Première Mishna du sixième chapitre du Traité Péah.
Le Rosh fait référence comme source à la notion d’Héfker le Talmud de Jérusalem dans le cinquième chapitre du Traité Shevihit. Nous avons trouvé le texte auquel il se réfère au sixième chapitre du Traité Péah dans le Yéroushalmi, première Mishna : בית שמאי אומרים הבקר לעניים הבקר, ובית הלל אומרים אינו הפקר עד שיופקר אף לעשירים כשמיטה.
‘L’Ecole de Shamaï disent : un Hébker10 rien que pour les pauvres a un statut d’Hébker. L’Ecole d’Hillel disent : ce ne peut avoir le statut d’Héfker que si l’Héfker a été effectué aussi pour les riches comme la Shemita.’ Cette Mishna se trouve dans le Traité Péah. La Torah enjoint le propriétaire d’un champ ou d’un verger en terre d’Israël de laisser lors de la récolte un coin à la disposition des pauvres (Vayikra 23,22). Le mot Péah signifie ‘coin’. Ce coin du champ ou du verger n’est abandonné que pour les pauvres. Il est interdit à quelqu’un qui ne serait pas pauvre11 de se servir et ce serait considéré du vol, en l’occurrence voler les pauvres. Nous apprenons de la sixième Mishna du premier chapitre de ce Traité que le pauvre qui a fait acquisition de la récolte de ce coin, de cette Péah, est exempt de prélever la Terouma12 et le Maasser de cette récolte. Tossefot dans le Traité Baba Kama (28a דה »מ
זה וזה פאה לפוטרו מן המעשר ) en expliquent la raison sur la base du Sifré (Parashat Reéh §119) : il y a une Mitsva de subvenir au besoin des Leviin en terre d’Israël car ils n’ont pas de part dans la terre. Les Leviin ne font pas partie des tribus qui ont une part dans la terre d’Israël, c’est pourquoi la Torah nous enjoint de subvenir à leurs besoins, comme dit le verset (Devarim 14,29) : ובא הלוי כי אין לו חלק ונחלה עמך , ‘Et viendra le Lévy car il n’a pas de part et de patrimoine avec toi’. Par contre, en ce qui concerne la Péah qui est destinée aux pauvres, le Lévy en a une part, car s’il était pauvre il pourrait en prendre comme toute autre personne du peuple d’Israël. La sixième Mishna du premier chapitre de Péah généralise la notion et dit que, de la même manière que pour Péah, une récolte qui a été rendue Héfker, dont le propriétaire en a retiré sa propriété, sera exempte d’en prélever la Terouma et le Maasser car un Lévy pourrait s’en saisir comme tout un chacun. La Mishna qui nous occupe (sixième chapitre, première Mishna) va analyser ce qu’est l’Héfker. Beth Shamaï dit que de la même manière que Péah n’est à la disposition que des pauvres et non des riches, de la même manière un Héfker qui n’a été fait que vis-à-vis des pauvres a un statut d’Héfker et sera exempt d’y prélever la Terouma et le Maasser. Beth Hillel dit qu’un Héfker qui n’a pas été fait pour les riches comme pour les pauvres n’a pas du tout un statut d’Héfker. Il faut, d’après Beth Hillel, qu’un Héfker soit abandonné au profit de tous comme la Shmita. Le Talmud de Jérusalem rapporte une discussion entre Rabbi Yo’hanan et Rish Lakish sur l’explication du débat entre Beth Hillel et Beth Shamaï. Rabbi Yo’hanan pense que les deux écoles apprennent du statut de Péah. Le verset dit au sujet de la Péah (Vayikra 19,10) : לעני ולגר תעזוב אותם , ‘Et au pauvre et au séjournant13 vous les abandonnerez’. L’école de Shamaï pense que l’expression ‘vous les abandonnerez’ est une insistance pour nous inclure une autre forme d’abandon qui aura les mêmes caractéristiques légales que la Péah, et quelle est cette forme d’abandon ? C’est l’Héfker qui pourra n’être que pour les pauvres et qui sera exempte d’obligation de prélever la Terouma et le Maasser. L’école d’Hillel pense que le mot ‘les abandonnerez’ est à comprendre dans le sens d’une limitation : ce n’est que la Péah qui aura ce statut d’exemption de Terouma et de Maasser si ce n’est abandonné qu’aux pauvres, tandis qu’en général un abandon de propriété ne pourra être efficace que s’il a été effectué pour les pauvres et pour les riches. Rish Lakish pense que les deux écoles apprennent de la Shmita14. Le verset dit au sujet de la Shmita (Shemot 23,11) : והשביעית תשמטנה ונטשתה , ‘et la septième année tu t’en retireras et tu t’en abandonneras (les fruits)’. L’école d’Hillel pense que le second terme est une insistance pour inclure une autre procédure d’abandon de propriété qui est similaire juridiquement à la Shmita, et quelle est-elle ? C’est la procédure d’Héfker qui inclut tout, les riches, les pauvres, les non-juifs et les animaux des champs. D’après cela un Héfker ne peut être efficace que s’il est un abandon total de propriété sans restriction. L’école de Shamaï pense que l’expression ‘et tu t’en abandonneras’ est une restriction, pour nous dire qu’il n’y a que la Shmita qui doit être un abandon total, mais les autres abandons peuvent être de portée limitée, pour les pauvres par exemple et non pour les riches. L’incidence légale révélatrice du débat entre Rabbi Yo’hanan et Rish Lakish sera, d’après la démarche de l’école d’Hillel, s’il retire sa propriété pour les riches et pour les pauvres et non pour les non-juifs par exemple. Selon Rabbi Yo’hanan le Héfker est valable, selon Rish Lakish l’Héfker ne ressemble pas à la Shmita donc n’est pas valable. Le retrait de propriété doit être sans restriction. La conclusion légale est comme l’opinion de Rish Lakish. Les commentateurs du Yéroushalmi (Le Ridbaz, Rabbi Yaakov David Vilowsky, cité par Rabbi Shmayé Grinbaum dans le Siyata DiShmaya sur la Mishna) expliquent que le débat entre Rabbi Yo’hanan et Rish Lakish est sur le fond un débat pour définir quelle est la source de la notion d’Héfker. D’où savons-nous qu’il y a dans la Torah une procédure juridique d’abandon de propriété ? Pour Rabbi Yo’hanan la source à la notion d’Héfker est Péah, pour Rish Lakish c’est Shmita.
XIII. Analyse des sources dans la Torah à la notion d’Héfker. La Péah.
Nous avons vu dans le paragraphe précédent la discussion entre Rabbi Yo’hanan et Rish Lakish sur l’origine dans la Torah à la notion d’Héfker. En effet nous trouvons deux formes de retrait de propriété dans les lois de la Torah, dans Péah et dans Shmita. La structure de ces deux sujets sont extrêmement différentes. Lorsque quelqu’un moissonne son champ en terre d’Israël, il laisse un coin de son champ non moissonné, ce coin prend un statut de Péah et devient à la disposition des pauvres. La récolte de ce coin est exempte d’y prélever la Terouma et le Maasser. La Mishna de Péah (premier chapitre, première Mishna) nous enseigne que la Péah n’a pas de mesure. La superficie de cette parcelle laissée au pauvre est laissée à la discrétion du propriétaire15. Nous pouvons nous poser la question : mais qu’est-ce qui confère ce statut à cette parcelle ? Quel acte, quelle parole imprime ce statut juridique à cette parcelle ? Rambam, Hilkhot Matanot Aniim, premier chapitre, première Halakha : ‘Celui qui moissonne son champ ne doit pas moissonner tout son champ mais doit laisser un peu de blé sur pied aux pauvres à la fin de son champ, comme dit le verset (Vayikra 19,9 et 23,22) « n’achève pas le coin de ton champ lorsque tu le moissonnes ». Que ce soit en moissonnant ou en cueillant. Ce qui est laissé s’appelle Péah.’ Apportons quelques Halakhot complémentaires dans le second chapitre. Halakha 12 : ‘On ne laisse de Péah, de coin, qu’à la fin du champ (…). Néanmoins s’il a transgressé cet impératif et qu’il a laissé la Péah au début de son champ ou bien en son milieu, ce qu’il a laissé a le statut de Péah (et est donc exempt de Terouma et de Maasser). Il devra toutefois laisser au bout de son champ une mesure de Péah16 relative à la partie de son champ qui restait à moissonner après avoir mis de côté la première Péah.’ Halakha 13 : ‘Un propriétaire de champ qui a donné la Péah d’un côté de son champ et les pauvres lui dirent : donne-nous d’un autre côté ! Et il répond à leur requête et leur donne une autre Péah d’un autre côté du champ, le premier coin et le second coin ont tous deux un statut de Péah (et sont exempts d’y prélever Terouma et Maasser).’ Il ressort de ces différentes Halakhot deux choses : En laissant un coin pour les pauvres sciemment à la fin de sa moisson (ou de sa cueillette pour les fruits) il confère un statut de Péah à ces plantations. Il s’arrête sciemment de récolter, ce qui reste a un statut de Péah.
La Torah ne fixe pas de mesure à ce commandement. S’il confère un nom de Péah à cette récolte elle prend un statut de Péah. Cela peut être un brin (mesure minimale) ou un soixantième (mesure médiane exigée par les ‘Hakhamim), soit beaucoup plus (dans la mesure où il ne donne pas toute sa récolte car cela ne s’appellerait pas ‘un coin’). La Péah n’a pas du tout le même statut juridique que le reste de la récolte, en cela que la Péah est à la disposition de tout pauvre et qu’elle est exempte d’y prélever la Terouma et le Maasser. C’est soit l’abandon voulu du propriétaire soit la parole du propriétaire qui lui impriment ce statut.
D’après Rabbi Yo’hanan dans le Yéroushalmi (Traité Péah sixième chapitre), Beth Shamaï dit que l’on peut généraliser à partir de la Mitsva de Péah et concevoir que quelqu’un puisse abandonner sa propriété pour les pauvres et non pour les riches, et qu’il puisse aussi abandonner sa propriété pour les pauvres et les riches aussi. Beth Hillel est d’accord sur le fond, mais dit qu’un tel Héfker limité aux pauvres ne s’applique qu’à Péah. De manière générale nous apprenons de Péah que l’on peut effectuer un Héfker, mais ce Héfker devra être pour les pauvres et pour les riches. Interrogeons-nous : comment, par seule décision du propriétaire, la récolte peut-elle prendre tel ou tel statut ? Être soumise aux lois de Terouma et de Maasser ou en être dispensée ? Et comment étendre cette dispense à plus que la quantité a priori requise ? Il nous semble que là se trouve la réflexion de fond à laquelle Rambam nous invite au second chapitre des Hilkhot Nédarim, Halakha 14 : ההפקר אץ על פי שאינו נדר הרי הוא כמו נדר שאסור לחזור בו, ומה הוא ההפקר הוא שיאמר אדם נכסים
אלו הפקר לכל., בין במטלטלין בין בקרקעות. ןכיצד דין ההפקר כל הקודם וזכה בו קנהו לעצמו ונעשה שלו.
ואפילו זה שהפקיר דינו בו כדין כל אדם אם קדם וזכה בו קנהו.
‘L’Héfker, quand bien même n’est-il pas un Néder, est comme un Néder en cela qu’il est interdit de revenir de sa décision. Et qu’est-ce qu’un Héfker ? Il consiste en ce qu’il dise : ces biens-ci sont Héfker pour tous, que ce soient des biens mobiliers ou des biens immobiliers. Et quel est le statut de ce Héfker ? Le premier qui en prend possession les acquiert pour lui-même et deviennent sa propriété complète. La personne qui a opéré l’Héfker peut lui-même en prendre possession, et il est à la même position que quiconque en cela que le premier qui le prend pour lui l’acquiert.’ Rambam nous dit que l’Hefkér est comme un Néder, mais pas tout à fait comme un Néder. Que veut dire Rambam par ces mots ? Cette question a été analysée par les grands Maîtres de génération en génération. Sans nous opposez à toutes les démarches qui ont été proposées par nos grands Maîtres, nous proposons de dire qu’un Héfker n’est pas un Néder car un Néder est un voeu exprimé explicitement par la bouche, et d’autre part un Néder (du fait qu’il prend son statut pas l’expression de la parole) est susceptible d’être annulé par un juge rabbinique, התרת נדרים . Toutefois il nous semble que Rambam veut nous dire que l’Héfker procède d’une décision qui confère un statut librement et change la position juridique d’un bien, comme ce que nous trouvons dans un Néder. Et c’est ce que nous découvrons dans les lois de Péah où le propriétaire a toute latitude de changer le statut juridique d’une partie de ses récoltes, soit par l’abandon de fait du coin de son champ, soit par la parole.
XIV. Seconde source à la notion d’Héfker : la Shmita. Nous avons vu plus haut la discussion entre Rabbi Yo’hanan et Rish Lakish rapportée dans le Yéroushalmi sur la source de la notion d’Héfker. Il ressort que d’après Rish Lakish la source du Héfker se trouve dans la notion de Shmita. Essayons d’analyser cette notion. Nous avons rapporté plus haut le verset de la Parashat Mishpatim relatif à la Shmita (Shemot 23,11) : והשביעית תשמטנה ונטשתה , ‘et la septième année tu t’en retireras et tu t’en abandonneras (les fruits)’. Regardons comment le ‘Hinoukh introduit la Mitsva de Shmita (Mitsva 84) : להפקיר כל מה שתוציא הארץ בשנה השביעית שהיא נקראת מפני המעשה הזה שנתחייבנו בה שנת
השמיטה ויזכה בפירותיה כל הרוצה לזכות שנאמר והשביעית תשמטנה ונטשתה ואכלו אביוני עמך .
‘La Mitsva est de rendre Héfker tout ce que la terre produit durant cette septième année, année qui sera appelée de ce fait-là année de l’abandon, année de la Shmita. Et toute personne qui le veut peut en prendre possession, comme dit le verset « et la septième année tu t’en retireras et tu t’en abandonneras (les fruits) et mangeront les indigents de ton peuple (…) ».’ Le langage du ‘Hinoukh nous interpelle : la Mitsva a l’air de consister à abandonner la propriété de la production de la terre. Et qu’en est-il si le propriétaire n’abandonne pas sa propriété ? Les fruits ne seraient-ils pas à la disposition de tous ? Le langage du ‘Hinoukh est presque mot à mot le langage de Rambam dans le Sefer Hamitsvot, Mitsva positive 134, au sujet de la Shmita. Néanmoins Rambam exprime ce commandement dans le Mishné Torah un petit peu différemment (Hilkhot Shmita VéYovel, quatrième chapitre, Halakha 24) : מצוות עשה להשמיט כל מה שתוציא הארץ בשביעית, שנאמר תשמטנה ונטשתה. וכל הנועל כרמו או סג
שדהו בשביעית ביטל מצוות עשה. וכן אם אסף כל פירותיו לתןך ביתו. אלא יפקיר הכל ויד הכל שווין שכל
מקום שנאמר ואכלו אביוני עמך.
‘C’est un commandement positif d’abandonner tout ce que la terre produit la septième année, comme dit le verset « tu t’en retireras et tu abandonneras ». Et toute personne qui fermerait sa vigne ou clôturerait son champ la septième année annulerait ce commandement positif. Il annulerait aussi ce commandement s’il engrangeait toute la récolte dans sa maison, mais il doit abandonner tout et que la main de tous soit à égalité en tout endroit, comme dit le verset « et mangeront les indigents de ton peuple ».’ Il n’y a pas l’air de ressortir de cette formulation de Rambam qu’il faille abandonner la propriété activement des pousses de la septième année. Il a l’air d’être que le commandement positif se concrétise en donnant aux personnes le droit d’accéder aux fruits. Et qu’une personne qui s’y
opposerait enfreindrait ce commandement. Le Minh’at ‘Hinoukh sur la Mitsva 84 du ‘Hinoukh pose explicitement la question. Il pose de manière tellement précise la problématique que nous n’avons qu’à la rapporter, selon notre traduction : ‘je me pose la question : est-ce que la Mitsva de Shmita incombe à l’individu (Karkafta déGavra), c’est-à-dire que D. nous ordonnerait de rendre Héfker tous nos fruits la septième année et que nous aurions l’obligation active de retirer notre propriété. La conséquence serait que s’il a rendu ses fruits Héfker, lis seront Héfker. Par contre s’il ne les a pas rendus Héfker, ils ne le sont pas, et qu’il aurait transgressé le décret de D., toutefois personne n’aurait le droit de prendre possession des fruits. Et si quelqu’un en prenait, il transgresserait l’interdit de vol. Il est explicite dans Rambam (sixième chapitre des lois de Matanot Aniim de Rambam) que des fruits de la Shmita ne sont pas passibles de Terouma et de Maasser, cependant, d’après notre questionnement, il serait possible que tant que le propriétaire n’a pas retiré sa propriété l’année de la Shmita les fruits seraient redevables de Terouma et de Maasser. Ou bien ce Héfker ne nécessite pas intervention du propriétaire mais il serait une sorte de désappropriation royale, Hafkahta déMalka, et que les fruits de la Shmita seraient Héfker d’eux-mêmes. La transgression de la Mitsva serait s’il clôture sa vigne et empêche les personnes de s’approvisionner. Dans ce cas il spolierait la communauté mais les fruits seraient exempts d’y prélever la Terouma et le Maasser de toute façon. De même si quelqu’un ferme sa propriété et que quelqu’un se serve contre son gré ce ne serait pas du vol. Les temps sont passés et D. a éclairé mes yeux et j’ai trouvé dans les responsa de Rabbi Yossef de Trani (premier tome, chapitre 4217) qui développe une longue argumentation pour réfuter l’opinion de Rabbi Yossef Caro (dans Avkat Rokhel chapitre 22) au sujet de fruits de la septième année d’une propriété appartenant à un non-juif en terre d’Israël. Rabbi Yossef Caro pense que ce n’est pas une désappropriation royale, Hafkahta déMalka, et que, le non-juif n’étant pas astreint à ces commandements, ses fruits ne sont pas Héfker et nécessitent qu’on leur prélève la Terouma et le Maasser (si on les achète du non-juif). L’opinion du Maharith, de Rabbi Yossef de Trani, est que la Shmita est une désappropriation royale et que même les fruits d’une propriété appartenant à un non-juif ont la sainteté de Shmita et ne nécessitent pas qu’on leur prélève la Terouma et le Maasser. J’ai trouvé aussi dans le livre Péat HaShoul’han (de Rabbi Israël de Shklov) qui développe une longue argumentation pour contrer le Maharith et conforter l’opinion de Rabbi Yossef Caro que la Mistva consiste à rendre activement Héfker ses fruits, et qu’ils ne le sont pas d’eux-mêmes.’ Le ‘Hazon Ish, Rabbi Avraham Yishayahou Karlitz (dans la partie de son livre ‘Hazon Ish sur Zeraïm, Shevihit 19,24 et 20,7) fait une synthèse du sujet et propose de dire que ce dont parle Rabbi Yossef Caro (comme quoi les récoltes de la septième année ne sont pas Héfker d’office) ne concernerait que les récoltes des propriétés des non-juifs qui ne sont pas enjoints aux commandements de Shmita, et non les récoltes des juifs qui seraient Héfker d’elles-mêmes18. Pour ces dernières le commandement de Shmita est de ne pas se conduire en propriétaire à leur égard et de laisser quiconque s’en servir par exemple. Ces notions étant posées, nous pouvons nous demander comment Rish Lakish apprend la notion d’Héfker à partir des lois de Shmita. En effet il ressort que globalement les récoltes de la septième année sont Héfker d’elles-mêmes sans que l’homme n’intervienne pour cela. Nous proposons de dire que fondamentalement Rabbi Yo’hanan et Rish Lakish apprennent tous deux la notions d’Héfker de Péah. Néanmoins le débat est de savoir comment généraliser à partir de Péah. Rabbi Yo’hanan pense que Péah nous enseigne que la notion d’Héfker existe et que nous pouvons ou non généraliser. Rish Lakish est d’accord sur le fond, mais fait remarquer que la notion principale d’Héfker que nous trouvons dans la Torah se trouve dans les lois de Shmita. Certes dans Shmita l’Héfker est automatique, néanmoins la généralisation viendra de Shmita. Le mécanisme technique d’Héfker vient de Péah, mais le champ d’action sera généralisé à partir de Shmita.
XV. Synthèse et retour aux débats dans Nédarim 45a. La conclusion des décisionnaires est comme Rish Lakish. En effet la Guemara dans le Talmud de Jérusalem fait remarquer que la Mishna (Péah sixième chapitre, première Mishna) dit que l’Héfker doit être pour les riches et pour les pauvres comme la Shmita. Ce qui nous laisse entendre que l’Héfker doit être structuré comme la Shmita. Rabbi Akiva Eiger, ‘Hoshen Mishpath chapitre 273 sur le §5, dit en conclusion légale que si quelqu’un a désapproprié son bien pour les juifs et non pour les non-juifs, pour les gens de sa ville, mais non pour les gens d’une autre ville, cette désappropriation ne prend pas un statut d’Héfker. C’est l’opinion de Rish lakish. Résumons le déroulement du raisonnement des fondements des lois d’Héfker. Nous trouvons dans les lois de Péah que la Torah donne la capacité à quelqu’un de donner un statut d’abandon relatif à une partie de sa récolte. Pour les pauvres et non pour les riches. Cette Péah devient exempte d’y prélever la Terouma et le Maasser. Rambam nous a aidés à comprendre que ce processus fonctionne un peu comme un Néder. Nous apprenons des versets de la Torah que cette capacité est donnée à être étendue. La question qui occupe les Maîtres de la Mishna, les protagonistes de la Guemara jusqu’aux décisionnaires récents, est de savoir quelle structure formelle donner à cette extension. Et tel est le débat à la fin du quatrième chapitre du Traité Nédarim (45a) entre Rabbi Yo’hanan au nom de Rabbi Shimon ben Yéotsadak et Rabbi Yéoshoua ben Lévy d’un côté et les Rishonim de l’autre. Reprenons la Guemara. יהושע בן לוי אמר דבר תורה אפילו באחד הוי הפקר ומה טעם אמרו בשלשה כדי שיהא אחד זוכה ושנים מעידים .
‘Rabbi Yo’hanan dit au nom de Rabbi Shimon ben Yéotsadak : si quelqu’un se désapproprie devant
trois personnes, son Héfker est efficace. Devant deux personnes, son Héfker est nul et non avenu. Rabbi Yéhoshoua ben Lévy dit : d’après la Torah, un Héfker peut être fait devant une personne. Pour quelle raison nos Maîtres ont-ils dit qu’il faut que le Héfker soit effectué devant trois personnes ? Pour qu’il y ait une personne qui en prenne possession et que les deux autres en soient les témoins.’ Regardons comment Rambam rapporte cette Guemara (Hilkhot Nédarim second chapitre, Halakha 16) : המפקיר את הקרקע כל הקודם והחזיק בהן זכה. דין תורה אפילו בפני אחד הרי זה הפקר ונפטר מן המעשרות. אבל מדברי סופרים אינו הפקר עד שיפקיר בפני שלשה כדי שיהיה אחד זוכה אם ירצה והשנים מעידים .
‘La personne qui rend sa propriété foncière Héfker, le premier qui en prendra possession l’aura acquise. Selon la loi de la Torah, un Héfker est efficace ne serait-ce qu’en présence que d’une seule personne et serait alors exempt de Maasserot. Cependant les Scribes ont imposé qu’il ne peut avoir un statut d’Héfker que s’il a été effectué en présence de trois personnes de manière à ce que l’un puisse acquérir s’il le veut et que les deux autres soient témoins de l’acquisition.’ XVI. Etude du Rambam Hilkhot Nédarim second chapitre, Halakha 16. Conclusion de notre digression sur la notion d’Héfker. Pourquoi Rambam introduit-il la nécessité que l’Héfker soit effectué en présence de trois personnes par le fait que l’on puisse rendre Héfker un bien immobilier ? Il nous semble que par cette introduction, Rambam nous donne sa lecture du débat entre Rabbi Yo’hanan et Rish Lakish dans Nédarim. La conclusion globale du sujet est que l’on apprend l’Héfker de la Shmita19. La Torah généralise l’Héfker à partir du Héfker de la Shmita20. Dans la Shmita les récoltes sont désappropriées et sont exemptes de Terouma et de Maasser. Si la Torah nous appelle à généraliser à partir de Shmita, comme Rish Lakish nous l’enseigne, cela signifie que cette généralisation sera dans un contexte similaire d’exemption de Terouma et de Maasser, donc dans un sujet qui concerne des biens immobiliers. Généralisons donc : on peut se désapproprier de ses biens immobiliers, de ses terrains, et tant que personne n’aura pris possession de ces terrains, les récoltes seront exemptes de Terouma et de Maasser. Mais il y a un problème structurel : si je possède un terrain et que je me défasse de ma propriété sur ce terrain, et que quelqu’un en prenne possession, comment pourra-t-il faire valoir sa propriété sur ce terrain si cette désappropriation se passe entre quatre yeux ? En effet je peux faire valoir mon droit de propriété sur un terrain de trois manières : soit en montrant un acte de vente ou de donation signé de deux témoins, ou bien par le témoignage actif de deux témoins attestant de la passation de propriété, ou bien par ce que nos Maîtres appellent ‘la ‘Hazaka’. Si quelqu’un possède un bien immobilier et a égaré l’acte d’achat ou de donation, et que les témoins de ces actes ne sont pas présents, comment peut-il faire valoir de sa propriété ? Nos Maîtres ont élaboré un concept juridique très important pour répondre à ce problème21, la notion de ‘Hazaka : si des témoins attestent que cette personne a utilisé ce terrain comme tout propriétaire aurait pu le faire durant trois ans suivis, cela pourra suffire comme preuve que de fait il est propriétaire22. Mais si quelqu’un s’approprie un terrain qui a été rendu Héfker, comment attestera-t-il de sa nouvelle propriété ? Le propriétaire initial a toujours sa ‘Hazaka, le nouveau n’a aucun document puisqu’il a saisi un terrain qui n’appartient à personne. Rabbi Yo’hanan au nom de Rabbi Shimon ben Yéotsadak nous enseigne alors qu’un Héfker sur un terrain qui n’aurait pas été effectué en présence de trois personnes, de manière à ce qu’une des personnes puisse potentiellement en prendre possession et que les deux autres puissent en témoigner, ne serait pas un Héfker. Rabbi Yéhoshoua ben Lévy s’oppose et dit que certes les sages ont exigé qu’un Héfker soit effectué en présence de trois personnes mais que ceci est une institution rabbinique, et que d’après la Torah il suffit que l’Héfker soit effectué en présence d’une personne qui puisse potentiellement en prendre possession. Quel est le débat ? Et, de plus, si Rabbi Yéhoshoua ben Lévy est d’accord que concrètement il faille que l’Héfker soit effectué en présence de trois personnes, quelle incidence y a-t-il de nous dire que d’après la Torah cela suffirait de faire le Héfker en présence d’une personne ? Il nous semble qu’en nous introduisant cette Halakha par l’Héfker des terrains, Rambam nous explique la discussion et son champ d’application. Rabbi Yéhoshoua ben Lévy pense que l’extension du Héfker à partir des lois de Shmita s’applique à toute désappropriation. Néanmoins fondamentalement si je me désapproprie de mon bien il faut que quelqu’un puisse potentiellement en prendre possession. Donc il faut structurellement que cela se fasse en présence de quelqu’un, sinon l’Héfker n’a strictement aucun sens. Introduisant cette Halakha par l’Héfker d’un terrain, Rambam nous dit que l’institution des ‘Hakhamim d’exiger trois personnes ne s’appliquera qu’aux bien immobiliers, et que par rapport à un bien mobilier il suffira que l’Héfker ait été effectué en présence d’une personne. Le Rosh, et toute l’école des Tossefot, s’oppose. Comme Rambam il tranche que la conclusion légale est comme Rabbi Yéhoshoua ben Lévy, cependant il pense que lorsqu’il dit que d’après la Torah il suffit que l’Héfker soit effectué en présence d’une personne, en fait cela pourrait être devant personne. Rabbi Yéhoshoua ben Lévy s’exprime ainsi ‘en présence d’une personne’ pour s’opposer à Rabbi Yo’hanan qui exige trois personnes d’après la Torah, mais en fait même tout seul l’Héfker a force de loi. Quelle est la logique ? Le Rosh, sur la fin du passage de la Guemara du Traité Nédarim explique : ומה טעם אמרו בשלשה כדי שיהיה אחד זוכה ושנים מעידים. ומתוך כך ירא בעל הבית להפקיר כדי להפקיע ממעשר.
‘Et pour quelle raison nos Maîtres ont-ils exigés trois personnes ? De manière que l’un puisse (potentiellement) s’en emparer et que les deux autres puissent en témoigner. De cette manière le propriétaire aura peur de faire une ruse et de rendre son champ Héfker en présence de personne rien que pour rendre sa récolte exempte d’y prélever la Terouma et le Maasser.’ Le Rosh nous explique que l’exigence de trois personnes ne s’applique que dans l’Héfker de biens agraires. Dans les autres circonstances, la personne peut effectuer l’Héfker même seule, et dans ces cas il n’y aurait aucune institution rabbinique. Quel est le débat entre la démarche de Rambam et celle du Rosh et l’école des Tossefot ? Nous proposons de dire qu’il y a ici un débat de fond sur ce qu’est un Héfker. Le Ran, que nous avons cité au §4, nous indique une piste prometteuse. Au paragraphe cité nous n’avions pas rapporté l’intégralité des mots du Ran car nous n’avions encore pas travaillé en détail la teneur des débats autour de la notion d’Héfker. Rapportons maintenant les paroles du Ran dans leur détail. XVII. Conclusion de notre digression sur la notion d’Héfker. Et retour sur le Bitoul ‘Hamets. Nous rapporterons ici les paroles du Ran dans notre traduction. ‘Quelle est cette notion de Bitoul, d’annulation du ‘Hamets ? La Guemara dit au sujet de Bitoul (Pessa’him 7a) « il annule le ‘Hamets dans son coeur et cela est suffisant », et indubitablement au sujet du Héfker de son bien, si quelqu’un rendait Héfker son argent dans son coeur cela n’aurait aucun impact. (…) En effet nous voyons dans le Traité Nédarim que, d’après Rabbi Yossi, l’Héfker suit le même processus qu’un don ; de la même manière que dans un don, une donation, le bien ne sort du domaine du donateur que lorsque le bénéficiaire en prend possession, de la même manière l’Héfker ne sort du domaine juridique de celui qui l’effectue que lorsque le bien aura été acquis par un bénéficiaire.’ Cette preuve du Ran pour réfuter la thèse de ceux qui voudraient dire qu’un Héfker pourrait s’effectuer dans le coeur nous laisse perplexe. En effet cette explication de Rabbi Yossi dans le Traité Nédarim n’a été proposée que dans l’hypothèse de la Guemara (voir là-bas) et à la fin de la Souguia23 la Guemara revient de cette explication. D’autre part la Halakha ne suit pas l’avis de Rabbi Yossi, qu’apporte le Ran donc de cette hypothèse de lecture ? Il nous semble vouloir dire qu’en fait tout le sujet se trouve là. Certes la conclusion n’est pas comme cette hypothèse de lecture de l’opinion de Rabbi Yossi, et la conclusion n’est pas comme Rabbi Yossi, toutefois s’il y a eu une telle hypothèse c’est que l’idée première d’Héfker est qu’un Héfker est une mise à disposition d’un bien à quelqu’un. Donc un Héfker doit introduire quant à son fondement la présence d’un bénéficiaire potentiel, et ne peut être effectué dans le coeur. Et là se trouve le point de discussion entre les Rishonim : L’Héfker est-il une mise à disposition de son bien à tous ou bien l’Héfker est-il une procédure d’abandon de toute propriété, ce qui a comme conséquence que tout un chacun peut en prendre possession ? Rashi, le Ran et Rambam pensent que l’Héfker ressemble fondamentalement à une donation, à une mise à disposition de son bien aux autres. De ce fait l’Héfker doit intégrer dans son accomplissement à minima une personne. Tossefot et le Rosh pensent que l’Héfker fondamentalement est une rupture de propriété, cette rupture peut s’accomplir dans son coeur. Fort de cette analyse nous pouvons relire le débat entre Beth Hillel et Beth Shamaï dans la Mishna de Péah. Beth Shamaï dit qu’un Héfker peut être comme la Péah, c’est-à-dire peut être attribué aux pauvres et non aux riches. En effet nous apprenons de la notion de Péah que la Torah nous donne la possibilité de mettre à la disposition de certaines personnes notre bien et non à la disposition d’autres personnes. Beth Hillel s’oppose et dit que la Péah est une exception. S’il y a à généraliser, c’est à partir de la notion de Shmita. Nous avons longuement objecté à cette comparaison avec la Shmita car l’abandon de la Shmita n’est pas lié à la décision de l’homme. Et là va se situer le noeud des discussions. Nous proposons d’expliquer de la manière suivante : Rabbi Yo’hanan, dans le Yéroushalmi, dit que Beth Hillel et Beth Shamaï apprennent tous deux de Péah. Pour les deux l’Héfker est comme la Péah, c’est-à-dire une mise à disposition à certaines personnes. Rish Lakish dit que Beth Hillel et Beth Shamaï apprennent tous deux de Shmita. La Shmita est un abandon total indépendant de l’action humaine. Mais nous avons prouvé plus haut que même d’après Rish Lakish la base est l’enseignement de la Péah. Rashi, Ran, Rambam pensent qu’étant donné que la base du sujet est Péah, même si la généralisation sera comparée à la Shmita, la base d’Héfker est une mise à disposition. Tossefot et Rosh pensent que bien que la capacité de créer n Héfker soit appris de Péah, toutefois la généralisation viendra de Shmita qui est un abandon de propriété, une rupture de propriété. On pourra même dire que pour Tossefot et Rosh, tel est le débat entre Rabbi Yo’hanan et Rish Lakish. Pour Rabbi Yo’hanan qui apprend l’Héfker de Péah, l’Héfker est une mise à disposition, pour Rish Lakish, qui l’apprend de Shmita, l’Hefkér est une rupture de propriété, la conclusion étant comme Rish Lakish24. Conséquence pour notre sujet, pour Tossefot, le Bitoul ‘Hamets est une procédure classique d’Héfker, d’abandon de propriété ; pour Rashi et Ran, le Bitoul est structurellement différent d’Héfker.
XVIII. Démarche de Rambam au sujet de Bitoul ‘Hamets.
Comme d’habitude la démarche de Rambam est complexe25. Pour pouvoir un tant soit peu la cerner il nous faudra explorer dans différentes directions. Tout d’abord rapportons Rambam dans le Séfer HaMitsvot, commandement positif 156 : מצוה קנ »ו, היא שצונו לבער חמץ מבתינו ביום ארבעה עשר מניסן וזו היא מצות השבתת שאור. והוא אמרו
יתברך אך ביום הראשון תשביתו שאור מבתיכם.
‘Le commandement 156 est que nous sommes enjoints de détruire le ‘Hamets de nos maisons le jour du quatorze Nissan, c’est ce que l’on appelle « la Mitsva d’arrêter le levain ». C’est ce que le verset nous dit : « seulement le premier jour vous arrêterez le levain de vos maisons ».’ Il ressort de l’expression extrêmement concise du Séfer HaMitsvot que pour Rambam le commandement de Tashbitou, d’arrêter le levain, consiste à le détruire. Il ne fait nullement allusion à une annulation dans le coeur de quelconque manière. Cependant Rambam dans le Mishné Torah s’exprime dans des termes différents. Nous rapporterons les trois premières Halakhot du second chapitre des Hilkhot ‘Hamets OuMatsa : הלכה א’. מצות עשה מן התורה להשבית החמץ קודם זמן איסור אכילתו, שנאמר ביום הראשון תשביתו
שאור מבתיכם. ומפי השמועה למדו שהראשון זה הוא יום ארבעה עשר. ראיה לדבר זה מה שכתוב בתורה
לא לשחט על חמץ דם זבחי, כלומר לא תשחט הפסח ועדיין החמץ קיים. ושחיטת הפסח הוא יום ארבעה
עשר אחר חצות .
‘Halakha 1. C’est un commandement positif d’après la Torah d’annuler le ‘Hamets avant le moment où il serait prohibé d’en manger, comme dit le verset « le premier jour annulez le levain de vos maisons ». La Tradition Orale nous enseigne que le premier jour dont parle ici le verset représente le jour du quatorze Nissan. La preuve à cette lecture vient du verset suivant (Shemot 34,25) : « N’égorge pas le sang de mon sacrifice et que tu possèderais alors du ‘Hamets ». Il faut comprendre le verset ainsi : n’égorge pas le sacrifice du Pessa’h et qu’à ce moment tu pourrais posséder chez toi du ‘Hamets. Or l’abattage du Pessa’h se fait le quatorze Nissan dès le début de l’après-midi.’ הלכה ב’. ומה היא השבתה זו האמורה בתורה, היא שיבטלנו בלבו ויחשוב אותו כעפר וישים בלבו שאין
ברשותו חמץ כלל, ושכל חמץ שברשותו הרי הוא כעפר וכדבר שאין בו צורך כלל .
‘Halakha 2 : Et quelle est cette annulation dont parle la Torah ? Elle consiste à ce qu’il annule le ‘Hamets dans son coeur et qu’il considère qu’il est comme de la terre et qu’il affermisse dans son coeur qu’il ne possède aucun ‘Hamets dans son domaine, et que tout le ‘Hamets qui pourrait être dans son domaine soit comme de la terre et comme quelque chose qui n’a aucune utilité. ‘ הלכה ג’. ומדברי סופרים לחפש אחר החמץ במחבואות ובחורים ולבדוק ולהוציאו מכל גבולו. וכן מדברי
סופרים שבןדקין ומשביתין החמץ בלילה מתחלת ליל ארבעה עשר לאור הנר.
‘Halakha 3 : Par décision des Scribes de rechercher le ‘Hamets dans les endroits cachés et les anfractuosités, de vérifier et de le sortir de tout son domaine. De même par décision des Scribes on vérifie et on annule le ‘Hamets au début de la nuit du quatorze Nissan à la lumière d’une bougie’.
XIX. Analyse de la démarche de Rambam. Commentaire du Késsef Mishné.
Tout d’abord nous pouvons remarquer une contradiction entre la formulation de la Mistva de Tashbitou dans le Séfer HaMistvot et la manière dont Rambam l’exprime dans le Mishné Torah. Dans le Séfer HaMitsvot la Mistva est de détruire le ‘Hamets. Détruire est une action précise qui n’a apparemment rien à voir avec annuler dans le coeur. Dans le Mishné Torah Rambam développe avec force détails que le commandement de Tashbitou est d’annuler le ‘Hamets dans le coeur. Est-ce compatible ? Contradictoire ? Rabbi Yossef Caro, dans son commentaire Késsef Mishné sur la Halakha 2, fait un développement sublime sur ces Halakhot et rapporte une version du texte du Mishné Torah différente de celle que nous avons dans nos livres actuels. Nous rapportons notre traduction de son commentaire, agrémentée de quelques remarques. Nos remarques sont signalées par des crochets [ et ]. Version du texte qu’avait Rabbi Yossef Caro : ומה היא השבתה זו האמורה בתורה, היא שיסיר החמץ הידוע לו מרשותו ושאינו ידוע יבטלו בלבו וישים אותו כעפר וכו’ .
‘Et quelle est cette Hashvata, cette annulation, dont la Torah parle ? Elle consiste à retirer le ‘Hamets connu de son domaine, et d’annuler dans son coeur et le considérer comme de la terre tout ‘hamets dont il n’a pas connaissance (…).’ Commentaire : ‘Ceci est la version du texte que nous avons entre nos mains. Il ressort du sens simple des paroles de notre Maître (Rambam) que d’après la Torah il faut deux choses : Bihour, destruction, et Bitoul, annulation. [Rabbi Yossef Caro, à chaque étape de son développement, va tenter de justifier les hypothèses de lecture des versets. Ce travail patient et subtil qui ne repousse a priori aucune hypothèse, et prend chaque possibilité au sérieux est caractéristique de son humilité profonde26.] On déduit la notion de Bitoul de l’explication que donne le Sifri « Que l’on ne voie pas pour toi » c’est-à-dire annule-le dans ton coeur. Ou bien du fait que le verset dise « vous annulerez », et qu’il ne dise pas « vous détruirez » ou « vous brûlerez », expressions que nous trouvons par contre au sujet de l’élimination des objets d’idolâtrie au sujet desquels la Torah dit « détruis, brûle, ravage ». On peut déduire la notion de Bihour du raisonnement suivant : étant donné que nous voyons que la Torah exige l’annulation du ‘Hamets dans notre coeur comme nous venons de le voir, ce qui est une exigence unique par rapport aux autres interdits de la Torah, cela nous oblige à dire que la Torah nous enjoindra de le détruire activement, comme nous le trouvons au sujet de l’idolâtrie. Mais d’un autre côté nous voyons que la Torah s’exprime en disant « annulez-le », sans prendre le langage de « détruire ». Il faudra dire que les deux sont vrais, et que lorsque nous sommes dans une situation où il ne nous est possible de le détruire activement il sera suffisant de l’annuler dans le coeur. Il faut dire que la Torah a confié aux Sages d’expliquer quand il sera suffisant de faire l’annulation et au contraire quand il sera nécessaire de le détruire véritablement. Et l’explication sera la suivante : pour un ‘Hamets connu il faudra une destruction, et pour ce cas il y a un débat chez les Maîtres de la Mishna (Pessa’him 21a) pour définir le mode opératoire de cette destruction. Pour un ‘Hamets qui n’est pas connu il sera suffisant de l’annuler. Maintenant pour les cas où l’on se trouve en face d’un ‘Hamets précis, cas où les Sages disent que cela suffit d’une annulation dans le coeur, comme celui qui trouve un beau gâteau pendant la fête, ou bien l’élève qui est assis devant son Maître la veille de Pessa’h et qui réalise qu’il a une pâte en train de lever chez lui, ou bien la personne qui va au Temple faire le sacrifice du Pessa’h ou qui va faire la circoncision de son fils et qui se souvient qu’il a du ‘Hamets précis chez lui et qu’il n’aurait pas la possibilité pratique de retourner à la maison, détruire le ‘Hamets et revenir faire le Pessa’h ou la circoncision, étant donné que les conditions d’application de la Mistva de Tashbitou sont livrées par la Torah aux décisions des ‘Hakhamim, ils ont tranché que dans ces cas précis, étant donné que la personne se trouve dans des cas limites et qu’il est impossible de faire autrement, il suffira d’une annulation dans le coeur pour accomplir son obligation de Tashbitou. [Nous tenons à mettre en relief la beauté de la lecture que fait Rabbi Yossef Caro de cette version du texte du Mishné Torah. En effet il propose de dire que la concrétisation de l’obligation de Tashbitou serait livrée aux Maîtres de la Tradition de juger quand cette Mistva sera accomplie en détruisant le ‘Hamets et quand cette Mitsva s’accomplira en annulant le ‘Hamets dans le coeur. Cette proposition de lecture est hardie car a priori la compréhension que nous pourrions avoir d’une Mistva de la Torah est qu’une Mistva implique un protocole pratique précis. Et c’est ce qui a l’air de ressortir du commentaire de Rambam lui-même sur la Mishna du septième chapitre du Traité Sanhédrin (introduction aux interdits sexuels de la Torah) où il définit qu’une Mitsva positive ou négative de la Torah se concrétise premièrement par un acte, et deuxièmement, par un acte précis. Certes Rabbi Yossef Caro reviendra de cette première lecture, néanmoins la rigueur dans sa démarche le pousse à explorer des possibilités de lectures étonnantes. Néanmoins l’idée d’un commandement de la Torah qui serait, si nous pouvons nous exprimer ainsi, à géométrie variable est concevable. En effet la Guemara dans le Traité ‘Haguiga 18a prouve des versets de la Torah que durant les mi-fêtes, ‘Hol HaMoèd, certians travaux sont interdits, certains permis. La Guemara dit : לא מסרן הכתוב אלא לחכמים לומר לך אי זו מלאכה אסורה ואי זו מלאכה מותר ת
‘Le verset finalement ne fait que confier aux Sages de définir quel travail est interdit et quel travail est permis’. Rashi explique : ‘Etant donné qu’il ressort des versets que ces jours de ‘Hol HaMoèd sont interdits de travaux mais non dans tous les travaux et que le verset ne détaille pas quel travail est permis et lequel ne l’est pas, sache et comprends que le verset ne fait que confier aux Sages qui savent comprendre selon quel aspect y a-t-il lieu de définir un interdit et selon quel aspect y a-t-il lieu de permettre.’ Selon cette opinion de la Guemara de ‘Haguiga un interdit de la Torah peut être transmis aux hommes, aux Sages en l’occurrence, pour qu’ils définissent la mise en pratique précise de cet interdit. Toutefois Rambam lui-même au chapitre sept des Hilkhot Yom Tov conclut que les travaux interdits à ‘Hol HaMoèd correspondent quant à leur fond à une institution rabbinique. Revenons au commentaire de Rabbi Yossef Caro. Maintenant qu’il vient d’être défini qu’il y a d’après cette version du texte de Rambam deux modalités, destruction-Bihour pour le ‘Hamets dont nous avons connaissance et annulation-Bitoul, pour le ‘Hamets dont nous ignorons l’existence, que veut nous dire Rambam dans la Halakha 3 où il y a l’air de ressortir que la recherche du ‘Hamets est une institution rabbinique même dans des endroits où on a pu y introduire du ‘Hamets?] Il ressort de Rambam dans la Halakha 3 que rechercher le ‘Hamets même dans des endroits où nous avons introduit du ‘Hamets durant l’année ne serait qu’une institution rabbinique. Mais pourquoi Rambam dit-il que c’est une institution rabbinique étant donné que c’est dans des endroits où l’on a introduit du ‘Hamets, n’a-t-il pas dit plus haut que détruire le ‘Hamets connu est une obligation d’après la Torah ? Deux réponses : soit de dire qu’il y a une différence entre un ‘Hamets défini où l’obligation de le détruire serait une obligation d’après la Torah et un ‘Hamets hypothétique même dans un endroit où on en a introduit durant l’année où la recherche ne serait que rabbinique, soit de dire que lorsque Rambam dit dans la Halakha 3 que la recherche du ‘Hamets est une obligation rabbinique et non une obligation selon la Torah s’applique à l’obligation de faire cette recherche du ‘Hamets le soir du quatorze, mais que l’obligation de recherche du ‘Hamets serait selon la Torah. [Dans ce premier temps, le labeur du Késsef Mishné est de rendre compte de la version du texte de Rambam qui était la version qu’avait Rabbi Yossef Caro ainsi que ses contemporains, et d’en tirer toutes les conséquences légales et textuelles, mais dans un second temps il va prouver que cette version est erronée] Mais il est impossible d’authentifier cette version du texte de Rambam. En effet la Guemara dans le Traité Pessa’him 6b enseigne à propose de l’enseignement de Rav Yéhouda27 « celui qui fait la recherche du ‘Hamets doit aussi annuler le ‘Hamets de peur qu’il ne trouve un très beau gâteau et qu’il tarde un laps de temps (et transgresse alors Bal Iraé et Bal Imatsé). Mais quand il trouve ce gâteau il n’a qu’à l’annuler ! ». S’il y avait une hypothèse de lecture de la Mitsva de Tashbitou comme nous venons la définir que pour un ‘Hamets défini, connu, il n’y aurait qu’une seule possibilité ce serait de le détruire et pas autre chose, comment la Guemara peut-elle dire « mais s’il a trouvé un beau gâteau il n’a qu’à l’annuler ! » ? Cette éventualité n’est pas possible ! Donc si la Guemara envisage que pour ce beau gâteau qui est un ‘Hamets connu et défini on puisse l’annuler, cela signifie que d’après la Torah בביטול בעלמא סגי , « l’annulation du ‘Hamets est efficace d’après la Torah », sous-entendu : en toute circonstance. Il faudra lire la question de la Guemara de la manière suivante : s’il trouve un beau gâteau, qu’il l’annule tout de suite pour ne pas transgresser les interdits de la Torah, et ensuite il pourra détruire ce ‘Hamets pour accomplir l’institution rabbinique. Et d’ailleurs nous trouvons de multiples fois cette expression talmudique בביטול בעלמא סגי , « l’annulation du ‘Hamets est efficace d’après la Torah ». C’est-à-dire que ce soit pour un ‘Hamets non connu ou que ce soit pour un ‘Hamets connu et défini. Il nous faudra dire que cette version du texte du Rambam est erronée et provient sûrement d’une erreur de transcription. Et d’ailleurs j’ai trouvé que notre Maître lui-même [le Rambam] à la fin des lois relatives aux bénédictions (Hilkhot Berakhot chapitre onze, Halakha 15) qu’à partir où la personne a décidé dans son coeur d’annuler le ‘Hamets elle avait déjà accompli son obligation de détruire le ‘Hamets avant même de l’avoir recherché [comme nous le verrons plus loin]. Et telle est la version que j’ai trouvée dans des manuscrits de grande exactitude : « Et quelle est cette annulation dont parle la Torah ? Qu’il annule le ‘Hamets dans son coeur et qu’il le considère comme de la terre et qu’il considère dans son coeur qu’il n’a pas de ‘Hamets du tout et que tout le ‘Hamets qui se trouve dans son domaine soit comme de la terre et comme quelque chose qui n’a aucune utilité28. Et il ressort des Hagaot Maïmoniot que telle était la version qu’ils avaient dans Rambam, ainsi que du Séfer Mistvot Gadol, le Smag […].’ La conclusion est que d’après Rambam la base de la Mitsva de Tashbitou est l’annulation du ‘Hamets dans le coeur. D’après cela il faut comprendre la Halakha 3 de la manière la plus simple et dire que la recherche du ‘Hamets et sa destruction sont des institutions rabbiniques. Cette annulation n’a rien à voir avec la notion d’Héfker.
XX. Contradiction interne dans le Rambam.
Si dans la seconde Halakha du second chapitre des Hilkhot ‘Hamets OuMatsa Rambam nous définit clairement (selon la Guirsa finale retenue par Le Késsef Mishné) que la Mitsva de Tashbitou consiste à annuler tout le ‘Hamets que l’on possède avant l’heure impartie, comment peut-il dire dans le Séfer HaMitsvot que la Mitsva de Tashbitou consiste à détruire le ‘Hamets que l’on possède ? D’autre part si Rambam considérait le Bitoul comme le Ran l’a expliqué selon la démarche de Rashi (explication que nous avons abordée dans le paragraphe quatre de cette étude), pourquoi Rambam est-il si prolixe et ne se suffit-il pas à dire « qu’il annule le ‘Hamets » ? Expliquons cette seconde question. Nous avons vu plus haut un débat entre Rashi et Tossefot dans la manière d’expliquer ce que la Guemara dit dans Pessa’him 4b : מדאור ייתא בביטול בעלמא סגי , ‘d’après la Torah cela suffit simplement d’annuler’. D’après Tossefot il s’agit ici d’un abandon de propriété classique, un Héfker. Le Ran, comme nous l’avons rapporté dans le quatrième paragraphe de cette étude, explique la démarche de Rashi de la manière suivante. Le verset dit « Tashbitou » qui signifie « annulez ». Il ne dit pas « détruisez ». La Guemara dans Pessa’him 4b dit qu’à partir de la fin de la sixième heure saisonnière le ‘Hamets n’est plus dans le domaine de son propriétaire et la Torah le met dans son domaine pour qu’il transgresse l’interdit de le posséder. D’après cela il suffit d’exprimer une volonté de s’en débarrasser, de l’annuler pour que l’on ait accompli son obligation. Telle est la démarche du Ran pour rendre compte de la démarche de Rashi. Si tant est que ce serait la démarche de Rambam, pourquoi serait-il dès lors si prolixe en disant : ‘Qu’il annule le ‘Hamets dans son coeur et qu’il considère qu’il est comme de la terre et qu’il affermisse dans son coeur qu’il ne possède aucun ‘Hamets dans son domaine, et que tout le ‘Hamets qui pourrait être dans son domaine soit comme de la terre et comme quelque chose qui n’a aucune utilité. ‘ Que veut dire Rambam en disant : qu’il considère qu’il est comme de la terre ? Pourquoi ne lui suffit-il pas de dire qu’il l’annule dans son coeur, comme le dit Rashi ? Nous proposons de dire que Rambam a une toute autre approche que le Ran de la notion de Tashbitou. Rav ‘Haïm de Brisk va nous donner des éléments précieux pour rendre compte de la démarche de Rambam dans son commentaire sur la troisième Halakha du premier chapitre des Hilkhot ‘Hamets OuMatsa dans ‘Hidoush Rabbi ‘Haïm HaLévy. XXI. Commentaire de Rav ‘Haïm de Brisk sur la troisième Halakha du premier chapitre de Hilkhot ‘Hamets OuMatsa de Rambam. Rambam, troisième Halakha du premier chapitre de Hilkhot ‘Hamets OuMatsa : אינו לוקה משום לא יראה ולא ימצא אלא אם כן קנה חמץ בפסח או חימצו כדי שיעשה בו מעשה. אבל אם
היה לו חמץ קודם הפסח ובא הפסח ולא ביערו אלא הניחו ברשותו אף על פי שעבר על שני לאוין אינו לוקה
מן התורה מפני שלא עשה בו מעשה.
‘On n’est pas condamnable de flagellation29 sur l’interdit de voir du ‘Hamets ou d’en trouver que si l’on en acquiert durant Pessa’h ou que l’on ait fait lever de la pâte durant Pessa’h de manière à avoir exécuté un acte pour transgresser les interdits. Par contre s’il possédait du ‘Hamets et ne l’ait pas détruit mais l’a laissé chez lui, quand bien transgresserait-il ces interdits, il ne sera pas condamnable en pénal d’après la Torah car il n’a pas fait un acte de transgression.’ La condamnation en pénal de flagellation sur la transgression d’un interdit de la Torah requiert plusieurs conditions pour pouvoir être appliquée. Rambam nous dit que posséder du ‘Hamets et de ne pas l’avoir détruit n’est pas condamnable de Malkout, flagellation, car la transgression ne s’est pas effectuée par un acte tangible. Or nous avons le principe : אין לוקין על לאו שאין בו מעשה
‘On n’inflige pas de Malkout sur un interdit où il n’y a pas d’acte’. Les commentateurs s’interrogent car le Talmud dans le Traité Pessa’him 95a dit que les interdits de ne pas voir de ‘Hamets et de pas en trouver à Pessa’h sont des interdits donnés à être réparés par un commandement positif. C’est-à-dire qu’à l’intérieur d’un raisonnement précis la Guemara définit ces interdits comme étant des interdits dont on peut s’acquitter en appliquant le commandement positif qui leur est relatif, en l’occurrence le commandement positif de Tashbitou. Telle est l’affirmation de la Guemara page 95a. Une des conséquences de cette assertion de la Guemara est que nos Maîtres nous enseignent que l’on n’inflige pas Malkout sur un interdit donné à être réparé par un commandement positif. Pourquoi donc Rambam justifie-t-il la non-application de la peine de Malkout par une raison autre que celle rapportée dans la Guemara ? D’autant plus qu’il y a une incidence légale à la prise de position de Rambam, car, si l’analyse du sujet était que ces interdits sont considérés comme étant donnés à être réparés par un commandement positif, même le cas de figure avancé par Rambam de celui qui achèterait du ‘Hamets pendant la fête ou qui laisserait sa pâte lever ne serait pas condamnable de flagellation. Tossefot ( דף צ’ה ע »א דה »מ בפרטיה קא ממעיט בל יראה ) déduisent de cette Guemara du neuvième chapitre de Pessa’him qu’effectivement les interdits de voir et trouver du ‘Hamets sont des interdits qui sont donnés à être réparés par un commandement positif et en tirent d’importantes conséquences légales (פסחים כ »ט ע »ב דה »מ רב אשי אמר דכולי עלמא ) au nom de Rabbénou Its’hak l’Ancien. Rav ‘Haïm propose de dire que Rambam pense que la Guemara de Pessa’him 95a suit l’avis de Rabbi Yéhouda qui pense que la Mitsva de Tashbitou consiste à brûler le ‘Hamets, c’est-à-dire consiste en un acte précis et que les interdits sont donc réparés par un acte précis. Mais la conclusion légale ne suit pas l’opinion de Rabbi Yéhouda et qu’en conclusion le ‘Hamets peut être détruit de multiples manières (Hlkhot ‘Hamets OuMatsa chapitre 3 Halakha 11). Nous ne chercherons pas ici à rendre compte de tous les détails de la démarche de Rab ‘Haïm de Brisk ni à le défendre de toutes les questions que sa démarche soulève. Toutefois nous garderons le point suivant : il ressort que pour Rambam la notion de Tashbitou ne consiste pas en un acte précis. L’impératif visé par le verset est de se débarrasser du ‘Hamets, de rompre avec lui. Nous voulons dire qu’il y a là un point de divergence profond entre Rashi (expliqué par le Ran) dans Pessa’him 4b et Rambam. Pour Rashi, Tashbitou consiste à annuler le ‘Hamets. Cette annulation est un commandement positif précis de la Torah. Pour Rambam, le commandement de la Torah est de se débarrasser du ‘Hamets, de rompre avec lui. Cela peut s’accomplir de différentes façons. Dans le Séfer HaMitsvot, Rambam dit que le commandement de Tashbitou consiste à détruire le ‘Hamets. Dans le Mishné Torah il dit qu’il doit l’annuler, le considérer comme de la terre, comme quelque chose qui n’a strictement aucune utilité. Nous comprenons maintenant la nécessité qu’a Rambam à expliciter ce qu’il doit faire de son ‘Hamets : s’il a dans son domaine du ‘Hamets il doit l’annuler, mais cette annulation n’est pas suffisante comme le dit Rashi. Il doit considérer que ce ‘Hamets n’a aucune nécessité, qu’il est comme de la terre. XXII. Parabole pour rendre compte du débat entre le Ran dans Rashi et Rambam. Traité Kidoushin 49b. Pour que le débat ne paraisse pas abstrait et en discerner les enjeux, nous essaierons de prendre une parabole. La Guemara dans le Traité Kidoushin nous enseigne (49b) : הרי את מקודשת לי על מנת שאני צדיק אפילו רשע גמור מקודשת שמא הרהר תשובה בדעתו.
‘Quelqu’un a dit à une femme : tu m’es mariée à condition que je sois Tsadik, que je sois un juste, quand bien même serait-il un Rasha absolu, elle est mariée, on prend en compte qu’il est possible qu’il ait eu une pensée de Teshouva, de retour en lui-même.’ La Guemara au milieu du second chapitre du Traité Kidoushin aborde des conditions que l’on pourrait poser lors d’une procédure de mariage. Une femme pose une condition : je suis d’accord de devenir ta femme, mais à condition que tu sois riche. Qu’en est-il du mariage s’il s’avère que cet homme ne l’est pas ? Telle est la question posée. Autre question. Je suis d’accord de devenir ta femme mais à condition que tu sois un Tsadik, un homme juste. En retour, l’homme a formulé ainsi la procédure de mariage, de Kidoushin : : tu m’es mariée à condition que je sois Tsadik. Mais le problème est qu’il s’est avéré qu’il est un impie patenté. La Guemara dit que le mariage est considéré conclu, et s’ils se séparent il faudra un acte de divorce. Cette Guemara est rapportée dans le Shoul’han Aroukh (Even HaEzer 38,31) à une nuance (importante) prêt qu’on ne dira pas que ces Kidoushin sont incontestables, on dira que l’on prend en compte qu’il est possible qu’il ait fait Teshouva dans son coeur30 quand bien le connaitrions-nous, et qu’il est enfoncé jusqu’à son coup dans les fautes et transgressions de la Torah. La présomption, ‘Hazaka, que nous avons de lui, comme quoi il est réfractaire à la Torah, s’oppose à une autre présomption, une autre ‘Hazaka, le fait qu’il affirme qu’il est Tsadik, qu’il sorte de sa bouche qu’il est Tsadik. Certes, mais pour qu’il y ait ne serait-ce qu’un doute, peut-être faudrait-il qu’il fasse ses preuves ? Or nous savons qu’il y a cinq minutes il faisait encore ses forfaits ! Nos Maîtres disent qu’il est possible qu’une personne se reprenne dans son coeur et que par-delà le temps et l’espace l’homme puisse retrouver en lui une proximité avec la source de son existence, une possibilité de retour à sa relation intime à son Créateur et à Sa volonté, et se reconstruire. Le ‘Helkak Me’hokèk sur le Shoul’han Aroukh (§44) ajoute : ‘Même si, dans le cas d’un voleur, les objets volés sont encore dans son domaine, et que quelqu’un ne puisse être considéré comme ayant fait Teshouva que s’il a rendu ses larcins à ses propriétaires, et qu’il ait lâché les saletés de ses mains, néanmoins à partir du moment où il a décidé fermement dans son coeur de les rendre, il sera considéré Tsadik.’ Mais comment est-ce possible ? J’ai entendu31 de Rav Biniamin Ringer ז »ל que la Teshouva a été créée avant la Création du Monde32, et ne rentre pas dans les protocoles normaux et normatifs du monde structuré. La Teshouva échappe à toute structure. Cette parabole étant posée, nous pouvons revenir au débat entre le Ran dans Rashi et Rambam dans la conception de Bitoul ‘Hamets. D’après le Ran dans Rashi, la Torah, en nous disant Tashbitou, nous enjoint d’annuler tout ‘Hamets et levain qui seraient dans notre domaine. C’est une Mitsva positive d’annuler le ‘Hamets. Cela ne correspond pas aux lois d’Héfker mais c’est affirmer dans notre coeur une volonté profonde de rupture d’avec le ‘Hamets, un peu comme cette personne qui prend sur elle au fond de son coeur de rompre avec tout ce qui n’est pas la volonté de son Créateur. D. a déjà sorti le ‘Hamets de notre domaine, il ne faut que confirmer notre volonté d’acquiescer à la Sienne. La démarche de Rambam est complètement différente. Rav ‘Haïm de Brisk définit la Mitsva de Tashbitou en ces termes d’après Rambam : A la fin de la sixième heure saisonnière de la veille de Pessa’h je ne dois plus posséder de ‘Hamets.
Le commandement afférent à cet interdit est de détruire le ‘Hamets, de m’en débarrasser. La compréhension de la traduction araméenne du terme Tashbitou en disant Tébatloun, ‘vous annulerez’ n’est pas à comprendre dans le sens de Rashi d’annuler dans son coeur, mais dans le sens d’une annulation active. La racine du mot Tashbitou est à prendre dans le sens du verset (Vayikra 26,6) והשבתי חיה רעה , ‘Je ferai disparaître les animaux nuisibles’, Ve Ishbati, où Onkelos traduit en araméen Ve Ebatèl, ce qui signifie, dans le contexte, ‘détruire’ et pas simplement annuler. Rambam dit : ‘Que tout le ‘Hamets qui pourrait être dans son domaine soit comme de la terre et comme quelque chose qui n’a aucune utilité. ‘ Le Rithva, dans son commentaire sur Pessa’him 6b, ajoute quelques mots : ‘Certains expliquent qu’une fois le Bitoul effectué on ne transgresse plus les interdits car il n’y a plus sur ce ‘Hamets un statut de pain.’ Il nous semble que c’est ce que Rambam nous dit : il doit annuler tout intérêt à ce ‘Hamets, ce n’est rien. Pour moi, c’est de la terre. Et telle est la version du Bitoul transmise par les Guéonim de Babel : כל חמירא דאיכא ברשותי דלא ידענא ביה ליהוי בטל כעפרא דארעא.
‘Que tout levain qui se trouve dans mon domaine et dont je ne connais pas l’existence soit annulé comme la poussière de la terre.’ XXIII. Comment fonctionne le Bitoul selon la démarche de Rambam et des Guéonim ? Nous venons de voir que, d’après Rambam et les Guéonim, le Bitoul consiste à considérer le ‘Hamets et le levain comme des réalités négligeables et sans aucune importance, comme de la terre du sol, כעפרא דארעא . Mais comment cela fonctionne-t-il ? Comment puis-je considérer que ce merveilleux gâteau puisse être pour moi négligeable comme la poussière du sol ? Rabbi Yossef Kolon, le Maharik, aborde cette grande question dans ses Shéhélot OuTeshouvot chapitre 142. Il propose de dire que nous trouvons dans un tout autre sujet du Shass une procédure ressemblante33 qui pourra, en retour, nous permettre de mieux analyser le Bitoul selon Rambam. La Guemara dans le Traité Souka 4a nous enseigne : היתה גבוהה מעשרים אמה ובא למעטה בתבן ובטלו הוי מיעוט .
‘Si une Souka fait plus que dix Amot, dix coudées, de haut, elle n’est pas Casher. S’il veut diminuer la hauteur avec du foin qu’il annulerait, ce serait une bonne annulation (et la Souka serait Casher).’ La première Mishna du Traité Souka nous enseigne qu’une Souka plus haute que dix Amot, dix coudées, n’est pas Casher pour que l’on puisse accomplir le commandement de vivre dans la Souka pendant la fête de Soukot.
Si une Souka serait plus haute que dix coudées, la solution pourrait être de diminuer la hauteur de la Souka. Mais il y a un problème car si j’empile des tapis sur le sol, ces tapis ne seront pas partie intégrante du sol. Certes le volume est diminué mais du sol au toit il reste toujours plus que dix coudées. Si je mets du foin sur le sol, le foin garde toujours son autonomie et la Souka n’est toujours pas Casher. Par contre nos Maîtres nous disent que si j’annule ce foin par rapport au sol, cette annulation est effective et la Souka devient Casher. Rashi explique : תבן ובטלו. בפיו לשבעה.
‘Le foin qu’il a annulé, en prononçant cette annulation par la bouche pour les sept jours de la fête de Soukot.’ Rashi nous spécifie que cette annulation pour pouvoir être efficace doit être prononcée par la bouche et que la personne ait la volonté que ce foin fasse partie intégrante du sol durant la durée de toute la fête34. Rabbi Avraham Dantzig dans le Nishmat Adam, chapitre 146,§29, rapporte Rabbénou Manoa’h qui se pose la question suivante : si la personne a posé ce foin sur le sol avant Yom Tov mais ne l’a pas annulé avant la fête, peut-elle, le jour de Yom Tov, annuler ce foin et le considérer comme partie intégrante du sol pour les sept jours ? Rabbénou Manoa’h conclut : ‘il est vraisemblable de dire qu’il serait permis d’annuler le foin à Yom Tov car cette annulation ne nécessite aucune action, et même cette action minimale de prononcer avec sa bouche cette annulation comme le dit Rashi dans son commentaire n’est qu’accessoire, car une annulation dans le coeur est suffisante’. Bien que l’on puisse pilpouler largement sur cette conclusion de Rabbénou Manoa’h, néanmoins son analyse nous est extrêmement précieuse. Comme le Nishmat Adam l’a établi, Rabbénou Manoa’h parle du cas précis où le foin a été posé sur le sol de la Souka avant la fête mais le propriétaire du foin et de la Souka ne l’a encore pas annulé. Peut-il le faire Yom Tov ? Rabbénou Manoa’h dit que c’est licite. Comment est-ce possible, mais il transforme tout ? Il fait d’une Souka qui n’est pas Casher une Souka Casher ? Il répond qu’il n’y a aucun acte, et que la parole dont parle Rashi est facultative, tout est dans son coeur. Tout est dans son coeur, certes, mais tout va changer selon la manière dont il perçoit les choses dans son coeur ! Certes Rashi ajoute au texte et demande que l’annulation du foin pour toute la durée de la fête soit exprimée par la bouche, mais Rabbénou Manoa’h explique que cette exigence n’est pas fondamentale. Selon lui l’annulation est dans le coeur, l’exprimer par la bouche est une exigence rabbinique pour que la personne se détermine, se positionne clairement dans sa volonté d’annuler ce foin au sol de la Souka. Mais la question subsiste : comment puisse être licite d’effectuer cette annulation le jour de fête, ne serait-ce pas construire, en cela que par ma pensée je transforme une Souka non-Casher en une Souka Casher ? Rabbénou Manoa’h explique que puisque cette annulation ne se concrétise par aucun acte, elle sera permise même le jour de Yom Tov. Que veut-il dire ?
A Shabbat et fêtes la Torah nous interdit des travaux. Un travail est un acte qui transforme. Parfois la pensée aussi transforme. Mais tant que cette pensée ne se concrétise pas un acte, la transformation que cette pensée opère n’est pas prohibée en tant que travail de Shabbat et Yom Tov. Il faut dire ici que par la pensée il considère ce foin comme annulé au sol et qu’il ne le prendra pas durant la fête. Automatiquement l’espace entre le sol et le toit de la Souka se trouve être diminué. Toute notre vie nous passons à changer des choses par notre pensée, à transformer par la manière dont nous orientons notre pensée. Nous conclurons cette analyse par un exemple quotidien. Lorsque nous terminons la prière du Shemoné Essré, la coutume est de r ajouter quelques prières individuelles qu’ont rédigées des grands Maîtres du Talmud. Nous ajoutons entre autres la prière de Mor fils de Ravina : אלקי נצור לשוני מרע וש פתותי מדבר מרמה ולמקללי נפשי תידום ונפשי כעפר לכל תהיה פתח ליבי בתורתך.
‘Mon D., préserve ma bouche du mal et mes lèvres de dire des paroles fourbes, et que mon âme se taise devant ceux qui m’injurient, et que mon âme devant tous soit comme de la terre, Ouvre mon coeur dans Ta Torah !’ ונפשי כעפר לכל תהיה .
‘Que mon âme devant tous soit comme de la terre !’ Ne sommes nous pas là comme en face d’un Bitoul ‘Hamets ? Par la pensée, ou la Tefila, la prière, je demande de transformer ma perception de moi-même et de devenir comme de la terre devant les gens. Comme dit Rabbénou Manoa’h, cette transformation est dans le coeur, mais, comme l’exige Rashi, c’est par la parole que j’en prends conscience.
XXIV. Preuve à cette explication dans la démarche de Rambam. Nous avons prouvé que pour Rambam la Mitsva de Tashbitou consiste à se débarrasser du ‘Hamets. Il y a plusieurs manières de le faire : soit en le détruisant, soit en l’annulant, c’est-à-dire en le considérant comme rien du tout. La conséquence étant que s’il l’a annulé, il n’y a plus aucune obligation de détruire le ‘Hamets d’après la Torah, si ce n’est à titre d’institution rabbinique. Rabbi Yossef Caro apporte une preuve à cette démarche des dires de Rambam lui-même dans le onzième chapitre des Hilkhot Berakhot, Halakha 15. La Guemara dans Pessa’him 7a nous enseigne : אמר רב יהודה הבודק צריך שיברך.
‘Rav Yéhouda dit : celui qui fait la recherche du ‘Hamets doit faire auparavant une bénédiction.’ 7b : והלכתא על ביעור חמץ.
‘La conclusion légale est que la formulation de la bénédiction est : Qui nous a sanctifiés par Ses commandements et nous a ordonnés sur la destruction du ‘Hamets.’ Le débat dans la Guemara était de savoir quelle était la formulation instituée par nos Maîtres pour cette bénédiction : sur la destruction du ‘Hamets, ou de détruire le ‘Hamets ? La conclusion est : ‘Sur la destruction du ‘Hamets’. La démarche de Rambam à la fin du onzième chapitre des Hilkhot Berakhot est que si l’on a déjà accompli son obligation on ne peut plus dire le verbe relatif à cette Mitsva, mais le substantif relatif à cette action de MItsva. Halakha 15 : נטל את הלולב מברך על נטילת לולב שכיון שהגביהו יצא ידי חובתו. אבל אם בירך קודם שיטול מברך ליטול לולב כמו לישב בסוכה.
‘Il a pris en main le Loulav, il fait la bénédiction en disant « sur la prise du Loulav », car dès qu’il saisit le Loulav dans la main il s’est rendu quitte de son obligation. Par contre s’il fait la bénédiction avant de prendre le Loulav en main, il dit « et nous a ordonnés de prendre le Loulav », comme « de s’asseoir dans la Souka ».’ מכאן אתה למד שהמברך אחר שעשה מברך על העשייה.
‘Tu peux généraliser à partir d’ici que chaque fois qu’il a déjà fait l’acte il fera la bénédiction sur le substantif de l’action et non sur le verbe de l’action.’ וכך הוא מברך על ביעור חמץ שמשעה שגמר בלבו לבטל נעשית מצות הביעור קודם שיבדוק כמו שיתבאר
במקומו.
‘De même il fera la bénédiction « sur la destruction du ‘Hamets35», car dès le moment où il a décidé dans son coeur est effectué le commandement de détruire le ‘Hamets, avant même qu’il ne l’ait détruit de fait, comme nous l’avons expliqué dans les lois relatives au ‘Hamets.’ Nous apprenons deux éléments capitaux de cette dernière phrase de Rambam. Premièrement, dès qu’il va détruire le ‘Hamets il a effectué le commandement de Tashbitou. Nous voyons de là que l’annulation du ‘Hamets est effectuée par la pensée. Deuxièmement, cette annulation est efficace même pour le ‘Hamets connu et visible, car sinon la bénédiction porterait sur l’action à effectuer plus tard, qui serait de détruire activement le ‘Hamets connu.
XXV. Seconde preuve selon laquelle l’annulation est efficace pour Rambam même pour un ‘Hamets connu et défini. Nous avons déjà remarqué dans le vingtième paragraphe de cette étude que Rambam était très prolixe dans la manière de détailler la Mistva de Tashbitou dans la seconde Halakha du second chapitre des lois de ‘Hamets OuMatsa.
‘Halakha 2 : Et quelle est cette annulation dont parle la Torah ? Elle consiste à ce qu’il annule le ‘Hamets dans son coeur et qu’il considère qu’il est comme de la terre et qu’il affermisse dans son coeur qu’il ne possède aucun ‘Hamets dans son domaine, et que tout le ‘Hamets qui pourrait être dans son domaine soit comme de la terre et comme quelque chose qui n’a aucune utilité. ‘ Pourquoi ce long développement qui ressemble à une répétition ? Rambam reprend ce sujet au troisième chapitre, Halakha 7, en termes un peu différents : וכשגומר לבדוק אם בדק בליל ארבעה עשר או ביום ארבעה עשר קודם שש שעות צריך לבטל כל חמץ
שנשאר ברשותו ואינו רואהו. ויאמר כל חמץ שיש ברשותי שלא ראיתיו הרי הוא בטל והרי הוא כעפר .
‘Lorsqu’il termine d’avoir recherché le ‘Hamets la nuit du quatorze ou bien le jour du quatorze avant six heures saisonnières, il doit annuler tout le ‘Hamets qui pourrait rester dans son domaine et qu’il n’a pas vu. Il doit dire : tout le ‘Hamets qui se trouve dans mon domaine et que je n’ai pas vu, qu’il soit annulé et soit comme de la terre.’ Nous pouvons constater que Rambam ne dit pas ici « et qu’il soit comme quelque chose qui n’a aucune utilité ». Il nous semble résoudre cette anomalie en disant qu’il y a deux types de Bitoul. Dans le troisième chapitre Halakha 7, Rambam parle de l’annulation du ‘Hamets dont il n’a pas connaissance. Il doit effectivement exclure de son domaine tout ‘Hamets et le considérer activement comme de la terre, comme nous ‘lavons défini précédemment. Par contre dans la seconde partie de la Halakha 2 du second chapitre, Rambam parle de l’annulation du ‘Hamets connu et défini. L’annulation dans ce cas est plus hasardeuse, car, comme nous l’avons dit plus haut, comment considérer un très beau gâteau comme étant de la poussière de la terre ? Certes c’est envisageable, c’est possible. Mais cela nécessite un travail intérieur conséquent, et il doit considérer que ce ‘Hamets est comme de la terre, et aussi comme quelque chose qui n’a strictement aucune utilité. Il est donc démontré que, pour Rambam, l’annulation est efficace même pour un ‘Hamets connu et défini.
XXVI. Retour à la démarche de Tossefot.
Le Rosh36, dans Piské HaRosh (premier chapitre, §10), s’oppose frontalement aux conceptions que nous avons étudiées jusqu’à maintenant. Il y a deux étapes dans la Guemara.
Tout d’abord un enseignement de Rav Yéhouda au nom de Rav dans Pessa’him 6b : אמר רב יהודה אמר רב הבודק צריך שיבטל.
‘Rav Yéhouda nous dit au nom de Rav : celui qui a fait la recherche du ‘Hamets doit aussi effectuer son annulation, son Bitoul.’ Second enseignement dans Pessa’him 7a : אמר רב יהודה הבודק צריך שיברך.
‘Rav Yéhouda dit : celui qui fait la recherche du ‘Hamets doit faire une bénédiction (avant de commencer la recherche).’ [Il est à remarquer que la version de la Guemara que nous avons sur ce dernier enseignement est : Rav Yéhouda. Celle du Rosh est : Rav Yéhouda au nom de Rav]
Rapportons notre traduction du commentaire du Rosh, en y ajoutant quelques remarques. ‘Rav Yéhouda dit : celui qui fait la recherche du ‘Hamets doit faire une bénédiction. Rav Yéhouda vient nous enseigner qu’il faut faire une bénédiction malgré le fait que nous aurions pu penser que cette recherche du ‘Hamets n’est pas vraiment une Mitsva puisque cette recherche ne consiste qu’à se débarrasser du ‘Hamets et de le sortir de la maison. [C’est-à-dire que le Rosh considère qu’il n’y aucune Mitsva positive de détruire ou de se débarrasser du ‘Hamets. Or en général on fait une bénédiction sur l’accomplissement d’une Mitsva positive. Korban Nathanel37] Il aurait été concevable de faire la bénédiction « sur la destruction du ‘Hamets » le matin du quatorze Nissan à la cinquième heure saisonnière au moment où l’on sort le ‘Hamets de la maison et cela correspondrait alors au commandement positif de la Torah que l’on apprendrait du verset « Le premier jour arrêtez le levain de vos maisons », et nos Maîtres ont expliqué que ce premier jour consiste en la veille de Pessah’, le quatorze Nissan donc. Cette hypothèse est fausse. En effet j’affirme que sortir le ‘Hamets de nos maisons avant l’heure fatidique de la fin de la sixième heure saisonnière de la veille de Pessa’h ne correspond nullement au Tashbitou dont parle ce verset. En effet, dans Pessa’him 5b, Rabbi Akiva apprend de Tashbitou que l’on doit détruire le ‘Hamets après l’heure de son interdiction par le feu comme la notion de Notar38, נותר , que la Torah nous enjoint par un commandement positif de détruire en le brûlant après que soit passée l’heure de sa consommation39. C’est-à-dire que la Torah ne nous enjoint de brûler le ‘Hamets à titre de Tashbitou qu’après l’heure où celui-ci serait interdit, et le brûler lorsqu’il est encore permis de le consommer n’a aucun sens. Si nos Maîtres nous ont enjoints de sortir le ‘Hamets de nos maisons, cela vient de l’impératif de ne pas transgresser l’interdit de voir du ‘Hamets. Donc il n’y a aucune Mitsva positive explicite pour laquelle il eût été légitime de prononcer une bénédiction. Il aurait été aussi approprié de dire « sur la recherche du ‘Hamets » et non « sur la destruction du ‘Hamets », puisque l’on fait cette bénédiction juste avant la recherche du ‘Hamets. Néanmoins étant donné que juste après la recherche du ‘Hamets on annule le ‘Hamets dont on ignore l’existence, et cette annulation est une forme de destruction du ‘Hamets, et que l’on met de côté le ‘Hamets que l’on va manger le lendemain matin jusqu’à la cinquième heure, et qu’alors on détruira tout le ‘Hamets restant, c’est sur l’ensemble de ces actions que cette bénédiction dite avant la recherche porte, actions qui commencent avec la recherche le soir et se clôt avec la destruction de tout ‘Hamets durant la cinquième heure.’ Avec la démarche du Rosh et de Tossefot nous sommes en face d’un univers complètement différent. Il n’y a aucune Mitsva positive de se débarrasser du ‘Hamets. Bien évidemment pour ne pas transgresser l’interdit d’en posséder il faudra bien s’en débarrasser d’une manière ou d’une autre. Mais cela ne correspond à aucune Mitsva positive de la Torah. Certes cette démarche rend compte précisément de l’enseignement de Rabbi Akiva qui apprend le mode opératoire de la destruction de ‘Hamets de la Mistva de détruire le Notar par le feu. Or le Notar par définition doit être détruit après qu’il soit interdit. Mais d’un autre côté le Rosh peine à rendre compte de la nécessité de faire une bénédiction avant la recherche du ‘Hamets étant donné que d’après lui il n’y aucune Mitsva positive à la clef. Une autre conséquence de cette démarche est la conception de Tossefot et du Rosh de Bitoul. D’après Tossefot et Rosh, le Bitoul rentre dans les catégories classiques d’Héfker et n’exprime aucune spécificité liée au ‘Hamets. C’est une manière aisée de se débarrasser du ‘Hamets. D’après le Ran dans Rashi et d’après Rambam, le Bitoul est un mode opératoire de la Mistva de Tashbitou, chacun avec les nuances qui ont été définies plus haut. Nous pourrons synthétiser ces débats avec le formulé que nos Maîtres ont institué de dire lors du Bitoul du ‘Hamets. Nous rapportons les mots du Hagaot Maïmoniot sur la Halakha 7 du troisième chapitre de Rambam : ראבי »ה קיבל מר »י הלוי שיש לומר ליבטל וליהוי הפקר כעפרא, דבטול משום הפקר, כך פירש רבינו תם לעיל. אבל אביו רבינו יואל הלוי לא היה אומר הפקר כדברי רבינו המחבר וכן הרי »ף וכן רש »י וכן רבי יוסף בר »ע בסידורו .
‘Le Raavia, Rabbi Eliezer ben Rabbi Rabbi Yoël HaLévy, a reçu en tradition de Ri HaLévy qu’il faut dire « que le ‘Hamets soit annulé et qu’il soit Héfker comme la terre », car le Bitoul marche à titre d’Héfker, et ainsi explique Rabbénou Tam. Mais le père du Raavia, Rabbi Yoël HaLévy, ne disait pas le mot Héfker. Et ainsi est la version de notre auteur, le Rambam, du Rif, de Rashi et de Rav Yossef dans son Sidour (qu’on ne dit pas le mot Héfker).’
Rabbi Yossef Caro dans le Beth Yossef (chapitre 434,סימן תל »ד ) rapporte que la coutume (espagnole) est de ne pas dire Héfker. La coutume ashkenaze est de dire Héfker comme les Tossefot (Maguen Avraham chapitre 434,§6).
XXVII. Sur quoi porte le débat ? Détour par les lois d’annulation de l’idolâtrie. Comme nous l’avons mis à jour tout au long de cette étude, il ressort qu’il y aurait une Mitsva de la Torah d’annuler le ‘Hamets, à titre du verset de Tashbitou, que l’analyse soit comme le Ran ou comme Rambam. Nous pouvons nous interroger : devant une telle évidence, pourquoi Tossefot et le Rosh s’opposent-ils avec une telle franchise et refusent-ils qu’il y ait une quelconque Mistva positive de détruire le ‘Hamets avant l’heure où il devient interdit ? Certes Tossefot apporte une preuve de l’enseignement de Rabbi Akiva, mais il n’est pas si difficile de trouver des arguments pour y répondre, comme nous l’avons rapporté dans le paragraphe neuf de cette étude. Cette question nous a poursuivis longtemps. Le Sfat Emet, Rabbi Arié Léib Alter, Rabbi de Gour, dans la Hagada de Pessa’h qui a été publiée à Varsovie à partir de ses manuscrits, nous laisse entendre une piste prometteuse. Il relit (justement au début de la Hagada au sujet du Bitoul ‘Hamets) le Bitoul ‘Hamets avec l’annulation de l’idolâtrie. La Mishna nous enseigne dans le quatrième chapitre du Traité Avoda Zara (52b, נ »ב ע »ב ) : עובד כוכבים מבטל עבודת כוכבים שלו ושל חבירו, וישראל אין מבטל עבודת כוכבים של עובד כוכבים .
‘Un idolâtre peut annuler son idolâtrie ou bien celle d’un autre idolâtre. Un Israël ne peut pas annuler l’idolâtrie d’un idolâtre.’ De quoi s’agit-il ? Il est interdit de tirer profit d’une statue d’idolâtrie40. Il y a une différence juridique entre une statue d’idolâtrie fabriquée par un non-juif et celle qui serait fabriquée par un juif. Il y a un grand débat à ce sujet entre Rabbi Akiva et Rabbi Yishmaël (Mishna 51b). Nous rapporterons la conclusion légale qui suit l’opinion de Rabbi Akiva dans le Shoul’han Aroukh Yoré Déah chapitre 139,§1 ( שולחן
ערוך יורה דעה סימן קל »ט סעיף א’ ) : ‘Une statue d’idolâtrie est interdite de profit qu’elle appartienne à un idolâtre ou qu’elle appartienne à un Israël. Celle d’un idolâtre est interdite dès qu’elle a été fabriquée, celle d’un Israël ne devient interdite qu’à partir du moment où cet Israël lui a voué un culte.’ Nos Maîtres apprennent l’interdit de profiter d’une statue d’idolâtrie du verset de la Parashat Ekèv (Devarim 7,25) : פסילי אלהיהם תשרפון באש לא תחמוד כסף וזהב עליהם ולקחת לך פן תוקש בו כי תועבת ה’ הוא .
‘Les statues de leurs dieux vous les brûlerez par le feu. Ne viens pas à désirer l’argent et l’or qui se trouvent sur ces divinités et tu les prendrais, de peur que ce soit un piège pour toi car c’est une abomination de D..’
C’est-à-dire que dès que l’idolâtre a fabriqué, a sculpté, sa statue elle devient interdite41, il n’y a plus qu’à la brûler dans le feu. Shemouel, dans la Guemara du Traité Avoda Zara 52a, relève une anomalie dans le verset : שמואל רמי לא תחמוד כסף וזהב עליהם, וכתיב ולקחת לך, הא כיצד פסלו לאלוה לא תחמוד פסלו מאלוה
ולקחת לך.
‘Shemouel relève une contradiction dans le verset. Le début du verset dit « Ne viens pas à désirer l’argent et l’or qui se trouvent sur ces divinités », et la suite du verset dit « Et tu les prendrais », comme si tu avais le droit de les prendre ! Comment est-ce compatible ? S’il l’a taillé comme D., tu ne les désireras pas. S’il les a disqualifiés de leur côté divin, tu peux les prendre.’ Shemouel fait un jeu de mot sur Péssèl qui signifie ‘sculpter’ mais qui signifie aussi ‘disqualifier, Passoul’. On apprend aussi du début du verset Pessilé Elohéhèm Tisrefou, ‘Les statues de leur dieux’, que ces statues ne sont interdites de profit que tant qu’elles sont considérées statues de dieux, mais si l’idolâtre annule cette divinité, fait Bitoul du côté divin de cette statue, on aura le droit d’en profiter : ולקחת לך , ‘Tu les prendrais’. C’est-à-dire que si l’idolâtre annule le côté divin de cette statue, elle perd son statut de bannissement. Mais, sur ce point, nos Maîtres nous enseignent un distinguo fondamental. Nous rapportons la conclusion légale du Shoul’han Aroukh Yoré Déah chapitre 146,§1 (סימן קמ »ו סעיף א’ ) : ‘L’idole d’un idolâtre qu’un idolâtre a annulée devient permise de profit. Par contre un Israël ne peut pas annuler l’idolâtrie d’un idolâtre. Raison de plus qu’il ne pourra pas annuler l’idolâtrie d’un Israël qui ne peut jamais avoir d’annulation.42’ En résumé, l’idole d’un non-juif peut être annulée de son côté divinité si un idolâtre l’effectue, par contre un Israël même idolâtre ne peut pas annuler le côté divin d’une idole d’un non-juif, et raison de plus de sa propre idole, en cela que l’idole d’un juif ne peut être annulée de toute façon. Ces éléments étant posés, nos Maîtres nous ajoutent un point déterminant dans ce sujet. Shoul’han Aroukh Yoré Déah chapitre 146,§5 (סימן קמ »ו סעיף ה’ ) : ‘Un idolâtre peut annuler une idolâtrie, même si cette idole n’est pas la sienne et même si ce culte n’est pas le sien. Mais ceci à condition qu’il soit véritablement un idolâtre et qu’il s’y connaisse. L’enfant d’un idolâtre, ou un fou, ou un non-juif qui n’est pas idolâtre ne peut pas annuler.’ La base de cette Guemara est l’affirmation de la Guemara (Traité Avoda Zara 64b) : דפלח מבטל,
דלא פלח לא מבטל , ‘celui qui voue un culte à l’idolâtrie peut annuler, celui qui ne voue pas un culte à l’idolâtrie ne peut pas annuler’.
XXVIII. Essai de synthèse.
Forts des éléments que nous avons exposés dans le paragraphe précédent, nous pouvons aborder le débat entre Tossefot et les autres Rishonim au sujet de Bitoul ‘Hamets43. Tossefot et le Rosh refusent énergiquement qu’il puisse y avoir une Mistva positive de détruire le ‘Hamets, si ce n’est après l’heure de son interdit comme réparation de l’interdit d’en posséder, comme le Notar. Certes la Guemara parle de Bitoul, et qu’un tel Bitoul serait suffisant pour accomplir son obligation, mais selon cette démarche ce Bitoul revient à un Héfker classique et n’entre aucunement dans un protocole spécifique à Pessa’h. Nous voudrions dire que pour ces Rishonim, lorsque rentre Pessa’h nous devons affirmer que nous n’avons rien à voir avec le ‘Hamets. On ne doit pas posséder du ‘Hamets, certes, alors on le détruit ou en s’en débarrasse, on peut même le rendre Héfker, mais on ne peut pas l’annuler, car on n’a rien à voir avec le ‘Hamets. On doit exprimer que nous n’avons rien à voir avec le ‘Hamets et avec tout ce qu’il représente. On ne peut annuler que quelque chose avec laquelle nous avons quelque chose en commun. Nous n’avons rien en commun avec le ‘Hamets. Nous sortons d’Egypte. Pour sortir d’Egypte il faut que quelque part nous n’ayons rien à voir avec l’Egypte. Les autres Rishonim pensent que nous devons chaque année annuler le ‘Hamets, nous détacher du ‘Hamets. Ensuite nous ne pourrons plus l’annuler, car nous n’aurons plus rien à voir avec lui, mais au préalable il nous faut égorger l’agneau qui représente l’idolâtrie des Egyptiens. Ensuite D. nous libère et par ce prodige nous n’aurons plus rien à voir avec elle. Avant la délivrance il nous faut égorger l’idolâtrie des Egyptiens, il nous faut annuler le ‘Hamets car nous avons encore à voir avec ces idolâtres. Ensuite cela ne nous sera plus possible : un enfant d’Israël ne peut pas annuler une idolâtrie car il n’a rien en commun avec elle. Pessa’h est l’affirmation de cette rupture, mais cette rupture ne vient que de D. qui nous a sortis d’Egypte. La première démarche affirme qu’effectivement la délivrance ne vient que de l’intervention unique de D., néanmoins pour pouvoir sortir d’Egypte il fallait que quelque part l’on n’ait rien à voir avec l’Egypte.
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1 La Mishna utilise le mot ‘lumière’ pour nous dire ‘le soir du quatorze’. Ceci en vertu du verset (Téhilim 119,130) « Le début de tes paroles doit être plein de lumière ».
2 ‘Hamets, pâte levée.
3 Nous traduisons Nèr par ‘bougie’, bien que ce soit un anachronisme pour faciliter la compréhension. En effet, le mot Nèr signifie plutôt ‘lampe à huile’.
4 Nous pouvons d’ailleurs rajouter que la Guemara dans Pessa’him 10a affirme comme Tossefot que la Bedika, la recherche du ‘Hamets est d’ordre rabbinique : בדיקת חמץ דאורייתא, דרבנן היא בבטול בעלמא סגי ליה , ‘Comment peut-on dire que la recherche du ‘Hamets serait une obligation de la Torah puisque cela suffit d’annuler le ‘Hamets ?’.
5 Ce moment du Biour est le début de la sixième heure dite Zmanit, c’est-à-dire une heure avant que le soleil ne soit au zénith.
6 Nous ne savons pas répondre à cette question.
7 Dans la version de cet enseignement dans Baba Kama, Rabbi Elazar nous enseigne cela au nom de Rabbi Yishmaël.
8 Si quelqu’un creuse un trou dans la rue, il n’a bien évidemment aucune propriété dans ce passage public. Néanmoins la Torah nous dit que le propriétaire du trou devra payer les dégâts que ce trou pourrait occasionner. Quel est le propriétaire de ce trou ? Rabbi Elazar nous enseigne que bien que ce trou ne lui appartienne pas, la Torah le considère propriétaire pour en endosser toute responsabilité.
9 Nous disons de manière voulue ‘visé’ car nous verrons plus loin que Rambam apprend de ce verset un commandement positif d’annuler le ‘Hamets. Le Ran, bien qu’il utilise à un moment de son exposé le terme Mitsvat Tashbitou, n’insiste pas sur ce terme comme le fera Rambam.
10 Le terme employé par l’Ecole de Shamaï est Hébker, les commentateurs expliquent que le P et le B étant des labiales, ces lettres s’intervertissent fréquemment.
11 Bien évidemment il faudra définir juridiquement qui aura ce statut de pauvre.
12 La Terpuma et le Maasser sont des prélèvements que l’on doit donner au Cohen et au Lévy de la récolte que l’on a faite en terre d’Israël.
13 Nous traduisons le mot Guer par ‘séjournant’, c’est-à-dire celui qui vient séjourner au sein du peuple d’Israël, le converti qui n’a pas de propriété foncière dans le territoire d’Israël.
14 La Shmita est la jachère de la septième année, où la Torah nous enjoint d’abandonner la propriété de nos récoltes.
15 Rabbiniquement néanmoins les Sages ont imposé d’y laisser une mesure d’un soixantième.
16 C’est-à-dire un soixantième, mesure que les Hakhamim ont instituée de donner. D’après la Torah la Péah n’a pas de mesure. Un brin pourrait exempter tout un champ.
17 Cela fait référence aussi à la Teshouva du père du Maharith, Rabbi Moshé de Trani, dans les Teshouvot HaMabith premier tome, chapitre 11.
18 Voir Dérekh Emouna de Rav ‘Haïm Kanievsky sur Hilkhot Shmita chapitre 4,§169.
19 Le raisonnement que nous allons exposer est, quant au fond, celui du Rosh mentionné plus haut au §11.
20 Malgré les différences structurelles que nous avons indiquées dans les paragraphes précédents.
21 Principal sujet du troisième chapitre du Traité Baba Batra.
22 Si tant est qu’il explique clairement comment ce terrain est venu en sa possession : חזקה שיש עמה טענה .
23 Souguia : thème traité.
24 Bien entendu le sujet n’est pas clos. Il y a beaucoup à approfondir encore sur la désappropriation spécifique de la Shmita, mais cela sort du cadre strict de l’étude présente qui est Bitoul ‘Hamets.
25 Ou bien extrêmement simple, et que c’est nous qui sommes complexes, et avons du mal à voir la simplicité.
26 Voir le Shem HaGuedolim du ‘Hida, Maarékhèt HaSefarim, Ot Beith §59.
27 Passage que nous avons abordé au §4 de cette étude.
28 C’est la version que nous avons dans les livres actuels de Rambam.
29 Si quelqu’un transgresse un interdit de la Torah, il est condamnable en pénal. Le barème premier est la condamnation de flagellation. Par contre le tribunal des hommes n’est habilité à appliquer cette condamnation que si cette transgression s’est effectuée par un acte mesurable et tangible. Quand bien les condamnations en pénal ne s’appliquent pas de nos jours, car ces peines ne s’appliquent que dans des circonstances précises qui ne sont pas les nôtres aujourd’hui (il manque de nos jours l’ordination des juges rabbinique appelée Smikha), néanmoins ces lois sont abondamment dans le Talmud car elles permettent de définir avec précision la teneur des interdits.
30 Nous ne rentrerons pas ici dans tous les problèmes légaux complexes que cette Guemara soulève. Voir Le Birkat Avraham de Rav Avraham Erlanger.
31 Lorsque j’avais dix-neuf ans, au sujet de cette Guemara du Traité Kidoushin.
32 Traité Pessa’him 54a.
33 Encore une fois, il n’est pas aisé de passer d’un sujet à l’autre, chaque point halakhique a ses spécificités. Nous n’aborderons ici que ce qui est le strict nécessaire pour l’approche du sujet de Bitoul ‘Hamets.
34 Certains avis pensent qu’il doit décider que ce foin fasse partie toujours du sol pour pouvoir être considéré comme annulation effective (Ora’h ‘Haïm 358,§2 dans le Rama,אורח חיים סימן שנ »ח סעיף ב’ ).
35 Et non « de détruire le ‘Hamets ».
36 Nous verrons dans la suite qu’en fait la démarche du Rosh est celle de Tossefot que nous avions abordée succinctement au début de cette étude.
37 Commentaire sur le Rosh de Rabbi Nathanel Weil de Karlsruhe.
38 Tout Korban, offrande au Temple, a un temps imparti où l’on a le droit de le manger. Passé ce temps, ce Korban devient Notar, il y a un commandement positif de le détruire en le brûlant. Rabbi Akiva compare la Mistva de Tashbitou au commandement de Notar.
39 Cette preuve du Rosh est la même que celle de Tossefot dans 4b que nous avons rapporté dans le huitième paragraphe de cette étude.
40 Bien entendu nous ne rapporterons que les données strictement nécessaires pour l’étude de notre sujet de Bitoul ‘Hamets.
41 Avant même qu’il ne lui ait voué de culte.
42 Nos Maîtres apprennent des versets de la Torah qu’une statue à laquelle un Israël a voué un culte ne peut être annulée, et reste interdite de profit.
43 La quintessence de ce que nous proposons se trouve dans le Sfat Emet cité plus haut.
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